La Lettre de la DAJ n° 369 est parue !

Du devoir de ne pas compromettre la liberté de choix des générations futures pour la satisfaction de leurs propres besoins, par Jean Maïa, Secrétaire général du Conseil constitutionnel.

Jean Maia, Secrétaire général du Conseil constitutionnel
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Selon le septième alinéa du Préambule de la Charte de l’environnement adossée en 2005 à la Constitution, « afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

Ainsi que le relève Sonya DJEMNI-WAGNER dans son étude intitulée « Droit(s) des générations futures » qui a été publiée en mars dernier par l’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ), cette mention dans le texte constitutionnel français n’est en rien isolée. Sous l’effet de la préoccupation écologique, la notion de générations futures a pris place depuis la fin du XXème siècle dans nombre de constitutions à travers le monde. Plus encore, « le droit des générations futures donne lieu à une grande conversation mondiale, qui implique la société civile, les juges et d’autres parties prenantes, comme les avocats, mais aussi les scientifiques, etc… Il concerne toutes les justices et tous les droits. »

Il y a un an, dans les colonnes de la Lettre de la DAJ, nous mentionnions une toute première hypothèse dans laquelle le Conseil constitutionnel avait opéré un contrôle de la mise en œuvre par le législateur de ce devoir qu’il tient du préambule de la Charte de l’environnement. Il venait en effet, à l’été 2022, de contrôler à cette aune des dispositions législatives qui visaient à permettre le déploiement d’un méthanier gazier flottant et la réactivation de centrales à charbon, prises pour répondre en urgence à la crise énergétique imputable à la guerre en Ukraine.  Tout en les analysant comme se rattachant à l’exigence constitutionnelle de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation, au nombre desquels « figurent l’indépendance de la Nation ainsi que les éléments essentiels de son indépendance économique », le Conseil constitutionnel s’était attaché à vérifier la conciliation qu’elles opéraient entre le temps court de l’urgence de la crise énergétique avec l’exigence énoncée par le septième alinéa de son Préambule, en l’appréhendant conjointement avec le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, que proclame l’article 1er de la Charte.

Il n’a pas fallu beaucoup plus d’un an pour que la question revienne devant le prétoire du Conseil constitutionnel.

Saisi du régime juridique applicable à la création et à l’exploitation des centres de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs, le Conseil constitutionnel a été conduit, par sa décision n°2023-1066 QPC du 27 octobre 2023, à énoncer en des termes inédits la portée de l’article 1er de la Charte de l’environnement, tel qu’éclairé par le septième alinéa de son Préambule. Il a ainsi jugé qu’ « il découle de l’article 1er de la Charte de l’environnement éclairé par le septième alinéa de son préambule que, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard. »

Quant au contrôle qu’il opère sur le respect de ces exigences constitutionnelles invocables tant par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité que dans le contrôle a priori des lois, le Conseil constitutionnel précise que « les limitations apportées par le législateur à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. »

Au regard de cette grille d’analyse, le Conseil constitutionnel a, dans le cas qui lui était soumis, écarté les griefs invoqués par les requérants sur le fondement de la Charte en relevant les différentes garanties prévues par le législateur pour prévenir des atteintes graves et durables à l’environnement et notamment celles visant, à titre de précaution, à garantir la réversibilité de la solution de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs.

Il reste que, prolongeant le mouvement de la jurisprudence qui, ces dernières années, a fait apparaître l’article 1er de la Charte de l’environnement comme le siège d’une grande partie du débat de constitutionnalité sur la protection de l’environnement, sa décision du 27 octobre 2023 ouvre sans doute la voie à des questionnements nouveaux, à la lumière de cet article tel qu’éclairé par le septième alinéa du préambule de la Charte,  sur des choix du législateur susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement.

En s’exprimant le 7 février dernier devant l’Assemblée générale des Nations-Unies, le Secrétaire général de l’Organisation, M. Antonio Guterres, mentionnait les droits des générations futures comme « une responsabilité fondamentale et un indicateur déterminant de bonne gouvernance » et annonçait son intention de les placer au cœur du prochain Sommet de l’avenir sur les questions planétaires. Un tel enjeu dépasse assurément le cercle des juges. Mais il était sans doute inévitable qu’ils y fussent eux-mêmes confrontés. C’est avec une conscience aiguë de l’importance et, parfois, de la difficulté de ces débats, que le Conseil constitutionnel accueillera en février prochain à Paris, sous l’autorité du Président FABIUS, une réunion internationale de juges confrontés à ces questions.