Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes

L'abus de position dominante : comment définir cette pratique ?

L’abus de position dominante consiste, pour une entreprise présente sur un marché, ou un groupe d'entreprises, à adopter un comportement visant à éliminer, à contraindre ou encore à dissuader tout concurrent d'entrer ou de se maintenir sur ce marché ou un marché connexe, faussant ainsi la concurrence. Quelle est la réglementation applicable ? Et quelles sont les sanctions prévues ?

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L’essentiel

  • Trois conditions doivent être réunies pour qu’il existe un abus de position dominante : l'existence d'une position dominante sur un marché déterminé, dit « marché pertinent », une exploitation abusive de cette position, et un objet ou un effet, au moins potentiel, restrictif de concurrence sur un marché.
  • L’abus de position dominante désigne tous les comportements excédant les limites d'une concurrence normale de la part d'une entreprise en position dominante et qui ne trouvent d'autre justification que l'élimination des concurrents ou l'obtention d'avantages injustifiés.
  • Pour caractériser l’abus de position dominante, il n’est pas nécessaire de démontrer que le comportement abusif d’une entreprise en position dominante a eu un effet anticoncurrentiel concret sur les marchés, mais seulement qu’il tend à restreindre la concurrence ou qu’il est de nature à ou susceptible d’avoir un tel effet.

L'abus de position dominante ou exploitation abusive de position dominante, est l'une des deux pratiques prohibées par l'article L. 420-2 du Code de commerce, la seconde étant l'abus de dépendance économique.

Cette infraction relève également du droit communautaire de la concurrence en cas d'affectation du commerce intra-communautaire (article 102 TFUE).

L'abus de position dominante est prohibé dans les mêmes conditions que l'entente (pratique anticoncurrentielle visée par l'article L. 420-2 du Code de commerce). Ainsi, cette prohibition s'applique lorsque les pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché.

À la différence de l'article L. 420-1, l'article L. 420-2 vise les pratiques mises en œuvre par une entreprise ou un groupe d'entreprises. Ceci s'explique par la nature des pratiques incriminées : les abus de domination résultant d'un pouvoir de marché, ils peuvent être commis par une seule entreprise.

Pour qu'il y existe un abus de position dominante au sens de l'article L. 420-2, trois conditions doivent être réunies :

  • l'existence d'une position dominante sur un marché déterminé, dit « marché pertinent » ;
  • une exploitation abusive de cette position ;
  • un objet ou un effet, au moins potentiel, restrictif de concurrence sur un marché.

Aussi, convient-il d'examiner successivement ces différents points.

La notion de position dominante n'est pas définie par les textes. Cependant, la jurisprudence a consacré une définition élaborée : « la position dominante concerne une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis à vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs » (CJUE 14 février 1978, United Brands et United Brands Continental BV/Commission, 27/76, point 65).

La position dominante s'entendant sur un marché de produits ou de services déterminés, l'appréciation d'une telle position passe inévitablement par une définition préalable du marché pertinent. Le marché pertinent se définit comme « le lieu sur lequel se confrontent l'offre et la demande de produits ou de services qui sont considérés par les acheteurs comme substituables entre eux mais non substituables aux autres biens ou services offerts » (CA Paris, 9 mars 2022, nº 19/19747).

Le simple constat de la forte part de marché d'une entreprise ne permet pas de conclure à lui seul à l'existence d'une position dominante. En revanche, si l'entreprise concernée dispose d'une avance technologique telle qu'elle lui permet d'augmenter ses prix sans craindre une érosion de sa clientèle, cette entreprise peut être considérée comme étant en position dominante. Il en va de même d'une entreprise qui détient des marques d'une très forte notoriété auprès des consommateurs, au point que les distributeurs ne peuvent se passer de ces marques.

À noter

Le cas de position dominante le plus caractérisé est la position de monopole, a fortiori si cette situation n'est pas ponctuelle (cas où une entreprise est la première à intervenir sur un marché émergent) mais résulte de la difficulté pour d'autres opérateurs d'entrer sur le marché (existence de barrières de nature réglementaire, technologique ou autres, etc.).

Un autre exemple est le cas des anciens monopoles publics. Il résulte de la jurisprudence (par exemple, arrêt du 12 décembre 2006 de la cour d’appel de Paris, Monnaie de Paris, RG n° 2006/01743), que si toute entreprise en situation de position dominante doit veiller à ne pas abuser de son pouvoir de marché, cette responsabilité est plus importante lorsque cette position est héritée d’un ancien monopole légal et que la pratique en cause est en lien avec cet ancien statut.

Il est reconnu en particulier que la notoriété des anciens monopoles peut constituer un facteur de nature à renforcer leur position dominante (arrêt cour d’appel de Paris du 23 mars 2010, secteur de la fourniture d’électricité RG n°2009/09599).

L'article L. 420-2 énumère des pratiques susceptibles de constituer un abus de position dominante (le refus de vente, les ventes liées, les conditions de vente discriminatoires ou la rupture des relations commerciales au motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées). Cette liste n'est pas limitative. La Commission européenne a par ailleurs publié un guide de mise en œuvre de l'article 102 TFUE, communication de la commission des communautés européenne du 9 février 2009 relative aux orientations sur les priorités dans l'application de l'article 82 du traité CE (devenu article 102 TFUE) aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes.

Certaines pratiques considérées comme admissibles du point de vue de la concurrence lorsqu'elles émanent d'entreprises ne détenant qu'une faible position sur leur marché et étant de ce fait soumises à une concurrence effective, deviennent anticoncurrentielles lorsqu'elles émanent d'une entreprise en position dominante.

Bon à savoir

Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, « pour établir une violation de l’article 102 TFUE, il n’est pas nécessaire de démontrer que le comportement abusif de l’entreprise en position dominante a eu un effet anticoncurrentiel concret sur les marchés concernés, mais seulement qu’il tend à restreindre la concurrence ou qu’il est de nature à ou susceptible d’avoir un tel effet » (arrêt de la Cour de justice du 19 avril 2012, Tomra, aff. C-549/10P, points 68 et 79).

D'une manière générale, sont considérés comme abusifs tous les comportements excédant les limites d'une concurrence normale de la part d'une entreprise en position dominante et qui ne trouvent d'autre justification que l'élimination des concurrents effectifs ou potentiels, ou l'obtention d'avantages injustifiés.

 

Il y a lieu de rechercher si le comportement abusif a un objet ou un effet restrictif de la concurrence, dans les conditions rappelées par la jurisprudence : « Afin d’établir le caractère abusif d’une pratique d’éviction, l’effet anticoncurrentiel de celle-ci sur le marché doit exister, mais il ne doit pas être nécessairement concret, étant suffisante la démonstration d’un effet anticoncurrentiel potentiel de nature à évincer les concurrents au moins aussi efficaces que l’entreprise en position dominante » (arrêt de la Cour de justice 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C-52/09, Rec. 2011 p. I-527, point 64).

En outre, « en matière de pratiques visant à exclure ou à diminuer la concurrence, un comportement ne doit pas nécessairement, pour être qualifié d’abus de position dominante, procéder de, ou être rendu possible par, la puissance économique de l’entreprise, aucun lien de causalité n’étant requis entre la position dominante et son exploitation abusive ». Arrêt du TPUE 1er juillet 2010, AstraZeneca / Commission (T-321/05, Rec._p._II-2805) (cf. point 267).

L'effet anticoncurrentiel de telles pratiques peut se produire sur un autre marché de produits ou de services que celui sur lequel l'entreprise concernée occupe une position dominante : « des circonstances particulières peuvent justifier une application de l’article 102 TFUE à un comportement constaté sur le marché connexe, non dominé, et produisant des effets sur ce même marché » (Arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C-52/09, Rec._p._I-527, cf. points 84-89).

Une position dominante collective est établie lorsque « les entreprises en cause ont, ensemble, notamment en raison de facteurs de corrélation existant entre elles, le pouvoir d’adopter une même ligne d’action sur le marché et d’agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs » (ADLC n°20-D-11 § 683). Il est notamment recherché si les entreprises peuvent être considérées comme une entité collective, dans la mesure où il existe entre elles des liens ou facteurs de corrélation, de nature juridique ou économique. Cette entité collective établie, il conviendra alors de déterminer si celle-ci occupe une position dominante, soit le pouvoir de s’abstraire du comportement de ses clients et concurrents.

Aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce, l'Autorité de la concurrence peut prononcer des injonctions et infliger des sanctions aux auteurs des pratiques incriminées, celles-ci étant proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques. Ces sanctions sont déterminées individuellement pour chaque entreprise sanctionnée et de façon motivée pour chaque sanction.

Le montant maximum de la sanction est de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante.

La pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence retient comme assiette du montant de base pour le calcul de la sanction la valeur des ventes réalisées en France par l’entreprise mise en cause pour les biens et les services qui sont en relation avec l’infraction.

À noter

L'abus de position dominante peut également être condamné par les juridictions de droit commun (par exemple, suite à une action en concurrence déloyale).

Enfin, en vertu de l'article L. 420-6 du Code de commerce, une juridiction pénale peut être saisie et condamner toute personne physique qui aura pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en œuvre des pratiques relevant de l'article L. 420-2.

Lorsque les pratiques constatées n’affectent pas le commerce intracommunautaire et lorsque les entreprises en cause réalisent un chiffre d’affaires limité à 50 millions d’euros pour une entreprise sans dépasser 200 millions d’euros pour toutes les entreprises ayant commis les infractions, le ministre de l’Économie dispose d’un pouvoir de transaction et d’injonction (article L.464-9 du Code de commerce).

Si ces critères sont réunis, la DGCCRF peut enjoindre les auteurs de pratiques anticoncurrentielles d’y mettre fin et, le cas échéant, leur proposer une transaction. Celle-ci constitue une sanction dont le montant ne peut excéder 150 000 euros dans la limite de 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée. En cas de refus de la transaction ou d’inexécution des injonctions, la DGCCRF saisit l’ADLC. Ces mesures sont publiées sur le site internet de la DGCCRF : http://www.economie.gouv.fr/dgccrf .

De telles pratiques ont été relevées dans le secteur funéraire à Méru (Oise, injonction-transaction du 28 juin 2016), à Albi (février et mars 2016), Apt (2013), Bar-sur-Seine (2013) et en Charente-Maritime (2010).

L'article L. 420-4 du Code de commerce prévoit un régime d'exemption, lequel s'applique notamment au cas de l'exploitation abusive de position dominante.

Ainsi, ne sont pas soumises aux dispositions de l'article L. 420-2 les pratiques qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application. De même, ne sont pas soumises aux dispositions de cet article les pratiques dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Par ailleurs, ces pratiques ne doivent pas imposer de restrictions de la concurrence autres que celles qui sont strictement indispensables pour atteindre cet objectif.

Typologie d’abus et en quoi cela consiste :

  • Prix prédateurs : « La prédation est une pratique tarifaire consistant, pour un opérateur dominant à vendre en dessous de ses coûts de production dans le but d’éliminer ou d’affaiblir ou de discipliner ses concurrents » (ADLC n°04-D-17 § 66).
  • Prix discriminatoires : une « pratique de discrimination tarifaire non justifiée par une différence objective de situation, appliquée par un opérateur en position dominante, est de nature à renforcer ce dernier » (ADLC n°14-D-05 § 244).
  • Traitement discriminatoire : « l’entreprise dominante traite de manière discriminatoire ou aléatoire des clients qui opèrent sur un même marché » (ADLC n°19-D-26 § 358 et suivants).
  • Remises fidélisantes : « Pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, le fait de lier - fût-ce à leur demande - des acheteurs par une obligation ou promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue (…) une exploitation abusive d’une position dominante » (Paris 9 nov. 2004 RG n°2004/08960).
  • Remises de couplage : « le système de remise sur ventes liées adopté par les laboratoires X, incitant les acheteurs à privilégier l'offre de leurs spécialités en concurrence, était de nature à fausser de manière sensible la concurrence sur les marchés de produits en cause et à limiter l'accès à ces marchés » (Cass. Com. 28 juin 2005 n°04-13.910).
  • Rétention et utilisation d’informations : « Dans la mesure où la communication de ces informations par la société TDF à ses concurrents éventuels était l'unique moyen d'ouvrir ce marché, tout refus de sa part de les transmettre, fussent-elles couvertes par le secret des affaires, aurait constitué une exploitation abusive de sa position dominante » (Paris 12 octobre 2017 n°15/14038).
  • Dénigrement : « convenir de diffuser des propos qui sont de nature à induire un doute ou une prévention non justifiée contre un produit concurrent, afin d'affaiblir sa position sur un marché, constitue une pratique restrictive de concurrence par son objet » (Paris 26 mars 2015 n°2014/03330).

Ce que dit la loi :

Code du commerce – articles : L.420-1L420-2L.420-4L.420-6L464-2

 

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