Qui n’a pas sursauté à réception de son relevé de compte en voyant le taux des intérêts débiteurs sur un « petit découvert » de trois jours ou à la lecture d’une offre préalable de prêt immobilier à 15 ans précédant l’achat d’une résidence principale ? Comment expliquer 14 à 18 % dans un cas, 4 à 5 % dans l’autre ?
Jeter un petit coup d’œil dans le laboratoire du banquier permet de voir comment il mesure les ingrédients de son prix de revient et mitonne son « taux clientèle » exprimé par le TAEG (Taux Annuel Effectif Global).
Les ressources du prêteur
L’argent qu’il prête n’est pas le sien. Il l’obtient auprès :
- des déposants à qui il peut verser un intérêt ( le dépôt peut provenir des crédits accordés ),
- de ses confrères excédentaires en trésorerie,
- des institutionnels et entreprises également excédentaires, via le marché interbancaire,
- des capitaux propres dont il dispose (argent apporté par les actionnaires et les bénéfices réinvestis),
- des emprunts qu’il émet sur les marchés financiers,
- des « facilités » de la Banque Centrale Européenne en dernier ressort contre remise en garantie d’actifs de bonne qualité.
Il dispose ainsi de ressources, dont les montants, la provenance, le taux de rémunération et l’échéance sont très différents. Il les prête en respectant des critères rigoureux, fixés par les autorités de tutelle du secteur bancaire.
Centrale de gestion du risque
Il intervient comme une véritable centrale de gestion du risque puisqu’il s’expose à :
- devoir rendre l’argent des déposants, institutionnels et investisseurs divers, avant d’avoir été remboursé par son client emprunteur (à qui il arrive même de ne jamais le rembourser)
- être surpris par l’évolution divergente du taux d’intérêt qu’il verse au déposant par rapport à celui qu’il reçoit de l’emprunteur : ce dernier revient volontiers renégocier à la baisse le taux de son emprunt immobilier, jamais à la hausse…
- faire coïncider les montants et échéances des dépôts avec ceux des crédits, anticiper l’évolution respective des taux longs et des taux courts, trouver des ressources dans la même devise que celle des crédits… est le rôle de la « gestion actif-passif » (Asset Liability Management - ALM - en Anglais).
Les mystères de la recette du Chef
À la différence d’une entreprise industrielle ou commerciale, dont la rentabilité des ventes est rapidement connue, celle d’une banque n’est certaine que beaucoup plus tard, après l’échéance des crédits préalablement accordés, comme nous le rappellent les événements récents.
Le talent du « Chef » réside dans le bon dosage des sucres rapides (les découverts et autres crédits de trésorerie) avec les sucres lents qui financent par exemple les acquisitions de résidence principale. Il veille à ce que chaque client ne souffre ni d’inanition (crédit trop rationné) ni d’indigestion (crédit trop facilement confié à celui qui ne le transformerait pas bien en énergie créatrice de richesse).
Toute erreur de dosage conduirait tôt ou tard à de regrettables accidents de santé qui altèreraient aussi celle de la banque. Dans cette délicate préparation, il lui faut quantifier tous les éléments, souvent qualitatifs, de manière à proposer un taux acceptable par le client et dégageant une marge après couverture de tous les risques connus ou prévisibles.
Sur la base des expériences passées et des prévisions des économistes, chaque secteur d’activité, chaque forme de crédit se voit attribuer une marge pour couvrir le risque, plus importante lorsque le crédit est sans garantie. Cette marge est modulée client par client puis ajoutée au coût du financement pour obtenir le taux proposé.
Un exemple schématique
Attention Les taux indiqués sont des ordres de grandeur et peuvent évoluer dans le temps notamment selon la conjoncture économique. |
|
Crédit renouvelable |
Prêt immobilier résidence principale > 10 ans |
---|---|---|
Coût de l’argent confié par les épargnants et emprunté sur les marchés |
5,0 % * |
3,2 % |
Coût direct estimé de distribution, de gestion et de recouvrement du crédit |
4,0 % |
0,4 % |
Coût estimé du risque (de non-remboursement, de taux, d’immobilisation de fonds propres …) |
4,0 % |
0,2 % |
Coût de revient pour la banque |
13,0 % |
3,8 % |
Prix de « vente » au client emprunteur |
18,0 % |
4,2 % |
Marge brute de la banque, avant frais généraux et assurance |
5,0 % |
0,4 % |
* Dans les grands groupes, il y a mutualisation des ressources, les filiales de crédit à la consommation peuvent donc avoir accès à des ressources moins onéreuses.
Les Sociétés Financières, spécialisées dans le crédit à la consommation ne reçoivent pas de dépôts. Elles se financent essentiellement sur les marchés (monétaire et financier). Les dossiers de crédit sont d’un faible montant unitaire, ce qui augmente les frais de gestion. De plus, ils sont accordés sans garantie à des clients déjà endettés par ailleurs, d’où de nombreux « contentieux ». Le pourcentage des crédits non remboursés y est plus important que dans les banques.
Le cas des crédits immobiliers
Dans le cas de prêts immobiliers d’acquisition d’une résidence principale (souvent de 10 à 20 ans), la banque calcule son coût de financement par rapport à un cocktail de ressources à moyen terme (5/7 ans), par exemple les plans d’épargne-logement et à long terme dont la référence est couramment celle du taux des emprunts d’État à long terme, très bas depuis deux ans. Elle y ajoute sa marge et estime le coût du risque, c’est à dire le pourcentage des crédits qui ne seront pas remboursés à bonne date du fait de la défaillance de l’emprunteur. Cela dit :
- les montants unitaires sont élevés (un faible pourcentage sur de gros montants peut rapporter plus qu’un pourcentage élevé sur de faibles montants) ;
- la concurrence est très forte ;
- les incidents de remboursement sont peu fréquents car l’accord initial est étudié avec soin, voire avec sévérité ;
- les pertes définitives sont beaucoup plus faibles (que pour les crédits à la consommation et crédits aux entreprises) par la banque dispose d’une garantie sur le bien financé (hypothèque) ou d’une caution fournie par une société de caution mutuelle ;
- l’assurance décès-invalidité est quasi systématique : elle renforce la sécurité du prêteur et lui offre une marge complémentaire.
A savoir Voilà pourquoi le prêt immobilier faiblement margé sert de produit d’appel pour attirer vers la banque les nouveaux clients « à potentiel », qui se verront proposer des produits d’épargne « maison » et les fidéliser à long terme. |
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