A l’occasion de la publication du rapport annuel de la Cour de cassation, Christophe Soulard, premier président, s’inquiète d’une mise en cause croissante de l’Etat de droit et propose des éléments de réponse.

La Cour de cassation publie son rapport annuel alors que l’Etat de droit fait l’objet d’une contestation grandissante. Dédié à son activité et à l’analyse des principaux arrêts de l’année écoulée, cet outil qui pourrait sembler s’adresser d’abord à des juristes prend dans ce contexte une résonnance particulière qui nous invite à nous questionner.
Le raisonnement qui sous-tend la critique de l’Etat de droit est le suivant : le développement des droits fondamentaux serait l’œuvre de juges agissant contre la volonté du législateur, seul pouvoir légitime car issu de l’élection. Les gouvernants seraient dès lors privés de leur principal mode d’action – la loi – se retrouvant empêchés d’impulser les transformations attendues par les citoyens. En définitive, l’Etat de droit et les juges seraient devenus les ennemis de la démocratie.
Que répondre à cela ?
Rappelons tout d’abord quelques évidences sur cette notion parfois mal comprise.
Tel qu’il a été forgé, l’Etat de droit obéissait initialement à une conception très formaliste : il désignait un Etat régi par le droit. Après la seconde guerre mondiale a émergé une conception davantage substantielle de l’Etat de droit, impliquant l’adhésion aux droits fondamentaux et aux valeurs de la démocratie.
Les critiques formulées à l’encontre de cette notion mettent alternativement l’accent sur l’une ou l’autre de ces deux composantes : enchevêtrement d’un édifice juridique supra legem toujours plus contraignant d’une part, coup de force des juges dans le développement des droits fondamentaux d’autre part.
En réponse à ces reproches on peut faire observer que l’œuvre des juges dans le développement des droits fondamentaux a toujours été permise par des réformes constitutionnelles et législatives. C’est dire que le politique non seulement ne s’y est pas opposé mais l’a même favorisée. Par ailleurs, la reconnaissance de principes généraux s’est faite dans le cadre d’une évolution progressive conduisant à un consensus entre juridictions suprêmes nationales et européennes, dans la recherche constante d’une adaptation du droit à l’évolution des mentalités. La reconnaissance de libertés fondamentales n’est pas une lubie des juges mais répond à une demande des citoyens, qui les saisissent à cet effet.
Cependant, ces réponses n’épuisent pas le cœur du reproche adressé à l’Etat de droit : celui du développement incontrôlé d’une tendance droit-de-l’hommiste incapacitante pour l’action du pouvoir politique. Les juges ne peuvent donc se contenter de se draper dans la certitude de leur légitimité. Ils doivent inlassablement continuer à améliorer leurs processus décisionnels et chercher à convaincre de leur richesse de leurs spécificités.
C’est ce que fait la Cour de cassation en se donnant les moyens d’enrichir et de rendre encore plus collective sa réflexion dans les affaires à fort enjeu. Dans le même esprit elle s’attache, dans ces mêmes affaires, à rendre des arrêts plus motivés et à publier ses travaux préparatoires, afin de montrer comment s’élaborent ses décisions. Consciente de la responsabilité qui est la sienne dans la qualité du service rendu par l’ensemble de l’institution judiciaire, elle a par ailleurs mis en place un observatoire des litiges judiciaires qui doit permettre, d’une part, aux cours d’appel et aux tribunaux, de partager des informations sur les contentieux qui leur sont communs dans le but de juger plus vite et mieux, d’autre part, à la Cour de cassation, de mieux comprendre les difficultés que connaissent les juridictions du fond dans l’interprétation et l’application du droit et de connaître par avance les contentieux émergents dont elle sera saisie.
A télécharger
L'édito en PDF (183 Ko)