Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes

Abus de dépendance économique : comment définir cette pratique ?

L’abus de dépendance économique s’observe généralement dans les relations clients-fournisseurs. Il se caractérise par une situation où une entreprise profite abusivement de l’état de dépendance dans lequel se trouve un partenaire commercial. Quelles sont les sanctions prévues ?

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L’essentiel

  • L’abus de dépendance économique est une pratique anticoncurrentielle prohibée par l'article L. 420-2 du code de commerce.
  • Trois conditions doivent être réunies pour caractériser un « abus de dépendance économique » : l’existence d’une situation de dépendance économique, une exploitation abusive de cette situation, une atteinte au fonctionnement ou à la structure de la concurrence sur le marché.
  • La dépendance économique s’apprécie au regard de : la part de l’entreprise dans le chiffre d’affaires de son partenaire, la notoriété de sa marque, l’importance des parts de marché de l’entreprise, l’existence ou non de solutions équivalentes.

L’abus de dépendance économique, comme l’abus de position dominante, est une pratique anticoncurrentielle prohibée par l'article L. 420-2 du code de commerce[1].

Article L. 420-2 alinéa 2
Est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées aux articles L. 442-1 à L. 442-3 ou en accords de gamme.

A l’origine prévu pour appréhender les abus commis par la grande distribution dans ses relations avec ses fournisseurs du fait de sa puissance d’achat, l’abus de dépendance économique a, aujourd’hui, une vocation plus large puisqu’il permet aussi d’appréhender la puissance de vente. Il s’applique ainsi à toutes les relations contractuelles entre entreprises (BtoB).

Pour qu’il y ait abus de dépendance économique, trois conditions doivent être cumulativement réunies :

  • l’existence d’une situation de dépendance économique ;
  • une exploitation abusive de cette situation ;
  • une atteinte, réelle ou potentielle, au fonctionnement ou à la structure de la concurrence sur le marché.

À noter
L’abus de dépendance économique n’a pas d’équivalent en droit de la concurrence de l’Union européenne. Il constitue une disposition propre aux droits internes de cetains Etats membres.

En vertu de la jurisprudence et de la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence, la dépendance économique s’apprécie au regard de quatre critères :

  • la part de l’entreprise mise en cause dans le chiffre d’affaires de son ou ses partenaires ;
  • la notoriété de sa marque (ou son enseigne)[2] ;
  • l’importance des parts de marché de l’entreprise ;
  • l’existence ou non de solutions équivalentes.

À noter
L’article L. 420-2 du code de commerce, modifié par la loi n°2011-420 du 15 mai 2011 relatives aux nouvelles régulations économiques, ne mentionne plus la condition relative à l’existence de solutions équivalentes.
Pour autant, cette condition demeure un critère fondamental de l’état de dépendance économique, que continuent à utiliser l’Autorité de la concurrence et la Cour d’appel de Paris dans leur jurisprudence[3].

La dépendance doit être involontaire. Dès lors, si une entreprise s'est placée délibérément en situation de dépendance économique, elle ne pourra pas, en principe, revendiquer l'application de l'article L. 420-2 du code de commerce[4]. Ce critère s’apprécie au cas par cas.

Tel serait le cas, par exemple, d'un commerçant qui aurait choisi de distribuer ses produits dans le cadre d'une franchise d'une entreprise de transport qui, s'étant créée pour répondre aux besoins d'une entreprise donnée, aurait par la suite omis de diversifier sa clientèle.

À noter
La dépendance économique est un concept beaucoup plus large que celui de la dépendance juridique, ce qui doit permettre de sanctionner des comportements tenant à un rapport de force. En l'espèce, ce rapport de force résulte, non pas de la domination objective d'un marché comme dans le cas de la position dominante, mais du fait que la puissance relative d'une entreprise rend ses partenaires vulnérables.

Pour qualifier une situation de dépendance économique comme abusive, on peut se référer au deuxième alinéa de l’article L. 420-2 qui énumère, de manière non-exhaustive, les pratiques anticoncurrentielles susceptibles de constituer un abus de dépendance économique. 

Ces pratiques abusives peuvent être par exemple :

  • des refus de vente ;
  • des ventes liées ;
  • des accords de gammes[5] ;
  • des pratiques discriminatoires (articles L. 442-1 à L.442-3 du code de commerce).

Outre les pratiques précitées, peut être constitutif d'un abus de dépendance économique tout comportement qu'un opérateur économique ne pourrait mettre en œuvre s'il ne tenait précisément son partenaire sous sa dépendance.

Comme en matière de position dominante, il ne peut y avoir d’abus que si le comportement incriminé présente un caractère « anormal » du point de vue concurrentiel

En vertu de l’article L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce, l’exploitation abusive n’est sanctionnée que si elle constitue ou est susceptible de constituer une entrave à la concurrence.

Ainsi, ne peuvent être sanctionnés que les abus de dépendance économique dont les effets, actuels ou potentiels, sont suffisamment tangibles. En outre, l'infraction ne peut être constituée que s'il y a un lien de causalité entre la situation de dépendance économique et la pratique incriminée. En d'autres termes, l'exploitation abusive doit être réalisée par l'utilisation de l'état de dépendance.

L’Autorité de la concurrence considère que les situations de dépendance économique doivent être évaluées au cas par cas. En effet, celles-ci s’inscrivent dans le cadre de relations bilatérales entre deux entreprises et ne valent pas pour toute la profession.

Aux termes de l'article L. 464-2 du code de commerce, l'Autorité de la concurrence peut prononcer des injonctions et infliger des sanctions aux auteurs des pratiques incriminées.

Celles-ci sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à la durée des pratiques, à la situation de l'association d'entreprises ou de l’entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques.

Ces sanctions sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction.

Le montant maximum de la sanction correspond, pour une entreprise, à 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre.

Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise « consolidante » ou « combinante ».

L'abus de dépendance économique peut également être condamné par :

  • les juridictions de droit commun (par exemple, suite à une action en concurrence déloyale) ;
  • une juridiction pénale (en vertu de l'article L. 420-6 du code de commerce), qui peut être saisie par constitution de partie civile et condamner toute personne physique qui aura pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en œuvre des pratiques relevant de l'article L. 420-2 du code de commerce.

Ne sont pas soumises aux dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce :

  • les pratiques qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire adopté pour mettre en œuvre une loi ;
  • les pratiques dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Par ailleurs, ces pratiques ne doivent pas imposer de restrictions de la concurrence autres que celles qui sont strictement indispensables pour atteindre cet objectif.

Par une décision n°20-D-04[6] du 16 mars 2020 dite Apple, l’Autorité de la concurrence a sanctionné le groupe Apple d’une amende de  1,1 milliard d’euros pour entente au sein de son réseau de distribution et pour abus de dépendance économique vis-à-vis de ses revendeurs indépendants « premium ». Si une partie de cette décision a été annulée par la Cour d’Appel de Paris, cette dernière a en revanche confirmé le grief d’abus de dépendance économique.

Les décisions antérieures à cette décision sanctionnant un abus de dépendance économique sont relativement peu nombreuses[7]. Cela peut s’expliquer par la combinaison de deux éléments : le fait qu’il ne soit pas fréquent que puisse être caractérisé un état de dépendance, ce qui suppose qu’une entreprise réalise l’essentiel de son activité avec un seul partenaire et soit privée de toute alternative lorsque ses relations avec ce partenaire s’interrompent, et le fait que la caractérisation d’un abus de dépendance économique nécessite la démonstration d’une atteinte à la concurrence.

Parmi les nombreuses décisions concluant à l’absence d’abus de dépendance économique, on peut citer notamment :

  • la décision n° 10-D-08 du 3 mars 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par Carrefour dans le secteur du commerce d’alimentation générale de proximité ;
  • la décision n°93-D-21 du 8 juin 1993 relative à des pratiques mises en œuvre lors de l'acquisition de la Société européenne des supermarchés par la société Grands Magasins B du groupe Cora (affaire de la corbeille de la mariée)[8].

Ce que dit la loi :

Vous voulez signaler à la DGCCRF un problème d’abus de dépendance économique : utilisez notre formulaire de contact pour adresser votre demande au service compétent territorialement : /contact/contacter-la-dgccrf

[1] Introduit par l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et à la concurrence et codifié dans le code de commerce par l’ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de commerce.

[2] Cass. Com. 12 janvier 1999, n° 96-21.644.

[3] Cons. Conc. 11 septembre 2001 n° 01-D-42 et Cass. Com. 3 mars 2004, SA Concurrence c. Sony, n° 02-14.529.

[4] Cons. Conc. 8 juin 1993. Cora, n° 93-D-21 ou Cons. Conc. 12 mai 2006, Bouygues Télécom, no 06-D-10.

[5] Introduits par la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises.

[6] Décision réformée partiellement par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 6 octobre 2022 [Pôle 5 – chambre 7, n° 20/08582] (confirmation de l’abus de dépendance économique) et faisant désormais l’objet d’un pourvoi en cassation (en cours).

[7] Exemples de décisions sanctionnant un abus de dépendance économique : 96-D-44 du 18 juin 1996 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la publicité, 04-D-26 du 30 juin 2004 relative à la saisine de la SARL Reims Bio à l’encontre de pratiques mises en œuvre par le groupement d’intérêt public Champagne Ardenne, 04-D-44 du 15 septembre 2004 relative à une saisine présentée par le Ciné-Théâtre du Lamentin dans le secteur de la distribution et de l’exploitation de films.

[8] Approuvée par un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 25 mai 1994 (1ère chambre, section concurrence) et par un arrêt de Cassation (n° 94-16.192) en date du 10 décembre 1996.

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