Lettre de la DAJ – Le Conseil d’Etat définit la temporalité de l’application du nouveau régime de prescription concernant les actions en responsabilité quasi-délictuelle afférentes aux pratiques anticoncurrentielles

Les nouvelles règles de prescription des actions en responsabilité quasi-délictuelle à raison de pratiques anticoncurrentielles commises à l’occasion d’un marché public s’appliquent aux actions introduites après la date de leur entrée en vigueur, même si ces pratiques ont pris fin avant cette date et sous réserve que l’action n’était pas prescrite à cette même date en vertu des règles antérieures.

CE, 1er juin 2023, société FORBO SARLINO et autres, n° 468098

L’ordonnance du 9 mars 2017, transposant la directive du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence, instaure un nouveau régime de prescription pour les actions en responsabilité quasi-délictuelle menées par les personnes publiques contre les opérateurs économiques qu’elles accusent de pratiques anticoncurrentielles. Elle substitue à l’application du régime de droit commun prévu dans le code civil celle d’un régime spécial de prescription pour ce type de recours.

L’article L. 482-1 du code du commerce, ainsi créé, prévoit un délai de prescription de cinq ans qui commence à courir à partir du moment où le requérant a eu connaissance cumulativement :

  • « des actes ou faits imputés à l'une des personnes physiques ou morales mentionnées à l'article L. 481-1 et le fait qu'ils constituent une pratique anticoncurrentielle ;
  • du fait que cette pratique lui cause un dommage ;
  • de L'identité de l'un des auteurs de cette pratique. »

La Cour de cassation, comme le Conseil d’Etat dans la décision commentée (CE, 22 novembre 2019, SNCF Mobilités, n° 418645, T. pp. 603-605-819), ont notamment estimé que le point de départ de ce délai pouvait être la décision de l’Autorité de la concurrence sanctionnant les auteurs de ces pratiques. Le Conseil d’Etat rappelle que l’appréciation faite par le juge quant au point de départ du délai de prescription est souveraine tant qu’elle n’est pas entachée de dénaturation (6). 

Le point nodal du litige examiné par le Conseil d’Etat dans la décision du 1er juin 2023 est de savoir quelle règle de prescription, l’ancienne ou la nouvelle, s’applique à un recours indemnitaire introduit par une personne publique à raisons de pratiques anticoncurrentielles ayant pris fin antérieurement à l’entrée en vigueur des nouvelles modalités de prescription.

L’article 12 de l’ordonnance rappelle, à l’instar des dispositions de l’article 2222 code civil, que l’expiration des délais de prescription n’est pas remise en cause rétroactivement par les nouvelles dispositions législatives qui peuvent cependant prolonger les prescriptions qui ne sont pas acquises à la date de l’entrée en vigueur du changement de la norme.

A cet égard, le Conseil d’Etat a considéré qu’il résulte des dispositions de l’article 12 de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 qui a transposé la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014, lue à la lumière de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 22 juin 2022 C-267/20, que le nouvel article L. 482-1 du code de commerce s’applique aux actions indemnitaires introduites à compter de son entrée en vigueur, y compris lorsqu’elles portent sur des pratiques anticoncurrentielles qui ont pris fin avant leur entrée en vigueur, dans la mesure où ces actions n’étaient pas déjà prescrites en vertu des règles antérieurement applicables.