Lettre de la DAJ – Le Conseil d’Etat rappelle la nécessité de justifier le recours à la procédure avec négociation

Pour recourir à la procédure avec négociation, le pouvoir adjudicateur doit démontrer l'existence de circonstances particulières liées à la nature du marché, à sa complexité, ou au montage juridique et financier. Ces circonstances doivent s'apprécier au regard des capacités du pouvoir adjudicateur à passer son marché selon la procédure normale d'appel d'offres.

A la suite d’un précédent appel d'offres déclaré sans suite, les centres hospitaliers d’Ajaccio et de Bastia ont engagé une procédure avec négociation pour la passation d’un accord-cadre ayant pour objet des prestations de transport aérien liées aux évacuations sanitaires de patients hospitalisés en Corse vers le continent. Concurrent évincé, la société Oyonnair a saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Bastia, lequel a prononcé l’annulation de la procédure de passation. Les centres hospitaliers ainsi que la société attributaire, la société Altagna, se sont pourvus en cassation contre l’ordonnance du juge des référés.

S’agissant de la régularité du recours à la procédure avec négociation, le Conseil d’Etat (21 décembre 2022, centres hospitaliers d'Ajaccio et de Bastia, n° 464685) rappelle tout d’abord qu’il résulte des dispositions du 4° de l’article R. 2124-3 du code de la commande publique que cette procédure est subordonnée à l’existence de circonstances particulières liées à la nature du marché, à sa complexité ou au montage juridique et financier.

Il considère à ce titre que ces circonstances particulières « doivent s’apprécier au regard des capacités du pouvoir adjudicateur à passer le marché selon la procédure normale d'appel d'offres ». Par conséquent, le Conseil d’Etat relève en l’espèce « qu’en tenant compte de l'expérience acquise par [les centres hospitaliers] dans le domaine des évacuations sanitaires par voie aérienne », le juge des référés avait considéré à bon droit que le recours à la procédure avec négociation n’était pas suffisamment justifié, au regard du 4° de l’article R. 2124-3. En d’autres termes, l'expertise développée par un pouvoir adjudicateur dans le domaine des prestations concernées est susceptible de fragiliser les arguments invoqués à l’appui du recours à une procédure négociée.

Le Conseil d’Etat écarte par ailleurs comme inopérant le motif selon lequel « la négociation aurait permis l'amélioration des offres et l'émergence de nouvelles solutions par rapport à celles présentées lors d'une procédure précédente », dès lors que « cette circonstance [n’est] pas au nombre des conditions du recours à cette procédure ». Il souligne ainsi le caractère exhaustif de la liste des motifs justifiant le recours à la procédure avec négociation, prévus par l’article R. 2124-3 du code de la commande publique.

Le Conseil d’Etat effectue ensuite une appréciation in concreto des arguments avancés par les centres hospitaliers pour justifier le recours à la procédure avec négociation, en estimant que « les seules circonstances invoquées (…) tirées de certaines particularités techniques des prestations attendues, qui apparaissent largement standardisées, ne permettaient pas de caractériser une complexité justifiant le recours à la procédure négociée sur le fondement des mêmes dispositions ».

Il relève également que les spécifications techniques ont été définies de façon suffisamment précise, en termes de performances ou d'exigences fonctionnelles au sein des documents contractuels, de sorte que le recours à la procédure avec négociation ne pouvait pas davantage être fondé sur le fondement du 5° de l’article R. 2124-3 du code de la commande publique.

Le Conseil d’Etat précise enfin qu’il n’appartient pas au juge des référés précontractuels de relever d’office un autre motif de nature à justifier le recours à la procédure avec négociation en application de l’article R. 2124-3 du code de la commande publique ni, en tout état de cause, de procéder d'office à une telle substitution de motif.

S’agissant ensuite des moyens des requêtes en cassation dirigés contre les motifs de l’ordonnance de première instance relatifs à la lésion qu'est susceptible d'avoir causée à la société Oyonnair l'irrégularité du recours à la procédure avec négociation, le Conseil d’Etat précise que le juge des référés précontractuels ne saurait se fonder sur les résultats d'une procédure distincte - en l’occurrence, selon le pourvoi, le classement du concurrent évincé lors du précédent appel d'offres déclaré sans suites - pour apprécier dans quelle mesure le recours à une autre procédure est susceptible d'avoir lésé le requérant qui se prévaut de son irrégularité. Dans ces conditions, le recours irrégulier à une procédure avec négociation est en soi susceptible d’avoir lésé le concurrent évincé ou risque en lui-même de l’avoir lésé, à moins qu’il ne soit « établi que sans négociation, le classement de l'offre de la société requérante n'aurait pas été différent ». En l’espèce, cette démonstration n’est pas apportée par les requérants.

Après avoir écarté les autres moyens des requêtes en cassation dirigés contre les motifs de l’ordonnance de première instance relatifs à la régularité de l'offre de la société Oyonnair, le Conseil d’Etat rejette au fond les pourvois.