Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes

Médicaments, une entente entre laboratoires confirmée par la CJUE

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu, le 23 janvier 2018, un arrêt dans le secteur du médicament confirmant l’existence d’une entente anticoncurrentielle entre les laboratoires Roche et Novartis. Cette décision pourrait permettre de réduire de plusieurs centaines de millions d’euros par an les dépenses des organismes de protection sociale.

La DGCCRF avait, dès 2012, relevé un indice de pratiques anticoncurrentielles dans l’accord de licence conclu entre les deux laboratoires.


 

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L’Agence européenne du médicament (EMA) a autorisé la mise sur le marché européen de deux médicaments issus respectivement des laboratoires Roche et Novartis : l’Avastin en 2005, pour traiter les pathologies tumorales de type cancer et le Lucentis en 2007, pour les maladies oculaires.

La commercialisation des médicaments en Europe

Aucun médicament ne peut être mis sur le marché par un État membre sans qu’une autorisation de mise sur le marché n’ait été délivrée par l’autorité compétente de cet État membre[1].

[1] Directive 2011/83/CE.

La commercialisation de deux médicaments concurrents aux propriétés similaires

Les accords de licence conclus entre les deux laboratoires prévoyaient des droits exclusifs de commercialisation réservés, d’une part à Novartis pour le traitement des problèmes oculaires par le Lucentis (à un coût de 800 euros par injection) et, d’autre part à Roche, pour le traitement des cancers par l’Avastin (à un coût de 10 euros par injection).

Cependant, des médecins ont relevé que l’Avastin produisait des effets sur des patients atteints d’une maladie de dégénérescence oculaire (la DMLA[1]). En France et en Italie, certains médecins ont alors fait le choix de prescrire l’Avastin plutôt que le Lucentis à leurs patients atteints de DMLA, en raison de son prix significativement plus faible, et de son taux de remboursement avantageux pour l’assurance maladie. Les deux produits reposent en effet sur le même principe actif et présentent des propriétés similaires dans le domaine ophtalmologique.

L’Avastin a été inscrit en 2007 par l’Agence italienne du médicament sur la liste des médicaments permettant de traiter la DMLA. Le ministère français de la Santé, quant à lui, a préféré accorder par décret en 2014 une recommandation temporaire d’utilisation (RTU)[2] au médicament Avastin contre cette maladie.

Face à ces décisions, le laboratoire Roche a ouvert des procédures de contestation en France et en Italie visant à empêcher l’utilisation de l’Avastin pour le traitement des pathologies oculaires.

La détection de pratiques anticoncurrentielles par les autorités de concurrence

En France en 2012, l’examen des accords de licence conclus par les deux laboratoires avait conduit la DGCCRF à identifier un indice de pratiques anticoncurrentielles transmis à l’Autorité de la concurrence. Celle-ci a opéré dès 2014 des opérations de visite et de saisie (perquisitions) dans ces laboratoires. La décision de la CJUE rendue, l’instruction de ce dossier par l’Autorité va pouvoir se poursuivre.

De son côté, l’Autorité italienne de concurrence a ouvert une procédure contentieuse à l’encontre des deux laboratoires pour entente, horizontale[3] unique et complexe, consistant à créer une différence artificielle entre deux médicaments ayant pourtant des propriétés thérapeutiques équivalentes. Cette pratique avait pour effet de provoquer un déplacement de la demande vers le Lucentis, plus coûteux et générant donc pour le service de santé italien un surcoût d’environ 45 millions d’euros pour la seule année 2012.

A l’issue de cette procédure, l’Autorité italienne de la concurrence a infligé une amende d’un montant de 183 M€ aux deux laboratoires le 27 février 2014. Ces derniers ont fait appel de cette décision.

La confirmation de l’entente par la Cour de Justice de l’Union européenne

Fin 2015, la CJUE a été saisie par le Conseil d’État italien de cinq questions préjudicielles. A l’issue de son examen, elle a souligné que l’entente entre deux entreprises commercialisant deux médicaments concurrents, qui porte, dans un contexte marqué par une incertitude scientifique, sur la diffusion auprès de l’Autorité européenne du médicament, des professionnels de la santé et du grand public, d’informations trompeuses sur les effets indésirables de l’utilisation de l’un de ces médicaments pour le traitement de pathologies non couvertes par l’autorisation de mise sur le marché de celui-ci, aux fins de réduire la pression concurrentielle résultant de cette utilisation sur l’utilisation de l’autre médicament, constitue une restriction de la concurrence « par objet ».

La caractérisation d’une entente

L'entente anticoncurrentielle est un accord ou une action concertée qui a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché de produits ou de services déterminé.

Cette pratique est prohibée par le Code du commerce

Pour en savoir plus :

Fiche pratique : Entente

La CJUE considère qu’ « une autorité nationale de concurrence peut inclure dans le marché pertinent[4] outre les médicaments autorisés pour le traitement des pathologies concernées, un autre médicament dont l’autorisation de mise sur le marché ne couvre pas ce traitement, mais qui est utilisé à cette fin et présente ainsi un rapport concret de substituabilité avec les premiers », sous réserve que les médicaments ne soient pas fabriqués ou vendus de manière illicite.

De plus, la Cour a précisé que ni le droit des brevets ni l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché délivrée à ces deux médicaments par la Commission et l’Agence européenne du médicament, n’empêchaient l’application du droit de la concurrence au mode de sélection des indications thérapeutiques de ces médicaments par les laboratoires, lorsque ces indications sont choisies en vue d’une répartition anticoncurrentielle du marché.

Ainsi, la CJUE a reconnu le bien-fondé de la décision de l’autorité italienne. Cette légitimité ouvre la possibilité aux autorités de concurrence des Etats membres concernés de qualifier l’entente anticoncurrentielle perpétrée par les laboratoires Roche et Novartis. Cette pratique, estimée à plusieurs centaines de millions d’euros par an, s’opère au détriment des organismes de protection sociale et des finances des patients.

 

[1] Dégénérescence maculaire liée à l’âge

[2] Dispositif d’encadrement transitoire pour médicaments.

[3] Entente entre concurrents sur un même marché.

[4] En droit de la concurrence, le marché pertinent est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique.