Lettre de la DAJ – Selon la Cour des comptes, le dispositif des compléments de rémunération accordés aux fonctionnaires servant en outremer ne remplit pas tous ses objectifs

Dans une enquête, la Cour des comptes vérifie la mise en œuvre des recommandations formulées en 2015 dans le cadre d’un précédent rapport sur les compléments de rémunération des fonctionnaires d’outremer, portant spécifiquement sur la fonction publique de l’État. L’enquête analyse cette fois-ci globalement le dispositif de compléments de rémunération des fonctionnaires au sein des trois fonctions publiques (y compris les militaires) dans l’ensemble des territoires ultramarins.

La mise en place des compléments de rémunération accordés aux fonctionnaires servant en outremer date des années 1950. Il s’agit de majorations de traitement ainsi que de diverses indemnités visant à compenser le différentiel de coût de la vie entre la métropole et les territoires ultramarins, à couvrir les frais liés à l’installation, à prendre en compte les sujétions propres à la vie en outremer et à favoriser l’attractivité de ces postes pour les métropolitains ou les jeunes diplômés locaux.

Dans son enquête[1], menée en application de l’article L. 111-3 du code des juridictions financières, la Cour des comptes s’est attachée à analyser globalement le dispositif de compléments de rémunération des fonctionnaires au sein des trois fonctions publiques (y compris les militaires) dans l’ensemble des territoires ultramarins.

Depuis sa création, ce dispositif est devenu complexe et générateur d’inégalités entre les agents

La Cour des comptes relève que le corpus juridique afférent à ce dispositif est un véritable « maquis législatif et réglementaire » faute d’abrogation de textes devenus obsolètes. Ainsi, à la suite de l’adoption de mesures sectorielles et catégorielles, les modalités d’attribution et de calcul des compléments de rémunération sont devenues variables pour les agents publics d’un même territoire selon l’administration de rattachement de ces derniers. En outre, l’extension du dispositif aux fonctions publiques territoriale et hospitalière a renforcé son déficit de lisibilité. La Cour des comptes recommande donc de simplifier et d’unifier le régime des compléments de rémunération en outre-mer en le regroupant dans un texte unique applicable aux fonctionnaires d’État, aux militaires et aux magistrats (recommandation n° 1).

La Cour observe qu’il en découle des inégalités de situation entre les agents car, au sein d’une même fonction publique, certains reçoivent certaines indemnités que d’autres ne perçoivent pas, sans que cela ne soit justifié par une situation particulière. La Cour des comptes demande la mise en place d’un cadrage interministériel visant à préciser les critères de modulation des taux de majoration susceptibles de justifier des différences de traitement. 

Le dispositif, mal mesuré sur le plan budgétaire, est source de dérive et son coût s’accroît

La Cour des comptes note que l’appréciation du coût global du dispositif est difficile car la comptabilisation des agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière affectés dans les territoires ultramarins diverge entre les services de l’Etat (en l’occurrence entre la DGAFP, la DGOS et la DGCL). Pour la fonction publique d’Etat, les données sont quant à elles connues. Ainsi, les services susmentionnés ne disposent pas de données consolidées permettant d’apprécier l’impact de ce dispositif sur les budgets des collectivités territoriales et des établissements publics hospitaliers, alors que ce dernier peut être source de difficultés budgétaires pour eux. Pour la fonction publique d’Etat, le budget global alloué aux compléments de rémunération des agents affectés dans les territoires ultramarins s’élève à environ 1 511 M€ en 2020.

Enfin, l’augmentation des recrutements d’agents contractuels outremer dans les trois fonctions publiques fait courir un risque de dérive sur l’évolution du coût du dispositif compte tenu du fait que les collectivités territoriales et établissements publics déterminent librement la rémunération de ces derniers. La Cour des comptes recommande donc d’améliorer la connaissance des effectifs outre-mer des trois fonctions publiques en produisant annuellement une analyse consolidée des effectifs concernés (recommandation n° 2).

L’attractivité des emplois publics outremer ne peut reposer sur ce seul dispositif

La Cour des comptes constate que ce dispositif ne parvient pas à renforcer l’attractivité des emplois outremer « car la globalité des sujétions propres à la vie outre-mer n’est pas prise en compte. » Les analyses statistiques montrent que le montant des compléments de rémunération est largement supérieur au différentiel réel de coût de la vie entre l’outremer et l’hexagone. Ainsi, le dispositif pourrait avoir un effet inverse à celui escompté car les compléments de rémunération créent un marché de consommation garanti incitant les importateurs et les distributeurs à maintenir un niveau de prix élevé dans les territoires ultramarins.

De plus, le faible nombre de distributeurs dans ces territoires ne permet pas l’émergence d’une réelle concurrence sur le marché de la distribution et leur permet de maintenir ce niveau de prix. En conséquence, le dispositif des compléments de rémunération pourrait augmenter le coût de la vie outremer compte tenu de la part de l’emploi public et parapublic dans l’emploi global dans ces territoires. La Cour des comptes appelle donc à ce que le niveau des compléments de rémunération soit réévalué pour correspondre à la réalité économique des territoires ultramarins.

Par ailleurs, le dispositif des compléments de rémunération ne remplit pas l’objectif de renforcement de l’attractivité des territoires outremer. Mayotte et la Guyane sont les deux territoires les moins attractifs malgré l’application de dispositifs indemnitaires plus favorables qu’ailleurs. Ainsi, la Cour des comptes estime que d’autres leviers d’attractivité doivent être mis en place pour prendre en compte d’autres facteurs comme l’éloignement et l’isolement, la sécurité, l’accès au logement, la scolarisation des enfants, le système de santé ou l’accès aux soins. Elle recommande de faire évoluer le dispositif en prenant en compte l’ensemble des facteurs de l’attractivité (recommandation n° 4).


[1] La procédure d’enquête de la Cour des comptes : cette procédure est une suite de l’activité non juridictionnelle de la Cour. La Cour contrôle ainsi la mise en œuvre des recommandations formulées dans son Rapport public annuel 2015 sur les compléments de rémunération des fonctionnaires de l’État outremer de février 2015. Le référé est le nom de la communication adressée par le Premier président de la Cour des comptes à la Première ministre pour lui faire part des observations formulées par la Cour à l'issue de ce contrôle.