Par une décision du 3 mai 2023, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur un arrêté de révocation d’un fonctionnaire pour des faits commis avant son entrée dans la fonction publique, qui selon lui, ne justifiaient pas une telle décision au regard de leur antériorité et des fonctions exercées par l’agent.
Le Conseil d’Etat, par une décision du 3 mai 2023 (n° 438248) publiée au recueil Lebon, s’est prononcé sur une révocation prononcée à l’encontre d’un fonctionnaire par une autorité administrative pour des faits qu’il avait commis antérieurement à son intégration.
En l’espèce, après la découverte de fraude aux prestations sociales versées par le département de la Seine-Saint-Denis, le président du conseil départemental a engagé une procédure disciplinaire à l’encontre d’un agent, condamné avant son intégration dans la fonction publique pour diverses infractions pénales. Par arrêté du 26 avril 2017, le président du conseil département a prononcé sa révocation.
Le tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté et a enjoint au département de réintégrer l’agent et de reconstituer sa carrière. La cour administrative d’appel de Versailles a annulé ce jugement. L’agent a donc saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation.
Les statuts de la fonction publique de 1946 et 1959 exigeaient du candidat fonctionnaire qu’il soit de « bonne moralité ». La loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 a abandonné cette qualification subjective[1] : son article 5, 3° (codifié à l’article L. 321-1 du code général de la fonction publique) prévoit que les mentions portées au bulletin n° 2 du casier judiciaire du candidat doivent être compatibles avec l'exercice de ses fonctions.
Il revient au juge de contrôler l’appréciation effectuée par l’autorité administrative sur la compatibilité entre les fonctions auxquelles postule le candidat et les actes commis (voir en ce sens CE, 3 décembre 1993, bureau d’aide sociale de la ville de Paris, n° 104876). Le Conseil d’Etat, dans sa décision du 3 mai 2023, met en œuvre ce contrôle.
Il rappelle tout d’abord que « lorsque l’administration estime que des faits, antérieurs à la nomination d’un fonctionnaire mais portés ultérieurement à sa connaissance, révèlent, par leur nature et en dépit de leur ancienneté, une incompatibilité avec le maintien de l’intéressé dans la fonction publique, il lui revient, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, d’en tirer les conséquences en engageant une procédure disciplinaire en vue de procéder, à raison de cette incompatibilité, à la révocation de ce fonctionnaire ».
Or, en l’espèce, la révocation de l’agent est fondé sur deux motifs : d’une part, ses antécédents judiciaires considérés comme étant incompatibles avec l’exerce des fonctions de l’agent et d’autre part, la consultation par l’agent à trois reprises d’un dossier ne relevant pas de son champ d’intervention et relatif au bénéfice de prestations sociales dont l’une de ses connaissances a frauduleusement bénéficié.
La cour administrative d’appel avait validé la sanction prononcée par le département en estimant que sa décision de révocation aurait été identique même si les faits liés à la fraude n’étaient pas établis, les antécédents judiciaires se suffisant à eux-mêmes. Or, le Conseil d’Etat considère que la cour n’a pas suffisamment motivé sa décision faute d’avoir caractérisé les faits à l’origine des condamnations et d’avoir apprécié si ceux-ci étaient de nature à conduire à une révocation compte tenu de leur nature et de leur ancienneté.
Le Conseil d’Etat va ensuite régler l’affaire au fond et se prononcer sur la légalité de l’arrêté pris par le président du conseil départemental. Pour cela, il va examiner les deux motifs invoqués par le département pour justifier la révocation du fonctionnaire.
Le Conseil d’Etat juge d’une part qu’il n’est pas établi que l’agent, à l’encontre duquel aucune charge n’a été retenue à l’issue de l’enquête judiciaire diligentée après la découverte des fraudes aux prestations sociales, aurait consulté le dossier du bénéficiaire de façon irrégulière. Il donne donc raison à l’agent qui estimait que ces faits ne pouvaient être invoqués pour justifier la sanction de révocation.
Le Conseil d’Etat examine d’autre part les diverses infractions commises par l’agent avant son intégration dans la fonction publique. En l’espèce, l’agent avait été condamné pour vol avec violence (effacement du bulletin n° 2 du casier judiciaire avant son entrée dans la fonction publique) et pour avoir tenté de pénétrer sans autorisation dans un établissement pénitentiaire avec une carte d’identité ne lui appartenant pas (dispense d’inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire). Selon les juges, ces deux faits à eux seuls, dont l’administration a pris connaissance en 2014, « n’affectaient pas le bon fonctionnement ou la réputation du service dans des conditions justifiant la révocation de l’intéressé ».
Le Conseil d’Etat a par conséquent annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel.
[1] L’exigence de bonne moralité demeure une condition pour l’accès à certains emplois publics (voir par exemple en ce sens Cons. const. 5 octobre 2012, B..., n° 2012-278 QPC pour le recrutement des magistrats).