Lettre de la DAJ – La CJUE précise les conditions dans lesquelles un marché public peut être modifié en cours d’exécution

La Cour de justice de l’Union européenne précise qu’une modification substantielle peut, outre un accord écrit entre les parties, se déduire d’une volonté commune de procéder à la modification en cause avec d’autres éléments écrits. Par ailleurs, elle juge que les conditions météorologiques ne permettent pas de justifier qu’un marché public puisse être modifié sans nouvelle procédure de passation.

CJUE, 7 décembre 2023, Zamestnik-ministar c/ Obshtina Razgrad, Aff. C-441/22 C-443/22

A l’occasion de questions préjudicielles posées par la cour administrative suprême de Bulgarie dans le cadre de deux affaires distinctes, et jointes en une même décision par la Cour, le juge européen vient préciser les conditions dans lesquelles les marchés publics peuvent être modifiés en cours d’exécution en application de l’article 72 de la directive 2014/24.

Dans les deux affaires, des communes bulgares ont conclu des marchés publics de travaux dans le cadre de projets financés par les fonds européens structurels et d’investissement (« fonds ESI »). Or, en raison notamment de conditions météorologiques défavorables, les travaux ont été achevés avec retard sans que les pouvoirs adjudicateurs n’appliquent de pénalités ou demandent des indemnités. Estimant que le dépassement de la durée d’exécution prévue au contrat était constitutif d’une modification illicite des conditions des marchés en cause, l’autorité de gestion des programmes d’investissement a alors appliqué aux deux communes une correction financière de 25 % sur les dépenses éligibles au titre des fonds européens.

Dans le cadre des contentieux initiés par les communes pour contester ces décisions, la cour administrative suprême de Bulgarie interroge la CJUE pour savoir d’une part, si une modification substantielle du marché public requiert un accord écrit ou si elle peut également être déduite des agissements conjoints des parties et, d’autre part, si les « circonstances qu’un pouvoir adjudicateur diligent ne pouvait pas prévoir », au sens de la directive, comprennent uniquement celles survenues après l’attribution du marché en question et si, même dans le cas où des conditions météorologiques habituelles devaient être considérées comme prévisibles, elles constitueraient néanmoins une justification objective de l’exécution du contrat au-delà du délai fixé dans les documents du marché.

En premier lieu, la Cour rappelle que les principes cardinaux de transparence des procédures et d’égalité de traitement des soumissionnaires font obstacle à ce que, après l’attribution d’un marché public, le pouvoir adjudicateur et l’adjudicataire apportent aux dispositions de ce marché des modifications telles que ces dispositions présenteraient des caractéristiques substantiellement différentes de celles du marché initial. Pour la Cour, l’identification d’une « modification substantielle » ne saurait dépendre de l’existence d’un accord écrit signé par les parties dont l’objet est une telle modification. En effet, si tel était le cas, l’exigence d’un tel accord écrit faciliterait le contournement des règles relatives à la modification de marchés en cours, en permettant aux parties au contrat de modifier, à leur gré, les conditions d’exécution de ce contrat, alors que ces conditions auraient été énoncées de manière transparente dans les documents de la consultation et étaient censées s’appliquer de manière égale à tous les soumissionnaires potentiels afin de garantir une concurrence équitable et non faussée sur le marché. La Cour en déduit que les modifications apportées au contrat sont considérées comme substantielles lorsqu’elles « attestent l’intention des parties de renégocier les conditions essentielles du marché » et que cette intention peut être révélée sous d’autres formes qu’un accord écrit portant expressément sur la modification concernée, notamment par des éléments écrits établis au cours de communications entre les parties.

En second lieu, la Cour rappelle que, s’il est possible de modifier un marché sans nouvelle procédure de passation lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’un pouvoir adjudicateur diligent ne pouvait pas prévoir, ces circonstances doivent être extérieures, en ce que le pouvoir adjudicateur, bien qu’ayant fait preuve d’une diligence raisonnable lors de la préparation du marché initial, ne pouvait prévoir au moment de l’attribution compte tenu des moyens à sa disposition, de la nature et des caractéristiques du projet particulier, des bonnes pratiques du secteur et de la nécessité de mettre en adéquation les ressources consacrées à la préparation de l’attribution du marché, ainsi que la valeur prévisible de celui-ci. Il s’ensuit que des conditions météorologiques habituelles ne sauraient être considérées comme des circonstances qu’un pouvoir adjudicateur diligent ne pouvait pas prévoir et ne sauraient justifier le dépassement du délai clair d’exécution des travaux fixé dans les documents du marché.

En revanche, lorsqu’il existe des circonstances qui sont prévisibles par un pouvoir adjudicateur diligent, celui-ci peut se prévaloir de la possibilité de prévoir expressément dans les documents du marché des clauses de réexamen en vertu desquelles les conditions d’exécution de ce contrat pourront être adaptées en cas de survenance de telle ou telle circonstance spécifique, ce qui permet d’apporter des modifications qui autrement nécessiteraient une nouvelle procédure de passation de marché au titre de l’article 72 précité. En prévoyant explicitement la faculté de modifier ces conditions et en fixant les modalités d’application de celle-ci dans lesdits documents, le pouvoir adjudicateur garantit que tous les opérateurs économiques qui souhaitent participer audit marché en aient connaissance dès le départ et soient ainsi sur un pied d’égalité au moment de formuler leur offre.