Le partage des innovations au sein du secteur public

Le partage d’une innovation peut apporter de nombreux bénéfices à l’administration dans son ensemble, parmi lesquels des économies, la pérennisation d’un outil grâce à une communauté ou encore des retombées d’image en démultipliant l’impact positif de l'innovation sur le service public. Ce partage peut être effectué dans divers cadres juridiques qui doivent être envisagés le plus en amont possible du projet et adaptés au cas par cas.

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Le partage, la mutualisation, la réutilisation… : de quoi parle-t-on ?

Dans le domaine de l’innovation publique, il n’est pas rare de constater qu’un projet innovant développé dans une entité permet de répondre aux besoins d’autres administrations. Le partage ou la réutilisation apparaît, dans ce type de cas, comme une réponse pertinente pour essaimer ses innovations et démultiplier ainsi leurs impacts. Les économies générées peuvent également être non négligeables pour les budgets des administrations.

Par partage, il faut entendre en premier lieu le droit, pour une organisation, de réutiliser une innovation mais cela peut également inclure le droit de la maintenir, de la modifier, et éventuellement de la partager à nouveau.

Exemple : l’application Geotrek de gestion de sentiers des parcs nationaux du Mercantour et des Ecrins qui a été réutilisée par près de 120 entités publiques (parcs nationaux, régionaux, communautés de communes, etc.). Dès l’origine du projet, le code source et la documentation du logiciel ont été placés sous licence libre en vue de sa réutilisation par d'autres entités. Estimée entre 5 et 10 millions d’euros, l'économie réalisée se présente sous la forme de dépenses non effectuées par toutes ces entités.

Cependant, des freins peuvent exister et certains projets peuvent rester cantonnés à leur entité d’origine. La réutilisation d’une innovation peut s’avérer complexe, si elle n’a pas été envisagée en amont du projet. En effet, les innovations publiques résultent généralement d’une démarche ouverte de création d’un nouveau produit ou service. Il est donc courant de voir, dans ces projets, l’imbrication de savoir-faire et d'idées d’agents publics venant de divers horizons,  utilisant les compétences ou les solutions techniques d’un tiers qui, dans certains cas, est un prestataire. Important : le partage d’une solution ne peut s’envisager que si l’entité publique en a le droit. Le fait d’être à l’origine d’une démarche d’innovation ouverte ou d’avoir financé les travaux d’un prestataire ne donne pas automatiquement tous les droits sur une innovation.

Identifier la propriété intellectuelle d’un projet : un prérequis à la mutualisation

L’un des prérequis concerne donc la possibilité de partager ou mutualiser l’innovation au regard des droits de propriété intellectuelle. En effet, les innovations publiques sont susceptibles de protection par des droits de propriété intellectuelle : brevet d’invention (innovation technique), droit d’auteur (textes, visuels, logiciels, etc.), dessins ou modèles, marques, etc.

Pour assurer la diffusion de l’innovation de façon sécurisée, une entité publique doit disposer des droits suffisants pour autoriser d’autres entités publiques à la réutiliser, l’améliorer, etc. Pour cela, l’administration porteuse de l’innovation doit se poser les questions suivantes :

  • quels besoins de mutualisation sont-ils envisagés pour l’innovation ?  Permettre à d’autres entités publiques de réutiliser des documents, fabriquer/faire fabriquer des produits, implémenter un logiciel, inciter à proposer des améliorations, des déclinaisons, construire une communauté, etc. ? ;
  • quelles sont les parties prenantes du projet ?  Des agents publics, des partenaires, des citoyens utilisateurs, des prestataires dans le cadre d’un marché public etc. ? Le cas échéant, quel est leur modèle économique, leur motivation pour participer au projet ? ;
  • quelle communication mener autour de l’innovation ? Comment le lien avec l’entité publique à l’initiative de l’innovation sera-t-il conservé (mention spécifique, utilisation de la marque de l’administration ou d’une marque dédiée pour l’innovation, etc.) ?

Gérer les droits de propriété intellectuelle pour une mutualisation d’innovation, c’est donc anticiper et encadrer en amont.

S’assurer du potentiel et identifier d’autres utilisateurs

Un second élément à identifier avant d’envisager le partage pratique d’une innovation est de s’assurer qu’elle va intéresser d’autres utilisateurs, qu’elle dispose d'un potentiel d’essaimage.

La communication sur une innovation est une première étape et permet de faire connaître le projet et ainsi d’identifier de potentiels utilisateurs externes.

Il convient dans un deuxième temps de valider l’adéquation entre les attentes d’autres entités publiques et l’innovation telle qu’elle a été ou va être développée. En effet, les aspects techniques, les contraintes d’usage ou la connaissance des besoins de chaque entité publique vont influencer la possibilité de mutualiser le projet innovant. C'est ainsi que certaines innovations développées par l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale en matière de prélèvement d’échantillons osseux sur scène de crime ont pu susciter l’intérêt du Museum national d’histoire naturelle qui réalise également des prélèvements osseux et des analyses ADN pour la recherche paléogénétique (étude de l’ADN ancien).

De même, le chatbot NOA, développé par la Préfecture de région Île-de-France, apporte une solution pour répondre aux questions des start-up et entrepreneurs dans leurs démarches administratives. Un tel outil a été identifié, avant même le début du développement comme pouvant être réutilisé largement, notamment par les 13 métropoles du dispositif French Tech.

Encadrer le partage d’une innovation

Permettre le partage d’une innovation à d’autres acteurs du secteur public peut passer par différents modes d’encadrement. Outre les questions de propriété intellectuelle, le partage d’une innovation peut s’inscrire dans le cadre du droit de la commande publique. L’analyse au cas par cas de chaque projet est nécessaire. Une vigilance particulière doit notamment être apportée lorsque l’innovation (un logiciel, par exemple) doit faire l’objet d’une maintenance ultérieure pour être utilisé durablement par d’autres acteurs publics.

Les facteurs clés d’un partage réussi

Si le partage d’une innovation doit s’envisager différemment selon les projets, il existe un certain nombre de facteurs clés pour le réussir :

  • mettre en place les conditions de partage le plus tôt possible. Objectif : intégrer de potentiels futurs utilisateurs et permettre ainsi la réalisation d'économies ou l'amélioration de la solution avec des idées externes ;
  • investir dans la création et l’animation d’une communauté avec utilisateurs et gestionnaires de l’innovation : des évènements peuvent être organisés, un forum de discussion créé, etc. ;
  • prévoir une feuille de route (fonctionnelle et technique) du projet afin d'offrir une visibilité à la communauté mais également s’assurer que le projet continuera à répondre aux besoins de l’administration ;
  • s’assurer de valoriser également le savoir-faire développé par l'entité publique autour de l’innovation : les innovateurs vont en effet passer du temps dans ce processus de partage afin de transmettre un savoir-faire. En plus de la reconnaissance de cet effort par l’entité concernée, une rétribution financière peut parfois être envisagée pour générer des ressources propres ;
  • s’appuyer sur la marque et la légitimité de l’entité publique pour porter le partage d’une innovation et en retirer des bénéfices : les projets innovants partagés avec succès entre entités publiques positionnent en effet l’organisation à l’origine du projet comme un acteur de référence et les retombées peuvent être non négligeables pour son image de marque.

 

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