Lettre de la DAJ – Avis du Conseil d’Etat sur les congés payés en cas de maladie

Le Conseil d’État a été saisi par le Premier ministre d’une demande d’avis portant sur la mise en conformité avec le droit de l’Union européenne des dispositions du code du travail en matière d’acquisition de congés pendant les périodes d’arrêt maladie. Le Conseil d’État a rendu son avis le 13 mars 2024, conduisant le gouvernement à déposer un amendement au projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en cours de discussion au Parlement.

Selon l’article L. 3141-5 du code du travail, les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, prises dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, sont prises en compte pour l’acquisition de droit à congés payés.

En revanche, les périodes pendant lesquelles le contrat est suspendu pour cause d’accident ou maladie sans caractère professionnel ne donnent pas lieu à acquisition de droits à congés.

Ces dispositions ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), qui exige que les salariés bénéficient de quatre semaines de congés payés au titre d’une année de travail, même s’ils ont connu, au cours de cette année, des périodes d’arrêt maladie non imputables à leur activité professionnelle. Plusieurs décisions récentes de la Cour de cassation mettent en exergue cette non-conformité du droit français avec le droit européen.

Aussi, pour mettre en conformité le droit du travail avec le droit de l’Union européenne, le gouvernement a sollicité l’avis du Conseil d’Etat au projet de loi portant de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (DDADUE) en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, examiné en première lecture à l’Assemblée nationale en mars 2024 après avoir été adopté par le Sénat en décembre 2023.

Dans son avis du 13 mars 2024, le Conseil d’Etat a rappelé que les normes européennes et internationales garantissent un droit à congé annuel payé de quatre semaines et que selon la Cour de justice de l’Union européenne,  (voir son arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez (C-282/10)),  l’article 7 de la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ne fait pas obstacle « à une disposition nationale prévoyant, selon l’origine de l’absence du travailleur en congé de maladie, une durée de congé payé annuel supérieure ou égale à la période minimale de quatre semaines garantie par cette directive ». 

Le Conseil d’Etat estime que le législateur n’est pas tenu, pour assurer la conformité de la loi française à la Constitution et au droit de l’Union européenne, de conférer aux périodes d’absence pour maladie non imputable à l’activité professionnelle le même effet d’acquisition de droits à congés que les périodes de travail effectif ou les périodes de suspension du contrat de travail liées à un accident du travail ou une maladie professionnelle. Seule s’impose à lui l’obligation de garantir que les dispositions relatives aux absences en raison d’une maladie non-professionnelle n’ont pas, faute de permettre l’acquisition de droits à congés, pour conséquence de priver un salarié d’au moins quatre semaines de congés annuels.

Le Conseil d’Etat considère que le dispositif de calcul des droits à congés acquis au cours d’une période d’absence pour maladie non-professionnelle, ne peut être appliqué pour le passé sans être encadré : le calcul des droits à congés non définitivement acquis résultant d’absences pour maladies non-professionnelles survenues lors de périodes de référence doit permettre d’atteindre vingt-quatre jours sans pouvoir le dépasser.

S’agissant du droit au report de congé acquis avant ou pendant un arrêt maladie, le Conseil d’Etat évoque l’abondante jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne relative à « l’exercice effectif » de son droit à congé par le salarié, lorsque, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, ce congé n’a pu être pris

  1.  ni au cours de la « période de référence » correspondant à la période d’acquisition des droits et de leur utilisation normale,
  2. ni, lorsque la législation nationale le prévoit, lors d’une « période de report » débutant à l’issue de la période de référence.

Une période de report d’exercice de ces droits à congés non utilisés doit être prévue, dans des conditions garantissant que l’employeur met le salarié « en mesure d’exercer de manière effective son droit à congé ».

La période de report est de 15 mois et le début de cette période de report doit être postérieur à la date de la reprise du travail, ainsi qu’à celle à laquelle l’employeur aura, après son retour, informé le salarié des droits à congés dont il dispose et du délai dans lequel ces congés doivent être pris.

Le Conseil d’Etat a redit que les actions en paiement d’indemnités compensatrices de congés payés se prescrivent par trois ans et a observé que la Cour de justice de l’Union européenne admet au titre de dispositions transitoires d’adaptation au droit de l’Union des délais de prescription ou de forclusion à compter de l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions législatives.

Le gouvernement a déposé un amendement qui assure donc la mise en conformité du droit du travail français avec le droit de l'Union européenne, en prévoyant que les salariés dont le contrat est suspendu par un arrêt de travail continuent d’acquérir des droits à congés quelle que soit la cause de cet arrêt (professionnelle ou non professionnelle). Les salariés en arrêt de travail pour un accident ou une maladie d’origine non professionnelle pourront ainsi acquérir des congés payés, au rythme de deux jours ouvrables par mois, soit quatre semaines par an.

Le même amendement instaure un droit pour les salariés au report des congés qu’ils n’ont pu prendre en raison d’une maladie ou d’un accident. Fixé à 15 mois en cohérence avec la jurisprudence de la CJUE, ce délai de report court à compter de l’information que le salarié reçoit de son employeur, postérieurement à sa reprise d’activité, sur ses droits à congés.

L’amendement prévoit que ces règles d’acquisition et de report des droits à congés s’appliquent depuis le 1er décembre 2009. Il introduit un délai de forclusion de deux ans à compter de la publication de la loi, qui s’impose au salarié qui souhaiterait introduire une action en exécution du contrat de travail pour réclamer des congés qui auraient dû être acquis au cours de périodes d’arrêt maladie depuis le 1er décembre 2009.