Lettre de la DAJ – Rapport de la Cour des comptes sur la situation financière des collectivités territoriales

Si la situation financière des collectivités territoriales était très favorable en 2022, la Cour des comptes craint que l’évolution soit moins positive en 2023 en raison d’une baisse de dynamisme des ressources fiscales et des effets de l’inflation. La Cour des comptes, dans son rapport, s’intéresse également à plusieurs notions complémentaires du principe de libre administration des collectivités territoriales.

La Cour des comptes avait dressé en mars 2023 un bilan des quarante années de décentralisation. Dans un rapport rendu public le 24 octobre 2023, la Cour a souhaité examiner les perspectives financières des collectivités territoriales et de leur gouvernance. Elle a également poursuivi son analyse de mars dernier en abordant les questions de l’autonomie financière, de la péréquation des ressources et de la contractualisation État/collectivités territoriales.

Les perspectives financières des collectivités territoriales et leur gouvernance

Les données macroéconomiques telles que présentées en loi de finances montrent que la situation économique de la France est moins favorable en 2023 qu’elle ne l’était en 2022. En effet, l’inflation et le faible taux de croissance ont contribué à amputer les recettes de fonctionnement des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). La taxe sur la valeur ajoutée (TVA), mais aussi les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) de même que la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) baisseront en valeur absolue. Dans le même temps, les dépenses de fonctionnement ont augmenté (augmentation de la rémunération des agents par exemple).

La situation financière de chaque catégorie de collectivités territoriales varie en raison des différences de composition des recettes et des dépenses de chacune d’elles. Tandis que les départements subissent « l’effet ciseau » dû à une hausse des dépenses sociales et à une baisse de leurs principales recettes (DMTO), le bloc communal verrait son épargne augmenter. Ces tendances doivent se confirmer à la suite de la diffusion des données définitives portant sur l’ensemble de l’année 2023.

Cependant, il apparaît, selon les prévisions du projet de loi de finances pour 2024, que les collectivités territoriales, après avoir dégagé un excédent de financement de 4,8 milliards d’euros en 2022, connaîtraient un besoin de financement de 2,6 milliards d’euros en 2023, puis de 2,9 milliards en 2024 (au sens de la comptabilité nationale).

Ce besoin de financement devra s’accorder avec le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, qui formule des objectifs ambitieux de contribution des administrations publiques locales au redressement des finances publiques. La loi prévoit en effet qu’à l’horizon 2027, le poids des dépenses locales dans le produit intérieur brut (PIB) devrait diminuer d’un point. Selon la Cour des comptes, cette trajectoire présente des aléas dans la mesure tout d’abord où les hypothèses de croissance contenues dans la loi de programmation sont optimistes. De plus, la loi n’a pas défini d’instruments permettant de répartir entre les entités locales les objectifs de ralentissement des dépenses, ni de sanctionner leur non-respect.

La Cour des comptes regrette également que le périmètre des transferts financiers de l’État ne soit pas entièrement pris en compte ; en effet, selon elle, le périmètre de l’objectif fixé par la loi de programmation devrait ainsi être élargi à l’ensemble des transferts financiers de l’État vers les collectivités territoriales et donc prendre en compte les affectations de recettes de TVA qui compensent la suppression d’impôts locaux et de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des régions. La Cour des comptes remarque à cette occasion que la suppression d’impôts locaux a pour conséquence une augmentation des transferts financiers de l’État vers les collectivités et donc une aggravation du déficit public.

L’autonomie financière des collectivités territoriales

L’autonomie financière, garantie par la Constitution depuis 2003, emporte un certain nombre de garanties pour les collectivités territoriales. L’article 72-2 alinéa 3 de la Constitution prévoit que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre ».

Cette garantie a fait l’objet d’une interprétation large par le Conseil constitutionnel ; ainsi, elle inclut des recettes sur lesquelles les collectivités territoriales n’ont pas de pouvoir de décision (impôts nationaux partagés par exemple). En effet, les collectivités territoriales ne disposent pas d’une autonomie fiscale. Les impôts territorialisés ne représentent plus qu’une part réduite des recettes de fonctionnement des départements et des régions. Seul le bloc communal conserve une part importante d’impôts locaux (principalement fonciers).

Si l’autonomie financière en recettes des collectivités est limitée, l’autonomie en dépenses n’est pas non plus totale. En effet, en plus des dépenses obligatoires (dépenses relevant des compétences obligatoires des collectivités territoriales, telles que les allocations de solidarité pour le département) et interdites pour les collectivités territoriales, celles-ci doivent faire face à des dépenses certes facultatives mais contraintes en raison d’une demande des administrés ou d’exigences réglementaires. Surtout, l’autonomie de dépenses des collectivités territoriales est contrainte par les règles d’équilibre de leur budget.

La péréquation financière

Il existe de nombreux dispositifs de péréquation qui s’appuient sur une variété d’indicateurs visant à estimer les charges supportées par les collectivités ou à caractériser leur niveau de richesse. Ces objectivations permettent de déterminer les collectivités territoriales éligibles à un dispositif de péréquation.

Il existe deux grands types de péréquation :

  • la péréquation verticale, qui passe par une dotation versée par l’État à destination des collectivités territoriales (la DGF a représenté les deux tiers de la péréquation totale en 2022) ;
  • la péréquation horizontale, qui consiste en un prélèvement sur recettes de certaines collectivités à destination d’autres.

En 2022, tous dispositifs confondus, la péréquation représentait 6,7 % des recettes réelles de fonctionnement des communes et 4,8 % de celles des départements. Ce poids peut certes apparaître limité, mais il permet de réduire les disparités de ressource entre les collectivités territoriales.

La Cour des comptes indique dans son rapport plusieurs pistes pour mieux cibler la péréquation financière. Elle estime notamment que la dotation de solidarité rurale devrait être mieux ciblée afin de mettre fin au saupoudrage, puisque 97 % des communes en bénéficient, y compris pour des montants modiques.

La contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales

Depuis plusieurs années, l’État a de plus en plus recours à la contractualisation, plutôt qu’à des décisions unilatérales, pour coordonner son action avec les collectivités territoriales. L’État a ainsi développé des contrats de programmation (contrats de plan État-régions par exemple), des contrats visant certains types de territoires (Action cœur de ville, contrats de ruralité). Il existerait au total plusieurs milliers de dispositifs contractuels.

La Cour des comptes regrette le pilotage inégal de l’État sur ces dispositifs. Son organisation territoriale ne lui permet en effet pas toujours de disposer des outils et des ressources pour en assurer un suivi de qualité. De même, il n’est pas systématique que l’État recourt à des évaluations, y compris pour des dispositifs à forts enjeux financiers.

La Cour des comptes appelle l’État à réduire le nombre des dispositifs existants et à les intégrer autour de deux instruments centraux : les contrats de plan État-région (CPER) à l’échelle régionale, et les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) avec les intercommunalités. En outre, il lui apparaît nécessaire que les préfets disposent de tableaux de bord recensant sur leur territoire l’ensemble des contrats en vigueur et des financements de l’État et de ses opérateurs.