Lettre de la DAJ - L’exclusion automatique des procédures de passation de marchés de tous les membres d’un groupement en raison de la résiliation d’un marché pour faute du groupement titulaire est incompatible avec la directive 2014/24/UE

Une règlementation ou une pratique nationale qui implique d’exclure automatiquement des futures procédures de passation de marchés publics tous les membres d’un groupement d’opérateurs économiques titulaire d’un marché public qui a été résilié par l’acheteur en raison de graves défaillances est incompatible avec le droit de l’Union.

Le 5 juin 2017, la ville de Vilnius a attribué un marché de travaux relatif à la construction d’un centre de santé polyvalent à un groupement d’opérateurs économiques. Les travaux n’ayant pas été achevés dans le délai prévu et le chef de file du groupement ayant été placé en procédure de faillite, la ville de Vilnius a informé le 22 janvier 2020 les autres membres du groupement de la résiliation du marché en raison d’un manquement substantiel liés aux difficultés d’exécution du marché.

Les autres membres du groupement ont contesté la résiliation du marché ainsi que leur inscription sur la liste des fournisseurs non fiables. Les juridictions de première instance et d’appel ont rejeté le recours de ces membres arguant notamment que le pouvoir adjudicateur n’avait aucun pouvoir d’appréciation lui permettant de ne pas inscrire l’ensemble des membres du groupement sur la liste des fournisseurs non fiables et que ces sociétés pouvaient toujours se réhabiliter afin de participer à d’autres procédures de passation des marchés publics. Saisi d’un pourvoi en cassation, la Cour suprême de Lituanie a confirmé la résiliation du marché mais a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle relative à la légalité de l’inscription automatique sur la liste des fournisseurs non fiables de tout opérateur économique responsable d’un manquement ayant conduit à la résiliation d’un marché public.

La Cour (CJUE, 26 janvier 2023, « HSC Baltic » UAB, aff. C-682/21) rappelle que le g) du paragraphe 4 de l’article 57 de la directive 2014/24/UE permet aux acheteurs d’exclure de la procédure de passation des marchés tout opérateur responsable de défaillances importantes ou persistantes lors de l’exécution d’une obligation essentielle lui incombant dans le cadre d’un précédent marché. Toutefois, les règlementations nationales encadrant les motifs d’exclusion facultatifs sont tenues de respecter le principe de proportionnalité, principe général du droit de l’Union. A cet égard, l’exclusion doit être temporaire (trois années maximum). De plus, sauf s’il a été exclu de toute participation à une procédure de passation de marché par un jugement définitif, l’opérateur économique doit être admis à participer à une telle procédure s’il fournit les preuves attestant qu’il a pris les mesures correctives nécessaires pour démontrer sa fiabilité. Au surplus, l’acheteur doit réaliser une appréciation concrète et individualisée de l’attitude de l’opérateur concerné sur la base de tous les éléments pertinents.

En l’espèce, la Cour relève que les dispositions de l’article 57 de la directive 2014/24/UE et le principe de proportionnalité ne s’opposent pas à l’enregistrement temporaire des noms des opérateurs responsables de défaillances importantes ou persistantes lors de l’exécution d’une obligation essentielle dans le cadre d’un marché antérieur. Cependant, préalablement à l’inscription sur cette liste, un opérateur membre d’un groupement dont le marché a été résilié doit pouvoir soumettre tous les éléments pertinents pour établir que son inscription sur cette liste serait injustifiée au regard de son comportement individuel.

En conséquence, en cas de résiliation du marché, l’inscription d’un opérateur sur une telle liste ne peut être automatique et son comportement doit avoir été, au préalable, « évalué, de manière concrète et individualisée, à la lumière de tous les éléments pertinents ». Si la Cour reconnaît que les règlementations nationales peuvent prévoir une présomption de défaillance importante de la part de l’opérateur responsable de la bonne exécution du marché résilié, cette dernière doit nécessairement être réfragable pour ne pas porter atteinte au principe de proportionnalité car seule la faute individuelle est visée par l’article 57 de la directive 2014/24/UE. En conséquence, chaque membre du groupement doit avoir la possibilité d’établir, avant de se voir inscrit sur la liste des fournisseurs non fiables, « que les défaillances qui ont conduit à la résiliation de ce marché étaient sans rapport avec son comportement individuel » et ne pas figurer sur cette liste si, après une appréciation concrète et individualisée de son comportement, il apparaît qu’il n’est pas responsable des défaillances constatées. A cet égard, les opérateurs membres d’un groupement dont le marché a été résilié peuvent invoquer, afin d’établir que leur inscription sur une liste de fournisseurs non fiables est injustifiée, tout élément, propre à sa situation ou à celle d’un tiers, « tels que le chef de file de ce groupement, susceptible de démontrer qu’il n’est pas à l’origine des défaillances ayant conduit à la résiliation dudit marché et qu’il ne pouvait pas raisonnablement être exigé de lui qu’il fasse plus que ce qu’il a fait pour remédier à ces défaillances » et que ce motif d’exclusion ne peut lui être appliqué.

Enfin, la Cour précise qu’un opérateur qui verrait son nom inscrit sur une telle liste pourrait toujours échapper à l’exclusion de la procédure de passation du marché en démontrant qu’il a adopté des mesures correctives. En effet, conformément à une jurisprudence constante (CJUE, 3 octobre 2019, Delta Antrepriză, aff. C-267/18), les pouvoirs adjudicateurs doivent « laisser la possibilité à l’opérateur économique en cause de fournir des preuves attestant que les mesures correctives que ce dernier a prises suffisent à éviter la réitération de l’irrégularité à l’origine de la résiliation du marché public antérieur et qu’elles sont, partant, de nature à démontrer sa fiabilité malgré l’existence d’une cause facultative d’exclusion pertinente. »