La Cour de justice rappelle notamment que les pouvoirs adjudicateurs doivent apprécier au cas par cas, pour déterminer s’ils refusent à un soumissionnaire évincé l’accès à des informations transmises par les soumissionnaires et notamment l’attributaire, si elles ont une « valeur commerciale » qui ne se limite pas au marché concerné de telle sorte que leur divulgation serait susceptible de fausser la concurrence ou de porter atteinte à des intérêts commerciaux légitimes.
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L’autorité nationale polonaise de gestion des eaux, pouvoir adjudicateur, avait lancé une procédure d’appel d’offres pour répondre à son besoin en développement de projets de gestion environnementale de districts hydrographiques.
Un soumissionnaire, non retenu à l’issue de cet appel d’offres, a réclamé au pouvoir adjudicateur la transmission d’informations relatives à l’offre retenue, concernant notamment les ressources utilisées par les attributaires, la conception du développement des projets et la description des modalités d’exécution du marché.
Le pouvoir adjudicateur a refusé une telle communication en opposant le caractère confidentiel de ces informations et en relevant que les attributaires avaient établi qu’elles étaient couvertes par le secret d’affaires. Le soumissionnaire évincé, estimant avoir été privé de son droit à un recours effectif contre la décision d’attribution du marché, a donc introduit un recours juridictionnel tendant à l’annulation de cette décision d’attribution du marché, à la relance de l’examen des offres et à la divulgation d’informations transmises au pouvoir adjudicateur par les sociétés attributaires.
La juridiction polonaise a alors saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de questions préjudicielles relatives à la conciliation de l’obligation de confidentialité garantie par l’article 21 de la directive 2014/24 relative aux marchés publics(1) et de l’obligation d’information des soumissionnaires et du public, garantie par l’article 50 relatif à l’avis d’attribution et l’article 55 relatif à l’information des candidats et des soumissionnaires.
La Cour précise d’abord qu’il ne résulte ni des termes ni de l’objet de la directive 2014/24 que celle-ci s’oppose à l’emploi, par le législateur d’un État membre, de la notion de secret d’affaires figurant à l’article 2, point 1, de la directive 2016/943 pour délimiter la portée de l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2014/24 sur l’obligation de confidentialité. Elle relève à cet égard que la notion de « secret d’affaires », telle que définie à l’article 2, point 1, de la directive 2016/943 ou dans une disposition correspondante de droit national, ne se chevauche qu’en partie avec les termes « renseignements [...] communiqués à titre confidentiel » figurant à l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2014/24. Par ailleurs, il est loisible à chaque État membre d’opérer une mise en balance entre la confidentialité visée par cette disposition de la directive 2014/24 et les règles de droit national poursuivant d’autres intérêts légitimes, dont celui, expressément mentionné à ladite disposition, de garantir « l’accès à l’information », afin d’assurer la plus grande transparence des procédures de passation de marchés publics.
Elle indique toutefois qu’une législation nationale qui impose la publicité de toute information ayant été communiquée par l’ensemble des soumissionnaires, en ce compris l’adjudicataire, au pouvoir adjudicateur, à la seule exception des informations relevant de la notion de secret d’affaires, est susceptible d’empêcher le pouvoir adjudicateur, contrairement à ce que les articles 50, paragraphe 4, et 55, paragraphe 3, de la directive 2014/24 permettent, de décider de ne pas divulguer certains renseignements au titre d’intérêts ou d’objectifs mentionnés dans ces dispositions, dès lors que ces renseignements ne relèveraient pas de cette notion de secret d’affaires(2). En effet, dans ce cas, il ne serait pas possible pour un pouvoir adjudicateur de faire la mise en balance prévue par les articles 50 et 55 de la directive 2014/24 entre l’obligation de transparence et la protection des intérêts commerciaux légitimes d’un opérateur économique ou le principe de concurrence loyale.
La Cour rappelle ensuite sa jurisprudence Klaipèdos(3), selon laquelle les pouvoirs adjudicateurs ne sont pas liés par les allégations des opérateurs économiques prétendant que les informations transmises sont confidentielles, la charge de la preuve pesant sur ces derniers. Dès lors, le pouvoir adjudicateur, tenu par le principe général de bonne administration, doit concilier la protection de la confidentialité avec les exigences d’une protection juridictionnelle effective et donc prendre une décision motivée s’il décide de traiter des données comme confidentielles et communiquer, dans la mesure du possible, le contenu essentiel des informations demandées sous une forme neutre, en particulier les informations déterminantes dans le choix de l’offre retenue, au besoin en réclamant au soumissionnaire retenu une version non confidentielle des informations en cause.
La Cour estime alors que les données transmises, relatives à l’expérience pertinente des soumissionnaires et aux références permettant d’attester de leur capacité, ne peuvent être confidentielles dans leur intégralité, les soumissionnaires devant, dans ce souci de transparence et de protection juridictionnelle effective, bénéficier d’un accès à tout le moins au contenu essentiel de ces informations. Un refus ne pourra être opposé qu’exceptionnellement, si des circonstances particulières portant sur des marchés de produits ou services sensibles le justifient.
En ce qui concerne les informations relatives aux personnes sur lesquelles un soumissionnaire indique pouvoir s’appuyer pour l’exécution de son marché, il revient au pouvoir adjudicateur de déterminer si la divulgation de données nominatives, permettant d’identifier des personnes, risque de porter atteinte à la protection de la confidentialité, ces données pouvant créer une « synergie pourvue de valeur commerciale », ce qui lui imposerait de refuser la divulgation de ces informations.
En revanche, eu égard à leur importance dans l’attribution du marché, le contenu essentiel des informations non nominatives, relatives aux qualifications ou capacités professionnelles des personnes qui exécuteront le marché, à la taille et au formatage des effectifs ainsi qu’à la part du marché exécutée sous-traitée, doit être accessible à l’ensemble des soumissionnaires.
La Cour indique enfin, s’agissant de la conception des projets objets du marché et de la description de ses modalités d’exécution par les soumissionnaires, qu’outre l’existence de droits de propriété intellectuelle susceptibles de justifier un refus de la divulgation, la publication intégrale de tels éléments, dès lors qu’ils ont une valeur commerciale, est susceptible de fausser la concurrence et peut, dans ce cas, être refusée. En revanche, le contenu essentiel de ces informations doit être rendu accessible.