Propriétés et économies, entre matériel et immatériel (XIIIe-XXIe siècle)

L'IGPDE et le Comité pour l’histoire économique et financière de la France (CHEFF), en collaboration avec l’IDHE.S, organisent le 28 mai une journée d'études sur les régimes de propriété, entre bien matériel et immatériel.

Sous la direction scientifique de Michela Barbot, Christian Bessy et Anne Conchon, cette journée vise à comparer la propriété matérielle des choses et celle des biens immatériels dans un arc chronologique très ample, allant du Moyen Âge à l’époque contemporaine.

L’objectif de cette journée d'études est d’engager une réflexion collective sur une histoire en longue durée des droits de la propriété́ afin de comprendre si, comment et selon quelles temporalités le droit régissant la propriété des choses s’est étendu à de nouveaux objets, tels que les biens incorporels, le travail ou encore les « œuvres de l’esprit ».

Un tel projet s’inscrit résolument dans les évolutions actuelles marquées par la dématérialisation croissante d’opérations à l’ère numérique (les entreprises sont ainsi amenées à réaliser de plus en plus d’investissements immatériels pour assurer leur compétitivité) et par la place grandissante des biens incorporels dans l’économie marchande (cryptomonnaie, actifs financiers, NFT…).

Cette journée d’études doit permettre, d’une part, d’historiciser et de déconstruire cette dichotomie entre les propriétés matérielles et immatérielles, pour étudier les références croisées entre les unes et les autres et, parallèlement, de s’intéresser à des objets intégrant les deux dimensions, qu’il s’agisse de la propriété artistique, de la notion de patrimoine, des privilèges et des brevets, des rentes et des capitaux financiers assis sur des biens matériels, des offices ou des maîtrises de métier, des formes de dissociation de la propriété comme le fidéicommis ou l’emphytéose, ou encore des fonds de commerce, qui ont parfois été assimilés à des propriétés intellectuelles et alors qualifiés de « droit de clientèle ».

Dans une approche résolument comparative et à la recherche de dynamiques sur la longue durée, cette journée réunit des chercheurs et chercheuses travaillant sur les questions de propriété et venant d’horizons disciplinaires différents.

Voir l'affiche

Biographies des intervenants

9 h 00-9 h 30 : café d’accueil

9 h 30-9 h 50

Introduction générale

Michela Barbot (CNRS-IDHE.S ENS Paris-Saclay)

Christian Bessy (CNRS-IDHE.S ENS Paris-Saclay)

Anne Conchon (Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne-IDHE.S et CHEFF)

 

9 h 50-12 h 20

Session 1

Circulations et régulations

Présidence assurée par Caroline Vincensini (ENS Paris Saclay-IDHE.S)

 

Fidéicommis et propriétés (im)matérielles dans la Venise moderne

Jean-François Chauvard (Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne)

La lettre et le fonds, les propriétés immatérielles et matérielles des marchands parisiens au XVIIIe siècle

Laurence Croq (Université Paris Nanterre) et Mathieu Marraud (CNRS-EHESS)

L’invention du droit de suite des artistes (1890-1920), un partage de la valeur de l’œuvre

Laurent Pfister (Université Paris-Panthéon-Assas)

La fabrication d'immatériels environnementaux comme réponse aux enjeux écologiques ?

Ève Chiapello (EHESS)

 

11 h 45-12 h 30

Discussion - questions

12 h 30-14 h 15 : pause méridienne

14 h 15-17 h 00

Session 2

Appropriation et valorisation

Présidence assurée par Marie Cornu (CNRS-ISSP)

 

Temporels ecclésiastiques, concessions et droits (im)matériels. Le cas de l’Estagnol d’Exindrio (Bas-Languedoc, XVIIe-XVIIIe siècle)

Élias Burgel (Université Savoie Mont-Blanc)

Risque, liquidité et transmission d’actifs à l’époque moderne : une exploration des contraintes pesant sur le patrimoine immatériel marchand et de leurs conséquences

Pierre Gervais (Université Paris 3 Sorbonne nouvelle)

L'appropriation des œuvres du 1 % artistique. La capture du lion

Christian Bessy (CNRS- IDHE.S ENS Saclay) et Noé Wagener (Université Paris Est-Créteil-Val-de-Marne)

 

15 h 45-16 h 30

Discussion - questions

16 h 30-17 h 00

Discussion générale

 

CHAUVARD Jean-François 

Fidéicommis et propriétés (im)matérielles dans la Venise moderne

Selon une intensité variable en fonction des États de l’Europe occidentale, se sont multipliés, entre la fin du Moyen Âge et les temps modernes, les fidéicommis, des fondations testamentaires qui rendaient les biens assujettis inaliénables et qui fixaient la ligne de succession. Rendre les biens indisponibles était une manière pour le testateur d’agir après sa mort et de privilégier la perpétuation de l’axe familiale autour duquel les ayants droits successifs occupaient une simple position. Si les fidéicommis concernèrent d’abord les biens immeubles, ceux dotés d’une forte valeur symbolique (palais, fief, château) et puis ceux de rapport, ils lièrent au cours du xvie siècle des collections d’œuvres d’art et des bibliothèques, et s’étendirent à des capitaux qui avaient le statut de bien immeuble (titres de la dette publique, prêt hypothécaire). Or l’assujettissement de ces capitaux posait des problèmes spécifiques pour garantir leur réemploi. Pour les administrateurs des fidéicommis et les autorités politiques, l’objectif était de préserver l’intégrité et la valeur du fidéicommis que les biens fussent matériels ou immatériels. La Venise moderne servira de terrain d’enquête.

 

CROCQ Laurence et MARRAUD Mathieu

La lettre et le fonds. Les propriétés immatérielles et matérielles des marchands parisiens au xviiie siècle

L’établissement comme marchand à Paris impose souvent l’entrée dans un métier juré. Au rituel de la réception s’ajoute au cours du XVIIIe siècle la délivrance d’un document, une « lettre de maîtrise », octroyée par la communauté moyennant le versement d’une somme dont le montant est négocié. L’association de la lettre et de la finance tend à rapprocher le statut du marchand de celui de certains officiers. Mais l’acquisition de cette propriété immatérielle ne suffit pas à faire le marchand, celui-ci n’entreprend d’accéder à la maîtrise que s’il a suffisamment de crédit pour acheter des marchandises et louer un local commercial (ou racheter un fonds de commerce si les deux sont associés).

 

PFISTER Laurent                        

L’invention du droit de suite des artistes (1890-1920), un partage de la valeur de l’œuvre

Au début des années 1890, est formulée en France, peut-être pour la première fois, l’idée que les artistes et leurs héritiers devraient percevoir un pourcentage du prix de revente des œuvres d’art sur le marché secondaire. Il faudra attendre la loi du 20 mai 1920 pour que cette idée soit consacrée sous la qualification de droit de suite inaliénable au profit des artistes. Ces trente années ont été ponctuées de controverses sur la pertinence juridique et l’opportunité économique de consacrer un tel droit. La propriété absolue du support matériel de l’œuvre peut-elle être dissociée du droit de suite du créateur, attribut du droit de propriété sur son œuvre immatérielle ? N’est-ce pas remettre en cause la liberté et l’absolutisme de la propriété matérielle ? Le partage de la valeur entre créateur et vendeur qu’est censé permettre le droit de suite ne risque-t-il pas de dissuader amateurs, collectionneurs et curieux d’investir dans les œuvres d’art, et de perturber le marché de l’art, notamment de dévaloriser la place de Paris ? La communication aura principalement pour objet d’étudier ces controverses.

 

CHIAPELLO Ève                                                                                                               

La fabrication d’immatériels environnementaux comme réponse aux enjeux écologiques ?

Nous proposons un cadre d’analyse pour un type de propriété immatérielle particulière qui s’est beaucoup développée ces dernières décennies dans le but d’apporter des solutions aux problèmes environnementaux en s’appuyant sur des mécanismes de marché.

Ces biens incorporels sont produits par des processus de marchandisation singuliers qui visent à transformer les impacts environnementaux en marchandises. Dans la plupart des cas, ce qui est vendu est une unité d’impact qui peut être positive ou négative : une unité de restauration de l’environnement (un crédit) ou de destruction de l’environnement (un permis). Ces permis ou crédits commercialisables prennent la forme par exemple de droits à polluer ou de crédits de compensation carbone ou biodiversité. Nous nous intéressons aux arrangements sociotechniques complexes qui permettent cette marchandisation. L’impact est mesuré, puis converti en marchandise, commercialisé et parfois échangé sur un marché secondaire. Nous mettons en lumière l’importance du travail de détachement de la matérialité qu’opèrent ces impacts, détachement nécessaire à leur marchandisation mais qui affaiblit leur efficacité environnementale.

 

BURGEL Élias

Temporels ecclésiastiques, concessions et droits (im)matériels. Le cas de l’Estagnol d’Exindrio (Bas-Languedoc,XVIIe-XVIIIe siècle)

Dans les années 1660, l’évêque de Montpellier décide de concéder perpétuellement un petit étang (estagnol) situé près du littoral, dans le terroir de la communauté de Villeneuve-lès-Maguelone. Des laïcs, associés entre eux, s’engagent à le dessécher pour accroître les surfaces mises en culture. L’acte de concession concerne aussi bien l’occupation du foncier que des droits divers, par exemple celui de ramasser les joncs, jusque-là détenu par le boulanger du four communal. À partir d’une microscopique étude méditerranéenne, cette communication propose de montrer – ou plutôt de rappeler – que l’idée monolithique de « propriété », chargée d’un héritage post révolutionnaire, n’est pas pertinente pour étudier les sociétés d’Ancien Régime et ne saurait être plaquée sur celles-ci. Inversement, le binôme propriété matérielle-propriété immatérielle est peut-être plus adapté pour entrer dans un monde de droits dissociés, en particulier sur les choses de la nature, en rappelant que l’accès aux matérialités ne pouvait se faire qu’au travers des abstractions juridiques.

 

GERVAIS Pierre                                                                                                       

Risque, liquidité et transmission d’actifs à l’époque moderne : une exploration des contraintes pesant sur le patrimoine immatériel marchand et de leurs conséquences

L’un des thèmes récurrents de l’histoire sociale dans les régions européennes à l’époque moderne est la tendance au transfert du capital investi dans des activités commerciales à hauts rendements vers des valeurs refuges, terres et charges publiques, avec la figure du commerçant anobli, abandonnant ses activités pour vivre de ses rentes foncières, droits seigneuriaux et autres revenus non commerciaux. Les explications fournies sont en général de deux ordres, préférence socio-culturelle, d’une part, affirmant la supériorité de la (non)-activité noble malgré son caractère moins rémunérateur, ou préférence économique, d’autre part, fondée sur l’aversion au risque, la moindre rémunération traduisant alors une plus grande sécurité.

La présente communication explore un autre angle moins fréquemment mentionné, celui du degré auquel un patrimoine de l’époque moderne était, ou non, transmissible. Pièces de monnaie, billets à ordre et marchandises semblent au premier abord être des actifs liquides et transmissibles sans difficulté, mais ils ne prenaient leur valeur que dans le cadre d’une activité précise, à l’intérieur d’un réseau défini de partenaires, et, pour ce qui est des marchandises – et encore plus des effets de commerce – pouvaient subir une décote importante en cas de décès de leur détenteur et de vente « libre », en-dehors du réseau pour l’usage duquel ces marchandises et effets avaient été conçus à l’origine. Surtout, l’actif le plus important, était constitué par la position de réseau du marchand concerné, faite d’un ensemble de relations interpersonnelles et de « crédits » – au sens large du terme – mobilisables à l’intérieur de sous-réseaux multiples. Attaché à la personne de son bénéficiaire, il pouvait certes être transmis via un partenariat de type « X et fils », mais l’effort requis constituait un « droit de transmission » caché et considérable propre au patrimoine marchand. La communication tente de réévaluer de ce point de vue la valeur des composantes des patrimoine des élites européennes et coloniales à partir de quelques cas européens et nord-américains.

 

BESSY Christian et WAGENER Noé

L’appropriation des œuvres du 1 % artistique. La capture du lion

Cette communication rend compte des tensions inhérentes aux enjeux d’appropriation autour des œuvres dites du 1 % artistique. Il étudie, dans un premier temps, une sculpture de 1957 (Le lion de Leygue) qui a été déménagée sur un autre campus, en retraçant sa genèse et son devenir. À partir de cette étude de cas autour d’une sculpture conçue dans un certain environnement architectural, éducatif et urbain, nous analysons ces tensions en adjoignant l’analyse d’autres œuvres qui n’ont pas toutes subi le même sort et qui ont été pourtant liées suivant une forme d’interdépendance, en référence à la notion de « collection ». Cette notion est justement apparue au moment du déménagement. Dans un deuxième temps, le texte examine les différentes significations et les usages qui en a été faits en lien avec les questions d’appropriation et, plus précisément, avec les qualifications juridiques mobilisées par les acteurs en référence à des « droits de propriété ». Dans un troisième temps, nous analysons les divers types d’attache des œuvres à leur environnement, ce qui conduit à distinguer différentes formes de valorisation des choses.

 

 

Venir à la journée d'études

L'inscription est gratuite mais obligatoire (pour s'aider)

Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Centre de conférences Pierre-Mendès-France

139, rue de Bercy 75012 Paris
M° Bercy ou Gare de Lyon.