L’article 15 de la directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur s’oppose à une règlementation nationale réservant la fourniture de cours de sensibilisation et de rééducation routière à un seul concessionnaire de service public si cette règlementation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt général poursuivi.
La direction générale de la circulation a lancé une procédure en vue de l’attribution d’un contrat de concession de service public relatif à la gestion de cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points sur le permis de conduire. Le besoin était alloti en cinq lots géographiques devant chacun être attribué à un unique concessionnaire fournissant le service à titre exclusif.
Saisi d’un recours administratif contentieux par une association de défense des intérêts des autoécoles contre cet appel d’offres au motif que ces concessions étaient contraire à la libre prestation de service, le juge espagnol a annulé la passation de ces contrats. A la suite d’un pourvoi en cassation de la direction générale de la circulation, la Cour suprême a saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle relative à la compatibilité entre la directive 2006/123/CE et la libre prestation de services et d’établissement, d’une part, et l’attribution de cours de sensibilisation et de rééducation routière au moyen d’une concession de service public conclue antérieurement à l’entrée en vigueur en droit espagnol de la directive 2014/23/UE, d’autre part.
La Cour (CJUE, 19 janvier 2023, Confederación Nacional de Autoescuelas (CNAE), aff. C-292/21) s’est d’abord assurée que les cours en cause relevaient bien du champ d’application matériel de la directive 2006/123/CE et que les dispositions de la directive 2014/23/UE étaient inapplicables au litige dès lors que le 3 de l’article 9 de la directive 2006/123/CE prévoit que ses dispositions relatives aux régimes d’autorisation ne s’appliquent pas aux aspects des régimes d’autorisation qui sont régis directement ou indirectement par d’autres instructions communautaires. Elle a ensuite examiné la compatibilité de la règlementation nationale en cause avec l’article 15 de la directive 2006/123/CE.
Le juge européen relève qu’un seul concessionnaire est autorisé à fournir les cours dans chacune des cinq zones géographiques et exerce donc un contrôle exclusif sur la zone. De telles limites quantitatives ou territoriales à l’exercice d’une activité de service restreignent le nombre d’opérateurs autorisés à fournir ces services et doivent nécessairement être non discriminatoires, nécessaires et proportionnées.
En l’espèce, la Cour souligne que la règlementation nationale en cause s’applique sans discrimination à l’ensemble des prestataires souhaitant fournir le service et que cette mesure, qui vise à améliorer la sécurité routière, constitue bien une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier des restrictions à la liberté d’établissement.
Par suite, le juge européen vérifie que la mesure nationale restreignant la liberté d’établissement soit propre à garantir la réalisation de l’objectif d’intérêt général et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Si la Cour ne remet pas en question l’atteinte de l’objectif poursuivi par la mesure, qui tend à garantir l’accès des conducteurs à ces formations sur l’ensemble du territoire, elle ne peut que constater l’importante restriction à la liberté d’établissement induite par le fait qu’un unique prestataire soit retenu pour chacune des cinq zones. La Cour conclut donc qu’il semble exister des mesures moins contraignantes permettant également d’atteindre l’objectif poursuivi, notamment que cet objectif pourrait également être atteint par un régime d’autorisation administrative plus large plutôt que par une concession de service public.
Enfin, si les cours en cause étaient rattachables à une mission de service d’intérêt général (SIEG), sa compatibilité avec le droit de l’Union européenne devrait être appréciée au regard du paragraphe 4 de l’article 15 de la directive 2006/123/CE. Ce dernier prévoit que les paragraphes 1 à 3 du même article ne s’appliquent que s’ils ne font pas échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui a été confiée. Le paragraphe 4 « ne s’oppose pas à ce qu’une mesure nationale impose une limitation territoriale, pour autant que cette limitation soit nécessaire à l’exercice de la mission particulière des prestataires du service d’intérêt économique général en cause dans des conditions économiquement viables et proportionnée à cet exercice ». La Cour note néanmoins qu’un allotissement géographique pour de plus nombreuses zones pourrait contribuer à faciliter la prestation des services dans les zones moins attractives. Elle laisse toutefois à la juridiction de renvoi le soin d’apprécier si, au regard des obligations de service public imposées aux concessionnaires, une telle division territoriale permettrait un développement de l’offre du service public concerné dans des conditions économiquement viables.