Lettre de la DAJ – La volonté des parties de procéder à une modification substantielle peut être caractérisée même sans accord écrit signé des deux parties

L’absence d’accord écrit des parties ne fait pas échec à la qualification de modification substantielle dès lors que d’autres écrits émanant des parties traduisent leur volonté de procéder à cette modification.

Dans le cadre de deux litiges distincts, la commune de Razgrad et la commune de Balchik, deux pouvoirs adjudicateurs bulgares, ont reçu des corrections financières de l’autorité de gestion de fonds européens structurels d’investissement dont ils bénéficiaient, en raison d’une violation de la loi bulgare sur les marchés publics.

Selon l’autorité de gestion, les pouvoirs adjudicateurs en cause ont opéré une prolongation de l’exécution d’un marché de travaux en raison de circonstances qui auraient pu être anticipées par un acheteur diligent et qui constituait donc une modification illicite des conditions initiales du marché.

Les deux communes ont contesté cette décision devant le tribunal administratif de Dobrich qui jugé que la modification d’un marché public ne peut intervenir que par le biais d’un accord écrit et qu’en l’absence d’un tel document, la prolongation imprévue du marché doit s’analyser comme une exécution non conforme du contrat et non pas comme une modification substantielle du marché.

La cour administrative suprême de Bulgarie, saisie d’un pourvoi en cassation par l’autorité de gestion, a adressé à la Cour des questions préjudicielles relatives au caractère indispensable d’un accord écrit permettant d’identifier l’existence d’une modification substantielle et à l’interprétation des « circonstances qu’un pouvoir adjudicateur diligent ne pouvait pas prévoir » permettant, si l’ensemble des conditions fixées au point c) de l’article 72 de la directive 2014/24 sont réunies, de procéder à la modification d’un marché en cours d’exécution.

La Cour relève que si l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2014/24 définit le marché public comme un contrat conclu par écrit, l’article 72 de la directive 2014/24 relatif aux modifications des marchés ne prévoit pas qu’une modification ne pourrait être qualifiée de substantielle que si elle fait l’objet d’un accord écrit portant modification du contrat, ni que cette volonté de modification ne pourrait pas se déduire d’autres documents écrits. Elle rappelle que, par principe, une modification substantielle revêt un caractère consensuel[1], mais que l’intention des parties de renégocier les conditions du contrat peut être attestée par d’autres éléments écrits qui ne portent pas expressément sur la modification envisagée. Ainsi, la constatation d’une modification substantielle n’est pas subordonnée à l’existence d’un accord écrit portant sur cette modification.

En outre, la Cour précise que les circonstances imprévisibles pouvant justifier la modification du marché doivent s’apprécier par le pouvoir adjudicateur « compte tenu des moyens à sa disposition, de la nature et des caractéristiques du projet particulier, des bonnes pratiques du secteur et de la nécessité de mettre en adéquation les ressources consacrées à la préparation de l’attribution du marché et la valeur prévisible de celui-ci ». En l’espèce, les conditions météorologiques et les interdictions réglementaires d’exécution des travaux ne sauraient être regardées comme des circonstances imprévisibles justifiant une modification du marché en cours d’exécution, car elles constituent au contraire des évènements prévisibles dès la préparation des documents du marché pour un pouvoir adjudicateur diligent.