La CJUE invalide une disposition de la directive antiblanchiment permettant l’accès du grand public aux registres des bénéficiaires de sociétés créées dans l’Union européenne, au motif que cette disposition constitue une ingérence grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel qui n’est ni limitée au strict nécessaire, ni proportionnée à l’objectif poursuivi.

©BercyPhoto/Patrick Védrune
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Dans le cadre des mesures antiblanchiment, le Luxembourg a institué en 2019 un registre des bénéficiaires effectifs des sociétés immatriculées dans le pays permettant d’identifier chaque personne physique exerçant un contrôle effectif sur une société. Une partie des informations détenues dans ces registres sont accessibles au grand public, dans un souci de transparence et de lutte contre la prolifération de sociétés-écran : nom des propriétaires, mois et année de naissance, pays de résidence et nationalité, adresse précise.
Aux termes de la directive 2015/849(1), l’accès aux registres était ouvert aux autorités compétentes ainsi qu’à toute personne ou organisation capable de démontrer un intérêt légitime. La Commission, soucieuse des difficultés de définir l’existence de cet intérêt légitime, a donc permis un accès plus large aux registres dans sa directive de 2018(2).
Une société et un bénéficiaire effectif commun se sont opposés, dans deux dossiers distincts, à ce que leurs données personnelles soient publiquement accessibles. Dans l’un des dossiers, le bénéficiaire effectif de 35 sociétés a argué que la publication de ses informations personnelles le mettaient en danger dans la mesure où ses activités l’amenaient dans des pays à forte criminalité et où les informations rendues publiques créaient une présomption de propriété des sociétés et exposaient sa famille et lui-même à des risques de chantage ou d’enlèvement.
Devant le refus des détenteurs du registre, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, saisi des affaires, a effectué un renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne afin de l’interroger sur les cas de limitation d’accès à l’information, sur la comptabilité de la directive antiblanchiment avec le respect de la vie privée au regard de la charte des droits fondamentaux de l’Union et sur la comptabilité avec les dispositions du RGDP.
Dans sa décision(3), la Cour a confirmé l’objectif d’intérêt général de la directive, qui accroit la transparence dans le but de prévenir le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Toutefois, malgré des dispositifs de modération de l’accès, comme l’inscription en ligne avant d’accéder aux informations et bien que l’accès du grand public aux informations sur les bénéficiaires effectifs contribue à un objectif d’intérêt général, l’ouverture des registres au grand public n’est ni limitée au strict nécessaire ni proportionnée à l’objectif poursuivi. De ce fait, elle « constitue une ingérence grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel » et entraîne une atteinte aux droits fondamentaux garantis aux articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE disproportionnée par rapport aux objectifs recherchés.
A consulter
- (1) Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE)
- (2) Directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE
- (3) CJUE, n° C-37/20 et C-601-20, 22 novembre 2022