Règlement européen sur les marchés numériques

Afin de lutter contre la domination et les pratiques anticoncurrentielles des géants d’Internet, après de nombreuses discussions depuis fin 2020, le règlement (UE) 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique, finalisé en partie durant la présidence française du Conseil de l’Union européenne, a été publié récemment au Journal officiel de l’Union européenne.

Bercy côté Seine
©BercyPhoto/Patrick Védrune

Afin de lutter contre la domination et les pratiques anticoncurrentielles des géants d’Internet, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté récemment, sur initiative de la Commission européenne, un règlement sur les marchés numériques(1).

Fixant un nouveau cadre de régulation en amont du marché numérique européen, le règlement complète les règles de concurrence, prévues par les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne(2 et 3), qui sanctionnent seulement a posteriori les géants du numérique reconnus auteurs d’ententes et d’abus de position dominante.

Les règles de concurrence classiques ne permettant pas d’infléchir le comportement des géants du numérique, le règlement prévoit plusieurs obligations et interdictions à l’égard des plateformes en ligne en position de contrôleurs d’accès et renforce les pouvoirs de sanction de la Commission, laquelle sera assistée d’un comité consultatif et d’un groupe de haut niveau.

Toute entreprise fournissant des services de plateforme essentiels, tels que définis à l’article 2, 2) du règlement (moteurs de recherche, services de réseaux sociaux, systèmes d’exploitation, navigateurs internet…) et qui :

  • dispose d’un poids important sur le marché intérieur : l’entreprise doit (i) fournir le même service dans au moins 3 Etats membres et (ii) avoir réalisé un chiffre d’affaires annuel dans l’Union supérieur ou égal à 7,5 milliards d’euros au cours de chacun des trois derniers exercices, ou si sa capitalisation boursière moyenne ou sa juste valeur marchande équivalente a atteint au moins 75 milliards d’euros durant le dernier exercice ;
  • fournit un service qui constitue un point d’accès majeur permettant aux entreprises utilisatrices d’atteindre leurs utilisateurs finaux : au cours du dernier exercice, l’entreprise doit avoir compté au moins 45 millions d’utilisateurs finaux actifs par mois établis ou situés dans l’Union et au moins 10 000 entreprises utilisatrices actives par an établies dans     l’Union ;
  • et, jouit ou jouira d’une position solide et durable : si les seuils fixés ont été atteints au cours de chacun des trois derniers exercices ;

doit se signaler auprès de la Commission, laquelle la désignera comme contrôleur d’accès.

La Commission est habilitée à adopter des actes délégués afin de préciser la méthode utilisée pour déterminer si les seuils quantitatifs fixés sont atteints et d’adapter régulièrement la méthode, en particulier aux évolutions du marché et de la technologie.

A défaut de signalement par une entreprise de son éventuel statut de contrôleur d’accès, la Commission pourra la désigner unilatéralement après enquête de marché.

De même, toute entreprise satisfaisant aux différents critères hormis ceux liés aux seuils et qui apparaîtrait trop dominante pourra être également désignée comme contrôleur d’accès après enquête de la Commission, laquelle tiendra compte notamment des effets de réseaux, des avantages tirés des données, des économies d’échelle et de la stratégie d’intégration verticale ou conglomérale de l’entreprise. Une telle désignation peut être contestée par l’entreprise, laquelle devra apporter des arguments suffisamment étayés pour qu’une nouvelle enquête soit menée par la Commission.

Si les conditions de la désignation ont changé, la Commission peut, de sa propre initiative ou sur demande de l’entreprise concernée, modifier ou abroger à tout moment une décision de désignation.

La liste des contrôleurs d’accès et la liste des services de plateforme essentiels qu’ils fournissent seront révisées au moins tous les trois ans et publiées par la Commission.

Tous les contrôleurs d’accès devront, dans les six mois après leur désignation et sous peine d’amende, nommer un ou plusieurs responsables de la conformité et respecter plusieurs obligations et interdictions fixées par le règlement.

Ainsi, par exemple, les contrôleurs d’accès devront permettre aux utilisateurs (i) de désinstaller facilement sur leur téléphone, ordinateur ou tablette des applications préinstallées, (ii) de communiquer depuis leur messagerie instantanée aux utilisateurs d’une autre messagerie instantanée sans installer ou utiliser préalablement l’application de cette messagerie et (iii) de se désabonner facilement d’un service de plateforme essentiel.

Les contrôleurs d’accès ne pourront plus notamment (i) imposer des logiciels tels que des navigateurs web, des moteurs de recherche ou des assistants virtuels par défaut à l'installation de leur système d'exploitation, (ii) réutiliser les données personnelles d’un utilisateur à des fins de publicité ciblée, sans son consentement explicite et (iii) empêcher les entreprises utilisatrices de proposer leurs produits ou services en particulier sur leurs propres sites Internet à des conditions différentes notamment tarifaires plus avantageuses.

Le règlement confère à la Commission un pouvoir de sanction renforcé lui permettant d’infliger des amendes et des astreintes importantes aux entreprises auteures d’infractions. Ce pouvoir est soumis à un délai de prescription de cinq ans tant en matière d’imposition que d’exécution de la sanction.

Le règlement prévoit qu’une amende peut atteindre 10 % du chiffre d'affaires total mondial réalisé par l’entreprise au cours de l’exercice précédent, voire 20 % en cas de récidive, et être accompagnée d’astreintes pouvant atteindre 5 % du chiffre d’affaires journalier moyen réalisé au niveau mondial au cours de l’exercice précédent par jour.

Enfin, en cas de violation systématique par une entreprise des obligations et interdictions fixées par le règlement constatée au moins 3 fois en 8 ans par la Commission, celle-ci pourra ouvrir une enquête de marché et infliger des mesures correctives comportementales ou structurelles à l’entreprise concernée.