Aurélie Bretonneau, Conseillère d’Etat, directrice, adjointe à la Secrétaire générale du Gouvernement, soutient la nécessité d’une sobriété normative.
De même que l’inflation monétaire fait figure, pour le ministère de l’Economie, d’ennemi naturel, l’inflation normative constitue, pour le Secrétariat général du Gouvernement, un fléau endémique dont la jugulation est une préoccupation constante. Aussi parmi les (rares !) causes d’impopularité du SGG auprès des ministères, les appels à la modération qu’il lui arrive d’opposer aux appétits normatifs figurent en bonne place, surtout lorsque, conjugués aux rappels au devoir d’application des lois, ils tournent à l’injonction (facialement !) contradictoire.
Ce combat n’est, on le sait, pas sans cause : à l’inflation normative s’attachent des effets délétères proches de ceux qu’emporte son homologue monétaire, au premier rang desquels l’étranglement des acteurs et la dévaluation des textes, auxquels on ne saurait se résoudre.
Il n’est pas non plus, on l’ignore davantage, sans résultats tangibles. L’année 2022 marque une diminution de toutes les catégories de textes publiés par rapport à l’année précédente : -35 % de textes législatifs, -50 % d’ordonnances et, si la baisse est moins nette pour les textes réglementaires (-3 % de décrets, -7,6 % d’arrêtés), elle est durable et se concentre, grâce au mécanisme dit du 2 pour 1, sur les normes coûteuses pour ses destinataires. Au total, le Journal officiel a maigri de 15 % en un an, tendance confirmée au 30 juin 2023 (-10 % de lois et -65 % d’ordonnances par rapport aux six premiers mois de l’année précédente).
Ce combat n’est toutefois pas, loin s’en faut, dernière nous.
D’une part, si le nombre de lois s’est réduit, la masse législative n’a pas cessé d’augmenter : le taux de croissance des projets lois au cours du débat parlementaire, en nombre d’articles introduits entre le dépôt et la promulgation, était de 162% en 2022. Ces poussées de croissance s’accompagnent d’une voracité de mesures réglementaires d’application, dont le nombre est, depuis 2020, multiplié par 2,5 en moyenne au cours du parcours parlementaire d’un projet ou d’une proposition de loi.
D’autre part, rien ne permet d’affirmer que cette tempérance, fruit d’efforts constants et de facteurs conjoncturels, signe la fin de notre addiction collective à la norme. Souvent encore, le réflexe face à toute crise reste l’appel à la loi, et ce de la part tant du pouvoir politique que des citoyens eux-mêmes, pour qui l’édiction d’un cadre normatif incarne la prise en main par la puissance publique.
S’il est vrai que des sujets émergents (dérèglement climatique, révolution numérique) appellent de nouveaux cadres, le luxe de la maturité normative est aussi de pouvoir, souvent, agir à droit constant, en puisant dans le vivier des normes existantes. Réutiliser les bases légales, rénover les dispositifs plutôt que d’en bâtir de nouveaux, préférer la simplicité durable à la sophistication éphémère : la bonne nouvelle est que loin d’être aride, la sobriété normative en appelle, au moins autant que l’exubérance normative, à l’imagination.