Lettre de la DAJ – L’adaptation du travail au changement climatique est un enjeu capital des prochaines décennies, notamment sur le plan économique (France Stratégie, 2023)

Face à l’urgence climatique et dans le cadre de la préparation du troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), France Stratégie appelle les pouvoirs publics à élaborer une stratégie nationale permettant d’adapter de manière structurelle les conditions et l’organisation du travail aux divers scénarios de réchauffement climatique.

Si les effets du changement climatique sur la santé humaine et la biodiversité sont bien connus, tel est moins le cas de ses conséquences sur les conditions de travail et la santé des travailleurs. Or, des températures élevées peuvent altérer les capacités physiques et cognitives des individus, ce qui peut avoir un impact sur la productivité du travail et donc la croissance économique. Ainsi, cette note d’analyse de France Stratégie (Le travail à l’épreuve du changement climatique, n°123, juin 2023), invite les pouvoirs publics à considérer l’adaptation du travail au changement climatique comme un enjeu capital des prochaines décennies, notamment sur le plan économique.

Les effets du changement climatique sur la santé, les conditions et la productivité du travail

Les trois principales conséquences du changement climatique à l’origine de l’augmentation des risques professionnels sont la hausse des températures, la modification de la fréquence et de l’intensité de certains aléas climatiques et l’évolution de l’environnement biologique et chimique.

La chaleur constitue un risque professionnel. En effet, elle engendre un « stress thermique » qui favorise la fatigue et l’épuisement, diminue certaines capacités comme la concentration et la vigilance ; elle accroit également la nervosité ainsi que les temps de réaction. Ceci a des conséquences sur la réalisation de tâches au travail, sur les relations de travail ainsi que sur les risques d’accidents du travail. De plus, les risques professionnels peuvent être d’autant plus importants lorsque les fortes chaleurs se combinent avec des facteurs « aggravants » à l’instar du port d’équipements de protection individuelle (EPI), du port de charges lourdes, des postures pénibles prolongées ou répétées, d’un état de santé fragile des travailleurs, etc. Par ailleurs, la hausse des températures peut avoir des conséquences sur les outils de production (machines et infrastructures).

Le changement climatique entraîne aussi une augmentation de la fréquence et de l’intensité des évènements climatiques extrêmes ainsi qu’une modification de leur aire géographique. Les feux de forêt sont par exemple plus récurrents et concernent désormais l’ensemble des massifs forestiers de France métropolitaine. Le changement climatique engendre aussi des modifications de l’environnement favorisant la réémergence de pathogènes et de maladies et donc l’exposition des travailleurs aux risques biologiques et chimiques.

Ces conséquences du changement climatique ont un coût économique, puisqu’elles peuvent entraîner une baisse de la productivité du travail et donc ralentir la croissance. Les effets des risques professionnels sur la productivité du travail sont encore mal connus et doivent faire l’objet, selon France Stratégie, d’études complémentaires. Ainsi, la connaissance des impacts du changement climatique sur l’économie n’est pas exhaustive. Toutefois, des études menées au niveau européen ont pu montrer que les vagues de chaleur de 2003, 2010, 2015 et 2018 auraient entraîné une baisse allant de 0,3% à 0,5% du PIB européen. Enfin, les travaux existants convergent sur le seuil de température à partir duquel la productivité baisserait, à savoir 24°C – 26°C.

Cartographie par métier de l’exposition des travailleurs français aux températures élevées

La part des travailleurs exposés à la chaleur est aujourd’hui mal connue ; elle oscillerait entre 14% et 36% selon les sources, soit entre 1,5 million et 9,7 millions de travailleurs. Les professionnels surexposés au réchauffement climatique se concentrent surtout dans les secteurs du bâtiment, de l’agriculture et de l’industrie. Les travailleurs des métiers en extérieur (maraîchers, agriculteurs, ouvriers du bâtiment, etc.) sont particulièrement incommodés par la chaleur tout comme les travailleurs exerçant dans des espaces clos (métallurgie, restauration, etc.) ou effectuant des tâches nécessitant une activité physique intense (fondeurs, soudeurs, boulangers, etc.). A l’inverse, les travailleurs se déclarant moins incommodés par une température élevée exercent principalement des métiers de bureau, de niveau employé ou cadre. Il faut toutefois relever que l’exposition à la chaleur des travailleurs peut également être impactée par leur implantation géographique ainsi que par la spécialisation professionnelle des zones d’emploi. A quelques exceptions près, France stratégie ne constate pas de superposition entre les zones d’emploi appelées à connaître une augmentation marquée de journées anormalement chaudes et celles caractérisées par une surreprésentation des métiers les plus exposés à la chaleur.

Limites des dispositifs réglementaires en matière de prévention

Les politiques publiques actuelles s’attachent davantage à répondre à des crises ponctuelles plutôt qu’à apporter des réponses structurelles à cette problématique. Ainsi, il n’existe pas en France de plan d’adaptation dédié spécifiquement aux risques professionnels liés au changement climatique.

Le code du travail ne fixe pas de température maximale pour autoriser l’arrêt du travail contre les vagues de chaleur. La définition de la canicule n’est pas non plus donnée. C’est à l’employeur d’évaluer les risques liés aux « températures élevées ou extrêmes » et de mettre en œuvre les mesures adéquates pour assurer la protection de ses salariés.

Les dispositifs réglementaires de prévention des risques professionnels peinent à prendre en compte la dimension climatique. La loi Climat & Résilience du 22 août 2021 a élargi les missions du comité social et économique (CSE) en lui conférant des prérogatives en matière d’environnement à travers les processus d’information et de consultation. Toutefois, seules les entreprises d’au moins cinquante salariés sont concernées. Par ailleurs, France Stratégie relève qu’au-delà des mesures de prévention, les dispositifs prévus pour l’indemnisation des travailleurs (notamment dans le secteur du bâtiment et des travaux publics) apparaissent limités en cas d’arrêt de travail en raison de fortes chaleurs.

Depuis 2021, le Plan santé au travail (PST4 2021-2025) intègre pour la première fois les conséquences du changement climatique sur la santé des travailleurs avec une série d’actions dédiées. Toutefois, les questions de santé étant transversales, les plans et stratégies relatifs à l’impact du réchauffement climatique sur la santé des travailleurs demeurent insuffisamment coordonnés et articulés. France Stratégie appelle donc à la mise en place d’un pilotage et d’une gouvernance à l’échelle interministérielle afin d’assurer une la cohérence des différents plans portés par les ministères.