Lettre de la DAJ – Synthèse du rapport d’information n° 474 rendu par la mission d’information sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales et du guide pratique afférent

Un rapport du Sénat confirme que les deux difficultés majeures rencontrées par les collectivités locales pour s’assurer n’ont pas pour origine le droit de la commande publique, mais plutôt l’étroitesse du marché et la forte hausse du coût des sinistres.

Les acheteurs sont invités à utiliser la négociation permise par le droit de la commande publique pour améliorer les offres.

Sous la présidence de M. Claude Raynal, la commission des finances a examiné, le mercredi 27 mars 2024, la communication de M. Jean-François Husson, rapporteur de la mission d’information sur les problèmes assurantiels rencontrés par les collectivités territoriales. Ce rapport confirme que les deux difficultés majeures rencontrées par les collectivités locales pour s’assurer n’ont pas pour origine le droit de la commande publique mais plutôt l’étroitesse du marché et la forte hausse du coût des sinistres. Les acheteurs sont invités à utiliser la négociation permise par le droit de la commande publique pour améliorer les offres.

Ce rapport fait suite à une consultation en ligne lancée par ladite mission d’information, afin, d’une part, d’identifier précisément les problèmes rencontrés par les collectivités, et d’autre part, les typologies de collectivités concernées.

Il en ressort que de nombreuses procédures lancées par les collectivités s’avèrent infructueuses et que les montants de primes et de franchises proposés sont en forte hausse. L’exécution des contrats est source de difficultés, avec des hausses des tarifs et franchises ainsi que des baisses des montants indemnisés, qui nécessitent la multiplication d’avenants souvent non-justifiés par une hausse de la sinistralité. Enfin, certaines collectivités ont vu leurs marchés publics résiliés à l’initiative de leur assureur.

Ces difficultés concernent tout type de collectivités territoriales, sans que leur localisation ou des évènements sociaux ou climatiques ne puisse l’expliquer. Toutefois, les collectivités territoriales de plus de 5 000 habitants semblent plus impactées.

Le rapport met en avant des dysfonctionnements structurels. Le marché de l’assurance des collectivités est divisé en deux segments, chacun dominé par un unique assureur en fonction du nombre d’habitants des collectivités. Entre 2017 et 2022, le montant des primes a fortement diminué, en raison d’une politique tarifaire trop longtemps décorrélée du risque couvert. Dans ce cadre, les évènements climatiques et les émeutes de l’année 2023 ont servi de révélateurs à ces difficultés. Le faible degré de concurrence induit qu’en pratique, les collectivités sont soumises à la volonté des assureurs, avec des hausses de tarif ou d’autres modifications contractuelles. Même si l’arrêt Grand port maritime de Marseille rendu le 12 juillet 2023 par le Conseil d’État (n° 469319) permet à une collectivité d’imposer, en cas de résiliation unilatérale, la poursuite du marché pour la durée nécessaire à la passation d’un nouveau marché, l’état actuel du marché des assurances des collectivités ne permet pas de mettre en œuvre cette protection.

Le rapport met également en évidence un risque d’aggravation de la situation. Il présente plusieurs recommandations, dont la mise à jour d’un guide pratique à destination des collectivités territoriales pour la passation des marchés d’assurance, destiné à rappeler les étapes à suivre pour passer un tel marché dans les meilleures conditions possibles.

En amont de tout lancement d’une procédure de passation pour leurs besoins assurantiels, les collectivités doivent recourir à une évaluation du patrimoine à assurer, dans le but de pouvoir négocier leurs marchés au plus près de leurs besoins et de connaître leur exposition aux différents risques. Elles doivent s’assurer de définir correctement le montant prévisionnel du marché. L’acceptation des franchises est un élément favorisant la couverture des risques majeurs et permet d’éviter une hausse du coût du contrat en cours d’exécution. Enfin, la décomposition des marchés en plusieurs lots en fonction des biens et des risques qui leur sont rattachés est une faculté intéressante susceptible de susciter davantage de concurrence.

Par ailleurs, les règles de la commande publique autorisent, de manière large, le recours à la négociation pour la conclusion des marchés d’assurances.

D’abord, en dessous des seuils de procédure formalisée applicables en l’espèce (voir paragraphe suivant), la procédure adaptée s’applique, comme le prévoit le 1° de ce l’article R. 2123-1. Dans ce cas, les acheteurs sont toujours autorisés à prévoir le recours à la négociation. Il convient d’ajouter que, lorsqu’ils répondent à un besoin dont la valeur estimée est égale ou inférieure à 40 000 euros HT, l’article R. 2122-8 du code autorise l’acheteur à conclure les marchés sans publicité ni mise en concurrence. La négociation est alors aussi toujours autorisée. En application de l’article L. 2124-1 du code de la commande publique, l’utilisation d’une procédure formalisée s’impose pour les collectivités territoriales lorsque ces marchés répondent à un besoin dont la valeur estimée est égale ou supérieure au seuil de 221 000 euros HT lorsqu’elles agissent en tant que pouvoirs adjudicateurs, de 443 000 euros HT lorsqu’elles agissent en tant qu’entités adjudicatrices.

Puis, lorsqu’elles agissent en tant que pouvoirs adjudicateurs, conformément à l’article R. 2124- 3 de ce code, les collectivités territoriales peuvent déjà choisir de recourir à une procédure avec négociation ou un dialogue compétitif pour la conclusion de ce type de marchés publics dans certaines conditions. Si l’utilisation d’un dialogue compétitif, procédure complexe et longue, est déconseillée en l’espèce, le recours à une procédure formalisée autorisant la négociation n’est autorisé que dans des hypothèses limitativement énumérées par cet article. Le pouvoir adjudicateur doit pouvoir justifier que les conditions de recours à ces procédures, qui s’interprètent strictement (CJCE, 14 septembre 2004, Commission c/République Italienne, Aff. C-385/02, pts. 19 et 37), sont remplies (CJUE, 27 octobre 2011, Commission c. République Hellénique, Aff. C-601/10, pt. 32).

L’article R. 2124- 3 précité dispose que « Le pouvoir adjudicateur peut passer ses marchés selon la procédure avec négociation dans les cas suivants :

« 1° Lorsque le besoin ne peut être satisfait sans adapter des solutions immédiatement disponibles ; […]

« 4° Lorsque le marché ne peut être attribué sans négociation préalable du fait de circonstances particulières liées à sa nature, à sa complexité ou au montage juridique et financier ou en raison des risques qui s'y rattachent ».

Ainsi, la procédure avec négociation ne peut être utilisée lorsqu’il s’agit d’achats « sur étagère » de produits, de services ou de travaux, c’est-à-dire standardisés, non spécifiquement conçus pour les besoins d’un marché en particulier (1°).

La négociation peut également s’avérer nécessaire pour l’attribution d’un marché en raison d’éléments liés à sa nature, à sa complexité ou au montage juridique et financier, ou en raison des risques qui s’y rattachent (2°). La complexité peut être technique. Elle peut découler soit de l’impossibilité pour le pouvoir adjudicateur d’établir les spécifications techniques en termes de fonctionnalités ou de performances, soit de son incapacité à déterminer laquelle des solutions envisageables est la mieux à même de répondre à ses besoins, sans un investissement très important de sa part pour acquérir les connaissances nécessaires.

L’ensemble des marchés publics d’assurance ne peut être conclu par la procédure avec négociation. Seuls les marchés complexes ou non standardisés le pourront sous réserve d’une justification liée aux éléments précités. A titre d’illustration, l’utilisation de la procédure avec négociation n’a pas été jugée justifiée lorsque les spécifications du marché d’assurance, conclu aux conditions générales d’une assurance multirisques habitation, pouvaient être établies préalablement avec une précision suffisante pour permettre le recours à l’appel d’offres (CAA Bordeaux, 6 février 2007, Office public d’aménagement et de construction de la communauté urbaine de Bordeaux, n° 04BX00663).

En revanche, lorsqu’elles agissent en tant qu’entités adjudicatrices, en application de l’article R. 2124-4 du code, les collectivités territoriales peuvent librement décider de recourir à la procédure avec négociation.

Enfin, le recours quasi-systématique à l’appel d’offres que le rapport parlementaire souligne résulte donc d’un choix en grande partie délibéré des collectivités territoriales, soit pour des raisons calendaires, soit qu’elles s’estiment peu familiarisées avec les contraintes propres aux activités d’assurance ou qu’elles doutent de leurs capacités de négociation. Outre le fait que la procédure avec négociation est nécessairement une procédure en deux phases (Art. R. 2161-12 à R. 2161-20 et R. 2161-21 à R. 2161-23), ce qui allonge les procédures, la négociation prend du temps. Le choix pour la procédure de l’appel d’offres peut également résulter d’une absence d’anticipation dans la conclusion des contrats.