Lettre de la DAJ – La Cour administrative d’appel de Paris apporte des précisions sur le caractère inacceptable d’une offre dans le cadre d’une procédure de passation d’un accord-cadre

La fixation des crédits budgétaires alloués à l’accord-cadre à un montant inférieur au maximum de ce dernier est sans incidence sur la régularité de l’élimination d’une offre comme inacceptable

Par un arrêt du 18 avril 2023, Société Actor France, n° 21PA02213, la Cour d’appel administrative (CAA) de Paris a fait application des dispositions de l’article 59 du décret n° 2016-360 modifié du 25 mars 2016, désormais codifiées à l’article R. 2152-1 du code de la commande publique, relatives aux offres inacceptables.

En l’espèce, la Ville de Paris a conclu un accord-cadre à bons de commande dont les montants minimum et maximum sont, respectivement, fixés à 1 000 000 euros et 3 500 000 euros. Préalablement au lancement de la procédure, la ville de Paris a précisé, dans le cadre d’une fiche « stratégie achat », que les crédits budgétaires alloués (hors taxe) pour ce marché étaient de 2 500 000 euros.

Soumissionnaire à l’attribution de ce contrat, la société Actor France a vu son offre rejetée comme inacceptable au motif qu'elle excédait les crédits budgétaires alloués au marché. La société Actor France a contesté le rejet de son offre par un recours au fond en contestation de la validité du contrat signé par la Ville de Paris introduit devant le tribunal administratif (TA) de Paris qui a rejeté sa requête. Saisie en appel par la société Actor France, la CAA de Paris a confirmé le jugement du TA de Paris.

Par cet arrêt, la Cour applique la jurisprudence administrative la plus constante en matière de traitement des offres inacceptables tout en précisant les conditions dans lesquelles sont appréciées le caractère inacceptable d’une offre et les modalités de preuve associées à la disponibilité des crédits budgétaires alloués.

La fixation d’un montant maximum dans un accord-cadre est sans incidence sur l’appréciation du caractère inacceptable d’une offre

Une offre ne peut être qualifiée d’inacceptable qu’à la condition que l’acheteur n’ait pas les moyens de la financer au regard des crédits budgétaires alloués, identifiés après évaluation du besoin à satisfaire, avant le lancement de la procédure de passation et qu’il soit en mesure de prouver une telle incapacité de financement.

Dès lors que les crédits budgétaires alloués, par l’acheteur, lui donne la possibilité d’accepter l’offre, celle-ci ne peut être rejetée comme inacceptable et ce, quand bien même son prix serait largement supérieur à l’estimation des services[1].

Le caractère inacceptable de l’offre est ainsi directement lié à la capacité, pour l’acheteur, de prouver que l’offre dépasse les crédits budgétaires alloués pour financer son projet d’achat. En conséquence, un soumissionnaire évincé peut utilement se prévaloir, afin de contester le caractère inacceptable de son offre, de la circonstance que l’acheteur ne démontre pas être dans l’incapacité de la financer.

Dans ce cadre, la CAA de Paris relève que c’est à bon droit que les juges de première instance ont estimé que la Ville de Paris a, en application de l’article 59 du décret n° 2016-360 modifié du 25 mars 2016 applicable au litige, régulièrement écarté comme inacceptable l’offre de la requérante dès lors que son offre était supérieure aux crédits budgétaires alloués au marché tels qu’identifiés dans la « fiche stratégie d’achat » élaborée par la Ville de Paris le 16 novembre 2018, avant le lancement de la procédure de passation de l’appel d’offres ouvert litigieuse.

Il résulte, en substance, des motifs de l’arrêt que la circonstance que le montant de l’offre présentée par la société Actor France soit inférieur au montant maximal de l’accord-cadre à bons de commande, fixé à 3 500 000 euros HT, ne peut conduire à considérer qu’elle a été irrégulièrement écartée comme inacceptable « dès lors que l’acheteur n’était pas tenu de commander le montant maximum du marché mais seulement le montant minimum ».

En effet, dans l’hypothèse d’un accord-cadre assorti d’un montant maximum, comme en l’espèce, ce dernier constitue uniquement la limite supérieure des obligations contractuelles tant de l’acheteur que du ou des titulaires de l’accord-cadre lequel prend fin, de plein droit, dès lors que le montant maximum est atteint et ce, quand bien même sa durée de validité ne serait pas encore expirée.

En revanche, il semble ressortir d’une lecture a contrario de cet arrêt que la fixation des crédits budgétaires alloués à l’accord-cadre à un montant inférieur au minimum de ce dernier ne serait pas de nature à justifier le rejet d’une offre comme inacceptable dès lors que l’acheteur s’est engagé à commander au titulaire du contrat des prestations à hauteur de ce minimum en valeur ou en quantité, ce qui serait de nature à remettre en cause la réalité et la sincérité de la fixation des crédits budgétaires alloués au contrat.

Il résulte par ailleurs de l’arrêt du 18 avril 2023 que le caractère inacceptable d’une offre peut être prouvé par tout type de document interne décisoire édicté préalablement au lancement de la procédure de passation et actant la disponibilité et le niveau des crédits alloués au contrat.

A contrario, une simple estimation du montant du marché, alors même qu’elle serait établie avant le lancement de la procédure, ne constitue pas, en l’occurrence, une démonstration probante de l’impossibilité, pour l’acheteur, de financer son projet d’achat[2]. De même, l’absence de délibération portant sur le montant des crédits alloués, qui est  nécessaire au déclenchement de l’achat, est, en soi, la preuve de l’indisponibilité des crédits alloués pour financer le projet d’achat à raison du montant de l’offre proposée par la société retenue, ce qui est de nature à entraîner, par elle-même, le rejet de l’offre de l’attributaire comme inacceptable[3].

La non-communication aux candidats du montant des crédits budgétaires alloués est également sans incidence sur l’appréciation du caractère inacceptable d’une offre

La CAA de Paris rappelle également que c’est à juste titre que le TA de Paris a rejeté le moyen de la requérante tiré de ce que la Ville de Paris se serait illégalement abstenue de communiquer aux candidats une information sur les crédits budgétaires disponibles pour l’exécution du marché.

Après avoir écarté les autres moyens de la requérante comme étant inopérants dès lors qu’ils ne sont pas en lien avec son éviction, la CAA de Paris rejette l’appel de la société Actor France.