Lettre de la DAJ – La Cour des comptes appelle à accélérer les transformations dans l’organisation des soins

Selon la Cour des comptes, l’insuffisante structuration de l’offre de soins, conjuguée à une pénurie de médecins généralistes, ne permet pas de réduire les inégalités d’accès aux soins, n’est plus soutenable financièrement et ne permet pas une prise en charge de qualité.

En France, les dépenses de santé représentent environ 12% du PIB. En 2022, les dépenses de soins de ville constituaient le premier poste des dépenses d’assurance maladie, soit 43% (107,6 milliards d’euros), devant l’hôpital (98,4 milliards d’euros). Elles sont constituées des honoraires médicaux et paramédicaux, des produits de santé (médicaments et dispositifs médicaux), des indemnités journalières, des actes de biologie médicale et des transports sanitaires.

La Cour des comptes revient, dans cette note thématique[1], sur les soins de ville qui constituent un enjeu important pour la maîtrise des dépenses publiques alors même qu’il n’existe pas d’outil de régulation financière infra-annuelle permettant d’assurer le respect de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). L’enveloppe prévisionnelle annuelle des dépenses de soins de villes est donc régulièrement dépassée. Ce fut le cas en 2022, à hauteur de plus de 5 milliards d’euros. Par ailleurs, le modèle d’organisation des soins de ville, basé sur la liberté d’installation et de prescription du professionnel de santé ainsi que sur la liberté de choix du professionnel de santé par le patient, a montré ses limites, tant sur le plan économique (caractère inflationniste des paiements à l’acte) que sanitaire (accès aux soins et résultats en matière de santé publique).

Des dépenses de soins de ville insuffisamment pilotées

Le secteur des soins de ville dispose de très peu de mécanismes de maîtrise infra-annuelle des dépenses comparables à ce qui existe dans les hôpitaux. Ceci s’explique notamment par le fait qu’au sein de ce secteur, la nature des dépenses est variée et chacune obéit à un mode de régulation particulier.

Graphique n°1

Cette note n’aborde que la part de la dépense consacrée aux soins de ville à la charge de l’assurance maladie obligatoire, contrôlée par les pouvoirs publics. Cette dernière assure presque 68% du financement des soins de ville, ce qui est bien moins que pour les soins hospitaliers (93% environ). La place des organismes complémentaires est donc importante en France.

Les pouvoirs publics fixent annuellement un objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). En mettant à part les effets de la crise de covid-19, la Cour observe une tendance à la hausse des dépassements de l’Ondam pour les dépenses de soins de ville. A titre d’exemple, sur les 5,1 milliards d’euros d’augmentation des dépenses de soins de ville en 2022, 1,6 milliard est imputable, non pas à la pandémie, mais aux revalorisations de rémunérations des professionnels de santé ainsi qu’à une augmentation de l’activité des infirmiers et des pharmaciens, une progression significative des dépenses de médicaments et une hausse des dépenses d’indemnités journalières pour maladie ordinaire.

Le principal outil de régulation pluriannuelle des dépenses de soins de ville correspond aux négociations conventionnelles avec les différentes catégories de professionnels de santé, lesquelles permettent de définir les principaux tarifs des actes et consultations. Selon la Cour, ces conventions, conclues entre l’assurance maladie et les syndicats, montrent certaines limites notamment en matière de maîtrise des rémunérations. De plus, les conséquences financières des mesures conventionnelles sont trop souvent constatées a posteriori, ce qui ne favorise par leur maîtrise.

Une action inaboutie contre les inégalités d’accès et une organisation insuffisamment efficace des soins de ville

Bien que le nombre global de professionnels de santé ait fortement augmenté au cours de la dernière décennie, le nombre médecins à exercice libéral exclusif a quant à lui diminué entre 2012 et 2022 (de l’ordre de 10%) au profit notamment d’un exercice mixte ou salarié dans un établissement de santé.

Il persiste des disparités géographiques majeures dans la répartition des professionnels de santé. Les 10% de la population les moins bien dotés ont un accès aux médecins généralistes 3,7 fois plus faible que les 10% de la population les mieux dotés. Ce ratio est encore plus important en ce qui concerne les sage-femmes, infirmières ou masseurs-kinésithérapeutes. Les politiques de zonages, définies dans le cadre de chaque convention, visent pourtant à améliorer la répartition des professionnels de santé sur le territoire, à travers, par exemple, le versement d’aides à l’installation dans les zones moins bien dotées.

L’accès aux soins est également limité par les barrières tarifaires que constituent les dépassements d’honoraires. Ces derniers ne pèsent pas, en tant que tel, sur les dépenses d’assurance maladie, mais sur les assurés qui en supportent la charge, ce qui peut renforcer la renonciation aux soins.

Par ailleurs, l’augmentation globale du nombre de médecins occulte la baisse du nombre de généralistes libéraux, laquelle est pour partie liée à la mise en place d’un numerus clausus en 1972. La substitution d’un numerus apertus en 2020 ne résoudra ce problème de baisse des effectifs qu’après 2030. Ce constat met à mal le dispositif du médecin traitant érigé en 2005 et qui est au cœur du parcours de soins et de la médecine de ville.

Un changement d’échelle pour améliorer la qualité et l’efficience des dépenses

La Cour appelle à accélérer les transformations dans l’organisation des soins. Il s’agit d’assurer le virage numérique en santé, de conforter la couverture du territoire par les professionnels de santé, de renforcer la prévention, la qualité et la coordination des soins par la mise en œuvre de nouveaux modes de rémunération. Elle appelle également à une meilleure maîtrise des dépenses en contrôlant mieux les facturations et en luttant plus intensément contre la fraude. La maitrise des dépenses nécessite enfin que soient mises en cohérence les négociations avec les professionnels de santé et les ressources financières disponibles, dans une perspective pluriannuelle.

  • Accélérer la réorganisation des soins de ville pour une meilleure prise en charge des patients.

Le virage numérique de la santé passe notamment par une réhabilitation du dossier médical partagé dont la mise en œuvre est inaboutie depuis près de 20 ans. La Cour considère ainsi que sa création automatique en l’absence d’opposition de l’assuré constitue une avancée intéressante. Elle s’est également penchée sur la télésanté qui, selon elle, doit être mise au service d’une coordination des soins effective, ainsi que sur la dématérialisation des prescriptions.

La Cour souligne que la classification commune des actes médicaux (CCAM) et la nomenclature générale des actes médicaux (NGAP), qui définissent les tarifs, ne sont pas actualisées de façon suffisamment régulière. Cela conduit à des lenteurs dans l’intégration de pathologies complexes et d’innovations techniques dans ces documents.

Le conventionnement, et donc la possibilité de cibler les aides attribuées aux professionnels de santé sur les populations et les territoires moins bien pourvus, est un outil devant, selon la Cour, être mobilisé pour favoriser la bonne répartition de l’offre de soins sur le territoire.

  • Renforcer les incitations à la qualité

La Cour des comptes considère que la coopération entre professionnels de santé ou entre secteurs (ville, hôpital, établissements médico-sociaux) est généralement freinée par des questions de rémunération. Des expérimentations de financements alternatifs à la tarification à l’acte sont actuellement en cours et devront faire l’objet d’évaluations. Il s’agit par exemple du financement à l’épisode de soins, partagé entre la ville et l’hôpital, ou de la rémunération d’une structure de soins de ville, comme une maison de santé, pour une patientèle donnée, en fonction notamment de la qualité de la prise en charge. Par ailleurs, elle précise qu’une attention toute particulière doit être accordée à la juste rémunération des professionnels de santé dotés de compétences techniques supérieures.

  • Assurer un meilleur pilotage de la dépense

Cette amélioration du pilotage passe tout d’abord par un renforcement des contrôles des facturations effectués par le Cnam ainsi que par une intensification de la lutte contre la fraude.

La Cour préconise la réalisation d’un suivi et d’un bilan annuel des dépenses de prévention, incluant l’évaluation des économies induites, retranscrits dans un document de politique transversale, ce qui permettrait de donner plus de poids et de reconnaissance à cette ligne d’actions.

Enfin, pour la Cour des comptes, l’association des représentants des organismes d’assurance complémentaire aux négociations permettrait enfin de tirer les conséquences d’un partage effectif des compétences de financement du système de soins. La participation des représentants des usagers assurerait une plus grande transparence du dispositif.

 

[1] Cour des comptes, Accélérer la réorganisation des soins de ville pour en garantir la qualité et maîtriser la dépense, juillet 2023