Interview : dans les coulisses des suites données aux enquêtes de la DGCCRF

Lecteur de Concurrence et Consommation, vous apprenez dans nos bilans d’enquêtes que la DGCCRF a adressé des avertissements, injonctions ou amendes. Quelles sont les suites données à ses contrôles par la DGCCRF ? Comment sont-elles décidées ? Quelle est sa marge de manœuvre ? Quels sont les objectifs qu’elle poursuit en les décidant ? Guillaume DAIEFF, sous-directeur en charge notamment des affaires juridiques répond à nos questions.

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Pouvez-vous nous présenter les principales suites que la DGCCRF peut donner à ses contrôles ?

Le panel des suites possibles est large, très large même !

Elles peuvent être classées en trois catégories : pédagogiques,  correctives et enfin répressives.

Les suites pédagogiques -ou avertissements- sont décidées en cas de manquements ou infractions mineures trouvant leur cause dans la méconnaissance du droit –due par exemple à sa nouveauté- ou dans une négligence légère dans son application. Un avertissement explique au professionnel les manquements ou infractions observés et informe celui-ci sur le droit applicable ainsi que sur la sanction encourue. Dans les mois qui suivent l’envoi de l’avertissement, un nouveau contrôle doit être effectué pour vérifier la mise en conformité de l’entreprise. Si l’infraction est à nouveau constatée, alors des suites plus contraignantes sont engagées : injonctions ou sanctions.

Les suites correctives –certains les appellent préventives- ont aussi vocation à faire cesser une pratique contraire au droit, en vue de la remise en conformité rapide d’une situation, mais il s’agit de mesures de police administrative, telles que les injonctions ou les arrêtés. Nous enjoignons au professionnel, c’est-à-dire que nous exigeons de lui, qu’il se mette en conformité avec la réglementation sur un ou plusieurs points, qui lui sont notifiés dans un certain délai. A l’expiration du délai laissé à l’entreprise pour corriger ses pratiques (travaux ou nettoyage des locaux, formation du personnel…), un nouveau contrôle est effectué. En cas de persistance de l’infraction ou du manquement, des sanctions sont prononcées pour non-respect de l’injonction (ce ne serait pas possible après un avertissement), mais aussi pour l’infraction ou le manquement même.

L’injonction est décidée après une procédure contradictoire, qui permet donc au professionnel de contester les constats de l’administration ou d’apporter les preuves qu’il respecte bien la loi. Mais il peut aussi mettre à profit ce délai du « contradictoire » pour modifier son comportement et déférer ainsi à la pré-injonction, en tout ou en partie. Le constat, à l’issue de ce délai, que tel est le cas peut nous conduire à ne pas lui adresser d’injonction, ou à en réduire le champ.

Enfin, les suites répressives, c’est à dire les sanctions, peuvent être de trois types : amendes administratives, transmission au procureur de procès-verbaux en vue de sanctions pénales, assignation de l’entreprise devant le juge civil pour obtenir le prononcé d’une amende, la cessation des pratiques contraires au droit, la réparation des préjudices subis, ou encore la restitution d‘avantages indus.

Quelle est la différence entre infraction et manquement ?

Chaque obligation ou interdiction prévoit la nature de la sanction applicable en cas de pratique illicite – ce terme peut valoir aussi bien pour le manquement que pour l’infraction.

Les infractions relèvent du droit pénal et sont sanctionnées d’une peine d’amende et/ou de prison par l’autorité judiciaire pénale, au terme d’une procédure judiciaire qui passe d’abord par le procureur puis, le cas échéant, par le juge pénal. En revanche, les manquements relèvent essentiellement du droit administratif, les sanctions ne peuvent évidemment pas être des peines de prison, qui sont le monopole du juge judiciaire, et c’est l’administration –et non le juge- qui prononce l’amende, sous le contrôle du juge administratif, que le professionnel sanctionné peut évidemment saisir pour contester l’amende déjà prononcée[1].

Comment sont décidées les suites ?

Concrètement, dans le cadre de leurs contrôles, les enquêteurs de la DGCCRF s’assurent du respect par les professionnels de la réglementation applicable à leur activité dans le domaine de la concurrence et de la consommation. Si leurs comportements ou pratiques constatés ne sont pas conformes au droit, les enquêteurs doivent démontrer en quoi ces actes constituent un manquement ou une infraction.

Les suites sont ensuite définies au cas par cas. Avant de prononcer des sanctions, la DGCCRF peut envisager une suite non répressive : elle peut faire le choix d’adresser un avertissement, ou d’envoyer une injonction à l’entreprise. A noter que des suites correctives et répressives ne sont pas exclusives l’une de l’autre : un professionnel peut recevoir une injonction de cesser une pratique illicite (on vise l’avenir) et être sanctionné d’une amende administrative ou pénale pour l’exercice de cette même pratique (on traite le passé). En effet, le fait pour le professionnel d’arrêter une pratique ne suffit pas pour écarter toute sanction notamment lorsque les faits sont graves et ont eu un impact sur beaucoup de consommateurs.

Les suites adaptées à la situation sont décidées en fonction de la gravité des faits (par exemple le risque qu’ils font courir aux consommateurs), de l’impact du manquement ou de l’infraction (nombre de produits concernés par exemple), de l’intention de frauder (notamment en cas de récidive), ou d’une remise en conformité immédiate. La DGCCRF tient aussi compte de la situation financière des entreprises de bonne foi afin de ne pas les fragiliser, tout en prenant les mesures nécessaires pour assurer le respect du droit.

Et les transactions ?

Les transactions sont également des suites possibles, et elles se développent.

Dans le cas d’infractions pénales, une transaction pénale peut être proposée au professionnel, par deux autorités :  la DGCCRF d’abord, qui peut proposer au professionnel, sur le fondement du code de la consommation, une transaction avec l’accord du procureur de la République (la procédure va ainsi rester sur le seuil de l’autorité judiciaire en quelque sorte) ; le procureur également, qui peut mettre en œuvre les procédures transactionnelles prévues par le code de procédure pénale (composition pénale et comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité). Ces procédures permettent, par le paiement d’une somme d’argent définie par l’administration, de finaliser la procédure  dans des délais plus courts que ceux d’une procédure pénale et de recevoir de façon certaine la sanction pécuniaire, ce qui n’est pas toujours le cas des amendes. Elles permettent aussi d’obtenir le cas échéant une indemnisation des victimes. Elles évitent au professionnel des frais d’avocat et lui permettent de clore le « dossier » plus vite, en en maîtrisant l’issue. Elles permettent également de désengorger les tribunaux.

Depuis la loi DADDUE du 3 décembre 2020, la transaction est également ouverte  en matière administrative, avec les mêmes possibilités que pour la transaction pénale.

La DGCCRF communique de plus en plus sur les sanctions obtenues, ce Name&Shame est-il aussi un élément de sa politique de sanction ?

Effectivement, depuis plusieurs années nous rendons compte plus largement des sanctions que nous décidons, ou qui sont prononcées par le juge à notre demande.

Depuis quelques années le législateur a inclus dans les textes la possibilité d’ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de la décision ou d'un extrait de celle-ci selon des modalités précises. Il s’agit donc d’une sanction complémentaire. La publication de la décision peut se faire sur internet (sur les sites des professionnels condamnés ou sur le site de la DGCCRF) et le cas échéant sur ses réseaux sociaux, mais aussi par voie d’affichage sur les lieux physiques ou dans les journaux.

En lien avec l’une des priorités de son plan stratégique, la DGCCRF utilise ces nouvelles possibilités pour renforcer l’impact de ses enquêtes, d’une part en faisant connaître les pratiques contraires au droit constatées lors de ses investigations mais aussi les sanctions encourues. Cette communication renforcée d’une part permet de sensibiliser les consommateurs à leurs droits et d’autre part incite les professionnels à respecter la réglementation.

Comment est déterminé le montant des amendes ?

C’est la loi qui définit les peines maximales. Ainsi, à titre d’exemples, pour un défaut  d’affichage de prix, une amende administrative peut s’élever jusqu’à 3 000 euros pour une personne physique ; un délit de pratique commerciale trompeuse peut, quant à lui, être puni d’un emprisonnement de deux ans et de 300 000 euros d’amende. Des seuils supérieurs – le quintuple- sont prévus pour les personnes morales. J’ajoute que la loi donne aussi un plafond variable aux peines d’amende, notamment pour les deux délits « phares » du code de la consommation que sont la pratique commerciale trompeuse et la tromperie, en le fixant en pourcentage du chiffre d’affaires de la société : encore faut-il cependant corréler l’amende aux « avantages retirés de l’infraction ». En matière civile, les sommes exigées peuvent s’élever à plusieurs millions d’euros, par exemple, le juge peut prononcer une amende civile allant jusqu’à 5 millions d’euros pour des pratiques restrictives de concurrence.

Attention, certaines contraventions peuvent être relevées pour autant de produits concernés. Par exemple, en matière d’étiquetage, la contravention est déterminée sur un produit, pour avoir le montant total de la sanction financière, il faut multiplier le nombre de produits non conformes par le montant de la contravention. Donc, par exemple, pour  une contravention de 200 euros sur un produit, s’il y a mille produits non conformes, le montant total peut se monter à 200 000 euros !

Le montant des sanctions est évalué en tenant compte de divers critères d’appréciation propres au dossier, telles les circonstances entourant la commission du manquement ou de l’infraction. Nous devons également tenir compte de la situation économique de l’entreprise.

A qui sont payées les amendes ?

Le montant des amendes provenant des amendes pénales, administratives, civiles et des transactions obtenues est payé au Trésor public, et alimente les ressources du budget général de l'État. Il n’y a pas  de fléchage de ces amendes vers le budget de la CCRF – mais à ma connaissance, toutes les administrations de contrôle de l’Etat sont logées à la même enseigne !


[1] En matière de déséquilibre significatif (droit des pratiques restrictives de concurrence), il existe une amende civile, qui ne peut être prononcée que par le tribunal de commerce, au terme d’une procédure judiciaire sur saisine du ministre de l’économie.