Stabilité normative et conduite de projets, par Jean-François Monteils, Président du directoire, Société du Grand Paris.

Le respect des délais est d’abord une exigence politique, au sens le plus simple du terme : on met en oeuvre une décision politique, et en ce qu’il inclut également les attentes des citoyens ; il en va par exemple des nuisances dues à des chantiers d’ampleur tel que le Grand Paris Express, du portage financier, ou encore, plus prégnant de nos jours, de l’urgence de répondre à ce qu’il convient d’appeler une crise environnementale, sanitaire, voire sociale.
Mais la conduite de ce grand projet s’inscrit par ailleurs dans un cadre normatif, dont l’instabilité, déjà dénoncée à de nombreuses reprises, notamment par le Conseil d’Etat, vient rajouter une forme d’urgence à la conduite de projets. Le cadre existant au moment où le projet a été conçu n’est plus le même que celui qui préside à sa réalisation et ses évolutions peuvent soulever des problèmes complexes.
Mais l’urgence ne saurait pour autant être précipitation. L’inscription dans le temps long de la réflexion et de la concertation avec les parties prenantes, de l’interaction des domaines d’expertise, de la nécessaire qualité de nos investissements publics ne peut faire l’économie du temps.Le projet du Grand Paris Express représente à ce titre une opportunité de réflexion sur ces différents impératifs, internes comme externes, parfois contradictoires, qui peuvent être complémentaires, s’ils s’adossent à une capacité d’adaptation constante.
L’histoire du Grand Paris Express traverse ainsi différentes phases de prise de conscience de l’urgence environnementale. De 2007 à 2010, les enjeux de compétitivité des métropoles à l’échelle internationale et la crise économique prévalent et constituent l’aiguillon des discussions politiques préalables à la loi du 3 juin 2010, dont l’article 1er définit le nouveau réseau comme un projet urbain, social et économique d’abord, qui promeut, ensuite, le développement durable. Le schéma d’ensemble adopté par décret en 2011 ouvre la voie aux procédures d’obtention des déclarations d’utilité publique et aux évaluations environnementales associées, pour une mise en service complète au tournant des années 2030. Si on ajoute la partie Versailles-Nanterre de la ligne 18, incluse dans le schéma d’ensemble mais tout juste (re)lancée, celle-ci serait soumise au nouveau régime de l’évaluation environnementale qui s’inscrit dans une logique non plus de « programme de travaux » mais bien de « projet d’ensemble ». Entre-temps, la question environnementale et les normes associées auront pris de l’ampleur et été éprouvées par la conduite du projet, et réciproquement.
Les évolutions normatives auront en effet été innombrables. Premièrement, elles élaborent de nouvelles règles au fur-et-à-mesure que le projet avance et que de nouveaux besoins opérationnels ou de clarification émergent. La loi LOM de 2019 a par exemple eu pour conséquences de revoir la relation tripartite entre SGP, IDFM, RATP, sur la gestion technique des gares. Deuxièmement, elles tendent à concilier des injonctions contradictoires. La norme environnementale est, comme déjà esquissé, en pleine ébullition, tiraillée entre un impératif de protection accrue et plus récemment de nécessité d’accélérer les projets de transition, comme le montre le projet de loi Accélération des Energies Renouvelables. Troisièmement, et à un niveau inférieur, elles peuvent être le fruit d’un travail entre expertise technique et juridique. A ce titre, la SGP a pu elle-même contribuer à inscrire de nouvelles appréciations des « objets en droit » rencontrés lors de la conduite du projet, telle la clarification des seuils de dangerosité de la pyrite, minerai potentiellement polluant.
Ces évolutions, parfois un peu erratiques, ne doivent pas être uniquement éprouvantes. Elles stimulent la capacité d’adaptation en continu dont toute maitrise d’ouvrage doit faire preuve. C’est ce que font les différentes directions de la SGP, par une interaction constante entre directions en charge du pilotage des lignes, direction de l’environnement et direction juridique. Je retiendrai par exemple la proposition de nouvelles méthodes de surveillance de l’hibernation de chiroptères, fruit d’un travail interne ayant fait l’objet d’un avis favorable sous conditions du CNPN et aboutissant à l’obtention d’un arrêté environnemental, avis ô combien précieux pour éviter de longs mois de retard à la livraison !
En somme, s’il faut s’adapter en continu à l’ensemble des aléas d’un projet, avec un impératif de tenue des coûts, délais et de performance, pour répondre aux attentes politiques et des citoyens dans le temps qui nous est imparti, il s’agit bien là, aussi, d’une incitation à produire de l’intelligence collective, nourrie de l’expérience du terrain.
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