Un salarié de droit privé, employé par une mission locale pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes et mis à disposition d'une collectivité territoriale, est soumis aux principes de laïcité et de neutralité du service public et dès lors à une obligation de réserve en dehors de l'exercice de ses fonctions, tant en sa qualité de salarié d'une personne de droit privé gérant un service public qu'en celle de salarié mis à disposition d'une collectivité publique.

Télécharger l'article en pdf (103 Ko)
Par un arrêt du 19 octobre 2022, n° 21-12.370 (1), la Cour de cassation a jugé qu'un conseiller d'insertion au sein d'une mission locale pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes, (personne de droit privé gérant un service public) mis à la disposition d'une municipalité, peut être licencié pour manquement à son obligation de neutralité.
Un salarié, engagé en CDI par une association, a été mis à disposition d’une commune, dans le cadre d’une convention de partenariat entre la ville et la mission locale, pour exercer une mission d’accompagnement individualisé de jeunes en difficulté et leur permettre de s’inscrire dans le cadre d'un parcours d'insertion professionnelle.
Ce salarié a été licencié pour faute grave pour avoir publié sur son compte Facebook, ouvert à tous, et sous sa propre identité, des commentaires indiquant : « Je refuse de mettre le drapeau [...] Je ne sacrifierai jamais ma religion, ma foi, pour un drapeau quel qu'il soit », « Prophète ! Rappelle-toi le matin où tu quittas ta famille pour aller placer les croyants à leurs postes de combat ».
La mission locale a estimé que ces propos constituaient une atteinte à l'obligation de neutralité. La cour d'appel a jugé ce licenciement discriminatoire, en considérant qu'un conseiller d'insertion au sein d'une mission locale, même mis à disposition d'une municipalité, ne perd nullement sa liberté d'engagement politique et d'expression publique de cet engagement en dehors de l'exercice de ses fonctions et peut librement critiquer l'État en dehors de son travail.
L'arrêt du 19 octobre 2022 apporte une nouvelle illustration du principe de neutralité appliqué aux personnes privées gérant un service public, avec la particularité que les faits reprochés au salarié avaient été commis non pas sur son lieu de travail ni à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, mais à l'occasion de la publication de commentaires sur son compte Facebook ouvert à tous. En outre, le salarié était employé par un organisme de droit privé chargé d’une mission de service public se trouvait mis à disposition d'une collectivité publique territoriale.
La Cour réaffirme la solution dégagée en 2013 par l'arrêt CPAM de Seine-Saint-Denis(2) relativement à l'application du principe de neutralité du service public même assuré par un organisme privé et considère que la Cour d'appel aurait dû rechercher :
- si la consultation du compte Facebook du salarié permettait son identification en qualité de conseiller d'insertion sociale et professionnelle affecté au sein de la commune, notamment par les jeunes en difficulté auprès desquels il exerçait ses fonctions ;
- et si, au regard de la virulence des propos et de leur publicité, ils étaient susceptibles de caractériser un manquement à l'obligation de réserve du salarié.
En l’espèce la Cour considère que le licenciement du salarié est justifié du fait de ses fonctions en tant qu'agent du service public de l'emploi mis à la disposition d'une collectivité territoriale, par une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l'article L. 1133-1 du code du travail (3), tenant au manquement à son obligation de réserve.
Cet arrêt présente également un intérêt en ce qu'il intervient dans le champ d’application de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui consacre les principes de neutralité et de laïcité dans les services publics, notamment lorsqu'ils sont confiés à une entreprise privée ou à un organisme de droit public employant des salariés soumis au code du travail.