Lettre de la DAJ – Accès aux documents d’un groupe de travail du Conseil de l’Union européenne

Dans un arrêt du 25 janvier 2023 (T-163/21), le Tribunal de l’Union européenne examine, pour la première fois, les conditions d’accès aux documents établis par les groupes de travail du Conseil de l’Union européenne dans le cadre d’une procédure législative.

Saisi d’un recours en annulation, en application du règlement n° 1049/2001 du 30 mai 2001, le Tribunal de l’Union européenne (UE) a annulé, par un arrêt du 25 janvier 2023, la décision du Conseil de l’UE refusant l’accès à certains documents d’un de ses groupes de travail(1) dans le cadre de la procédure législative, en cours lors de la demande d’accès, tendant à modifier la directive 2013/34/UE du 26 juin 2013 sur les états financiers annuels.

Pour la première fois, mettant en balance les principes de publicité et de transparence visés par le droit primaire (articles 15 du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) et  42 de la charte des droits fondamentaux de l’UE) et l’exception, prévue par l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n°1049/2001, à la divulgation des documents d’une institution au risque de porter gravement atteinte au processus décisionnel, le Tribunal examine les conditions d’accès aux documents établis dans le cadre d’une procédure législative par les groupes de travail du Conseil.  

Rappelant que les principes de publicité et de transparence sont inhérents aux procédures législatives de l’Union, le Tribunal relève néanmoins que le droit primaire ne prévoit pas un droit inconditionnel d’accès aux documents législatifs.

Ainsi, le Tribunal souligne que le droit d’accès aux documents des institutions, y compris aux documents législatifs, s’exerce selon les principes généraux, les limites et les conditions fixés par voie de règlements.

A cet effet, le Tribunal rappelle, tel que la Cour de justice l’a déjà jugé (C-280/11, 17 octobre 2013), que  l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001 a vocation à s’appliquer aux documents législatifs et que, de ce fait, il doit tenir compte, lors de l’application de cette disposition, de l’équilibre entre le principe de transparence et la préservation de l’efficacité du processus décisionnel du Conseil.

Ainsi, si l’accès aux documents législatifs doit être aussi large que possible, il n’en demeure pas moins que le droit primaire ne saurait être interprété en ce sens qu’il exclut, par principe, que l’accès à de tels documents puisse être refusé au motif que leur divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution en cause.

Toutefois, en l’espèce, le Tribunal juge qu’aucun des motifs retenus par le Conseil dans la décision attaquée – sensibilité et technicité des documents, divulgation préalable de certains d’entre eux, caractère préliminaire des discussions, risque de pressions publiques et nuisance à la coopération loyale entre Etats membres –  ne permet de considérer que la divulgation des documents litigieux porterait gravement atteinte, de manière concrète, effective et non hypothétique, au processus législatif.

De manière générale, le Tribunal rappelle :

  • d’une part, que les membres des groupes de travail du Conseil sont investis d’un mandat des États membres qu’ils représentent. Ils expriment, lors des délibérations sur une proposition législative donnée, la position de leur État membre au sein du Conseil, lorsque ce dernier agit en sa qualité de colégislateur. Le fait qu’ils ne soient pas autorisés à arrêter la position définitive de cette institution ne signifie pas pour autant que leurs travaux, notamment les documents qu’ils discutent, ne s’inscrivent pas dans le jeu normal du processus législatif ;
  • d’autre part, qu’une proposition législative est, par nature, faite pour être discutée et n’a pas vocation à rester inchangée à la suite de cette discussion. L’opinion publique est parfaitement à même de comprendre que l’auteur d’une proposition est susceptible d’en modifier le contenu par la suite. Précisément pour les mêmes raisons, l’auteur d’une demande d’accès à des documents législatifs dans le cadre d’une procédure en cours aura pleinement conscience du caractère provisoire des informations y figurant et du fait que celles-ci ont vocation à être modifiées tout au long des discussions dans le cadre des travaux préparatoires du groupe de travail du Conseil, jusqu’à ce qu’un accord sur l’ensemble du texte soit trouvé.

Plus particulièrement dans le cadre de l’espèce, le Tribunal relève que, concernant le contenu prétendument « hautement sensible d’un point de vue politique » des documents concernés invoqué par le Conseil, celui-ci ne précise pas les aspects concrets et spécifique du contenu de ces documents lesquels comportent des propositions et des amendements de textes normatifs qui s’insèrent dans le jeu normal du processus législatif.

S’agissant du caractère prétendument « technique » des documents litigieux, le Tribunal relève que celui-ci n’est pas un critère pertinent aux fins de l’application de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001.

En ce qui concerne le caractère préliminaire des discussions relatives à la proposition législative, le Tribunal rappelle qu’il ne permet pas de justifier l’application de l’exception prévue par l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001. Cette disposition ne fait pas de distinction en fonction de l’état d’avancement des discussions. Elle envisage de manière générale les documents qui ont trait à une question sur laquelle l’institution concernée « n’a pas encore pris de décision », par opposition à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, qui envisage le cas où l’institution concernée a pris une décision.

En outre, la divulgation préalable de documents relatifs à la même procédure législative n’est pas un critère pertinent et ne peut pas justifier le refus d’accès à d’autres documents.

S’agissant de la nuisance à la coopération loyale entre les Etats membres, le Tribunal juge ce risque hypothétique. Dès lors que les États membres expriment, dans le cadre des groupes de travail du Conseil, leurs positions respectives sur une proposition législative donnée et sur l’évolution qu’elles acceptent de la voir prendre, le fait que ces éléments soient ensuite, sur demande, communiqués n’est pas, en soi, susceptible de faire obstacle à la coopération loyale que les États membres et les institutions sont obligés d’exercer entre eux

Par ailleurs, concernant le risque de pressions publiques mis en avant par le Conseil, le Tribunal rappelle que dans un système fondé sur le principe de la légitimité démocratique, les colégislateurs doivent répondre de leurs actes à l’égard du public. L’exercice par les citoyens de leurs droits démocratiques présuppose la possibilité de suivre en détail le processus décisionnel au sein des institutions participant aux procédures législatives et d’avoir accès à l’ensemble des informations pertinentes. Ainsi, si le risque de pressions extérieures peut constituer un motif légitime pour restreindre l’accès aux documents liés au processus décisionnel, il faut cependant que la réalité de telles pressions extérieures soit acquise avec certitude et que la preuve soit apportée que le risque d’affecter substantiellement la décision à prendre est raisonnablement prévisible en raison desdites pressions extérieures.

Enfin, le Tribunal souligne que si l’institution concernée considère que la divulgation d’un document porterait concrètement et effectivement atteinte au processus décisionnel en cause, il lui incombe de vérifier si un intérêt public supérieur ne justifie pas malgré tout la divulgation du document visé. Dans ce cadre, l’institution concernée doit mettre en balance l’intérêt spécifique devant être protégé par la non-divulgation du document concerné et l’intérêt général à ce que ce document soit rendu accessible.

 

1) Les groupes de travail du Conseil de l’Union européenne sont des instances internes qui préparent les travaux du Comité des représentants permanents (Coreper) et, ultérieurement, de la formation ministérielle du Conseil compétente.