Le dépôt d’une marque n’est pas toujours le bon outil pour protéger efficacement un signe identitaire (sigle, logo). En effet, des moyens alternatifs de protection existent et ont été renforcés par la réforme du droit des marques de 2019 (article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle) permettant de protéger et de valoriser son signe identitaire, en particulier lorsque le dépôt d’une marque n’est pas opportun.
Entités publiques, vous souhaitez protéger un nom, une expression ou un logo, dans le cadre d’un nouveau dispositif public et en être l’unique propriétaire ? Votre premier réflexe est peut-être d'opter pour un dépôt de marque en France auprès de l'INPI (Institut national de la propriété industrielle). Mais est-ce vraiment la bonne solution ?
Le dépôt de marque est-il toujours opportun ?
Il est important de garder à l’esprit qu’effectuer un dépôt de marque ne doit pas être envisagé comme une démarche automatique et obligatoire pour vous permettre d’utiliser un signe identitaire que vous avez créé (logo ou autre). Vous pouvez en effet exploiter librement tout signe identitaire vous appartenant tant que ce signe ne porte pas atteinte à des droits de tiers, sans nécessité de le déposer au préalable à titre de marque.
Néanmoins, un dépôt de marque est un mécanisme de valorisation et de protection intéressant lorsque votre signe identitaire est destiné à être utilisé pour identifier des produits (ex : un logiciel, une revue…) ou services (ex : des services de financement de projets innovants, de formation…) spécifiques qui seront proposés à un public externe à votre structure.
En effet, un dépôt de marque de nature individuelle répond à une fonction juridique bien précise, qui est de permettre au public d’identifier l’origine de produits ou de services comme provenant d’une entité déterminée (le titulaire de la marque). Les entités publiques sont également amenées à déposer des marques répondant à d’autres fonctions, telles que les marques collectives - qui identifient les produits/services émanant des membres d’un réseau, partageant des valeurs communes – ou les marques de garantie qui distinguent les produits/services bénéficiant de certaines caractéristiques objectives attestées par une évaluation indépendante.
Avant de déposer votre marque, il est donc recommandé de vérifier que votre signe identitaire sera utilisé dans l’une de ces fonctions car les signes identitaires utilisés dans des fonctions différentes, notamment pour communiquer sur une politique ou un dispositif public, ne nécessitent pas une protection par un dépôt de marque.
Le dépôt de marque, qui offre une protection pour une durée de dix ans (renouvelable indéfiniment), doit également être réservé aux signes dont l’usage est envisagé de façon pérenne. L’opportunité de déposer des signes identitaires utilisés ponctuellement ou sur de courtes périodes est généralement discutable, car la durée d’usage de votre signe identitaire serait trop limitée en comparaison avec la durée de protection offerte par la marque.
Apprécier pleinement l’opportunité d’effectuer un dépôt de marque permet de réserver cette démarche aux signes identitaires utilisés dans cette fonction, pour vous permettre de vous prévaloir de votre marque efficacement.
L’absence de dépôt à titre de marque de son signe identitaire ne signifie pas, pour autant, que l’entité publique se trouve sans protection. En effet, des fondements juridiques autres que le droit de marque permettent de protéger les signes identitaires qui ne sont pas utilisés pour identifier des produits ou services.
Quels sont alors les moyens de protection alternatifs ou complémentaires au dépôt de marque ?
Ces moyens peuvent avoir un objectif préventif, en anticipant les atteintes dont le signe identitaire pourrait faire l’objet. Il existe également des procédures et fondements juridiques permettant d’agir contre des utilisations illégitimes, sans avoir besoin de se prévaloir d’un dépôt de marque.
En amont pour tenter de limiter les abus et usurpations
- Anticiper sa visibilité sur internet
Dans un monde dominé aujourd’hui par le numérique, la présence et l’identification sur internet est devenu un enjeu majeur. Dans ce domaine, l’anticipation demeure la meilleure défense puisque la réservation des noms de domaine et comptes de réseaux sociaux, qui sont les principaux vecteurs de communication sur internet, reste régie par la règle du « premier arrivé, premier servi ».
C’est pourquoi réserver les noms de domaine relatifs à votre signe identitaire dans les principales extensions (.fr/.eu/.com/.net/.org/.info) ainsi que les comptes de réseaux sociaux, est fortement recommandé avant le lancement de toute communication sur votre signe (/dispositif). Cette démarche vous permet de vous constituer un périmètre défensif sur internet en empêchant les tiers de réserver les principaux noms de domaine portant sur votre signe à votre place.
- Sécuriser la date de création du signe identitaire
Pour donner une date certaine à un logo, une charte graphique, et plus généralement à toute création, il est utile d’utiliser un mécanisme d’horodatage qui permettra de démontrer son antériorité en cas de litige. L’INPI propose par exemple un mécanisme de dépôt d’enveloppe Soleau électronique.
Tout savoir sur l'enveloppe Soleau
Dans la même logique probatoire, pour dater la création du nom d’une entité publique ou d’une politique publique nouvelle, faire mention de son nom dans un texte réglementaire publié au Journal officiel établit une date certaine facilitant la mise en œuvre d’actions ultérieures.
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Nom de domaine : affirmer et sécuriser sa présence sur internet
Entités publiques : faut-il déposer votre nom à titre de marque
- Pour les créations purement esthétiques, envisager un dépôt de dessin et modèle
Les signes identitaires dont l’usage envisagé est purement esthétique et n’a pas pour objectif d’établir un lien entre un émetteur public et un produit ou service peuvent, sous certaines conditions et notamment s’ils sont nouveaux, faire l’objet d’une protection par un dépôt de dessin et modèle.
Tout savoir sur les dessins et modèles
En aval pour se défendre contre les abus et usurpations
Il existe des procédures permettant de contester, durant leur procédure d’enregistrement, des dépôts de marques réalisés par des tiers. Leur mise en œuvre nécessite toutefois de disposer d’un outil de surveillance des registres des marques, afin de pouvoir activer ces démarches dans les délais correspondants (2 mois après sa publication pour un dépôt de marque française) (1).
A défaut de posséder un tel outil, des procédures peuvent être envisagées une fois un usage gênant détecté, leur mise en œuvre restant souvent plus lourde compte tenu de la nécessité d’envisager une action judiciaire si une démarche amiable n’aboutit pas.
- Contester un dépôt de marque gênant réalisé par un tiers
Même sans détenir de droit antérieur, il est possible de réagir à un dépôt de marque via la formulation d’observations auprès de l’INPI (2).
Cette démarche vise à attirer l’attention de l’Office sur le caractère potentiellement trompeur ou contraire à l’ordre public d’un dépôt de marque, en l’amenant à émettre une objection à l’encontre de son enregistrement. Ce mécanisme contribue par conséquent à la protection de signes identitaires publics, notamment lorsque le nom d’un dispositif public est repris par un tiers dans son dépôt de marque.
Il est par ailleurs possible, sur le fondement d’un droit antérieur, d’introduire une procédure d’opposition à l’encontre d’un dépôt de marque postérieur gênant. Si ce droit antérieur peut être une marque, il peut également s’agir d’un nom de domaine ou du nom d’une entité publique. En effet, la réforme du droit des marques de 2019 a renforcé significativement la protection conférée aux noms de domaine et aux noms des entités publiques et il est désormais possible, sous certaines conditions, de s’opposer à une demande marque, portant atteinte à un nom de domaine ou au nom d’une entité publique antérieur (3). Pour le nom de domaine antérieur, cela nécessite toutefois qu’il soit exploité et qu’un risque de confusion avec la marque litigieuse soit démontré. Pour la dénomination publique, il est également nécessaire d’établir un risque de confusion entre les missions de l’entité publique et la marque litigieuse (4).
- Contester un usage gênant ou illégitime
Différents fondements juridiques indépendants du droit de marque pourront être activés pour réagir à des utilisations gênantes et illégitimes, que ce soit dans le cadre d’une approche amiable ou contentieuse (leur pertinence doit faire l’objet d’une évaluation approfondie au cas par cas) :
- le droit d’auteur (notamment pour les logos) protège, sans condition de dépôt, les signes répondant à la condition d’originalité. Combiné au dépôt d’une enveloppe Soleau (ou de toute autre preuve de datation), il permet d’invoquer son droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction d’une œuvre de l’esprit ;
- le droit de la responsabilité civile permet, au travers d’une demande en concurrence déloyale ou parasitaire (5), de faire sanctionner l’usage non autorisé d’un signe créant un risque de confusion (concurrence déloyale) ou conférant un avantage indu (parasitisme) ;
- le droit de la consommation (6) permet de sanctionner les usages non autorisés d’une marque pour la commercialisation de produits ou services qui pourraient tromper le public sur une de leurs caractéristiques essentielles (par exemple, en ce qu’ils pourraient émaner de services publics officiels) ;
Tout savoir sur les pratiques commerciales trompeuses
- le droit pénal (7) incrimine la contrefaçon ou la falsification des sceaux, timbres ou marques d’une autorité publique (signe portant caution officielle, qu’il ait été déposé ou non à titre de marque), le fait d’user d’un insigne réglementé par l’autorité publique, l’usage d’un insigne similaire à ceux réservés aux fonctionnaires de la police nationale ou aux militaires.
(1) Ce délai est de trois mois pour les dépôts de marques de l’Union européenne.
(2) Article L 712-3 du code de la propriété intellectuelle. Il existe un mécanisme équivalent devant l’Office des marques de l’Union européenne (EUIPO) sur le fondement de l’article 45 du Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement Européen et du Conseil du 14 juin 2017
(3) Article L712-4, 4° et 7°, du code de la propriété intellectuelle
(4) Les collectivités territoriales disposaient déjà d’un droit analogue depuis 2014. L’article L. 711-3 9° vise en effet « le nom, l’image ou la renommée d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale »
(5) Article 1240 du code civil : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »
(6) Article L121-1 du code de la consommation
(7) Articles 433-14 et 433-15 al. 1 du code pénal