La Lettre de la DAJ n°345 est parue !

Des exigences constitutionnelles en temps de crises, par Jean Maïa, Secrétaire général du Conseil constitutionnel

A l’occasion de la parution du rapport d'activité 2022 du Conseil constitutionnel,  Jean Maïa évoque des solutions jurisprudentielles relatives à la crise sanitaire et à la crise énergétique.

Portrait de Jean Maïa
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Au fil des choix opérés par le Parlement pour répondre aux crises contemporaines, il revient au Conseil constitutionnel, lorsqu’il est saisi des dispositions législatives adoptées, de préciser le cadre constitutionnel dans lequel ont vocation à s’inscrire ces réponses.

Comme en témoigne le nouveau rapport d’activité (1) que, suivant son usage, il a publié le 4 octobre dernier, date anniversaire de la Constitution de la Cinquième République, le Conseil constitutionnel a ainsi été amené à l’été dernier, par des décisions rendues à peu de jours d’intervalle, à se prononcer d’abord sur des dispositions qui marquaient un clair desserrement du cadre législatif d’urgence mis en place au cours des deux dernières années au titre de la lutte contre l’épidémie de covid-19, puis sur des dispositions visant, au sein de la loi portant mesures d’urgence pour le pouvoir d’achat, à répondre à la crise énergétique déclenchée pour l’essentiel par l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Au prisme des exigences constitutionnelles sur lequel s’est fondé le contrôle de ces dispositions, l’on mesure combien les réponses des pouvoirs publics à ces crises successives ne peuvent s’inscrire que dans des temporalités différentes.

La crise sanitaire et la crise énergétique ont certes en commun, au premier abord, de renvoyer d’abord à l’urgence de répondre dans un temps court à certaines exigences constitutionnelles.

Dans les deux années écoulées, une ligne directrice du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel sur les dispositions législatives successivement adoptées au titre de la lutte contre l’épidémie de covid-19 a ainsi été de vérifier que les atteintes aux libertés en résultat étaient limitées aussi étroitement que possible dans le temps au regard de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé publique. Si cet objectif, qui trouve son fondement dans le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, pouvaient justifier certaines de ces atteintes, leur caractère proportionné ne pouvait être admis qu’à la condition qu’elles soient temporaires. En d’autres termes, la conciliation des exigences constitutionnelles en jeu ne pouvait guère se résoudre que dans un temps court scandé par la dynamique de l’épidémie.

La crise énergétique répond elle aussi à une forme d’urgence, que le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2022-843 du 12 août 2023, a analysée comme se rattachant à l’exigence constitutionnelle de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation, au nombre desquels, a-t-il jugé en des termes inédits, que "figurent l’indépendance de la Nation ainsi que les éléments essentiels de son indépendance économique".

Mais, ici, de par les termes mêmes de la Constitution et, plus précisément du préambule de la Charte de l’environnement qui lui est adossée depuis 2005, le Conseil constitutionnel se devait de s’assurer de la conciliation par le législateur de cette première dimension d’urgence du temps court avec une seconde dimension tenant à la protection du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, que proclame l’article 1er de la Charte et l’exigence, et à l’exigence énoncée par son Préambule, que "les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins".

C’est sous ce prisme que, en des termes inédits, le Conseil constitutionnel a assorti de réserves d’interprétation les dispositions soumises à son examen pour permettre le déploiement d’un méthanier gazier flottant et la réactivation de centrales à charbon. Il a jugé, en substance, que les premières ne sauraient, sans méconnaître la Charte de l’environnement, s’appliquer que dans le cas d’une menace grave sur la sécurité d’approvisionnement en gaz et, s’agissant des secondes, qu’il appartient au pouvoir réglementaire de garantir que la réactivation des centrales à charbon ne puisse compromettre le respect des objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de réduction de la consommation énergétique primaire des énergies fossiles.

Le défi de la crise énergétique ne saurait ainsi être relevé en négligeant l’autre défi qu’est celui de la préservation de l’environnement en général et de la lutte contre le dérèglement climatique en particulier. Il est désormais expressément jugé que, du point de vue constitutionnel, l’action des pouvoirs publics ne saurait, au-delà de la réponse immédiate à l’urgence, négliger l’exigence d’un temps plus long qui est celui de la préservation de la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins.

Telle est donc bien, il importe de le mesurer, une exigence de notre Constitution. C’est-à-dire, rappelons-le, de la norme qui, étymologiquement, doit nous permettre de "tenir ensemble". Face aux crises, notamment.