La question de l’appropriation des outils numériques par la population a été intégrée tardivement aux politiques publiques du numérique. L’étude de l’illectronisme par l’INSEE révèle l’existence de fortes disparités entre les territoires ainsi que des causes plurielles.
Dans un contexte où le numérique occupe une place croissante dans notre société, tant du fait de la dématérialisation croissante des services aux particuliers que par la progression des besoins numériques liés notamment au télétravail, aux loisirs et au commerce en ligne, l’INSEE revient sur le phénomène de l’illectronisme (INSEE Analyses, n°85, Juin 2023).
L’illectronisme est une notion duale : il correspond à la fois à des situations d'exclusion numérique par la compétence (incapacité, totale ou partielle, à faire) et à des situations d'exclusion numérique matérielle (incapacité ou impossibilité d'accès aux outils permettant la connexion).
En 2019, plus d’une personne sur dix (12%) n’avait pas accès à l’internet à domicile ; c’est une personne de 75 ans ou plus sur deux. Par ailleurs, 16% des personnes de 15 ans ou plus sont en situation d’illectronisme, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas utilisé l’internet au cours des douze derniers mois ou n’ont pas les compétences numériques de base.
Le taux d’illectronisme dans les communes de France métropolitaine hors influence urbaine est supérieur de 6 points à la moyenne nationale. Plus les aires d’attraction urbaines[1] sont réduites, plus les habitants sont touchés par l’illectronisme. Ceci s’explique principalement par le fait que les pôles des grandes aires d’attraction des villes concentrent des pôles économiques et universitaires majeurs ainsi qu’une proportion plus importante de population jeune et diplômée que les petites aires. Or, les facteurs socio-économiques (âge, position d’activité, situation familiale, niveau de vie, niveau d’études notamment) déterminent les capacités à faire usage du numérique et de l’internet. A titre d’exemple, l’illectronisme touche 44% des personnes sans diplômes contre 16% des titulaires d’un BEP-CAP et 4% des diplômés du supérieur.
Au sein même des aires d’attraction des villes, des disparités peuvent exister. Ainsi, les taux d’illectronisme sont structurellement plus élevés dans les pôles urbains[2] que dans les couronnes[3] péri-urbaines. Moins les aires sont peuplées, plus les écarts peuvent être significatifs. Le taux d’illectronisme atteint ainsi 24% dans les pôles urbains contre 17% dans les couronnes. Ceci s’explique par le fait que la population des pôles est structurellement plus jeune mais aussi plus pauvre que dans les couronnes. Il est à noter que plus l’aire d’attraction des villes augmente, plus les différences entre pôles et couronnes s’estompent. L’INSEE précise que les intercommunalités les moins peuplées seraient davantage concernées par l’illectronisme. Le taux d’illectronisme des intercommunalités de moins de 20 000 habitants est de l’ordre de 20%. Ces dernières sont principalement situées dans la « diagonale des faibles densités » de population allant des Ardennes au sud du Massif central. Les intercommunalités les plus peuplées, qui sont généralement celles qui abritent les capitales régionales, ont quant à elles un taux d’illectronisme de l’ordre de 13%.
Enfin, le taux d’illectronisme est plus élevé dans les régions aux populations plus âgées. Ainsi, en Bourgogne-Franche-Comté et en Centre-Val de Loire, la part de personnes exposées au risque d’illectronisme est de 19 %, soit 3 points de plus que la moyenne en France métropolitaine. Dans ces deux régions, la part des personnes de 60 ans ou plus dans la population atteint 35 %, soit 4 points de plus que dans le reste du pays. À l’inverse, les régions Île-de-France, Pays-de-la-Loire, Auvergne-Rhône-Alpes et Bretagne seraient davantage préservées de l’illectronisme grâce à leur population plus jeune. Pour autant, avoir une population âgée ne conduit pas nécessairement à un taux d’illectronisme plus élevé. Tel est le cas de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur qui a la part de personnes âgées de 75 ans ou plus la plus élevée de France mais un taux d’illectronisme proche de la moyenne nationale. Ceci résulte notamment de la présence d’une proportion plus importante d’habitants de 60 ans et plus qualifiés comparativement à ce qui prévaut dans le reste du pays. La situation inverse est présente en Normandie et dans les Hauts-de-France (population jeune et taux d’illectronisme élevé).
La question de l’appropriation des outils numériques par la population a été intégrée tardivement aux politiques publiques du numérique. C’est avec la Stratégie nationale pour un numérique plus inclusif, initiée en 2018 et renforcée en 2020 par le plan de relance mis en place après l’épidémie de Covid-19, qu’un accompagnement des personnes en difficulté avec les outils numériques s’est mis en place. En sus de cette politique qui s’inscrit dans les territoires, l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme déploie depuis 2022 une démarche pour maitriser les compétences numériques de base.
[1] L’aire d’attraction d’une ville correspond à l’étendue de son influence sur les communes environnantes.
[2] Le pôle urbain est une unité urbaine offrant au moins 10 000 emplois et qui n'est pas située dans la couronne d'un autre pôle urbain. On distingue également des moyens pôles - unités urbaines de 5 000 à 10 000 emplois et les petits pôles - unités urbaines de 1 500 à moins de 5 000 emplois.
[3] La couronne recouvre l'ensemble des communes de l'aire urbaine à l'exclusion de son pôle urbain. Ce sont des communes ou unités urbaines, dont au moins 40 % des actifs résidents travaillent dans le pôle ou dans les communes attirées par celui-ci.