Les dépenses fiscales, si elles sont avantageuses pour les contribuables, constituent un coût très important pour l’Etat. Leur concentration sur quelques impôts, leur multiplication et l’absence d’évaluation de leur efficacité sont mises en exergue par la Cour des comptes dans une note publiée en juillet 2023.
Les dépenses fiscales (ou « niches fiscales ») désignent l’ensemble des avantages fiscaux et réductions d’impôt prévu par la loi (taux réduits, règles d’assiette plus favorables, exemptions, réductions d’impôt…). Leur objectif est de favoriser un certain type de comportement de la part des contribuables.
L’annexe au projet de loi de finances pour 2023 recensait 465 dispositions fiscales dérogatoires qui correspondent à une diminution de recettes de l’Etat d’environ 94 milliards d’euros (soit 29,1 % des recettes fiscales nettes de l’Etat).
Les nouvelles règles européennes du programme de stabilité, qui sera adopté d’ici 2024, incitent à un meilleur pilotage des dépenses fiscales.
La Cour des comptes a rédigé une note qui fait partie d’un ensemble de travaux destinés à contribuer à la revue des dépenses initiée par le Gouvernement dans la perspective des lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2024.
Des dépenses fiscales en hausse depuis dix ans
La note de la Cour des comptes montre un accroissement important des dépenses fiscales : elles sont en effet passées de 72,1 milliards d’euros en 2013 à 94,2 milliards d’euros en 2022. Exprimé en pourcentage du PIB, le coût est en revanche resté stable. La note remarque que la suppression progressive du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) à partir de 2019 est globalement neutre pour les finances publiques dans la mesure où ce dispositif a été remplacé par un allègement de cotisations sociales.
La taxe sur la valeur ajoutée (TVA), l’impôt sur le revenu et l’impôt (IR) sur les sociétés (IS) concentrent 90,5 % du montant des dépenses fiscales pour 2022.
Or, la concentration des dépenses fiscales sur quelques impôts nuit fortement à leur rendement ; ainsi, les dispositifs associés à l’impôt sur le revenu représentent plus de 40 % de son rendement net. De même, sans les dépenses fiscales associés à la TICPE (taxer intérieure de consommation sur les produits énergétiques), l’Etat pourrait obtenir 36,8 % de plus de rendement sur cet impôt.
La Cour des comptes déplore le caractère mouvant de la distinction entre dépenses fiscales et autres dispositifs considérés comme relevant du droit commun : ainsi, près de la moitié des taux réduits de TVA ne sont pas considérés (et comptabilisés) comme des dépenses fiscales. Leur impact n’est donc pas mesuré dans le projet de loi de finances (PLF).
Si le coût total des dépenses fiscales est très concentré sur quelques impôts, la France compte tout de même une multitude de dépenses fiscales à faible coût ; en effet, 184 dispositifs représentaient chacun entre 1 et 50 millions pour un coût total de 2,5 milliards d’euros en 2022 selon le PLF 2023. 60 dépenses fiscales ont même un coût nul ou inférieur à 500 000 euros (exonération d’impôt sur le revenu des sommes perçues au titre du prix Nobel ou d’une récompense de même niveau, déduction d’impôt sur les sociétés pour l’acquisition de simulateurs d’apprentissage de la conduite...).
Mieux piloter et mieux évaluer les dépenses fiscales
La note de la Cour des comptes rappelle que les deux dernières lois de programmation des finances publiques (LPFP) pour 2014-2019 et 2018-2022 n’ont pas réussi à contenir l’augmentation des dépenses fiscales alors même qu’elles prévoyaient des mécanismes de plafonnement. Aucune mesure correctrice n’a été adoptée alors que les plafonds du coût total des dépenses fiscales était dépassé.
Le projet de loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027 ne prévoit plus d’encadrement global de l’évolution du coût des dépenses fiscales, mais un système de « gage » qui consiste à conditionner l’adoption d’une nouvelle dépense fiscale à une mesure de suppression ou de réduction d’une autre dépense fiscale d’effet budgétaire équivalent. La Cour des comptes estime ce système insuffisamment ambitieux.
La Cour des comptes rappelle que les dépenses fiscales, n’étant pas considérées comme des dépenses ordinaires, ne se voient pas appliquer les règles prévues par la Lolf (loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances), et notamment celle qui prévoit le rattachement des dépenses fiscales aux programmes budgétaires auxquels sont rattachés un volet « performance ».
Certes, les dépenses fiscales sont retracées en annexe du PLF, et notamment le tome II de l’annexe Voies et moyens qui précise depuis 2021 la finalité visée de chaque dépense fiscale. Pour autant, la Cour constate que pour près de la moitié des missions, cette annexe ne détaille aucun indicateur rendant compte de la performance des dépenses fiscales.
La Cour des comptes déplore en outre qu’aucune évaluation des dépenses fiscales n’ait été réalisée depuis plus de dix ans, même si le précédent exercice de 2011 n’a pas permis la suppression de dispositifs pourtant jugés inefficients.
Lors de l’examen du PLF pour 2020, le Gouvernement a présenté un programme d’évaluation de près de 70 dépenses fiscales à réaliser entre 2020 et 2023. A l’heure actuelle, seules trois évaluations ont été menées en 2020 et 2021. La Cour des comptes appelle à relancer un programme pluriannuel d’évaluation des dépenses fiscales pour parvenir à une revue complète à l’horizon 2027. Selon la Cour, les dépenses fiscales relevant des secteurs du logement, du soutien à l’innovation et à la recherche, l’outre-mer et les taux réduits de TVA devraient être étudiés en priorité.