Sommaire | N° 12 du 22 août 2002 |
Arrêt de la cour dappel de Paris (1re chambre, section H) en date du 21 mai 2002 relatif au recours formé par la SA Télédiffusion de France (TDF) contre la décision no 02-MC-04 (*) du Conseil de la concurrence en date du 11 avril 2002 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Antalis
NOR : ECOC0200179X
Demanderesse au recours :
S.A. Télédiffusion de France (TDF) prise
en la personne de ses représentants légaux, ayant son siège,
10, rue dOradour-sur-Glane, 75015 Paris, représentée
par Me Teytaud, avoué, 4-6, quai de la Mégisserie,
75001 Paris, assistée de Me A. Bensoussan,
16, avenue du Président-Kennedy, 75016 Paris, toque E 241.
Défenderesse au recours :
SA Antalis, prise en la personne de ses représentants
légaux, ayant son siège, 2, place Jules-Gevelot, 92130 Issy-les-Moulineaux,
représentée par la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, avoués,
23, rue du Louvre, 75001 Paris, assistée de Me J.-P.
de La Laurencie et Me S. Sangle-Ferrière, Washington
Plaza, 42, rue de Washington, 75408 Paris Cedex 08.
En présence du ministre de léconomie,
des finances et du budget, représenté aux débats par Mme Yeddou,
munie dun mandat régulier.
Composition de la cour, lors des débats et du
délibéré :
M. Lacabarats, président ;
Mme Penichon, conseiller ;
Mme Delmas-Goyon, conseiller.
Greffier :
Lors des débats : Mme Padel, greffier ;
Lors du prononcé de larrêt :
Mme Jagodzinski, greffier.
Ministère public : M. Woirhaye, substitut
général.
Arrêt prononcé publiquement le 21 mai
2002, par M. Lacabarats, président, qui en a signé la minute
avec Mme Jagodzinski, greffier.
Après avoir, à laudience publique
du 30 avril 2002, entendu les conseils des parties, les observations de
Mme le représentant du ministre chargé de léconomie
et celles du ministère public, les conseils des parties ayant eu la parole
en dernier ;
La société Antalis, dont lobjet
social est notamment « la fourniture de toutes prestations de
caractère technique relatives à la transmission, la diffusion,
la distribution, la production, le traitement et la réception dimages,
de sons et de données sur tous supports », a, par lettre
du 10 janvier 2002, saisi le Conseil de la concurrence (le Conseil) de
pratiques mises en uvre par la société Télédiffusion
de France (TDF), dans le secteur des infrastructures de diffusion technique
par voie hertzienne terrestre des services de télévision, et notamment
du manque de transparence et du caractère excessif des prix de son offre
dhébergement sur ses sites de diffusion, dénommées
DiGiSiTV, contraires, selon elles, aux dispositions des articles 81 du
traité CE et L. 420-2 du code de commerce. Accessoirement à
cette saisine au fond, la société Antalis a sollicité le
prononcé de mesures conservatoires tendant, pour lessentiel, à
enjoindre à TDF doffrir une prestation permettant aux opérateurs
tiers lexercice dune concurrence effective.
Par décision no 02-MC-04 du 11 avril
2002, le Conseil a enjoint à la société TDF de « communiquer
à toute entreprise qui en fait la demande une offre de prestation daccueil
concernant, au moins, les sites de diffusion hertzienne installés sur
les 29 premières zones de diffusion définies par le CSA dans
sa décision du 24 juillet 2001, détaillée poste par
poste et intégrant des conditions tarifaires établies de manière
objective, transparente et non discriminatoire, à un prix en rapport
avec les coûts directs et indirects des prestations offertes, y compris
une rémunération raisonnable du capital engagé » ;
La société TDF a formé un recours,
par voie dassignation, à laudience du 3 avril 2002,
à lencontre de cette décision. Elle demande à la
cour, à titre principal, lannulation de la décision du Conseil.
Elle sollicite, à titre subsidiaire, sa réformation et en conséquence :
dexclure de linjonction prononcée
les deux sites saturés de Caen CHU et de Toulouse Bonhoure ainsi que
les huit sites pour lesquels existe une offre alternative à celle de
TDF ;
de dire que TDF bénéficiera
dun délai dun mois à compter de la notification de
larrêt de la cour dappel à intervenir, délai
augmenté dun mois pour tenir compte des demandes spécifiques
de chaque opérateur, des études de faisabilité à
réaliser et des investissements à définir, pour satisfaire
à linjonction qui serait prononcée ;
de condamner TDF à lui payer la somme
de 15 000 Euro au titre de larticle 700 du nouveau code
de procédure civile.
La société Antalis, par des écritures
du 30 avril 2002, demande à la cour de confirmer la décision
du Conseil et de condamner la société TDF à lui verser
la somme de 50 000 Euro sur le fondement de larticle 700
du nouveau code de procédure civile.
Le ministre de léconomie et le ministère
public ont été entendus en leurs observations orales tendant au
rejet du recours.
La requérante a eu la parole en dernier.
Sur
ce, la cour :
Sur
lintérêt à agir :
Considérant que la société
Antalis a justifié venir aux droits de la SAS 3 Wave, à la
suite de la transmission universelle du patrimoine de cette société
à son associé unique, la société PLFC & Co, intervenue
le 17 décembre 2001, laquelle a pris le nom dAntalis le même
jour, décision publiée au BALO des 5, 6 et 7 janvier
2002, et dont TDF a été avisée par lettre du 17 décembre
2001 ; que la requérante avait, le 10 janvier 2002, date de
la saisine, un intérêt à agir certain et actuel, celui-ci
sapréciant indépendamment de la publicité des actes
au registre du commerce ; quen conséquence, le moyen tiré
du défaut dintérêt à agir ne peut être
accueilli ;
Sur
le marché :
Considérant que cest à juste
titre, par de motifs pertinents, que la cour adopte, que le Conseil a, en létat
de linstruction, distingué un marché français de
la distribution de services techniques de la télévision numérique
terrestre (TNT) et relevé que TDF était susceptible de détenir
une position dominante sur les marchés connexes de la diffusion hetzienne
analogique des chaînes de télévision ;
Que TDF, en se bornant à affirmer, dans ses écritures,
que « la télévision numérique est un secteur
spécifique, émergent et à risque » et que
« chaque zone définie par le CSA doit être traitée
de façon indépendante en fonction des contraintes techniques de
chaque zone », napporte aucun élément de
nature à combattre lanalyse effectée par le Conseil selon
laquelle les candidats à la diffusion technique de la TNT devront être
en mesure, pour répondre à la demande de prestation globale des
éditeurs de programmes, telle quelle ressort de leurs courriers
(pièces no 5-1, 5-8, Antalis), de leur proposer les services
dun réseau de diffusion afin dassurer lobjectif de
couverture nationale prévu dans lappel de candidatures lancé
par le Conseil supérieur de laudiovisuel (CSA) le 24 juillet
2001 ;
Que, par ailleurs, la position dominante susceptible
dêtre détenue par TDF sur les marchés de la diffusion
hertzienne analogique des chaînes de télévision, loin dêtre
sans incidence sur le marché défini par le Conseil ainsi que le
prétend la requérante, peut lui permettre, en utilisant le savoir-faire,
la notoriété et lavance technologique acquis sur les premiers
marchés, de commettre des pratiques anticoncurrentielles sur le second,
où, en tant que diffuseur technique, elle est en concurrence, pour le
service founi aux éditeurs de chaîne de télévision,
avec les nouveaux opérateurs, lesquels sont également ses clients
pour la prestation dhébergement sur les sites de diffusion quelle
détient ;
Que, du reste, la principale contestation de TDF porte,
non pas sur le marché tel que défini par le Conseil, mais précisément
sur ce marché amont de la fourniture dinfrastructure, encore dénommé
marché des sites pylônes, lequel ne formerait pas un marché
unique mais serait constitué de marchés géographiquement
distincts, dès lors que les sites de diffusion seraient reproductibles
et quune offre alternative existerait sur certaines zones ; que,
pour les mêmes raisons, ils ne constitueraient pas un réseau susceptible
dêtre qualifié dinfrastructure essentielle ;
Mais considérant que, quelle que soit la configuration
du marché retenu finalement par le Conseil, il nest pas, en létat,
contesté que TDF détient une majorité des sites nécessaires
aux nouveaux opérateurs pour lexploitation du service de diffusion
technique ; que ceux-ci ne sont pas aisément reproductibles par
ces opérateurs dans le temps qui leur est imparti par le Conseil supérieur
de laudiovisuel pour le lancement du marché, lequel a du reste
sciemment privilégié lutilisation des infrastructures existantes
dans un souci defficacité ; quil nest pas établi
que les offres alternatives évoquées par TDF, qui portent sur
un petit nombre de sites, soient substituables aux siennes en termes de qualité
démission, compte tenu des différences existant quant à
laltitude des sites et quant au matériel utilisé (antennes,
pylônes), et en termes de prix, les tarifs de la concurrence étant,
pour certains, plus chers que ceux de TDF, ainsi quil ressort de ses conclusions
même (p. 31) ; que, en létat de linstruction,
il ne peut être exclu quau moins dans la phase de lancement du marché
cette entreprise ne détienne, sur ce marché amont, un avantage
concurrentiel important par rapport à ses concurrents ou ne soit un partenaire
obligé des nouveaux opérateurs pour de nombreux sites ;
Que, dès lors, il peut être déduit
de la position de TDF sur lensemble des marchés connexes que cette
entreprise pourrait disposer, à lavenir, dune puissance économique
lui permettant, le cas échéant, de sabstraire de la concurrence
et de faire obstacle à lentrée des concurrents sur le marché
de la distribution des services techniques de la TNT ; quen revanche,
à ce stade de linstruction, la qualification dinfrastructure
essentielle, qui repose sur la seule contrainte de délai imposée
par le CSA pour le lancement du marché, apparaît insuffisamment
étayée, dès lors que des possibilités de substitution
réelles ou potentielles (duplication des sites) de linfrastructure
paraissent pouvoir être mises en place dans un délai raisonnable,
même à des conditions moins avantageuses, ce qui na pas été
exclu par les autorités de marché (observations CSA, pièce
no 2, TDF) ;
Sur
les pratiques :
Considérant que lentreprise en position
de domination a une responsabilité particulière envers le marché ;
quelle ne doit pas mettre à profit cette situation pour vendre
ses services à des prix prédateurs ou encore excessifs ou discriminatoires,
de nature à interdire laccès des opérateurs au marché ;
quau regard de ces principes du droit de la concurrence et peu important
que le secteur ne soit pas encore régulé le Conseil a justement
relevé que loffre dhébergement de site dénommée
DiGiSiTV devait permettre à des diffuseurs techniques tels Antalis de
« fournir dans des délais compatibles avec le calendrier
fixé par le CSA un service de diffusion numérique des signaux
audiovisuels » ;
Considérant, en lespèce, quil
nest pas contesté par TDF que, malgré de multiples demandes
émanant dAntalis, le prix des différentes prestations composant
son offre (locaux, pylônes, terrain, multiplexeur, feeders et antennes)
na pas été décomposé alors que ces éléments
techniques peuvent être dissociés et correspondent à des
métiers différents ; que, par ailleurs, les calculs figurant
aux pages 43 et suivantes des conclusions dAntalis montrent des écarts
significatifs entre coûts estimés et tarifs pratiqués, que
lon retienne la méthode des coûts complets ou des coûts
marginaux, et alors même quAntalis a tenu compte partiellement des
observations de TDF faites sur son étude, les autres critiques étant
rejetées dans la mesure où cette entreprise a estimé avoir
utilisé, pour sa démonstration, des méthodes de calcul
neutres, intégré une marge raisonnable, ne pas avoir à
supporter certaines charges déjà comptabilisées au titre
de la diffusion en mode analogique ou a contesté le coût de certains
investissements ;
Que cest donc à bon droit, par des motifs
que la cour fait siens, que le Conseil a considéré que les griefs
dénoncés par Antalis concernant limprécision et le
manque de transparence de loffre ainsi que le caractère excessif
des tarifs étaient susceptibles de caractériser des abus en relation
avec une éventuelle position de domination de TDF ;
Sur
lexistence dune atteinte grave et immédiate en relation avec
les abus de domination :
Considérant que, contrairement à ce
que soutient TDF, les pratiques dénoncées doivent être en
relation directe et certaine avec une atteinte grave et immédiate à
léconomie générale, à celle du secteur intéressé,
à lintérêt des consommateurs ou à lentreprise
plaignante, sans quil soit besoin de démontrer, à ce stade,
leur caractère manifestement illicite ;
Quen lespèce il suffit de constater
que des pratiques de prix excessifs et non transparents concernant la prestation
dhébergement sur site, si elles étaient avérées,
ont pour conséquence directe de renchérir le prix de loffre
des nouveaux opérateurs, dont elle est une composante, et donc de la
rendre moins compétitive que celle de lopérateur historique,
alors quils doivent proposer celle-ci rapidement aux éditeurs de
chaînes, pour faire face aux délais impartis par le CSA ;
quelles sont ainsi de nature à porter une atteinte grave et immédiate
au secteur considéré, sagissant, en lespèce,
dun marché innovant et en voie de formation, que TDF, par sa double
faculté de sabstraire de la concurrence et de dresser des barrières
à lentrée, a la capacité de capter rapidement et
en totalité, éliminant ainsi durablement toute possibilité
de concurrence effective ;
Sur
la mesure conservatoire :
Considérant que, contrairement à ce
qui est soutenu dans le mémoire en défense, lénumération
des mesures conservatoires figurant à larticle L. 464-1 du
code de commerce nest pas limitative et ninterdit pas au Conseil,
en sus des mesures de suspension et dinjonction de revenir à létat
antérieur, de prendre toutes décisions de nature à prévenir
ou à redresser les situations économiques déviantes ;
quen lespèce, cest à juste titre que le Conseil,
tenant compte des impératifs de la constitution des nouveaux marchés,
a décidé de replacer les opérateurs dans une position de
négociation doffres conformes à une saine concurrence, avant
que cette dernière ne soit définitivement compromise ;
Quil ne saurait davantage être soutenu que
cette mesure engage TDF dans des relations contractuelles définitives
alors quelle se borne à lui demander de corriger loffre présentée
aux nouveaux opérateurs pour la rendre compatible avec les principes
du droit de la concurrence ; quainsi lautorité de marché
ne sest substituée ni à TDF pour lélaboration
de ses tarifs, ni aux opérateurs qui sont libres de les accepter ou de
les refuser ; que ce moyen sera, en conséquence, écarté
de même que celui dimprécision de la mesure, celle-ci visant
clairement les 29 sites définis par le CSA ;
Mais considérant, sur le principe dorientation
vers les coûts, que les mesures doivent être limitées à
ce qui est nécessaire pour faire face à lurgence ;
que si limmédiateté et la gravité de latteinte
à la concurrence commandent que TDF corrige son offre pour la rendre
compatible avec le droit de la concurrence, elle nimpose pas que le principe
dorientation vers les coûts lui soit appliqué dans toute
sa rigueur, alors quen létat de linstruction, la qualification
dinfrastructure essentielle des sites de TDF nest pas avérée ;
Quen effet, alors que les pièces versées
aux débats montrent la fragilité du secteur (pièces no 18,
TDF, 27 et 28, Antalis), lapplication rigoureuse de ce principe est
de nature à pénaliser injustement et irrémédiablement
lopérateur historique, qui doit exposer des dépenses pour
aménager ses infrastructures et prendre des risques pour assurer la rentabilité
des investissements réalisés ; quelle peut également
exercer un impact nocif sur la concurrence en décourageant linvestissement
des opérateurs dans des installations performantes et, à terme,
la performance technologique ;
Considérant, néanmoins, que si, dans lattente
des résultats de linstruction, TDF ne peut être tenue dorienter
mécaniquement ses tarifs vers les coûts, la prise en considération
de ces derniers constitue une précaution indispensable pour sassurer
que ceux-ci sont en conformité avec le droit de la concurrence, cest-à-dire,
sagissant dune société en position de domination,
proportionnels à la valeur du service ; que, par ailleurs, il ny
a pas lieu dexclure les sites sur lesquels existerait une offre alternative
non plus que les sites que TDF prétend saturés, la Cour nétant
pas en mesure, en labsence de justifications objectives, de porter une
appréciation sur ces demandes ;
Considérant, en conséquence, que loffre
de prestation daccueil devra, pour les sites de diffusion hertzienne,
installés sur les 29 premières zones de diffusion définies
par le CSA dans sa décision du 24 juillet 2001, être
décomposée poste par poste (locaux, pylônes, terrain, multiplexeur,
feeders et antennes) et proposer des conditions tarifaires établies de
manière objective, transparente et non discriminatoire, à un prix
proportionné à la valeur du service quelle rend ;
Quun délai dun mois à compter
de la présente décision sera accordé à TDF
pour satisfaire à ces conditions, étant rappelé que ces
mesures nont deffet que pour la durée de la procédure ;
Considérant que léquité commande
de ne pas faire application des dispositions de larticle 700 du nouveau
code de procédure civile ;
Considérant que, le ministère davoué
nétant pas obligatoire dans le cadre de la présente procédure,
il en résulte que lavoué dAntalis ne peut exercer
contre la partie condamnée aux dépens le droit de recouvrement
direct prévu par larticle 699 du NCPC,
Par ces motifs :
Réforme la décision déférée.
Statuant à nouveau, enjoint à la société TDF,
dans le délai dun mois, à compter de la présente
décision, de communiquer à toute entreprise qui en fait la
demande une offre de prestation daccueil concernant les sites de diffusion
hertzienne installés sur les 29 premières zones de diffusion
définies par le CSA dans sa décision du 24 juillet 2001,
décomposée poste par poste et comportant des tarifs établis
de manière objective, transparente et non discriminatoire, à
un prix proportionné à la valeur du service quelle propose ;
Rejette toutes autres demandes ;
Dit ny avoir lieu à application des dispositions
de larticle 700 du nouveau code de procédure civile ;
Déclare irrecevable la demande dAntalis
formée au titre de larticle 699 du nouveau code de procédure
civile ;
Condamne TDF aux dépens.
Le greffier | Le président |
(*) Décision no 02-MC-04
du Conseil de la concurrence en date du 21 mai 2002 publiée
au BOCCRF no 11 du 28 juin 2002.
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© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie - DGCCRF - 27 août 2002 |