En l’absence de relations contractuelles entre un pouvoir adjudicateur et les sous-traitants d’un marché public de travaux, aucun décompte général ne peut conditionner l’émission d’un titre exécutoire visant au remboursement des avances versées aux sous-traitants
Dans le cadre d’une opération de travaux portant sur la conception-réalisation d’un nouvel hôpital, le centre hospitalier maître d’ouvrage a accepté un sous-traitant pour l’exécution d’une partie d’un des lots et agréé ses conditions de paiement. Ce sous-traitant a bénéficié d’une avance forfaitaire de 20 % du montant des travaux sous-traités.
A la suite de la résiliation du marché pour faute du titulaire, le centre hospitalier a émis un titre exécutoire à l’encontre de ce sous-traitant en vue du remboursement de l’avance qui lui a été versée.
Le sous-traitant a contesté ce titre de perception devant le tribunal administratif de Guadeloupe qui a rejeté sa requête. La cour administrative d’appel de Bordeaux a confirmé en appel le jugement de rejet.
A l’issue d’un premier pourvoi, le Conseil d’Etat a annulé pour erreur de droit l’arrêt de la cour au motif qu’elle s’était fondée à tort sur la théorie de l’enrichissement sans cause pour admettre le bien-fondé du titre de perception en litige alors que le fondement du remboursement des avances par le sous-traitant, à raison d'une absence totale ou partielle de réalisation de ses prestations, repose sur les articles 88 et 115 du code des marchés publics applicable au litige alors même que le marché résilié n'aurait pas été exécuté[1].
Après que le Conseil d’Etat lui a renvoyé l’affaire au fond, la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé le titre exécutoire au motif qu’il devait être subordonné à l’établissement d’un décompte de résiliation car le recouvrement d’une créance contractuelle nécessite que cette dernière ait un caractère certain, liquide et exigible.
Saisi d’un second pourvoi, cette fois-ci par l’acheteur, le Conseil d’Etat précise le régime du remboursement des avances versées aux sous-traitants par un arrêt du 1er juin 2023, Centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau, n° 462211.
Pour rappel, l’acheteur doit accorder une avance au titulaire d’un marché public lorsque le montant initial du marché est supérieur à 50 000 euros hors taxes et dans la mesure où le délai d'exécution est supérieur à deux mois. Il peut cependant prévoir le versement d’une avance dans le cas où elle n’est pas obligatoire. Le titulaire peut toujours refuser le versement de l’avance[2]. Ce régime des avances est ouvert aux sous-traitants qui bénéficient du droit au paiement direct[3].
Dans le silence du contrat, le remboursement de l’avance s’effectue par précompte du pouvoir adjudicateur sur les sommes dues au titulaire ou au sous-traitant. Ce remboursement débute et se termine à des moments différents selon le montant de l’avance en question. Lorsque l’avance est inférieure ou égale à 30 % du montant TTC du marché, son remboursement débute quand le montant des prestations réalisées atteint 65 % du montant TTC du marché. Lorsque l’avance est supérieure à 30 % de ce montant, son remboursement débute à la première demande de paiement. Le remboursement doit être terminé, pour les avances inférieures à 80 %, lorsque le montant des prestations exécutées atteint 80 % du montant TTC du contrat et, pour les avances supérieurs ou égales à 80 %, lorsque le montant TTC des prestations exécutées atteint le montant de l’avance accordée[4].
Le Conseil d’Etat précise le régime de remboursement des avances en estimant « qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que lorsque le marché est résilié avant que l'avance puisse être remboursée par précompte sur les prestations dues, le maître d'ouvrage peut obtenir le remboursement de l'avance versée au titulaire du marché ou à son sous-traitant sous réserve des dépenses qu'ils ont exposées et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées. »
S’agissant des prestations réalisées par le sous-traitant, le Conseil d’Etat ajoute qu’il appartient au maître d’ouvrage de consulter le titulaire du marché pour s’assurer que ces conditions sont remplies.
En cas de résiliation pour faute, le remboursement de l’avance par le sous-traitant ne fait pas obstacle à ce que celui-ci engage une action contre le titulaire du marché et lui demande, le cas échéant, réparation du préjudice que cette résiliation lui a causé à raison des dépenses engagées en vue de l’exécution de prestations prévues initialement au marché
Dans ce cadre, lorsque le contrat prévoit l’établissement d’un décompte général et définitif, retraçant l’ensemble des opérations auxquelles donne lieu l’exécution du marché, la créance détenue par le maître de l’ouvrage sur le titulaire ne saurait présenter un caractère certain et exigible et, par suite, faire l’objet d’un titre exécutoire en l’absence d’un tel décompte, même dans l’hypothèse d’une résiliation du marché.
En revanche, ni le code de la commande publique, ni aucun autre texte, ni aucun principe ne subordonne à l’établissement préalable d’un tel décompte l’exigibilité de la créance que détient le maître d’ouvrage sur le sous-traitant, notamment pour le remboursement des avances qu’il lui a versées.