Lettre de la DAJ – Réclamation devant le juge national du versement d’une partie d’une aide d’Etat non perçue

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 12 janvier 2023 dans les affaires C-702/20 et C-17/21, encadre la réclamation devant le juge du versement d’une partie d’une aide d’Etat non perçue.

Dans le cadre de l’application d’une législation nationale déterminant le prix moyen de vente d’électricité, la Cour de justice, par un arrêt du 12 janvier 2023, a précisé, en matière d’aides d’Etat, les modalités d’application des articles 107, paragraphe 1 et 108, paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) telles que prévues par les règlements n° 1407/2013 du 18 décembre 2013 dit "de minimis" (1) et n° 2015/1589 du 13 juillet 2015.

En l’espèce, à la suite de la modification par la loi des règles de calcul du prix moyen de vente d’électricité, l’autorité de régulation en charge de fixer ce prix a cessé de l’actualiser.

Auparavant, tous les producteurs d’électricité avaient, sous certaines conditions, le droit de vendre leur excédent de production électrique à l’opérateur public à un prix correspondant à deux fois le tarif moyen de vente de l’électricité.

La nouvelle loi a réservé cet ancien mode de calcul aux seuls producteurs d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables qui avaient déjà commencé leur activité avant l’entrée en vigueur de la loi.

Par une décision de janvier 2010, la juridiction constitutionnelle nationale a considéré que le terme « prix » devait être compris comme un mécanisme de fixation des prix et non comme un prix fixe. Ainsi, l’autorité de régulation devait continuer de fixer le prix moyen de vente d’électricité.

Invoquant cette décision, les sociétés requérantes au principal ont réclamé à l’autorité de régulation le paiement de dommages et intérêts en réparation des pertes subies en raison de l’absence de fixation du tarif.

Face au refus de l’autorité de régulation, les sociétés requérantes ont saisi le juge administratif lequel, estimant qu’il s’agissait d’aides d’Etat non perçues, a donné droit à leur réclamation subordonnant néanmoins le paiement de ces sommes à la condition que la Commission, qu’il avait saisi, ait pris, ou soit réputée avoir pris, une décision autorisant ces aides.

L’autorité de régulation s’est pourvue devant la juridiction de cassation laquelle a saisi la Cour de justice.

Au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, la qualification d’aide d’État, suppose la réunion de quatre conditions : (i) l’existence d’une intervention de l’État ou « au moyen de ressources d’État », qu’elle soit susceptible (ii) d’affecter les échanges entre les États membres, (iii) accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire et (iv) fausse ou menace de fausser la concurrence.

Dans ce cadre, la Cour rappelle que les aides d’Etat, qui constituent des mesures de l’autorité publique favorisant certaines entreprises ou certains produits, revêtent une nature juridique fondamentalement différente des dommages et intérêts que les autorités nationales sont, éventuellement, condamnées à verser à des particuliers, en réparation d’un préjudice qu’elles leur ont causé.

Il est indifférent, pour déterminer si des sommes correspondent à des aides d’État, que les recours tendant à en obtenir le versement soient qualifiés de demandes en réparation ou de demandes de dommages et intérêts en vertu du droit national.

De ce fait, les dommages et intérêts ne constituent pas des aides d’État au sens du droit de l’Union.

En revanche, la Cour précise que le paiement d’une somme réclamée en justice en application d’une réglementation instituant une aide d’Etat constitue également une telle aide.

Par ailleurs, la Cour juge que doit être qualifiée d’ « aide nouvelle », une aide d’Etat, y compris la partie de celle-ci dont le versement est ultérieurement réclamé, qui ne correspond à aucune des catégories d’aides existantes prévues au règlement n° 2015/1589.

La Cour souligne, à toutes fins utiles, que l'instauration en tant que telle d'une aide d'État ne saurait procéder d'une décision juridictionnelle. Des demandes en justice visant à obtenir le bénéfice complet d’un droit légal à un paiement majoré pour l’électricité doivent être regardées comme des demandes de versement de la partie de cette aide d’État non perçue et non comme des demandes tendant à l’octroi par le juge saisi d’une aide d’État distincte. L’instauration d'une aide d'État relève d'une appréciation d'opportunité qui est étrangère à l'office du juge.

En revanche, la Cour précise que le juge national peut faire droit à une demande ayant pour objet le versement d’une somme correspondant à une aide nouvelle non notifiée à la Commission, sous réserve que cette aide soit au préalable dûment notifiée par les autorités nationales concernées à cette institution et que cette dernière donne, ou soit réputée avoir donné, son accord à cet égard.

Interrogée sur la qualification d’intervention « au moyen de ressources d’Etat » (premier critère de la notion d’aide d’Etat) du financement du dispositif de fixation du prix de rachat d’électricité par l’opérateur public, la Cour de justice précise que peuvent être qualifiées en tant que telle intervention (i) les sommes restant constamment sous contrôle public et, (ii) les fonds alimentés par une taxe ou d’autres prélèvements obligatoires en vertu de la législation nationale et gérés et répartis conformément à cette législation, tels qu’en l’espèce.

Par ailleurs, concernant l’influence de la libéralisation préalable du marché de l’électricité, la Cour de justice juge que la date de la libéralisation complète de ce marché est sans incidence sur la qualification d’aide d’État dès lors qu’un avantage accordé à certaines entreprises est susceptible, même avant celle-ci, d’affecter les échanges entre les États membres et de fausser la concurrence.

Enfin, s’agissant de l’application des critères prévus pour les aides de minimis déterminés par le règlement n° 1407/2013, la Cour de justice juge que le respect du seuil fixé doit être apprécié au regard du montant de l’aide réclamée cumulé avec celui des versements déjà perçus pendant la période de référence.

(1) Règlement « de minimis » : ce règlement autorise des aides n’excédant pas le plafond de 200000 euros par entreprise consolidée sur une période de 3 exercices fiscaux.

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