Un pouvoir adjudicateur qui confie à un tiers l’exploitation du réseau dont il a la charge ne lui confère pas la qualité d’entité adjudicatrice au sens du 1° de l’article L. 1212-1 du code de la commande publique. L’exclusion facultative prévue par l’article L. 3123-8 du code de la commande publique en cas d’obtention d’informations confidentielles par un candidat est caractérisée lorsqu’il est établi que l'opérateur a agi de manière déloyale et intentionnelle.
Le Syndicat des Eaux d'Ile-de-France (SEDIF) a lancé une procédure de mise en concurrence dans le cadre du renouvellement de la délégation du service public de l'eau potable.
Suivant une procédure restreinte, les candidatures des sociétés Suez Eau France et Véolia ont été retenues pour participer à la phase des négociations. Elles ont déposé une offre « initiale » puis une offre « intermédiaire ». Durant cette phase de négociation, le SEDIF a informé la société Suez Eau France qu'à la suite d'un dysfonctionnement informatique, la société Veolia avait eu accès à des données confidentielles concernant son offre et que les négociations en vue de l'attribution de la concession étaient en conséquence, dans un premier temps, suspendues. Compte tenu de ces circonstances, le SEDIF a finalement décidé d’arrêter les négociations et d’attribuer le contrat de concession au regard des seules offres intermédiaires remises par les soumissionnaires.
C’est cette décision que la société Suez Eau France conteste devant le juge du référé précontractuel en demandant l’annulation partielle de la procédure à la date à laquelle ont démarré les négociations et la reprise, à ce stade, des négociations.
Sa demande est rejetée par le tribunal administratif. La société Suez Eau France se pourvoit en cassation.
Le Conseil d’État revient, d’abord, sur la qualification d’entité adjudicatrice du SEDIF par le tribunal administratif. Le 1° de l’article L. 1212-1 du code de la commande publique permet en effet de regarder les pouvoirs adjudicateurs qui exercent une activité d’opérateur de réseaux d’eau potable comme des entités adjudicatrices. Conformément à sa jurisprudence, le Conseil d’État relève qu’en l’espèce, le SEDIF a conservé sa qualité de pouvoir adjudicateur puisque le contrat a pour objet de confier à un tiers l’exploitation du réseau dont il a la charge (voir en ce sens CE, 23 novembre 2011 Société GHP Lorraine transports, n° 349746). En effet, un pouvoir adjudicateur est regardé comme une entité adjudicatrice lorsqu’il constitue un réseau, quand bien même l’exploitation en serait par ailleurs déléguée (voir en ce sens, CE, 24 juin 2011, Communauté d’agglomération Rennes Métropole n° 346529).
Plus sensible était la question des conséquences à tirer de l’accès qu’avait pu avoir la société Véolia aux données confidentielles de l’offre de son concurrent. En particulier, il s’agissait de savoir si le SEDIF était tenu d’exclure la société Véolia sur le fondement des dispositions de l’article L. 3123-8 du code de la commande publique, qui dispose que « L'autorité concédante peut exclure de la procédure de passation d'un contrat de concession les personnes qui ont entrepris d'influer indûment le processus décisionnel de l'autorité concédante ou d'obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du contrat de concession, ou ont fourni des informations trompeuses susceptibles d'avoir une influence déterminante sur les décisions d'exclusion, de sélection ou d'attribution ».
Cet article fait partie des cas dits d’exclusion facultative, c’est-à-dire à l’appréciation de l’autorité concédante, par opposition aux exclusions obligatoires. Toutefois, cette faculté peut potentiellement se muer en véritable obligation lorsque l’exclusion est caractérisée (voir en ce sens la fiche technique de l'examen des candidatures), c’est-à-dire si le constat d’une cause d’exclusion conduit à une méconnaissance des principes fondamentaux de la commande publique dont les principes d’égalité de traitement et de transparence des procédures.
Le Conseil d’État vient ainsi préciser les conditions dans lesquelles il convient de regarder comme une cause d’exclusion facultative l’obtention de données confidentielles au sens de l’article L. 3123-8 du code de la commande publique. Ainsi, une « cause d'exclusion facultative est constituée lorsque l'autorité concédante identifie des éléments précis et circonstanciés indiquant que l'opérateur a effectué des démarches qu'il savait déloyales en vue d'obtenir des informations dont il connaissait le caractère confidentiel et qui étaient susceptibles de lui procurer un avantage indu dans le cadre de la procédure de passation ». Le Conseil d’État vient éclairer le sens de cet article par un véritable élément d’intentionnalité.
En l’espèce, la société Véolia avait non seulement obtenu les données confidentielles de l’offre de son concurrent à la suite d’un dysfonctionnement informatique, c’est-à-dire par erreur, mais elle avait également pris l’initiative d’en informer le pouvoir adjudicateur avant la reprise des négociations et le dépôt de son offre finale. Le Conseil d’État relève ainsi « qu'elle devait être regardée comme ayant nécessairement renoncé à tirer parti de ces éléments dans le cadre de la procédure ». Il n’y avait eu ni manœuvre, ni comportement déloyal de la part de la société Véolia. Dès lors, suivant sa grille de lecture, le Conseil d’État en conclu que le SEDIF n’était pas tenu d’exclure la société Véolia en application l’article L. 3123-8 du code de la commande publique.
Fallait-il pour autant reprendre la procédure de négociation et la mener à son terme dans les conditions initialement prévues ? Le Conseil d’État rappelle que le principe de transparence des procédures implique le respect des étapes essentielles et des conditions de mise en concurrence fixées au sein du règlement de consultation par l’autorité délégante. Ainsi, et en principe « lorsqu'un règlement de consultation prévoit que les candidats doivent, après une phase de négociation, remettre leur offre finale à une date déterminée, cette phase finale constitue une étape essentielle de la procédure de négociation qui ne peut normalement pas être remise en cause au cours de la procédure ».
Néanmoins, compte tenu des circonstances très particulières de l’espèce, le Conseil d’État a considéré, dans l’esprit d’un précédent jurisprudentiel issu de sa décision du 8 novembre 2017, Société Transdev n°412859, que le SEDIF pouvait valablement modifier le déroulement de la procédure en mettant fin aux négociations avant le dépôt des offres finales et procéder au choix du délégataire sur la base des offres intermédiaires. CE, 2 février 2024, Société Suez Eau France, n°489820