Lettre de la DAJ – Rapport public annuel 2023 de la Cour des comptes

La Cour des comptes a rendu public le 10 mars 2023 son rapport public annuel. Celui-ci se concentre sur l’organisation territoriale de l’Etat, quarante ans après les premières lois de décentralisation.

La Cour des comptes a choisi, pour son rapport public annuel de 2023, de s’intéresser à la performance de l’organisation territoriale de l’État. Le rapport présente traditionnellement, en un chapitre introductif, la situation d’ensemble des finances publiques.

Analyse de la situation d’ensemble des finances publiques

  • Présentation de la situation des finances publiques en 2022 et 2023

L’année 2022 a été marquée par le maintien d’un niveau élevé de dépenses et de déficits publics, en dépit du dynamisme des prélèvements obligatoires. La croissance en 2022 s’établirait à 2,6 % du produit intérieur brut (PIB), alors qu’elle atteignait 6,8 % en 2021. Ce ralentissement de l’activité économique s’explique en grande partie par la hausse des prix de l’énergie qui a pénalisé le budget des ménages et augmenté les coûts de production pour les entreprises. La hausse du taux d’intérêt a également un impact tant pour les particuliers que pour les professionnels.

L’année 2022 a également été marquée par une hausse de l’inflation qui devrait durer en 2023 (5,2 % en 2022 et 4,2 % en 2023 selon le projet de loi de finances pour 2023). Grâce aux mesures mises en œuvre par le Gouvernement, la France est le pays de la zone euro qui a connu le plus faible taux d’inflation (5,9 % au sens de l’indice harmonisé des prix à la consommation contre 8,4 % en moyenne pour la zone euro).

Malgré les baisses d’impôts (suppression de la redevance audiovisuelle par exemple), le taux de prélèvements obligatoires atteindrait en 2022 un pic historique et s’établirait à 45,2 % du PIB. Il devrait néanmoins connaître une baisse en 2023 (44,9 %, se rapprochant ainsi de son niveau d’avant-crise). Le dynamisme spontané des prélèvements obligatoires serait essentiellement causé par la forte progression des recettes liées à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en raison de la hausse de l’inflation ainsi que par la hausse de l’impôt sur le revenu (+12,1 %) ou de l’impôt sur les sociétés (+24,6 %).

La politique de baisse de certains impôts s’est poursuivie en 2022 : la principale mesure a consisté à diminuer à son niveau plancher la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) dans le cadre du « bouclier tarifaire ». En outre, d’autres suppressions d’impôts engagées les années précédentes se sont poursuivies (suppression progressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales, baisse du taux d’impôt sur les sociétés).

Parallèlement, les années 2022 et 2023 s’accompagneraient d’une hausse des dépenses publiques en raison du maintien de mesures de soutien à l’économie (atténuation des hausses des coûts de l’énergie et de l’inflation). Selon les prévisions de la Commission européenne, la France demeurerait le pays ayant un niveau de dépense publique le plus important des pays de la zone euro rapportée au PIB en 2022 et en 2023 (montant supérieur de huit points à la moyenne de la zone).

Poids de la dépense publique dans le PIB (en % du PIB – y compris crédits d’impôts)

poids de la dépense publique dans le PIB (en % du PIB – y compris crédits d’impôts)

 

La Cour des comptes rappelle que le déficit public atteindrait 5,0 % du PIB en 2022 et 2023 selon le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. La dette publique atteindrait quant à elle 111,2 % du PIB en 2023, soit quatorze points au-dessus de son niveau d’avant-crise.

  • Les enjeux liés à la trajectoire de finances publiques de moyen terme

La loi de programmation des finances publiques 2023-2027 (non encore votée à ce jour), prévoit un retour du déficit public à moins de 3 % en 2027. La Cour des comptes juge que « les hypothèses qui étayent cette trajectoire soit sont trop optimistes soit requièrent une rupture importante par rapport à la pratique passée, notamment s’agissant de la maîtrise de la dépense publique ».

La Cour des comptes estime par exemple que les hypothèses qui ont fondé les prévisions de la loi de programmation des finances publiques n’ont pas suffisamment pris en compte la hausse des taux d’intérêt. En outre, elle estime que le montant des dépenses publiques a été sous-évalué, car les prévisions affichées seraient nettement en deçà de la pratique constatée depuis une décennie.

Les chiffrages réalisés par la Cour des comptes relèvent que la dette demeurerait, en 2027, supérieure au niveau atteint en 2022. Une croissance potentielle de 1 % et non de 1,35 % comme prévue dans la loi de programmation des finances publiques conduirait à une dette de 5 point de PIB supérieurs au niveau de 2022. En outre, si les dépenses publiques continuaient de s’accroître au même rythme que celui connu avant crise (2010-2019), le ratio de la dette serait supérieur de plus de trois points que celui prévu dans la loi de programmation des finances publiques.

La performance de l’organisation territoriale de la France

La Cour des comptes a souhaité tirer le bilan du processus de décentralisation initié par l’adoption de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions. La Cour a choisi de porter son étude sur diverses compétences exercées par les collectivités territoriales et qui ont un impact sur la vie quotidienne des Français et notamment sur les compétences relative au développement économique et aux politiques sociales.

  • Diagnostic global et principaux enjeux

Le rapport de la Cour des comptes montre que les réformes relatives aux collectivités territoriales, qui se sont succédées depuis 2010, n’ont pas permis de résoudre les errements de la décentralisation. Ainsi, malgré la suppression de la clause générale de compétence générale pour les régions et départements, l’enchevêtrement des compétences des collectivités territoriales demeure notamment parce que ces deux niveaux de collectivités territoriales peuvent toujours intervenir dans un domaine présentant un intérêt local non confié par la loi à une autre catégorie de collectivité territoriale.

Le rapport montre que l’État a progressivement réduit sa présence au sein des territoires, réduisant ainsi sa capacité d’expertise du respect des normes, de conseil auprès des collectivités territoriales… La Cour des comptes rappelle que le contrôle de légalité et du contrôle budgétaire est insuffisant, alors même qu’ils constituaient la contrepartie des transferts de compétences (voir en ce sens un rapport public de la Cour des comptes publié le 21 novembre 2022).

Le rapport de la Cour des comptes s’intéresse également aux modalités de financement des collectivités territoriales et constate une hausse du poids des finances locales au sein des finances publiques : ainsi, la part de la dépense publique locale est passée de 8 % du PIB en 1980 à 11,2 % en 2021.

Le financement des collectivités territoriales est assuré à 60 % par les prélèvements obligatoires, impôts et taxes locales ou affectation d’une part d’impôts nationaux, technique de plus en plus utilisée (en 2021, 37 % des ressources fiscales des collectivités territoriales provenaient d’impôts nationaux contre 14 % en 2014). La Cour des comptes estime que l’affectation d’impôts nationaux est problématique dans la mesure où elle tend à distendre les liens entre collectivités territoriales et contribuables locaux.

Répartition des recettes des collectivités locales en 2021

Répartition des recettes des collectivités locales en 2021

Analyse sectorielles de deux politiques publiques locales

  • Le développement économique

La Cour des comptes estime que la répartition des compétences en matière de développement économique doit encore être améliorée afin de lutter contre la dispersion des aides allouées par les différentes catégories de collectivités territoriales. En effet, si la loi MAPTAM (loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014) et la loi NOTRe (loi n° 2015-991 du 7 août 2015) ont apporté plusieurs clarifications sur la répartition des compétences en indiquant que les aides aux entreprises relevaient des régions et les aides au foncier des EPCI, plusieurs compétences demeurent partagées par l’ensemble des catégories de collectivités territoriales (tourisme, commerce).

Les outils mis en place par la loi NOTRe (schéma régional de développement économique – SDREII et les conventions/délégations de compétences pour les aides aux entreprises) n’ont pas permis aux régions d’assurer une coordination suffisante des différents acteurs. La Cour des comptes recommande de pérenniser les modalités de coordination mis en place dans le cadre de la quatrième génération du programme d’investissements d’avenir (PIA 4), du plan d’urgence et du plan de relance dans le contexte de crise sanitaire.

  • Les politiques sociales

Les politiques sociales décentralisées couvrent un large champ : aide aux personnes vulnérables, enfants faisant l’objet de mesures de protection, personnes âgées dépendantes, personnes en situation de handicap... La décision de transférer ces diverses compétences aux collectivités territoriales avait pour objectif de rapprocher les bénéficiaires des dispositifs mis en place. Cependant, la Cour des comptes juge que cette décentralisation est inaboutie dans la mesure où l’État entend conserver un rôle d’organisation et d’animation alors même que de nombreux acteurs conservent des compétences en matière d’action sociale. Les départements ne peuvent donc pas exercer leur rôle de chef de file, l’État souhaitant conserver un rôle afin garantir l’égalité de traitement des citoyens sur l’ensemble du territoire.

En outre, la Cour des comptes dresse un bilan contrasté de la qualité des services rendus tant en termes d’accès aux droits que de délais de traitement des demandes d’aides. La Cour des comptes recommande notamment une révision du financement des allocations individuelles de solidarité (AIS) : selon elle, le socle national de prestation devrait majoritairement être financé par l’État et les dépenses complémentaires résultant de décisions propres des départements devraient être financées sur le budget de ces derniers.

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