Avis no 30 du Conseil national de lalimentation
en date du 20 septembre 2001 sur le principe de précaution
et la responsabilité dans le domaine alimentaire
NOR : ECOC0100464V
RAPPORT ET AVIS SUR LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION
ET LA RESPONSABILITÉ DANS LE DOMAINE ALIMENTAIRE
Groupe de travail présidé par Mme Marie-Odile Gailing,
M. François Collart-Dutilleul, en étant rapporteur
Version adoptée à lunanimité le 20 septembre 2001
Résumé
Le Conseil national de lalimentation (CNA) a adopté à lunanimité un rapport et un avis sur le principe de précaution et la responsabilité dans le domaine alimentaire lors de sa réunion plénière du 20 septembre.
Sur la base dune réflexion juridique approfondie, il a formulé treize recommandations dont les orientations principales sont les suivantes :
Il convient de définir le principe de précaution. En effet, lensemble des membres ont estimé que les termes « principe de précaution » étaient utilisés indifféremment avec dautres, sans que les utilisateurs aient clairement connaissance des limites et de la portée de ces termes.
Il faut une définition spécifique au domaine alimentaire. Il ne suffit pas de reprendre la définition posée par la loi Barnier du 2 février 1995 qui se fonde principalement sur le caractère irréversible des atteintes à lenvironnement.
Le CNA est parvenu à un accord sur la rédaction à retenir. Ce consensus a été obtenu à lissue dune évolution sensible des positions initiales, notamment des organisations professionnelles.
Dans sa réflexion, le Conseil a pris en compte la « proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant lAutorité alimentaire européenne et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires ». Sa conclusion est que, même si cette proposition constitue en elle-même un pas important, la rédaction devrait être améliorée et précisée à loccasion des négociations à venir.
La mise en uvre du principe de précaution relève avant tout de la compétence et de la responsabilité de lEtat. Cependant, lefficacité dune politique fondée sur ce principe ne doit pas seulement reposer sur lEtat. Celui-ci en effet ne peut pas avoir une connaissance exhaustive de la diversité des processus de production, de transformation, de transport des denrées alimentaires. Les entreprises ont donc un rôle à jouer.
Certes, les entreprises ne doivent pas être confrontées à lobligation de prendre seules des mesures au-delà de leurs obligations générales de sécurité résultant des textes en vigueur, car elles ne disposent souvent pas de lexpertise scientifique nécessaire.
Il faut en revanche créer pour les entreprises un devoir dalerte. Ceci suppose de leur ouvrir, par des moyens à déterminer, la possibilité de demander un avis à lAfssa. Le CNA a préconisé que ce principe soit retenu. Il poursuivra sa réflexion pour préciser les modalités.
En outre, le principe de précaution doit constituer pour les entreprises et à leur égard essentiellement un « principe-source » en ce sens quil peut fédérer des règles éparses existantes et à venir.
Le CNA estime souhaitable que les organisations de consommateurs et toutes les autres organisations concernées aient la possibilité dinterroger les autorités compétentes pour ce qui concerne la sécurité des produits, les activités de surveillance et de contrôle, et davoir lassurance que ces interrogations seront examinées et recevront une réponse systématique. Tel devrait par exemple être le cas après que lAfssa a remis un avis à la suite dune saisine des organisations de consommateurs. Le CNA souhaite que des procédures soient établies à cette fin.
Il souligne lintérêt délaborer dans les instances internationales et notamment dans le cadre du Codex alimentarius des lignes directrices susceptibles de réduire les marges dinterprétation dun Etat à un autre.
Compte tenu de la sensibilité de ces sujets pour les consommateurs et les entreprises, le CNA a estimé souhaitable que, sans attendre les modifications de textes, lensemble des acteurs concernés veuillent bien sinspirer des principes quil a dégagés.
Préambule
Lors de sa séance plénière du 8 juin 2000, le Conseil national de lalimentation (CNA) a décidé de mener une réflexion sur le principe de précaution et la responsabilité dans le domaine alimentaire.
Le CNA a confié la présidence de ce groupe de travail à Mme Marie-Odile GAILING, appartenant au collège du CNA de la transformation et de lartisanat. M. François COLLART-DUTILLEUL, personnalité extérieure au Conseil en a été le rapporteur.
Il a notamment été décidé :
de réexaminer linscription en droits national et international du principe de précaution à la lumière de lavis no 22 et de la notion de responsabilité de tous les acteurs ;
dexaminer comment ces deux notions sont prises en compte par les acteurs tout au long de la chaîne alimentaire et détendre la réflexion aux instances en charge de lanalyse du risque (évaluation, gestion et communication sur le risque) ;
de préciser comment il convient de considérer la responsabilité et le principe de précaution pour lestimation du rapport bénéfices/risques de toute innovation ou de toute nouvelle substance comparée à celui des techniques ou substances existantes qui permettent datteindre le même objectif ;
de vérifier si lapplication du principe de précaution confère aux acteurs de la chaîne alimentaire, aux instances dévaluation et aux services de contrôle des obligations et responsabilités différentes de celles dictées par la simple attitude de prudence et de proportionnalité ;
détudier, compte tenu de la complexité de la chaîne agroalimentaire, de son organisation transnationale, les transferts de responsabilité entre les opérateurs tout au long de la vie des produits ainsi que les aspects économiques ;
détudier les solutions de toute nature, notamment réglementaire, pour clarifier la responsabilité tout au long de la chaîne alimentaire, pour améliorer linscription en droit du principe de précaution et favoriser une prise en compte harmonieuse et équilibrée entre les différents domaines du risque, notamment avec le risque environnemental, lorsque des décisions doivent être prises.
1. Etats des lieux
Le principe de précaution (cf. note 1) a vocation à être appliqué dans tous les domaines touchant à la sécurité des personnes. Il lest déjà, directement ou indirectement, tant dans le secteur alimentaire que dans ceux de lenvironnement et de la santé. Chacun de ces secteurs connaît des particularités qui conduisent à concevoir la mise en uvre du principe de manière spécifique, à partir de critères et de données communs aux différents secteurs dans lesquels il a vocation à être appliqué (cf. note 2) .
Le principe de précaution se manifeste de manière explicite au regard de la protection de lenvironnement, mais à des degrés divers quant au contenu et au caractère obligatoire des textes. Cest pourquoi les jurisprudences internationale, communautaire et nationale fondent dores et déjà, au moins implicitement, des décisions sur le principe de précaution (cf. note 3) .
En droit international, plusieurs textes ont été adoptés qui, sans viser formellement un « principe », font référence à une « approche de précaution » (cf. note 4) ou encore, comme cest le cas du principe 15 de la Déclaration de Rio de 1992 (cf. note 5) , à des « mesures de précaution » (cf. note 6) . Lorsque la précaution est visée comme objet dun principe celui-ci est alors défini dans le champ de la « prévention » (cf. note 7) . Cest déjà dire la confusion qui règne dans le monde de la précaution (cf. note 8) .
En droit communautaire également, plusieurs textes relatifs à la protection de lenvironnement visent ou concernent le « principe de précaution ». Il en va ainsi des directives de 1990 relatives à lutilisation confinée et à la dissémination des OGM (cf. note 9) . Mais la référence la plus appuyée résulte de larticle 130R du traité de Maastricht, devenu article 174 du traité dAmsterdam :
« La politique de la Communauté dans le domaine de lenvironnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur les principes de précaution et daction préventive... »
En droit interne, le texte phare est celui de larticle L. 200-1 du code rural, issu de la loi Barnier du 2 février 1995, selon lequel :
« Labsence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder ladoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à lenvironnement à un coût économiquement acceptable. »
On voit généralement dans ce texte une définition environnementale du principe de précaution.
Ces textes tiennent compte des spécificités du champ de lenvironnement et notamment de ce que :
le principe de précaution concerne tous les décideurs publics et pas seulement lEtat ;
les risques sapprécient généralement sur plusieurs générations (principe déquité) ;
les mesures de précaution sont le plus souvent destinées à perdurer.
Ce sont dautres spécificités qui gouvernent le secteur de la santé et qui justifient, là encore, des textes particuliers. Au premier chef, on peut voir une manifestation du principe de précaution dans les procédures dautorisation de mise en circulation des médicaments (cf. note 10) .
Ces spécificités se justifient notamment en raison de ce que, par leur nature même, les produits de santé sont susceptibles de se révéler dangereux dans leur effet principal et de générer des effets secondaires négatifs.
Sagissant des médicaments, et à la différence des aliments, lanalyse porte non seulement sur les risques, mais aussi sur lutilité objective du nouveau produit.
Par ailleurs, le secteur de la santé se caractérise par une liberté de choix très réduite sinon inexistante pour le consommateur de médicaments.
Cest là une autre différence avec le secteur alimentaire dans lequel nous verrons que se développe un corps particulier de règles qui renvoient plus ou moins directement au principe de précaution. Les spécificités de ce secteur tiennent notamment :
à linnocuité de principe des produits alimentaires ;
à la longueur des filières et à la complexité des enchaînements de causalité ;
à la singularité du mélange vivant/chimie ;
au libre accès aux aliments et aux possibilités de choix pour le consommateur ;
à la fréquence des recoupements avec des enjeux environnementaux ou de santé ;
et à des mesures de précaution essentiellement temporaires, avant confirmation ou infirmation du risque scientifiquement établie.
Il reste que, quel que soit le secteur considéré, ce que lon dénomme « principe de précaution » a comme objectif premier la neutralisation de risques dont lexistence est suspectée sur des éléments scientifiques encore incertains. Il vise à faire de cette incertitude scientifique un fait juridiquement reconnu pour produire des effets de droit.
Mais sagit-il bien dun principe (cf. note 11) ?
Il est permis de répondre par laffirmative si lon conçoit un principe comme une norme-guide, abstraite et de portée générale, qui, pour assurer le respect dune « valeur » socialement admise, vise à orienter des décisions et des comportements ainsi quà les apprécier.
Le principe ainsi entendu est destiné à être juridiquement mis en uvre de manière indirecte (principe-source), lorsquil fédère des règles concrètes. Il en va ainsi du principe de bonne foi (existence de règles spécifiques en droit des contrats, en droit fiscal, etc.) ou du principe de respect de la vie humaine (dispositions des art. 16 et suivants du code civil, infractions spécifiques dans le code pénal, etc.). Mais il est aussi susceptible de fonder directement (principe-règle) des solutions dans des situations non régies par des textes spécifiques. Ce dernier rôle dépend essentiellement de la manière dont la jurisprudence sapproprie le principe pour en faire un fondement autonome de droits et dobligations, à la manière de ce quelle a réalisé pour les troubles de voisinage, lenrichissement sans cause ou labus de droit.
Dans ce cadre, comment concevoir et mettre en uvre le principe de précaution afin de garantir au mieux la sécurité alimentaire ?
Le principe de précaution est au premier chef un principe-source en ce quil fédère un certain nombre de règles déjà existantes (1.1). Ces règles contribuent à délimiter les frontières conceptuelles de la précaution (1.2) qui est destinée à guider (1.3) et apprécier (1.4) les décisions et comportements des décideurs publics et privés.
1.1. Le principe
Sagissant de la sécurité alimentaire, le principe de précaution nest pas encore posé comme tel dans les textes. Cela ne saurait tarder. Mais il nen plane pas moins dores et déjà au-dessus de certains dentre eux. Ces textes propres au secteur alimentaire, qui renvoient implicitement au principe de précaution, ont essentiellement des sources internationales et communautaires. Mais les uns et les autres ne relèvent pas de la même approche.
1.1.1. Le droit international
Dans le droit de lOMC, laccord du 15 avril 1994 sur lapplication des mesures sanitaires et phytosanitaires (cf. note 12) peut être considéré comme faisant implicitement référence au principe de précaution ou comme en en traduisant une application particulière (cf. note 13) .
Ainsi cet accord dispose-t-il :
« Dans les cas où les preuves scientifiques pertinentes seront insuffisantes, un Membre pourra provisoirement adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base des renseignements pertinents disponibles, y compris ceux qui émanent des organisations internationales compétentes ainsi que ceux qui découlent des mesures sanitaires ou phytosanitaires appliquées par dautres Membres. Dans de telles circonstances, les Membres sefforceront dobtenir les renseignements additionnels nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque et examineront en conséquence la mesure sanitaire ou phytosanitaire dans un délai raisonnable (art. 5.7). »
Cependant, lOrgane de règlement des différends de lOMC a refusé de se prononcer sur la nature et la portée du principe de précaution, spécialement à partir des dispositions de laccord SPS (cf. note 14) :
« Certains considèrent que le principe de précaution est devenu un principe général de droit international coutumier de lenvironnement. La question de savoir sil est largement admis par les Membres comme principe de droit international coutumier ou général est moins claire. Nous estimons toutefois quil est superflu, et probablement imprudent, que lorgane dappel prenne position dans le présent appel au sujet de cette question importante mais abstraite. Nous retenons que le groupe spécial lui-même na pas établi de constatation définitive concernant le statut du principe de précaution dans le droit international et que le principe, du moins en dehors du droit international de lenvironnement, na pas encore fait lobjet dune formulation faisant autorité. »
Quoi quil en soit, laccord SPS laisse toute sa place à la mise en uvre du principe de précaution par les Etats qui le souhaitent, en vertu du principe de libre détermination du niveau de protection sanitaire appropriée qui gouverne cet accord :
« Les membres pourront introduire ou maintenir des mesures sanitaires ou phytosanitaires qui entraînent un niveau de protection sanitaire ou phytosanitaire plus élevé que celui qui serait obtenu avec des mesures fondées sur les normes, directives ou recommandations internationales pertinentes sil y a une justification scientifique ou si cela est la conséquence du niveau de protection sanitaire ou phytosanitaire quun Membre juge approprié (art. 3.3). »
Encore faut-il que la mise en uvre de ce principe de libre détermination du niveau de protection sanitaire appropriée (et par conséquent du principe de précaution), par un Etat qui souhaite interdire limportation dun produit suspecté, apparaisse cohérente avec les décisions quil prend à légard des autres produits comparables :
« En vue dassurer la cohérence dans lapplication du concept du niveau approprié de protection sanitaire ou phytosanitaire contre les risques pour la santé ou la vie des personnes, pour celle des animaux ou pour la préservation des végétaux, chaque Membre évitera de faire des distinctions arbitraires ou injustifiables dans les niveaux quil considère appropriés dans des situations différentes, si de telles distinctions entraînent une discrimination ou une restriction déguisée au commerce international (art. 5.5 de laccord SPS). »
1.1.2. Le droit communautaire
Des textes existants font déjà une référence implicite au principe de précaution. Mais un règlement communautaire est attendu qui létablit explicitement dans le secteur de lalimentation.
1.1.2.1. Les textes existants
Dès 1988, la directive 89/107/CEE du Conseil relative aux additifs alimentaires (cf. note 15) reconnaissait aux Etats membres un pouvoir sapparentant à ce qui allait devenir le principe de précaution. Ainsi, larticle 4 dispose-t-il :
« Si, à la suite de nouvelles informations ou dune réévaluation des informations existantes intervenues depuis ladoption de la présente directive ou de la directive globale visée à larticle 3, un État membre a des raisons précises destimer que lutilisation dun additif dans les denrées alimentaires, bien que conforme à la présente directive ou à toute liste établie dans le cadre de larticle 3, présente des risques pour la santé humaine, cet Etat membre peut provisoirement suspendre ou restreindre sur son territoire lapplication des dispositions en question. Il en informe immédiatement les autres Etats membres et la Commission, en indiquant les motifs justifiant sa décision (art. 4.1). »
Le même article 4 organise alors une procédure permettant dapprécier la réalité des raisons et lopportunité des mesures ainsi unilatéralement prises par un Etat et den tirer les conséquences (cf. note 16) .
Des dispositions analogues existent relativement aux solvants dextraction utilisés dans la fabrication des denrées alimentaires et de leurs ingrédients (cf. note 17) .
Par ailleurs, on discerne un peu plus que lombre du principe de précaution dans les dispositions du règlement no 258/97 du 27 janvier 1997 (cf. note 18) qui vise à sassurer, par un mécanisme dautorisation, « que les nouveaux aliments et les nouveaux ingrédients alimentaires font lobjet dune évaluation dinnocuité unique suivant une procédure communautaire avant dêtre mis sur le marché dans la Communauté... (2e considérant) (cf. note 19) . »
La demande dautorisation est faite par lentreprise concernée, auprès de lEtat dans lequel le produit doit être mis sur le marché pour la première fois (art. 4, § 1). Cet Etat procède à « une évaluation initiale » (art. 6, § 2). Celle-ci a pour but de vérifier notamment que le produit ne présente pas de danger pour le consommateur et quil nest pas de nature à linduire en erreur (présentation, étiquetage, etc.). Le rapport doit aussi préciser si le produit « doit ou non faire lobjet dune évaluation complémentaire » (art. 6, § 3). Ce rapport est transmis à la Commission et aux autres Etats membres qui peuvent présenter des observations et des objections (art. 6, § 4).
En labsence dévaluation complémentaire ou dobjections, la décision dautorisation, le cas échéant assortie de modalités, est prise par lEtat membre (art. 7).
Dans le cas contraire, elle est prise par la Commission, assistée par le Comité permanent des denrées alimentaires, selon une procédure particulière (art. 13).
Cette procédure particulière doit également être suivie lorsque, après que lautorisation a été obtenue et sur la foi dinformations nouvelles, il savère que le produit mis sur le marché présente un risque pour la santé humaine ou pour lenvironnement (art. 12). Dans un tel cas, un Etat membre peut « restreindre provisoirement ou suspendre la commercialisation et lutilisation sur son territoire de laliment ou de lingrédient alimentaire en cause ». Ces mesures sont maintenues jusquà la décision de la Commission qui adopte et prend ses propres mesures avec le Comité permanent des denrées alimentaires.
1.1.2.2. Le règlement communautaire à venir
Dans le dernier trimestre de lannée 2000, la Commission a présenté une « proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant lAutorité alimentaire européenne et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires » (cf. note 20) . Cette proposition a débouché sur une « position commune » arrêtée par le Conseil en septembre 2001 (cf. note 21) . Cest essentiellement à ce dernier texte (dénommé « projet de règlement ») quil sera fait référence dans les développements qui suivent.
Ce projet, qui crée lAutorité alimentaire européenne (AAE), énonce et définit les principes de la législation alimentaire : protection de la santé, principe de précaution, protection des intérêts des consommateurs, traçabilité et responsabilité.
Dans larticle 7 (cf. note 22) , le principe de précaution est ainsi consacré comme un principe du droit de lalimentation :
« 1. Dans les cas où une évaluation des informations disponibles permet didentifier la possibilité deffets nocifs sur la santé, mais où il subsiste une incertitude scientifique, des mesures provisoires de gestion du risque, nécessaires pour assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, peuvent être adoptées dans lattente dautres informations scientifiques en vue dune évaluation plus complète du risque.
« 2. Les mesures adoptées sur la base du paragraphe 1 sont proportionnées et nimposent pas plus de restrictions au commerce quil nest nécessaire pour obtenir le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, en tenant compte des possibilités techniques et économiques et des autres facteurs jugés légitimes en fonction des circonstances en question. Ces mesures sont réexaminées dans un délai raisonnable, en fonction de la nature du risque identifié pour la vie ou la santé et du type dinformations scientifiques nécessaires pour lever lincertitude scientifique et réaliser une évaluation plus complète du risque. »
Au reste, il semble bien que lUnion européenne sengage dans un processus de généralisation du principe de précaution si lon en juge par certaines dispositions de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la sécurité générale des produits (cf. note 23) et notamment par larticle 8.1 selon lequel : « Pour atteindre les objectifs de la présente directive (...) les autorités compétentes des Etats membres disposent des pouvoirs nécessaires et engagent les actions nécessaires proportionnellement à la gravité du risque et dans le respect du traité, et notamment des articles 28 et 30, pour prendre des mesures appropriées visant (...) à interdire temporairement, pendant la période nécessaire aux différents contrôles, vérifications ou évaluations de la sécurité, de fournir, de proposer de fournir ou dexposer certains produits lorsquil existe des indices précis et concordants concernant leur caractère potentiellement dangereux. »
Par ailleurs, il faut avoir égard à larticle 19 du projet de règlement communautaire relatif au droit de lalimentation qui, dans son troisième alinéa, établit en direction des entreprises des obligations qui paraissent bien se rattacher indifféremment au champ de la précaution comme à celui de la prévention :
« Tout exploitant du secteur alimentaire informe immédiatement les autorités compétentes lorsquil considère ou soupçonne quune denrée alimentaire quil a mise sur le marché peut être dangereuse pour la santé humaine. Il informe les autorités compétentes des mesures quil prend pour prévenir les risques pour le consommateur final » (cf. note 24) .
Cette « implication active » des entreprises dans une démarche de précaution comme de prévention devra être précisée (cf. infra, 1.3.2). Elle témoigne de ce que lapproche communautaire est plus approfondie que celle de lOMC.
1.1.3. Les différences dapproche
En termes dobjectifs, on peut aborder le principe de précaution de deux manières différentes. Dun côté, le « principe » de précaution peut être conçu comme une « exception » apportée aux libertés du commerce et de la concurrence. Dun autre côté, il peut constituer lun des principes fondateurs dune politique de sécurité à laquelle le marché des denrées et produits alimentaires doit se soumettre. La première approche est plutôt celle de lOMC, lUnion européenne se situant plutôt dans la seconde.
Cela ne signifie évidemment pas que les deux approches sont radicalement distinctes et antinomiques. Ainsi, le droit international et le droit communautaire ont en commun lobjet même du principe de précaution. Celui-ci confère en effet à un Etat le pouvoir de prendre des mesures restrictives de la liberté du commerce en cas de suspicion dun risque dont la réalité nest pas encore scientifiquement établie. Ainsi un Etat membre a-t-il le pouvoir dempêcher limportation dun produit suspect, tant en provenance dun Etat tiers (droit international et droit communautaire) que dun Etat membre de lUnion européenne (droit communautaire).
Le droit international et le droit communautaire visent également à avoir en commun une démarche et des critères concrets qui permettent de mettre en uvre à cet effet le principe de précaution. On observe bien la proximité de cette démarche et de ces critères en confrontant larticle 5.7 de laccord SPS et larticle 7 de la proposition de règlement communautaire (cf. infra, 1.2).
Mais il nen demeure pas moins des différences de grande portée.
La plus importante résulte du règlement 258/97 qui soumet à autorisation préalable la mise sur le marché des produits et ingrédients alimentaires nouveaux. Une telle autorisation, qui sous-entend une suspicion systématique de risques seulement liés à la nouveauté, place les denrées alimentaires au cur dune politique de sécurité sanitaire qui prévaut sur le libre commerce. La différence dapproche est dailleurs telle que, selon toute vraisemblance, ce règlement communautaire ne serait pas jugé compatible avec les règles de lOMC, et notamment avec les termes de laccord SPS.
Cette même différence se retrouve dans la jurisprudence lorsquon confronte lattitude des juridictions internationales et celle des juridictions communautaires et nationales (cf. note 25) .
Dans les relations internationales, le principe de précaution est invoqué pour justifier une mesure restrictive de ces libertés et ne concerne que des décisions publiques. Le « manquement » au principe de précaution réside dans un excès de prudence (susceptible de masquer une mesure protectionniste). LEtat qui linvoque peut se voir reprocher de lavoir appliqué et non, à la différence des droits communautaire et national (cf. infra, 1.4), davoir négligé de le faire. Il est sanctionné, avec un régime spécifique de preuve (cf. note 26) , par la mise en uvre dune forme autorisée de « loi du talion ». Ainsi, lorsque, aux yeux de lOrgane de règlement des différends, un Etat a appliqué le principe de précaution de manière excessive, il doit mettre en uvre les recommandations contenues dans le rapport du groupe spécial ou dans celui de lorgane dappel. A défaut, il est invité à se rapprocher de lEtat plaignant afin de trouver une compensation mutuellement satisfaisante (par ex. des réductions de droits de douane). A défaut, lEtat plaignant est en droit de se faire autoriser pour prendre des mesures de rétorsion proportionnées à lencontre de produits venant de lEtat fautif (cf. note 27) . La sanction affecte donc les entreprises exportatrices des produits « mises ainsi à lindex » par lEtat plaignant, et non lEtat lui-même dont ces entreprises relèvent. Finalement, le manquement par excès au principe de précaution est seulement pris comme une atteinte au libre commerce et il est alors sanctionné par une atteinte inverse en réponse.
La différence dapproche nexclut cependant pas la recherche dune définition commune de la précaution.
1.2. Précaution
Le droit applicable au secteur agroalimentaire assure la sécurité du consommateur par de multiples voies, allant de lanticipation des accidents sanitaires à la réparation du préjudice subi par les victimes. Peu à peu ces voies se sont exprimées en « principes » de précaution, de prévention, etc., dont il convient de préciser le contenu et lautonomie. Ces principes peuvent être rassemblés dans la famille des principes de prudence. Rien ne serait pire que de confondre les membres de cette famille : cest dans ce cadre que se précisent, en droit, la définition et la spécificité du principe de précaution.
Cette spécificité se manifeste avant tout dans une échelle des risques que lon peut exprimer ainsi :
risques inconnaissables (risques du développement) : principe dexonération ;
risques suspectés : principe de précaution ;
risques avérés : principe de prévention ;
risques réalisés : principe de réparation.
Il nen demeure pas moins que linflation menace lusage du terme de précaution et fait craindre sa banalisation. Lincertitude juridique, facteur dinsécurité pour tous les acteurs publics et privés de la chaîne agroalimentaire, peut en résulter, tant le langage courant et les discours médiatiques semblent avoir imposé lobligation de précaution comme le remède à toutes les angoisses. Pour y remédier, lanalyse des textes juridiques internationaux, communautaires et, sils existent, nationaux doit guider la recherche du contenu du principe de précaution. Ces textes imposent de concrétiser la spécificité de ce principe au regard de chacun des volets de lanalyse des risques : lévaluation des risques, dune part (risk assessment), la gestion des risques, dautre part (risk management).
Le principe de précaution repose sur une approche spécifique des risques et impose des mesures spécifiques de gestion de ces risques (cf. note 28) . Dans le champ de lévaluation, le principe de précaution simpose dès quun risque est simplement suspecté, alors que dans le champ de la gestion, le principe de précaution impose des mesures provisoires ou temporaires.
1.2.1. Un risque suspect
Il résulte des textes que la suspicion dun risque est liée soit à la nouveauté dun produit ou dun composant alimentaire, soit à lidentification de ce risque.
1.2.1.1. La suspicion liée à la nouveauté dun produit alimentaire
Sans y consacrer de longues analyses, il faut remarquer que les textes communautaires ont appliqué le principe de précaution de façon implicite en exigeant une autorisation administrative préalable à la mise sur le marché de tout nouvel aliment (cf. note 29) . Par conséquent, tout aliment nouveau, au sens du règlement no 258/97 est jusquà preuve de son innocuité, suspecté ou présumé source de risque sanitaire. Toute la procédure dautorisation est la mise en uvre de la gestion de ce risque suspecté (cf. supra, 1.1.2.1).
1.2.1.2. La suspicion liée à lidentification dun risque sanitaire
En dehors de la situation particulière de la nouveauté du produit, le principe de précaution doit pouvoir être invoqué lorsquun risque est identifié comme suspect, ce qui suppose que les éléments qui composent ce risque soient eux-mêmes identifiés. Cest bien ce qui résulte de larticle 7 de la position commune du Conseil pour le règlement communautaire qui fait référence aux « cas où une évaluation des informations disponibles permet didentifier la possibilité deffets nocifs pour la santé ».
1.2.1.2.1. La nature sanitaire du risque
Le projet de règlement communautaire ne fait référence quaux hypothèses pouvant présenter un risque sanitaire et faisant ainsi craindre des effets nocifs pour la santé.
Mais, inévitablement, la question se posera de savoir si le principe de précaution peut aussi être évoqué à propos de préjudices économiques.
Ainsi, au moment du naufrage de lErika, les autorités administratives se sont demandé si le principe de précaution commandait de laisser fermées les vannes commandant le flux deau de mer vers les marais salants de Guérande, produisant un sel de haute qualité. En faveur de cette fermeture était invoquée la menace sur limage de marque de ce sel au cas où des nappes de pétrole entreraient dans les marais. Il sagissait uniquement dun préjudice économique et non pas sanitaire, car personne nimaginait de récolter et a fortiori de commercialiser le sel souillé. Sappuyant sur la lettre de larticle L. 200-1 du code rural, le tribunal administratif de Nantes a considéré que le principe de précaution sappliquait uniquement en cas de risques de dommages graves et irréversibles à lenvironnement, et non pas en cas de menace dun préjudice économique.
La même question pourrait se poser en matière agroalimentaire, car linformation sur un risque alimentaire peut affecter lensemble dune filière. Ainsi, des entreprises concurrentes ou des entreprises situées à un autre stade de la chaîne agroalimentaire pourraient invoquer le principe de précaution afin de paralyser la mise sur le marché dun produit suspecté. Un débat doit être ouvert sur ce point : faut-il limiter le principe de précaution au domaine des risques sanitaires ou doit-il être généralisé afin denglober tout risque frappant la filière agroalimentaire, y compris le risque économique ?
Il faut se garder de répondre trop hâtivement à cette question, car le risque économique dont il est ici question est intimement lié à un risque sanitaire. Si une entreprise invoque le principe de précaution pour paralyser la mise sur le marché dun produit quelle doit recevoir dune autre entreprise, située en amont dans la filière concernée, elle poursuit à la fois un but économique et sanitaire. Si un grand distributeur retire publiquement de ses consoles de vente un produit quelle estime suspect, il peut être parfois malaisé de distinguer lopération de marketing et la décision de santé publique. Allons au-delà. Si une entreprise invoque le principe de précaution à lencontre du produit suspecté commercialisé par un concurrent, lobjectif immédiat est économique (reste à savoir sil est « loyal »). Mais, du même coup, cette entreprise peut contribuer à écarter un risque sanitaire réel. La question mérite bien dêtre débattue, tant au regard du droit alimentaire quà celui du droit de la concurrence. Nous verrons que le projet de règlement communautaire contribue à alimenter ce débat (cf. infra, 1.3.2.2).
1.2.1.2.2. Les composantes du risque
Lidentification porte sur les éléments qui composent la notion de risque, à savoir un danger et un aléa. Ces deux éléments sont bien mis en évidence par la définition que donne du risque la proposition de règlement communautaire : « une fonction de la probabilité et de la gravité dun effet néfaste sur la santé, du fait de la présence dun danger (art. 3, § 9) ».
Le danger dont il est question nest pas propre au risque suspecté ou suspectable. Tout risque, quil soit suspecté ou avéré, comporte un élément de danger. La particularité du risque déclenchant lapplication du principe de précaution est seulement relative à lélément daléa ou dincertitude.
1.2.1.2.2.1. Le danger
Le danger consiste, aussi bien dans le champ du principe de précaution que par exemple dans le champ du principe de prévention, en tout effet négatif possible sur la vie, le potentiel physique ou lagrément des personnes et plus précisément les consommateurs de produits alimentaires. La notion de danger peut même être étendue aux lésions portées à la flore, à la faune et plus généralement aux milieux naturels. Cette définition est quelque peu différente celle que retient le projet de règlement communautaire qui entend par danger « un agent biologique, chimique ou physique présent dans les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux, ou un état de ces denrées alimentaires ou aliments pour animaux, pouvant avoir un effet néfaste sur la santé (art. 3, § 14) ». En réalité, on peut se demander si le projet de règlement ne confond pas la cause du danger (un défaut du produit, par ex. un agent biologique) et le danger lui-même tel quil se manifeste. Un produit alimentaire est dangereux lorsquil (manifestation) peut être néfaste pour la santé. Il est dangereux parce quil (cause) présente un défaut quelconque. Cette confusion nest pas sans conséquences, spécialement pour la mise en uvre de la responsabilité du fait des produits qui suppose la preuve de lexistence dun « défaut » (cf. infra, 1.4.2.3).
Quoi quil en soit, lidentification du risque suppose de pouvoir pointer un danger possible, cest-à-dire la possibilité dun effet néfaste pour la santé. Dans ce cadre, un produit alimentaire ne peut pas être considéré comme générant un risque sanitaire tant quon ne sait rien dire de la possibilité dun effet néfaste pour la santé (cf. note 30) . A linverse, le danger est bien identifié sagissant de certains produits dorigine bovine : il sagit de la transmission à lhomme du prion à lorigine de la maladie de Creutzfeld-Jakob.
1.2.1.2.2.2. Laléa
A la différence du danger, qui est commun à tous les types de risques, laléa est spécifique au risque non (encore) avéré. Laléa est donc ce qui permet de tracer les frontières de la précaution entre linconnu (risque du développement) et lavéré (prévention).
Laléa se définit comme lincertitude dune relation de cause à effet entre un acte ou une abstention et un dommage, par exemple entre la consommation dune denrée alimentaire et telle maladie.
Lorsque cette incertitude peut être mesurée, elle entre alors dans lordre de la prévisibilité et de la probabilité. Tel est le cas de la survenance dune cirrhose en cas de consommation prolongée dalcool. Il y a bien une incertitude, mais celle-ci est sanitaire (toute personne qui surconsomme de lalcool ne développe pas une cirrhose) et non scientifique (la surconsommation dalcool est une cause avérée de la cirrhose). Il en va de même au regard de lépizootie de fièvre aphteuse, labattage de troupeaux étant justifié par une incertitude sanitaire, mais non scientifique. Il en va encore de même de la surconsommation de sel qui est actuellement objet de débat. Si demeurent des incertitudes, celles-ci sont sanitaires et non scientifiques : il est bien avéré que la surconsommation de sel est un facteur dhypertension, elle-même facteur de maladies cardio-vasculaires. Pour une large part et pour la même raison, la question de lESB (cf. note 31) a quitté le champ de la précaution. Toutes ces hypothèses relèvent du champ de la prévention.
Lorsque lincertitude porte sur lexistence même du lien scientifique de cause à effet, il y a un aléa qui échappe à toute prévision. Ainsi, par exemple, le lien entre lutilisation dun téléphone mobile et le cancer du cerveau relève (pour lheure) de laléa. Cette hypothèse relève-t-elle pour autant du champ de la précaution ? Rien nest moins sûr. En effet, tout aléa ne suffit pas à caractériser la précaution. Encore faut-il que la possibilité dun lien de causalité soit fondée sur une hypothèse scientifique sérieuse, cest-à-dire que ce lien soit suspecté.
On mesure ici limportance du vocabulaire utilisé dans la communication avec le public et la distance qui tend à saccroître entre linvocation quasi incantatoire, symbolique et très excessive du principe de précaution, notamment dans la presse, et la réalité beaucoup plus limitée de ce que recouvre ce principe entre linconnu et lavéré.
Laléa, caractéristique dun risque relevant du champ de la précaution est donc sorti de linconnu pour entrer dans lordre de la suspicion. Cest par conséquent à la définition de ce dernier terme quil convient de sattacher.
1.2.1.2.3. Les critères de la suspicion
Dans sa communication sur le principe de précaution (cf. note 32) , la Commission des Communautés européennes affirmait : « linvocation ou non du principe de précaution est une décision prise lorsque les informations scientifiques sont incomplètes, peu concluantes ou incertaines et lorsque des indices donnent à penser que les effets possibles sur la santé humaine, animale ou végétale pourraient être dangereux et incompatibles avec le niveau de protection choisi ».
Cette communication sappuyait notamment sur le texte de larticle 5.7 de laccord SPS, aux termes duquel « dans les cas où les preuves scientifiques pertinentes seront insuffisantes, un Membre pourra provisoirement adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base des renseignements pertinents disponibles (...). Dans de telles circonstances, les Membres sefforceront dobtenir les renseignements additionnels nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque (...) ». Elle annonçait les dispositions de larticle 7 de la proposition de règlement communautaire émanant de la Commission (cf. note 33) : « Dans les circonstances particulières où une évaluation des informations pertinentes disponibles permet didentifier un risque pour la santé, mais où une incertitude scientifique persiste, des mesures provisoires de gestion du risque, nécessaires pour assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, peuvent être adoptées dans lattente dautres informations scientifiques en vue dune évaluation plus complète du risque. »
Il y avait ainsi une cohérence entre le texte international (accord SPS) et le texte communautaire (proposition de la Commission).
Pour une part, cette cohérence semble plus incertaine, au moins formellement, avec le texte issu de la position commune du Conseil qui a fait disparaître toute référence au caractère pertinent des informations susceptibles de déclencher la mise en uvre du principe de précaution (v. supra, I-B-2). Mais la difficulté est seulement apparente dans la mesure où le nouvel article 7 subordonne toujours la mise en uvre de mesures de précaution à « une évaluation des informations disponibles », cest-à-dire, précisément, à une appréciation de la pertinence de ces informations par une autorité scientifique (cf. note 34) .
On peut donc admettre que, directement ou indirectement, les textes de droit international et communautaire permettent ainsi de caractériser deux circonstances qui au moins devraient coexister pour que sapplique le principe de précaution : lexistence dinformations pertinentes, dune part, et une incertitude scientifique, dautre part. On peut donc définir le risque identifié comme celui susceptible de générer un danger dont laléa peut être apprécié par une hypothèse sérieuse, appuyée sur une information pertinente, quoique non vérifiée scientifiquement.
1.2.1.2.3.1. Notion dinformation pertinente
Les textes juridiques précités emploient des termes différents : « indices donnant à penser que les effets possibles sur la santé (...) pourraient être dangereux... », « renseignements pertinents disponibles », « informations disponibles », qui définissent un contour commun mais vague. A chaque fois, le sens dindices, renseignements, information se comprend a contrario : il ne sagit pas de preuve scientifique au sens admis en droit de lagroalimentaire.
Cette approche laisse planer beaucoup dincertitudes, quune liste non exhaustive permet de décrire. Peut-on qualifier dinformation disponible et, le cas échéant, pertinente :
une position scientifique dissidente ?
une position scientifique en cours de vérification ?
une information relayée par des systèmes dalerte (cf. note 35) ?
une information simplement médiatisée ?
une hypothèse évoquée par la presse ?
une rumeur ou une croyance populaire ?
La Commission des Communautés européennes retient une conception restrictive dans sa communication sur le recours au principe de précaution. Son opinion, qui na évidemment aucune portée juridique directe, sexprime à propos de ce qui, dans cette communication, est désigné sous lintitulé suivant : « les facteurs déclenchant le recours au principe de précaution ». Or, les paragraphes regroupés sous cette rubrique établissent des procédures « dévaluation scientifique se rapportant aux risques » sous réserve de lidentification préalable deffets potentiellement négatifs découlant dun phénomène (cf. note 36) . Cette position nest pas satisfaisante, dans la mesure où elle naborde pas la vraie question de fond, qui sera un jour posée à loccasion dun procès en responsabilité dune administration voire dune entreprise agroalimentaire : A partir de quelle information un acteur du secteur agroalimentaire doit-il prendre des précautions ou plus juridiquement est-il débiteur dobligations de précaution (cf. infra, 1.3.2) ? La réponse de la Commission européenne, comme celle du Conseil, oublient ce préalable nécessaire, pour fournir déjà des clefs de la mise en uvre du principe de précaution. Or, le défaut dencadrement juridique de cet élément préalable, source de la confusion actuelle régnant autour du principe de précaution, ouvre la voie à une conception plus quextensive, débordante dudit principe. Personne ny a intérêt.
Or, dune part, ainsi quon vient de le voir, la position commune du Conseil (art. 7) a supprimé toute référence explicite au caractère pertinent de linformation qui permet le déclenchement du principe de précaution, modifiant en cela le texte (art. 7) quavait proposé la Commission. Dautre part, la réflexion sur la notion dinformation pertinente non démontrée scientifiquement na pas été menée à loccasion des principaux travaux sur le principe de précaution. Elle devrait pourtant donner lieu à un débat, dont seules quelques lignes essentielles peuvent être ici tracées.
La pertinence dune information tient dabord à sa source (cf. note 37) , laquelle doit être fiable, si possible diverse et non anonyme. Ainsi, la mise en place dagences nationales spécialisées, telle lAfssa ou de réseaux dalerte, tels que les prévoit larticle 50 du projet de règlement communautaire, répond à cette exigence. Il en va de même de la procédure « didentification des risques émergents » qui constituera une source essentielle. Cette procédure est organisée dans larticle 34 de ce projet de règlement communautaire :
« 1. LAutorité établit des procédures de contrôle afin de rechercher, recueillir, rassembler et analyser systématiquement les informations et les données en vue de procéder à lidentification de risques émergents dans les domaines qui relèvent de sa mission.
« 2. Lorsque lAutorité dispose dinformations permettant de suspecter un risque grave émergeant, elle demande des informations complémentaires aux Etats membres, aux autres agences communautaires et à la Commission. Les Etats membres, les agences communautaires concernées et la Commission répondent dans les meilleurs délais en transmettant les données pertinentes en leur possession.
« 3. LAutorité utilise lensemble des informations quelle reçoit dans le cadre de laccomplissement de sa mission pour identifier un risque émergent.
« 4. LAutorité fournit lévaluation et les informations sur les risques émergents quelle a rassemblées au Parlement européen, à la Commission et aux Etats membres. »
Il en résulte finalement quune information ne devrait être considérée comme pertinente que lorsquelle est validée par une autorité scientifique compétente, telles lAfssa ou les divers organismes officiels de la Communauté.
La pertinence dune information tient aussi à son contenu. Le principe de précaution ne peut être mis en uvre dès la diffusion dune information relative à la coïncidence dun accident de santé et de la consommation dune denrée alimentaire. Ainsi, il est probable que 100 % des malades du cancer ont mangé du pain dans les mois précédant la découverte de leur maladie, ce qui ne suffit évidemment pas pour suspecter cette consommation comme dangereuse. La pertinence de linformation se vérifie au contraire dans le fait quelle propose, sans démontrer dune manière scientifique admise, une explication causale. Elle établit de manière non fantaisiste un lien de cause à effet entre un dommage sanitaire et la mise sur le marché dune denrée alimentaire. Il en irait ainsi dune démonstration scientifique encore embryonnaire, soit parce quelle requiert une confirmation, soit parce quelle nest pas unanimement admise, sans pour autant être considérée comme fantaisiste ou farfelue. On peut encore citer : une information factuelle venant confirmer une simple hypothèse déjà émise par des scientifiques, une information purement factuelle provenant de sources diverses et indépendantes.
On peut essayer de préciser la notion dinformation pertinente disponible par référence à celle de risque du développement qui permet à un producteur dêtre exonéré de sa responsabilité civile (cf. infra, 1.4.2.3). En effet, le risque suspecté se situe probablement (cf. note 38) entre le risque du développement, dont on connaît la notion puisquelle fait lobjet dune définition légale, et le risque avéré ou scientifiquement établi.
La notion de risque du développement est définie par larticle 1386-11 (4o) du Code civil (loi du 19 mai 1998) : « ... Que létat des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, na pas permis de déceler lexistence du défaut. »
A cet égard, à loccasion dun litige opposant la Commission au Royaume-Uni, la Cour de justice des Communautés européennes a eu loccasion dapporter dutiles précisions (cf. note 39) . Tout dabord, la référence aux connaissances scientifiques et techniques « ne vise pas spécifiquement la pratique et les normes de sécurité en usage dans le secteur industriel dans lequel opère le producteur, mais, sans aucune restriction, létat des connaissances scientifiques et techniques, en ce compris son niveau le plus avancé, tel quil existait au moment de la mise en circulation du produit en cause ». Ensuite, le risque du développement « ne prend pas en considération létat des connaissances dont le producteur en cause était ou pouvait être concrètement ou subjectivement informé, mais létat objectif des connaissances scientifiques et techniques dont le producteur est présumé être informé ». Enfin, pour que lexonération ne soit pas retenue, il faut que « les connaissances scientifiques et techniques pertinentes aient été accessibles au moment de la mise en circulation du produit en cause ».
Cette définition du risque de développement apparaît cependant insatisfaisante parce quelle ne tient pas compte de la source des informations, sinon pour préciser que linformation doit être « accessible » ce qui est bien le moins. Or, il semble nécessaire, pour la sécurité juridique des personnes chargées dappliquer le principe de précaution, dajouter que linformation pertinente disponible émane dune « source validée » (cf. infra, 1.3.2.2).
1.2.1.2.3.2. Absence de confirmation scientifique
Au prix dune certaine redondance, il faut affirmer que le principe de précaution semble étranger aux cas où un risque a été évalué scientifiquement, cest-à-dire lorsque le dommage est causé par des facteurs obéissant à une loi scientifique établie. Létablissement dune telle loi scientifique fait basculer le devoir de lacteur public ou privé du secteur agroalimentaire vers un devoir de prévention et non plus de précaution. Le risque nest plus alors suspecté mais véritablement avéré.
Au sein de la « famille des principes de prudence » les deux grands principes, de précaution, dune part, de prévention, dautre part, sopposent donc en raison de la nature des risques quils permettent décarter. Risque suspecté dans le cas du principe de précaution, risque avéré, démontré scientifiquement, dans le cas du principe de prévention. La nature, sinon le contenu, des mesures que ces principes imposent sopposent de ce fait : les mesures de précaution sont provisoires, les mesures de prévention ont la permanence du risque quelles conjurent.
1.2.2. Des mesures provisoires ou temporaires
Le principe de précaution ne se distingue pas seulement par ses conditions dapplication (le risque suspecté), mais encore par la nature des mesures quil impose. La « gestion » de la précaution impose des mesures provisoires, dont lobjet est double : gérer le risque suspecté, dune part, lever lincertitude scientifique, dautre part.
1.2.2.1. Les mesures de gestion du risque suspecté
Les mesures de précaution nont pas de contenu spécifique. Elles peuvent donc, en réponse à la suspicion, consister en un retrait de produit, en une mise en garde adressée à certaines catégories de consommateurs, etc. Elles peuvent être des mesures durgence ou des mesures ordinaires. Tenter de décrire ce contenu reviendrait à reprendre lensemble du droit de lagroalimentaire applicable à la gestion du risque.
Par ailleurs, les mesures de précaution doivent être proportionnées au risque, selon les dispositions communautaires (cf. note 40) et, dans les relations commerciales internationales, cohérentes avec celles qui sont appliquées pour dautres produits comparables, conformément à laccord SPS (art. 5.5).
Quelle que soit la nature des mesures adoptées, la gestion du risque suspecté doit être menée dans la transparence. Cela résulte très clairement de la proposition de règlement : « ... lorsquil existe des motifs raisonnables de soupçonner quune denrée alimentaire ou un aliment pour animaux peut présenter un risque pour la santé humaine ou animale, les pouvoirs publics prennent, en fonction de la nature, de la gravité et de lampleur de ce risque, des mesures appropriées pour informer la population de la nature du risque pour la santé, en identifiant le plus complètement possible la denrée alimentaire ou laliment pour animaux ou le type de denrée alimentaire ou daliment pour animaux, le risque quil peut présenter et les mesures qui sont prises ou sur le point dêtre prises pour prévenir, réduire ou éliminer ce risque (art. 20). » En particulier, cette transparence se concrétise dans ce que la proposition de règlement dénomme « létape de communication sur le risque » (cf. infra, 1.3.1.1.3).
Demeure cependant la question de savoir si et à quelles conditions une information du public peut, à elle seule, tenir lieu de mesure de précaution, le cas échéant, sous la forme dune « mise en garde ».
Ainsi, par exemple, dans le domaine de la prévention, les risques avérés donnent lieu soit à des mesures de restriction (interdiction de certains produits, exigences spécifiques de composition, de conditionnement, de transport, etc.), soit à des obligations rigoureuses dinformation (tabac, alcool). Le partage se fait sur des critères mal définis : utilité du produit, importance économique, production ou consommation traditionnelle, possibilité dun choix personnel du consommateur, etc.
Il en va de même pour les risques dont lexistence peut être crainte sans être établie. Faut-il interdire ou restreindre tel produit en raison de risques possibles (mesures de précaution) ou faut-il seulement informer le consommateur en préservant sa liberté de choix (mesures dinformation ou mise en garde) ?
Par exemple, si on commence à penser que lusage du téléphone mobile puisse avoir un effet néfaste sur le cerveau, va-t-on pour autant linterdire ou seulement mettre les utilisateurs en garde ? Dans le domaine alimentaire, les allergies susceptibles dêtre provoquées par la consommation de certaines denrées doivent-elles conduire à des restrictions de commercialisation ou, encore une fois, à une information et une mise en garde ?
Lenjeu de la question est dimportance. Lorsquun produit fait lobjet de mesures de restriction, le risque sanitaire est maîtrisé par les pouvoirs publics. Lorsquil ne donne lieu quà des mesures dinformation, le risque sanitaire est maîtrisé par le consommateur lui-même qui choisit ou non de consommer en connaissance de cause.
Il est donc utile de dégager les critères à partir desquels les risques suspectés relèveront du champ de la précaution au sens strict ou de celui de la simple information (ou mise en garde). On peut sans doute dégager deux critères principaux en matière alimentaire susceptibles de justifier une simple mesure dinformation ou de mise en garde :
risque non susceptible de provoquer un dommage grave ou irréversible ;
existence dune possibilité réelle de choix pour les consommateurs.
Cela nexclut pas le recours à dautres critères, le cas échéant, secondaires ou complémentaires, tels que :
facteurs de risques pour un nombre limité de consommateurs ou pour une catégorie (enfants, femmes enceintes...) ;
consommation traditionnelle ou culturelle (à linstar de lalcool par exemple) ;
disproportion du coût économique de mesures de précaution par rapport au bénéfice sanitaire attendu.
Il reste que la mesure dinformation ou de mise en garde pourra toujours être modifiée pour lui substituer éventuellement une mesure plus contraignante, le principe de précaution ne donnant lieu quà des mesures provisoires.
1.2.2.2. La portée du caractère provisoire
Laffirmation du caractère provisoire des mesures de précaution peut sembler réductrice. Elle sappuie sur les textes juridiques aujourdhui ou demain applicables au commerce international (accord SPS) ou à lintérieur de lUnion européenne. Larticle 5.7 de laccord SPS prévoit que : « dans les cas où les preuves scientifiques pertinentes seront insuffisantes, un Membre pourra provisoirement adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base des renseignements pertinents disponibles (...). Dans de telles circonstances, les Membres sefforceront dobtenir les renseignements additionnels nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque (...) (cf. note 41) ». De même, larticle 7 du projet de règlement communautaire (v. supra, I) dispose : « 1. Dans les cas où une évaluation des informations disponibles permet didentifier la possibilité deffets nocifs sur la santé, mais où il subsiste une incertitude scientifique, des mesures provisoires de gestion du risque, nécessaires pour assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, peuvent être adoptées dans lattente dautres informations scientifiques en vue dune évaluation plus complète du risque. »
Cette convergence semble indiquer que les rédacteurs du texte européen nont pas cherché à contrecarrer linterprétation aujourdhui définitive donnée par lorgane le plus élevé en charge du règlement des différends à lOMC (cf. note 42) .
Comment éviter que les mesures de précaution ne deviennent « du provisoire qui dure » ? La réponse est encore une fois fournie par les textes précités. LEtat doit sefforcer de transformer les « informations disponibles » (et pertinentes), au sens précédemment étudié, en « information scientifique en vue dune évaluation complète du risque ». Cette citation de la proposition de règlement trouve un écho dans larticle 5.7 de laccord SPS : « (...) Dans de telles circonstances, les Membres sefforceront dobtenir les renseignements additionnels nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque. »
Lobligation de recherche scientifique joue un double rôle. Dune part, elle cantonne les mesures nationales dinterdiction dimporter, puisquun pays ne sera pas autorisé, soit dans le cadre de lOMC, soit dans le cadre communautaire à bloquer indéfiniment ses frontières sil ne développe pas les mesures dévaluation des risques propres à confirmer ou à infirmer les « informations pertinentes » non corroborées scientifiquement, sur la base desquelles il a pris des mesures de précaution. Dautre part, elle trace les lignes dune éventuelle responsabilité de lacteur public ou privé tenu au devoir de précaution : son obligation de prendre des mesures de précaution sétend jusquà linfirmation, par des méthodes scientifiques éprouvées, des « informations » qui lavaient contraint dagir.
Parce quelles sont provisoires, les mesures prises en application du principe de précaution doivent être révisables (cf. note 43) . Par nature, une mesure de précaution est destinée à être révisée si, à lexpérience, elle savère insuffisante ou inappropriée. Elle peut pareillement lêtre à tout moment pour être adaptée au fur et à mesure de laffinement des connaissances et de la levée progressive de lincertitude scientifique. Elle est nécessairement révisée lorsque le doute est levé : elle devient une mesure de prévention (risque confirmé) ou disparaît (risque infirmé).
1.3. Le principe de précaution, guide de la décision
Il ne fait pas de doute que le principe de précaution est avant tout un guide de la décision publique dans le cadre de lexercice par lautorité publique de ses pouvoirs de police. Cest dailleurs dans cette fonction quil est actuellement le plus invoqué et sollicité.
Mais il ne peut manquer davoir des prolongements sur la décision privée et sur les obligations des entreprises. A cet égard, il a avant tout la nature dun « principe-source » dans la mesure où il fédère des textes épars qui sen inspirent au moins pour partie.
1.3.1. Un guide explicite de la décision publique
Cest lEtat qui est le premier bénéficiaire du principe de précaution, dans le cadre de lexercice de ses pouvoirs de police, sous réserve des décisions relevant dune compétence communautaire. Mais il faut sinterroger sur lapplication éventuelle du principe aux autres décideurs publics.
1.3.1.1. LEtat
Au regard de la décision publique dEtat, le principe de précaution a une nature essentiellement processuelle. Il sagit de définir selon quelles initiatives, quelles étapes et avec quels avis lEtat peut utiliser la possibilité qui lui est laissée, par les règles internationales (accord SPS) et communautaires (projet de règlement) de décider des mesures de précaution.
Selon le projet de règlement relative au droit de lalimentation, cette décision sarticule en trois étapes (art. 3, § 11) : une première étape dévaluation des risques, une deuxième de gestion de ces risques et une troisième de communication sur les risques. Ces trois étapes constituent ensemble ce quil convient dappeler « lanalyse des risques ».
1.3.1.1.1. Létape dévaluation des risques
Selon le projet de règlement communautaire, lévaluation des risques est essentiellement scientifique. Elle consiste en « un processus reposant sur des bases scientifiques et comprenant quatre étapes : lidentification des dangers, leur caractérisation, lévaluation de lexposition et la caractérisation des risques » (art. 3, § 11).
Elle requiert à la fois une instance dexpertise et des conditions dindépendance des experts.
Lévaluation des risques relève en droit interne de la compétence de lAfssa depuis la loi no 98-535 du 1er juillet 1998 et, en droit communautaire, de celles du comité scientifique de lalimentation humaine (cf. note 44) comme, dans lavenir, de lAutorité alimentaire européenne.
Le projet de règlement ne reprend donc pas lidée émise par Mme Viney et M. Kourilsky dune évaluation à la fois scientifique, économique et sociale « menée dans deux cercles interactifs » (cf. note 45) , le premier cercle procédant à une évaluation scientifique et le second à une évaluation économique et sociale du risque à partir de lavis issu du premier cercle.
La prise en compte de données économiques et sociales nest cependant pas oubliée dans la proposition de règlement. Mais elle intervient distinctement et plus opportunément dans létape de gestion des risques.
1.3.1.1.2. Létape de gestion des risques
La gestion des risques est essentiellement politique en droit interne puisquelle relève des pouvoirs de police de lEtat. Elle lest également au plan communautaire dans la mesure où le règlement no 258/97 du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments associe à cette fin le comité permanent des denrées alimentaires, la Commission et le Conseil (art. 13).
Le projet de règlement communautaire la définit comme un « processus, distinct de lévaluation des risques, consistant à mettre en balance les différentes politiques possibles, en consultation avec les parties intéressées, à prendre en compte lévaluation des risques et dautres facteurs légitimes, et, au besoin, à choisir les mesures de prévention et de contrôle appropriées » (art. 3, § 12). Cest sous cette référence « aux autres facteurs légitimes » (cf. note 46) , que lon peut intégrer les données économiques et sociales dans le processus de gestion des risques. Il reste que la prise en compte de telles données est essentielle. Ce sont ces données qui vont permettre dapprécier le coût économique de la décision et des mesures de précaution, pour lEtat comme pour les entreprises, coût mis en balance avec les conséquences sanitaires et sociales dune décision dabstention. Il est donc nécessaire que cette prise en compte soit organisée, ce qui nest pas le cas dans les textes existants et reste à prévoir. A cet égard, un rôle clé pourrait être joué notamment par le Conseil national de lalimentation (CNA) (cf. note 47) .
Le projet de règlement communautaire ne concerne pas seulement le champ de la précaution. Il vise tous les risques, quils soient simplement suspectés, avérés ou même réalisés. Lorsquil sagit de la gestion dun risque suspecté, qui relève donc du champ dapplication du principe de précaution, cette étape est précisée dans larticle 7 du projet de règlement :
Tout dabord, à titre principal, lEtat peut prendre des mesures de gestion du risque (mise en garde des consommateurs, suspension de la commercialisation, rappel ou retrait de denrées, etc.) provisoires et proportionnées. Cela résulte, par ailleurs, dans les règles internationales de lOMC, des termes de laccord SPS (cf. note 48) .
Ensuite, lEtat doit poursuivre les recherches jusquà ce que lincertitude scientifique soit levée. Une telle obligation résulte implicitement de larticle 7 du projet de règlement dès lors que des mesures ne peuvent être adoptées que « dans lattente dautres informations scientifiques en vue dune évaluation plus complète du risque ». Si le risque suspecté est finalement confirmé et établi, on bascule alors du champ de la précaution dans celui de la prévention et les mesures qui étaient temporaires deviennent définitives. Dans le cas contraire, les mesures nont plus lieu dêtre maintenues. Cette nécessité de mener des recherches complémentaires doit se faire en réseau, avec les différentes instances dévaluation des Etats membres, sous la responsabilité de lAutorité alimentaire européenne que vise à créer le nouveau projet de règlement communautaire (cf. note 49) .
Reste la question de savoir si lEtat peut, lorsque les circonstances et lurgence le justifient, adopter des mesures de restriction, de rappel ou de retrait du marché avant même que linstance dévaluation du risque ait pu rendre un avis, comme cela a été fait en France pour la généralisation de linterdiction dutilisation des farines animales qui a été décidée sans attendre lavis de lAfssa. La réponse est affirmative. De telles mesures sont prévues et encadrées par les articles L. 221-2 et suivants du code de la consommation. En principe, elles ne peuvent être prises quaprès consultation de lAfssa. Mais la loi dispense de cette consultation préalable « en cas durgence dûment motivée » (art. 365, C. rur. et art. L. 221-10, C. consom.).
Cela nest pas remis en cause par le projet de règlement relatif au droit de lalimentation qui prévoit un « système dalerte rapide » en cas de risque grave (art. 50). Ce système impose seulement de notifier à lAutorité alimentaire européenne toute mesure que les Etats adoptent lorsquun risque grave exige une action rapide, sans distinguer entre les risques suspectés (précaution) et avérés (prévention) (cf. note 50) .
1.3.1.1.3. Létape de communication sur les risques
Cette étape est précisément décrite dans le projet de règlement sur le droit de lalimentation. Elle consiste en « léchange interactif, tout au long du processus danalyse des risques, dinformations et davis sur les dangers et les risques, les facteurs liés aux risques et les perceptions des risques, entre les responsables de lévaluation des risques et de la gestion des risques, les consommateurs, les entreprises du secteur alimentaire et du secteur de lalimentation animale, les milieux universitaires et les autres parties intéressées, et notamment lexplication des résultats de lévaluation des risques et des fondements des décisions prises en matière de gestion des risques » (art. 3, § 13).
Mais rien dans les textes existants ne permet encore de concevoir concrètement comment se déroule et sopère cette étape de communication sur des risques qui ne sont encore que suspectés. Elle suppose la mise en place de relais adaptés aux différents types de destinataires : consommateurs, entreprises, maires, etc. La presse bien sûr, mais aussi les associations de consommateurs, les associations ou syndicats professionnels dentreprises, les compagnies qui assurent la responsabilité civile de ces entreprises peuvent jouer un rôle éminent.
1.3.1.2. Les autres décideurs publics
Il nest pas certain que lEtat soit, parmi lensemble des décideurs publics, le seul à pouvoir se prévaloir du principe de précaution. A défaut, lobjectif de protection sanitaire peut-il être complètement atteint ? Au reste, larticle 7 du projet de règlement communautaire, qui institue le principe de précaution en matière alimentaire, ne précise pas les personnes susceptibles de linvoquer.
Il faut certainement admettre que les décideurs publics des services de lEtat ont vocation à appliquer le principe, et par conséquent à adopter des mesures de précaution en cas de risque suspecté, dans le cadre de lexercice de leurs fonctions et compétences : services vétérinaires, DGCCRF, DDASS, etc. Mais ils y procèdent au nom et pour le compte de lEtat. Autrement dit, cest toujours lEtat qui intervient par leur intermédiaire et qui a la responsabilité des mesures prises.
Convient-il daller plus loin et détendre le principe de précaution aux décideurs publics qui disposent dune compétence autonome ? Cela viserait au premier chef les maires (art. L. 2212-2 [5o], C. Gén. coll. territoriales).
Laffaire dite de la « vache folle » a ainsi conduit certains dentre eux à interdire la viande bovine dans les menus des restaurants scolaires placés sous leur responsabilité. Il sagit bien dune décision publique dont on ne peut pas contester, indépendamment de son opportunité, quelle a été dictée par lactualité du principe de précaution.
Si le principe de précaution devait sétendre à tous ces décideurs publics, encore faudrait-il quils bénéficient de moyens de même nature que ceux dont dispose lEtat. Or ces décideurs ne disposent pas des mêmes accès que lEtat aux instances dévaluation des risques. LAfssa ne pouvant être saisie que par elle-même, par le Gouvernement ou par les associations agréées de consommateurs (art. L. 794-2, C. santé pub.), elle ne peut pas lêtre par les maires.
Il en résulte quen leur état actuel, les textes sont contradictoires. Dun côté, larticle 7 du projet de règlement communautaire ne précise pas que son application se limite à lEtat. Dun autre côté, les décideurs publics autres que lEtat ne disposent pas des moyens juridiques dapplication du principe de précaution, en particulier faute dun accès aux instances dévaluation scientifiques.
Si la question mérite dêtre débattue, il est permis de penser que les exigences liées à une politique uniforme, communautaire et nationale, de sécurité alimentaire justifient de concentrer loutil du principe de précaution entre les mains de lEtat.
1.3.2. Un principe-source pour la décision privée
Il sagit là dune des questions sensibles que pose le principe de précaution : celui-ci ne concerne-t-il que lEtat (et éventuellement les autres décideurs publics) ou a-t-il des prolongements en direction des entreprises et, dans laffirmative, selon quelles modalités ?
1.3.2.1. Lapplicabilité du principe de précaution aux entreprises (cf. note 51)
Selon lavis du Comité économique et social (UE) sur « le recours au principe de précaution » seul lEtat a vocation à appliquer ce principe, les entreprises nayant pas les moyens de « déterminer ce quest un risque de dommage grave et nuisible, une mesure effective et proportionnée, un coût effectivement acceptable (cf. note 52) ».
En revanche, selon lopinion exprimée par M. Kourilsky et Mme Viney (cf. note 53) : « Pour assurer pleinement sa fonction de modérateur des intérêts purement économiques par des considérations tirées de la protection de la santé, de la sécurité humaine et de lenvironnement, le principe de précaution doit simposer à tous les décideurs, cest-à-dire à toute personne qui a le pouvoir de déclencher ou darrêter une activité susceptible de présenter un risque pour autrui. Les décideurs privés, à savoir les entreprises, doivent donc y être soumis, comme les décideurs publics, etc. »
Il paraît inévitable que les entreprises aient des obligations accrues du seul fait que le principe de précaution étend en amont lexigence de prudence des risques avérés vers les risques suspectés. Dailleurs, si elles doivent respecter des normes et démarches de qualité ou danalyse des risques (HACCP, etc.), cest en vertu dune logique prudentielle qui sétend de la prévention vers la précaution dans la mesure où les décisions publiques de précaution seront à lorigine de nouvelles prescriptions auxquelles les entreprises devront évidemment se soumettre. Mais il sagit là dobligations dérivées de décisions publiques, et donc qui résultent, non directement du principe de précaution, mais seulement de leffet obligatoire de ces décisions.
Mais il faut aller au-delà. Les dispositions du projet de règlement communautaire prolongent bien la portée du principe de précaution en direction des entreprises. Cela se manifeste de deux manières complémentaires.
En premier lieu, ce projet de règlement, en faisant du principe de précaution lun des principes généraux du droit de lalimentation (art. 7), entend bien couvrir largement tous les risques et pas seulement ceux qui sont scientifiquement avérés. Cest dailleurs pourquoi lune des dispositions (art. 34) porte sur lidentification des risques émergents (cf. supra, II-A), cette identification constituant le seuil matériel du champ dapplication du principe de précaution.
En second lieu, les dispositions de larticle 14.3 du projet de règlement semblent bien sinscrire dans le champ des risques suspectés (cf. note 54) :
« Tout exploitant du secteur alimentaire informe immédiatement les autorités compétentes lorsquil considère ou soupçonne quune denrée alimentaire quil a mise sur le marché peut être préjudiciable à la santé humaine. »
Le soupçon dune possibilité de danger ne renvoie certainement pas à un risque avéré (cf. supra, 1.2.1.2.2). On le mesure dailleurs bien en comparant avec une autre disposition du même article (art. 14.1) qui, lui, fait référence au soupçon de non respect des prescriptions de sécurité :
« Si un exploitant du secteur alimentaire considère ou soupçonne quune denrée alimentaire quil a importée, produite, transformée, fabriquée ou distribuée ne répond pas aux prescriptions relatives à la sécurité des denrées alimentaires, il engage immédiatement les procédures de retrait du marché de la denrée alimentaire en question et en informe les autorités compétentes. Lorsque le produit peut avoir atteint le consommateur, lexploitant informe les consommateurs de façon effective et précise des raisons du retrait et, au besoin, rappelle les produits déjà fournis aux consommateurs lorsque les autres mesures sont insuffisantes pour atteindre un niveau élevé de protection de la santé. »
Ainsi, parmi les obligations qui pèsent ou pèseront directement sur les entreprises, il en est qui se justifient au moins pour partie par le souci de maîtriser les risques entrant dans le champ du principe de précaution.
Ces obligations, notamment prévues par le projet de règlement communautaire, devraient sappliquer à toutes les entreprises du secteur alimentaire, quelle que soit leur taille (cf. note 55) .
1.3.2.2. Les modalités spécifiques dapplication
du principe de précaution
Pour lessentiel, le principe de précaution se manifeste par un devoir dinitiative à la charge des entreprises en cas de suspicion dun risque. Ce devoir a principalement deux objets distincts : la vigilance à légard des risques et linformation des autorités compétentes. Sy ajoute la possibilité de prendre des mesures appropriées en cas de suspicion dun risque.
La vigilance à légard des risques vise à mettre les entreprises en mesure de suspecter les risques liés à lutilisation de leurs produits. Une telle obligation ne résulte pas formellement des textes existants, même si on peut en voir des manifestations implicites dans lobligation de suivi des produits (cf. infra, ) et dans la procédure dautorisation de mise sur le marché des nouveaux aliments et nouveaux ingrédients alimentaires (cf. note 56) . Elle nest pas non plus prévue en tant que telle dans le projet de règlement communautaire. Une telle obligation nen demeure pas moins réelle parce quelle est un préalable nécessaire à cette autre obligation quest le déclenchement dune procédure dalerte (cf. infra, ).
Il est cependant essentiel de préciser lobjet de cette vigilance. Ainsi que nous lavons vu, lapplication du principe de précaution sappuie sur lexistence dune « information disponible » au surplus pertinente, qui conduit à suspecter lexistence dun risque (cf. supra, 1.2.1.2.3). A légard des entreprises, on peut concevoir, de manière raisonnable, trois sources possibles pour de telles informations. La première réside dans les avis et publications des agences officiellement chargées de lévaluation des risques sanitaires : lAfssa et lAgence alimentaire européenne dont le projet de règlement communautaire prévoit la création. Il sagit là de sources « validées ». La seconde réside tant dans les propres constatations ou investigations des entreprises que dans les « remontées dinformations » que celles-ci reçoivent de leurs clients lorsque ces derniers font part danomalies ou de préjudices. La troisième pourrait prendre la forme dun droit dinitiative interne exercé par les salariés et/ou les structures spécialisées dans lentreprise. Un tel droit dinitiative devrait être institué par un texte législatif ou réglementaire. Quoi quil en soit, il serait souhaitable que le règlement communautaire à venir précise le degré nécessaire de vigilance des entreprises, cest-à-dire le seuil de déclenchement des obligations quelles supportent dans le prolongement du principe de précaution.
Lobligation dinformation des autorités, lorsquune entreprise en vient à suspecter lun de ses produits, nest pas encore établie par un texte. Dune part, le règlement no 258/97 du 27 janvier 1997 relatif aux aliments nouveaux ne prévoit pas de procédure particulière à la charge des entreprises lorsque celles-ci suspectent ou décèlent lexistence dun risque pour un produit ayant été autorisé. Le règlement précise seulement à cet égard les mesures que lEtat peut prendre et la procédure que lui-même doit suivre (art. 12). Mais rien nest prévu quant à la saisine de lEtat par lentreprise concernée. Dautre part, la loi du 1er juillet 1998 ne prévoit pas la saisine de lAfssa par les entreprises.
Une telle procédure dinformation et dinterrogation des autorités, à linitiative des entreprises, est pourtant nécessaire. Elle seule peut permettre de garantir lévaluation au moins scientifique de tous les risques pour la santé, suspectés par les entreprises elles-mêmes.
Cette obligation dinformation va cependant être instituée par le règlement à venir énonçant les principes du droit de lalimentation. Cette obligation a un objet multiple qui va très loin. Il convient, pour sen rendre compte, de considérer lensemble de larticle 14.2 :
« Tout exploitant du secteur alimentaire informe immédiatement les autorités compétentes lorsquil considère ou soupçonne quune denrée alimentaire quil a mise sur le marché peut être préjudiciable à la santé humaine. Il informe les autorités compétentes des mesures quil prend pour prévenir les risques pour le consommateur final. »
Si lon sen tient à la lettre du texte, une entreprise a une double obligation dinformation sagissant des denrées quelle met elle-même sur le marché : information de ce quelle soupçonne que cette denrée peut être préjudiciable à la santé humaine (cf. note 57) , dune part, et information des mesures quelle prend, dautre part (cf. note 58) .
Il faut en outre signaler que la proposition de la Commission allait plus loin que ne va le projet issu de la position commune du Conseil puisquelle semblait mettre à la charge de chaque entreprise une obligation de « dénoncer » une denrée mise sur le marché par une autre quelle, dès lors quelle soupçonne que cette denrée peut présenter un risque grave pour la santé humaine (cf. note 59) .
Quel quen soit lobjet, la procédure dinformation (dalerte) des « autorités compétentes » devra être organisée, ce qui nest pas actuellement le cas. Elle peut se concevoir de deux manières. La première consiste à informer le service compétent de lEtat (DGCCRF, par ex.). La seconde, qui reste à créer, conduirait lentreprise à saisir directement lAfssa. Il est clair que, sagissant de risques avérés, rentrant dans le champ de la prévention, les services de lEtat, dont la DGCCRF, apparaissent les destinataires les plus appropriés. En revanche, compte tenu de lurgence possible, lAfssa pourrait être la plus rapidement efficace dans les cas où un risque est seulement suspecté, cest-à-dire dans le champ de la précaution.
La prise de mesures appropriées, en cas de suspicion dun risque, est déjà une obligation existante pour les entreprises. Elle résulte en effet implicitement de lobligation de suivi des produits : « Le producteur ne peut invoquer les causes dexonération prévues aux 4o et 5o de larticle 1386-11 si, en présence dun défaut qui sest révélé dans un délai de dix ans après la mise en circulation du produit, il na pas pris les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables » (art. 1386-12, al. 2, C. civ.). Ces « dispositions propres à prévenir les conséquences dommageables » peuvent être très diverses : information du public, retrait ou rappel des produits en cause... Il reste que cette « obligation de suivi des produits » nest pas sanctionnée en tant que telle. Elle ne lest quindirectement et trop tard, une fois quun dommage a été subi, et seulement par la privation du bénéfice dune cause dexonération de responsabilité. Cette obligation devrait cependant être très sensiblement renforcée par ladoption dune proposition de directive relative à la sécurité générale des produits (cf. note 60) .
Le projet de règlement communautaire reprend lidée, mais en la traitant dune manière très différente.
En effet, larticle 19.3 se contente de contraindre les entreprises qui soupçonnent quune denrée peut être dangereuse à informer les autorités des mesures quelles prennent pour prévenir les risques pour le consommateur final. Mais il ne les contraint pas à en prendre, à la différence de ce qui résulte implicitement de lobligation de suivi des produits. Une telle contrainte nest instituée par le projet de règlement que si la denrée ne satisfait pas aux prescriptions de sécurité alimentaire (art. 19.1), ce qui ne peut viser que des risques avérés.
Il en résulte que la prise de mesures par lentreprise concernée, à défaut de faire lobjet dun devoir, est considérée comme un pouvoir, de la même manière quelle lest pour lEtat en vertu de larticle 7 (cf. supra, 1.3.1.1).
Les mesures que les entreprises peuvent ainsi prendre ne sont pas précisées. Il peut sans doute sagir de mesures internes (modification dun processus de fabrication, dune recette, dun composant, etc.) comme externes (information du consommateur, suspension de la commercialisation, rappel, etc.).
Ces diverses obligations que supportent ainsi les entreprises dans la mise en uvre du principe de précaution, comme celles qui sont à la charge de lEtat, ne peuvent être effectives que si leur non-respect est susceptible de conséquences et de sanctions.
1.4. Les sanctions et remèdes
Dans quelle mesure les manquements au principe de précaution, quils soient le fait dun décideur public ou dun décideur privé, engagent-ils la responsabilité de celui-ci ? Dans quelle mesure peut-on remettre en cause une décision de lEtat ou dune entreprise afin déviter quune denrée alimentaire potentiellement dangereuse parvienne jusquà lassiette du consommateur ?
1.4.1. La remise en cause des décisions publiques
En faisant abstraction des relations commerciales internationales entre Etats (cf. supra, 1.1), on peut remettre en cause une décision publique en contestant la validité de la procédure suivie pour la prendre (légalité externe) ou en contestant le bien-fondé de cette décision (légalité interne) (cf. note 61) . Dans lun et lautre cas, cest lannulation de la décision qui est sollicitée. On peut encore demander la suspension de lexécution ou le sursis à exécution dune décision publique. Sagissant de décisions publiques, ces contestations sont très largement ouvertes aux personnes, aux associations ou aux entreprises. La contestation est élevée devant les juridictions administratives françaises ou devant les juridictions communautaires selon lorigine de la décision.
Ainsi, le Royaume-uni a-t-il contesté devant la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) une décision dembargo relative à la viande bovine en provenance de ce pays. La CJCE a rejeté la demande, estimant que la décision simposait en dépit des incertitudes scientifiques et en raison de la gravité du danger potentiel que constitue la maladie de Creutzfeld-Jakob (cf. note 62) .
Ainsi, encore, un décret avait interdit lemploi de tissus ou liquides corporels dorigine bovine (placentas) dans les composants alimentaires et dans les aliments pour bébés. Ce décret avait été attaqué par une entreprise concernée qui en demandait lannulation. Le Conseil dEtat a estimé que lauteur du décret navait pas commis derreur manifeste dappréciation et quil sagissait dune mesure de précaution qui pouvait simposer même si la transmission de lagent de lESB par le placenta bovin nétait pas établie scientifiquement (cf. note 63) .
Ce ne sont là que des exemples (cf. note 64) qui montrent que les procédures appropriées existent déjà et quelles sont aptes à accueillir des demandes visant des décisions publiques intéressant le principe de précaution.
1.4.2. Les responsabilités
Il sagit de déterminer sur quels fondements, critères et conditions une personne (physique ou morale, publique ou privée) peut voir sa responsabilité engagée en tenant compte de ladmission du principe de précaution (cf. note 65) .
1.4.2.1. Responsabilité administrative
Il faut dire demblée que le principe de précaution nest pas posé comme un principe de responsabilité. Ainsi que nous lavons vu, larticle 7 du projet de règlement communautaire vise principalement à reconnaître aux Etats membres le pouvoir de prendre des mesures de précaution (pouvoir daction) en cas de risque suspecté (cf. supra, 1.3.1.1). Cela nexclut pas pour autant la possibilité dune responsabilité de lEtat. Dune part, la mise en uvre du principe de précaution suppose le respect dune procédure de décision et génère ainsi des obligations. Dautre part, lexercice dun pouvoir juridique saccompagne toujours dune responsabilité elle-même juridique (cf. note 66) .
Dès lors, un consommateur victime de la maladie de Creutzfeld-Jakob peut-il demander à être indemnisé par lEtat ? Une entreprise qui fait lobjet dun arrêté de retrait du marché de lun de ses produits peut-elle pareillement obtenir une indemnisation afin de compenser la perte économique quelle subit ?
Puisquil est tenu par le principe de précaution, lEtat peut voir sa responsabilité engagée en cas de manquement. Ce manquement (faute) peut résulter dune insuffisance comme dun excès de précaution : lEtat (en réalité un service de lEtat) na pas pris une décision de précaution qui aurait dû lêtre ; il a pris une décision inappropriée et inefficace ; il a pris une décision excessive de précaution qui pénalise une entreprise.
En principe, la responsabilité de la puissance publique est une responsabilité pour faute prouvée (sauf cas particuliers de présomption de faute). Cela signifie quil appartient à la victime de rapporter la preuve de linsuffisance ou de lexcès de précaution. Autrement dit, la victime doit prouver que lEtat na pas bien apprécié un risque pourtant suspecté et identifié compte tenu des informations scientifiques disponibles (insuffisance de précaution) ou quil a suspecté à tort lexistence dun risque (excès de précaution).
A côté de la responsabilité pour faute, lEtat peut encore voir sa responsabilité engagée pour rupture de légalité devant les charges publiques. Ce fondement particulier de responsabilité nest vraiment utile quaux entreprises victimes.
Concrètement, cela vise des entreprises qui ont par exemple à subir un arrêté imposant le retrait du marché dun de leurs produits ou encore labattage dun troupeau. Cette mesure peut fort bien être justifiée. Mais elle met une ou quelques entreprises dans une situation dinégalité grave par rapport aux autres. Une telle responsabilité suppose en effet lexistence dun dommage à la fois spécial (nombre très limité de victimes) et anormal (grave). Il nen va différemment que si la décision à lorigine du dommage est constitutive dune faute.
Il peut sagir dune responsabilité du fait des règlements (décrets, arrêtés). Mais cela suppose que lobjet de ce règlement ne soit pas de protéger un intérêt tout à fait général. Ce peut être également une responsabilité du fait des lois et des conventions internationales. Ainsi en a-t-il été, par exemple, sagissant de la loi du 9 juillet 1934 interdisant la fabrication de tous produits susceptibles de remplacer la crème naturelle et ne provenant pas exclusivement du lait. Une entreprise, pratiquement seule à tomber sous le coup de cette loi (dommage spécial) et subissant un préjudice grave (anormal) a pu utilement engager la responsabilité de lEtat (cf. note 67) . Il pourrait en aller de même sagissant dune convention internationale (accord SPS, par ex.). Il reste que de telles responsabilités sont rarement admises et demeurent assez théoriques.
En dehors de ces cas dans lesquels la responsabilité de lEtat peut être engagée, il nexiste pas de principe dindemnisation pour les entreprises qui ont à subir des mesures autoritaires de précaution (retrait, rappel, etc.). Une indemnisation peut cependant résulter dune disposition légale ou réglementaire, interne ou communautaire, qui la prévoit ou lorganise. Il en va ainsi, notamment et par exemple, du règlement no 164/97 du 30 janvier 1997 (cf. note 68) relatif au versement dune compensation financière pour tout animal abattu à la suite de la détection dune contamination par lagent de lESB. Cet exemple montre lun des aspects du problème plus général posé par la prise en charge du coût des mesures de précaution (cf. note 69) .
1.4.2.2. Responsabilité pénale
La responsabilité pénale peut toucher à la fois des décideurs publics (un ministre, un directeur, etc.), comme dans laffaire du sang contaminé, et des décideurs privés (chefs dentreprises, sociétés, etc.). Cette responsabilité soulève deux questions principales. Dune part, les infractions existantes sont-elles susceptibles daccueillir des cas de non-respect du principe de précaution ? Dautre part, est-il opportun de créer des infractions et des sanctions pénales spécifiques ?
Selon Mme Viney et M. Kourilsky, dans leur Rapport au Premier ministre, la première question appelle une réponse de principe affirmative, mais sans doute de portée limitée en pratique (cf. note 70) . En effet, les infractions existantes ne se qualifient pas par rapport à la définition du principe de précaution. Les manquements sanctionnés se définissent uniquement par rapport aux conditions légales dune infraction. Or, les conditions des différentes infractions sont très strictes. Il faut cependant garder présent à lesprit le débat toujours ouvert de lincrimination dempoisonnement dans laffaire du sang contaminé.
Il reste que certaines de ces infractions sont particulièrement ouvertes en cas de manquement à une obligation de sécurité.
Ainsi, sagissant des atteintes involontaires à la vie, larticle 221-6 du code pénal incrimine « le fait de causer, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements ».
Les conditions sont posées dans les mêmes termes sagissant des atteintes involontaires à lintégrité de la personne (art. 222-19 et 20, C. pén.).
Or, dune part, une telle obligation de sécurité est posée par le Code de la consommation : « Les produits et les services doivent, dans des conditions normales dutilisation ou dans dautres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement sattendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes » (art. L. 221-1, C. consom.). On observe quelle est définie en termes suffisamment généraux pour englober les produits présentant un risque suspecté.
Dautre part, les obligations déjà existantes qui concernent la précaution (obligation de solliciter une autorisation pour les aliments nouveaux, obligation de suivi des produits) et les obligations qui résulteront du futur règlement communautaire (obligation dalerter les autorités compétentes, etc.) constituent autant dobligations de sécurité susceptibles de fonder lune des infractions pénales.
Par ailleurs, larticle 223-1 du code pénal incrimine la mise en danger dautrui, cest-à-dire « le fait dexposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée dune obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ». Cette infraction, qui, à la différence des précédentes, nexige pas la réalisation dun dommage, est sans doute moins adaptée au contexte dans lequel est appelé à intervenir le principe de précaution. En effet, pour quelle soit constituée, il faut que lexposition dautrui à un risque grave soit « directe » que le risque de mort ou de blessures soit « immédiat » quil y ait eu violation dune obligation « particulière » de sécurité et que le manquement à la sécurité soit « manifestement délibéré ». Ce sont là des conditions assez restrictives. Ainsi, par exemple dans laffaire de lESB, le vendeur de farines animales nexpose pas « directement » le consommateur à un risque « immédiat » de mort. Il reste quen matière alimentaire, le règlement communautaire à venir introduit bien des obligations « particulières » de sécurité, au sens de cette infraction.
Enfin, dans le domaine des fraudes et des falsifications, les articles L. 213-1 et suivants du code de la consommation pourraient également trouver loccasion dêtre appliqués, notamment larticle L. 213-1 (3o) qui vise une tromperie du consommateur sur « les risques inhérents à lutilisation du produit ». Cet article ne distingue pas entre les risques avérés et suspectés.
Il nest pas aisé de répondre à la seconde question relative à lopportunité de créer des infractions spécifiques. Les données de cette question complexe sont très justement analysées par M. Kourilsky et Mme Viney auxquelles on se contentera de renvoyer (cf. note 71) .
Il convient cependant de faire deux observations.
Tout dabord, le futur règlement communautaire incite à la prévision dinfractions spécifiques : « Les Etats membres fixent également les règles relatives aux mesures et sanctions applicables en cas de violation de la législation relative aux denrées alimentaires et aux aliments pour animaux. Les mesures et sanctions prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives » (art. 17, §2, al. 3).
Ensuite, la sécurité sanitaire suppose au moins que les entreprises qui suspectent un risque en informent les autorités compétentes (cf. supra, 1.3.2.2). Cest pourquoi il pourrait être envisageable de créer une infraction spécifique à cet égard.
1.4.2.3. Responsabilité civile
Les entreprises peuvent encourir une responsabilité civile lorsquelles fabriquent ou commercialisent un produit qui occasionne un dommage. Que ce dommage soit issu dun risque avéré (prévention) ou simplement suspecté (principe de précaution) ne doit pas modifier sensiblement les données de cette responsabilité (cf. note 72) . Cette responsabilité peut être soit subjective (en raison dune faute commise) soit objective (sans quil soit besoin de prouver une faute).
Sagissant de la responsabilité pour faute (not. art. 1382 et 1383, C. civ.), il ne fait pas de doute que son champ dapplication va se trouver étendu du fait de ladmission du principe de précaution (cf. note 73) . En effet, le règlement communautaire à venir formalise diverses obligations à la charge des entreprises (cf. supra, 1.3.2.2). Toute inexécution de lune dentre elles sera ainsi constitutive dune faute volontaire ou au moins dimprudence ou de négligence.
Dans les responsabilités objectives (sans faute), le comportement du responsable (et donc léventualité dun manquement au principe de précaution) est très largement indifférent (cf. note 74) . Le responsable répond financièrement dun dommage, sans avoir à être reconnu coupable de rien.
Lune dentre elles est la responsabilité du fait des produits défectueux. Après transposition dune directive communautaire de 1985, la loi du 19 mai 1998 (art. 1386-1 et s., C. civ.), applicable aux produits alimentaires, concerne indirectement lexigence de précaution en retenant la responsabilité des producteurs et vendeurs de produits présentant des risques au moment de leur mise sur le marché, dans la seule limite des risques inconnaissables. En effet, seuls ces derniers (risques du développement) permettent lexonération du responsable. Doit-il en résulter que les risques suspectés sont en principe couverts ? La réponse affirmative semble devoir simposer dès lors que ce qui est suspecté sappuie sur des informations scientifiques accessibles (cf. supra, 1.2.1.2.3) (cf. note 75) . Mais il appartiendra à la jurisprudence de le confirmer. Pour le reste, le consommateur, victime dun quelconque produit alimentaire, doit prouver lexistence dun défaut de ce produit, le dommage quil subit et le lien de causalité entre ce défaut et ce dommage.
Mais la preuve de lexistence dun risque qui pouvait être suspecté suffirait-elle à établir que le produit était bien « défectueux » ? La question est importante dès lors que la victime peut se trouver confrontée à une difficulté de preuve scientifique, sans les moyens pour y faire face. Là encore, il appartiendra à la jurisprudence de dire le droit.
La responsabilité du fait des choses (art. 1384, C. civ.) constitue un autre fondement possible : sous la réserve des causes dexonération du responsable, il suffit à la victime détablir que le dommage est dû au fait dun produit alimentaire. Peu importe, à cet égard, que ce produit ait présenté un risque avéré ou seulement suspecté.
Enfin, en cas de dommage causé par un défaut caché dun produit alimentaire vendu, lacheteur victime peut obtenir une indemnisation, soit de son vendeur, soit dun intermédiaire, soit du fabricant (art. 1641 et s., C. civ.). Le consommateur victime agissant toujours contre un professionnel, celui-ci est responsable même si le vice était indécelable et, par conséquent, même en cas de « risque du développement ».
Il en résulte que, en vertu du droit existant et indépendamment du principe de précaution, le consommateur victime dun produit alimentaire dispose dactions en responsabilité lui permettant, en théorie du moins, dobtenir une indemnisation. Dans leur mise en uvre, ces actions comportent cependant des faiblesses qui contraignent à envisager des améliorations.
1.4.3. Les améliorations envisageables
Des améliorations juridiques sont envisageables à trois égards qui requièrent une articulation entre les exigences nouvelles liées au principe de précaution et les règles, notamment de responsabilité, déjà existantes. Tout dabord, les premières victimes de lapplication du principe de précaution sont les entreprises dont les produits font lobjet de mesures étatiques de précaution. Or la situation de ces entreprises mérite dêtre considérée. Ensuite, si les actions des consommateurs victimes de produits alimentaires existent bien, lefficacité de leur mise en uvre dépend de conditions qui ne sont pas suffisamment précisées ou ne pourront pas être toujours réunies. Enfin, la responsabilité civile permet, certes, de réparer les dommages réalisés. Mais il serait envisageable que notre droit permette aux associations ou aux victimes potentielles danticiper et de tenter de remédier préventivement aux causes des dommages.
1.4.3.1. La situation des entreprises victimes
Les entreprises victimes sont, avant tout, celles qui ont à subir les conséquences économiques des mesures étatiques de précaution : léleveur dont le troupeau est abattu, le producteur qui doit retirer lun de ses produits du marché, etc. Ainsi que nous lavons vu, il nexiste pas de principe dindemnisation, celle-ci ne pouvant guère résulter que dun texte explicitement pris ou adopté à cet effet. Cette situation peut savérer lourde à supporter, en particulier pour les PME. En outre et, plus généralement, elle génère une insécurité dans la mesure où lindemnisation est décidée au cas par cas, le cas échéant en fonction des pressions exercées.
Au-delà des solutions envisageables, notamment par la prise en compte du coût économique des mesures pour les entreprises dans la phase de gestion des risques ou en outre en termes dassurances, un tel principe dindemnisation mérite cependant dêtre débattu, au moins dans les cas où le risque suspecté, qui a donné lieu à des mesures de précaution, nest pas ensuite confirmé.
1.4.3.2. La situation des consommateurs victimes
Les victimes de la non-application du principe de précaution sont celles qui subissent un dommage issu dun risque qui était suspecté et qui na pas été maîtrisé. Ce peut être le fait de lEtat qui na pas pris une mesure de précaution nécessaire ou dune entreprise qui a mis sur le marché un produit présentant un danger issu dun risque qui était suspecté.
Lindemnisation de ces victimes devrait en principe résulter de la mise en jeu dune responsabilité, administrative ou civile.
Les consommateurs sont théoriquement couverts, en cas de dommages liés à des risques seulement suspectés (champ du principe de précaution), par le recours aux fondements classiques de responsabilité (cf. supra, 1.4.2.3). Ils disposent également de laction en responsabilité du fait des produits défectueux. Cette dernière, cependant, soulève deux difficultés quil faudra lever. La première a trait à la proximité notionnelle du risque de développement et du risque suspecté. Il serait souhaitable, dans lintérêt des victimes, de veiller à cantonner le risque du développement à ce qui est véritablement inconnaissable. La seconde est relative à la preuve dun défaut, notion quil conviendrait darticuler avec celle de risque. On devrait admettre que lexistence dun risque, fut-il seulement suspecté, constitue un défaut du produit.
Par ailleurs, les consommateurs peuvent se trouver confrontés à des difficultés de preuve. Le régime de preuve nest certes pas a priori défavorable aux victimes. Mais, sagissant du champ de la précaution, il risque de le devenir puisquune victime pourra être amenée à établir la réalité de données scientifiques, ne serait-ce que pour prouver lexistence dun risque suspecté, chaque fois que celui-ci sera un élément constitutif de la responsabilité. Cest évidemment le cas lorsque la responsabilité est fondée sur la faute commise par lEtat ou par une entreprise qui auront négligé un risque quils pouvaient suspecter. Ainsi quon vient de le voir, ce sera également le cas pour la responsabilité du fait des produits défectueux. Cest pourquoi il pourrait être opportun dalléger la charge probatoire des victimes en exigeant seulement la preuve dun dommage et dun lien de causalité avec le produit, sans quil soit nécessaire détablir lexistence dun « défaut identifié ».
Il faut garder à lesprit le fait que, le plus souvent, les moyens, notamment scientifiques, dont disposent les victimes ne leur permettent pas de faire face aux exigences dune preuve scientifique. Cest pourquoi, en pratique, les victimes sont plutôt incitées à porter plainte et/ou à se constituer parties civiles, bénéficiant ainsi des moyens dinvestigation et de preuve dont disposent les juges dinstruction, aux fins de rechercher une juste indemnisation. Il en résulte un accroissement du recours au juge pénal, parfois dans un but seulement civil, au risque dexcès en termes de médiatisation et de « culpabilisation ».
Ensuite et surtout, la spécificité des dommages liés aux aliments est telle que « limputabilité » risque de faire défaut en ce que les consommateurs seront parfois dans limpossibilité absolue de désigner un responsable. En effet, sagissant dun produit alimentaire qui aura causé un dommage, le consommateur victime sera souvent en difficulté pour établir auprès de quel vendeur il sest fourni et, par conséquent, doù venait le produit (filière). La traçabilité des produits, pour essentielle quelle soit, ny change rien. Quelle aille « de létable à la table » ou encore « de la fourche à la fourchette », elle sarrête immanquablement dans lassiette du consommateur. Le consommateur, par exemple contaminé par lagent pathogène de lESB, ne pourra jamais établir quelle pièce de viande la contaminé il y a cinq ans ou même six mois, ni auprès de quel vendeur il sétait approvisionné. Il risque donc dêtre dans limpossibilité dengager la responsabilité civile dune quelconque entreprise. En matière alimentaire, une responsabilité nest envisageable que si le dommage se réalise presque immédiatement après lingestion du produit (par ex. une intoxication alimentaire qui manifeste très rapidement ses effets et qui est donc aisément rattachable à un repas identifié).
Cest pourquoi il serait opportun, compte tenu de ce que les dommages alimentaires sont grandement susceptibles de devenir des « dommages de masse », de mener une réflexion sur des modes alternatifs dindemnisation : fonds de garantie ou dindemnisation, responsabilités collectives de filières, assurance de type « catastrophes naturelles », assurance directe obligatoire, etc.
1.4.3.3. La prévention des dommages
On peut envisager daller plus loin et de permettre, notamment aux associations, dagir préventivement à lencontre dentreprises qui ne respecteraient pas les prescriptions en matière alimentaire ou le principe de précaution. Cela permettrait déviter les dommages tant quil en est temps.
Or, les quelques actions préventives admises ne sont pas adaptées au contexte de la précaution. Il sagit pour lessentiel des actions en référé (cf. note 76) qui permettent au juge de prononcer des mesures conservatoires ou de remise en état pour prévenir un dommage imminent. Or, sagissant du champ de la précaution et donc de lexistence dun doute scientifique, le dommage nest pas certain et il peut ne pas être imminent ; il est potentiel et grave.
Par ailleurs, les associations de consommateurs peuvent « exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à lintérêt collectif des consommateurs » (art. L. 421-1, C. consom.). Mais cela suppose que lentreprise contre laquelle lassociation sélève ait commis une infraction pénale. Or, le fait quune entreprise méconnaisse un risque suspecté peut ne pas être délibéré et, sil lest, ne pas être constitutif dune telle infraction, surtout dans lhypothèse où aucun dommage nest encore survenu.
Il est donc utile dexplorer dautres voies.
Des propositions ont déjà été faites en ce sens. Ainsi Mme Catherine Thibierge a-t-elle, avec dautres, proposé de créer une telle action préventive fondée sur la précaution (cf. note 77) . Dans le même sens, M. Kourilsky et Mme Viney ont suggéré « dassouplir la notion de dommage » en concevant « que lapplication du principe de précaution incite les juges à se contenter dune simple menace de dommage, lorsque celle-ci concerne la santé, la sécurité humaine ou lenvironnement et que le préjudice envisagé est grave ou irréversible » (cf. note 78) .
Une telle proposition demeure difficile à mettre en uvre si elle doit englober lensemble des dommages possibles. On ne peut traiter identiquement le dommage environnemental qui est le plus souvent collectivement subi (un même dommage, une pluralité de victimes) et le dommage alimentaire qui demeure par nature personnel, même lorsquil frappe un nombre important de victimes (autant de dommages distincts que de victimes). Laction en responsabilité civile est celle dune victime, fût-elle potentielle sagissant dune action préventive. On risque de ninstaurer que le désordre jurisprudentiel en laissant chaque victime individuelle et potentielle agir à son gré.
Avec le même objectif, mais hors du domaine de la responsabilité, on pourrait envisager de créer une action préventive spécifique, ouverte à des associations agréées en cas de dommage potentiel grave, à la manière de celle dont les associations de consommateurs disposent pour obtenir la suppression de clauses abusives des contrats types de consommation (art. L. 421-6, C. consom.), cest-à-dire en dehors de la commission dune infraction pénale. Une telle action pourrait être le pendant, pour les décisions privées, du « contrôle de légalité » (interne et externe) des décisions publiques exercé par les juridictions administratives. Lorsquune entreprise mettrait ou laisserait sur le marché une denrée alimentaire pouvant présenter un risque suspecté, une association pourrait ainsi demander en justice la réalisation dune expertise ou le retrait du produit ou encore la diffusion dune information de mise en garde en direction des consommateurs (cf. note 79) . Il sagirait, en fait, de mobiliser dautres acteurs que les services de lEtat pour veiller au respect de la sécurité sanitaire des aliments. La création dune telle action ne va cependant pas de soi, notamment parce que les associations de consommateurs disposent déjà de la saisine de lAfssa et, par conséquent, du pouvoir de déclenchement dune procédure dévaluation dun risque (cf. note 80) . Il reste quelle mérite dêtre débattue eu égard à la gravité et à létendue des dommages quelle aurait pour but de prévenir.
1.5. Conclusion
Pour sen tenir à lessentiel, on peut aborder le principe de précaution de deux manières différentes. Dun côté, le « principe » de précaution peut être conçu comme une « exception » apportée aux libertés du commerce et de la concurrence. Dun autre côté, il peut constituer lun des principes fondateurs dune politique de sécurité à laquelle le marché des denrées et produits alimentaires doit se soumettre. La première approche est plutôt celle de lOMC, lUnion européenne se situant plutôt dans la seconde.
Le présent rapport sinscrit dans lapproche communautaire qui constitue en outre le meilleur étage de réflexion pour une question qui, dun côté, nentre pas dans les préoccupations principales de lOMC et, dun autre côté, relève dune politique sanitaire qui na defficacité quharmonisée. Cest pourquoi cette réflexion a été centrée sur le projet, issu de la position commune adoptée par le Conseil, « de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant lAutorité alimentaire européenne et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires ».
Dans ce cadre, trois orientations principales, qui cependant népuisent pas toutes les questions soulevées, tendent à se dégager :
La mise en uvre du principe de précaution, tel que défini par larticle 7 du projet de règlement communautaire, relève avant tout de la compétence et de la responsabilité de lEtat ;
Au regard des entreprises, le principe de précaution constitue essentiellement un « principe-source » en ce quil fédère des règles éparses existantes et à venir. Parmi les premières, les plus importantes sont les règles établissant la responsabilité civile et pénale des acteurs. Parmi les secondes, la disposition essentielle provient de larticle 19 du projet de règlement communautaire qui institue notamment une obligation dalerte des autorités compétentes en cas de suspicion dun risque par lentreprise.
La mise en uvre du principe de précaution par lEtat et de ses prolongements en direction des entreprises nécessite une articulation très précise avec les règles nationales et communautaires existantes. A cet égard, des ajustements simposent, en particulier avec les textes régissant les diverses actions en responsabilité ouvertes aux victimes.
2. Lavis du Conseil national de lalimentation
Le Conseil national de lalimentation appelle lattention des pouvoirs publics sur les éléments danalyse qui précèdent. Il formule en outre les recommandations suivantes :
1. Il apparaît opportun de définir spécifiquement le principe de précaution en matière alimentaire (alimentation humaine ou animale dans la mesure ou celle-ci pourrait avoir des conséquences sur la santé humaine). La définition suivante, inspirée du projet de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation communautaire, instituant lAutorité alimentaire européenne et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, pourrait être retenue :
1.1. « Le principe de précaution vise à orienter et apprécier les décisions des acteurs publics et les comportements des opérateurs du secteur alimentaire en cas de suspicion dun risque pour la santé humaine, lié à lutilisation ou à la consommation dun composant ou dune denrée alimentaire. Le risque est suspecté dès lors que peut exister un danger dont le degré dincertitude peut être apprécié par une hypothèse sérieuse, appuyée sur des informations pertinentes, quoique non encore vérifiée scientifiquement.
1.2. Tous acteurs publics et opérateurs du secteur alimentaire qui disposent dinformations pouvant conduire à suspecter lexistence dun risque alimentaire pour la santé humaine doivent immédiatement en aviser les autorités compétentes qui soumettront ces informations à une évaluation scientifique.
1.3. Lorsque des informations et avis pertinents permettent de suspecter lexistence dun risque alimentaire de dommages graves ou irréversibles pour la santé humaine, lEtat, dans lattente dinformations complémentaires permettant la levée de lincertitude scientifique, prend en tant que de besoin des mesures provisoires de gestion de ce risque. Ces mesures doivent être proportionnées. Elles ne doivent pas imposer plus de restrictions au commerce quil nest nécessaire pour parvenir au niveau élevé de protection de la santé choisi [à compléter par les mots : par la Communauté quand il sagira dun texte communautaire], en tenant compte des possibilités techniques et économiques et des autres facteurs jugés légitimes. Ces mesures sont réexaminées dans un délai raisonnable, en fonction de la nature du risque sanitaire et du type dinformations nécessaires pour lever lincertitude scientifique et réaliser une évaluation plus complète de ce risque. »
2. Le principe de précaution doit être mis en uvre de manière cohérente avec les exigences liées à la prévention. A cet égard, il importe de veiller à ce que le coût et limpact des mesures de précaution, prises en cas de risque simplement suspecté, nentravent pas le développement nécessaire des mesures de prévention liées à des risques certains et avérés.
3. La définition du principe de précaution, les conditions dans lesquelles ce principe peut justifier des dispositions des Etats qui induisent des restrictions au commerce, la nature de ces dispositions et les conditions de leur levée, doivent être précisées dans les meilleurs délais au sein des instances internationales compétentes, et notamment dans le cadre du Codex alimentarius.
Sagissant des instances internationales elles-mêmes, dont lactivité se rapporte à la gestion des risques alimentaires, outre le rôle quelles peuvent jouer pour atteindre, par la négociation, les objectifs énoncés ci-dessus, leur rôle doit principalement sattacher à élaborer des lignes directrices susceptibles dharmoniser les pratiques entre les Etats.
4. Il convient de bien séparer lévaluation scientifique du risque et la prise en compte des données économiques, sociales et culturelles (cf. 1.3.1.1). Ces dernières doivent intervenir et être prises en considération au stade de la gestion du risque par la concertation et la consultation, par le décideur public, de personnes et organismes compétents. A cet égard, le CNA serait à même de jouer un rôle éminent.
5. La notion dinformation pertinente est une notion clé du principe de précaution. Cest en présence dune telle information quun risque peut être considéré comme suspecté (cf. 1.2.1.2.3), ce qui permet de justifier ladoption de mesures de précaution par lEtat. Cest également elle qui déclenche des devoirs de précaution dans les entreprises (cf. 1.3.2.2). Cest encore elle qui pourra servir de critère de définition du risque de développement en cas de mise en uvre de la responsabilité du fait des produits défectueux (cf. recommandation 11). Il est ainsi nécessaire de donner de « linformation pertinente » une définition la plus objective possible. A cet égard, il semble souhaitable de retenir quune information, quel que soit son émetteur, ne devient « pertinente » que lorsquelle est considérée comme telle par une autorité scientifique reconnue et se prononçant de manière collégiale, indépendante et transparente.
6. En cas de suspicion dun risque, à côté des étapes principales dévaluation et de gestion des risques, celle de communication sur les risques mérite dêtre précisée.
6.1. Dune part (cf. 1.3.1.1.3), cette communication doit permettre dinformer en temps réel toutes les personnes concernées. Il importe donc dutiliser tous les relais permettant datteindre utilement les décideurs publics (maires, par ex.), les entreprises et les consommateurs. A cet effet, il convient dassocier à cette étape de communication les organisations professionnelles concernées et leur relais ainsi que les associations de consommateurs.
6.2. Dautre part (cf. 1.2.2.1), létape de communication est essentielle pour les consommateurs lorsque lEtat décide de gérer le risque non par des mesures restrictives de précaution à proprement parler (retrait, rappel, suspension, etc.), mais par de simples mesures dinformation du consommateur. Dans ce cas, en effet, la maîtrise du risque est « déléguée » à chaque consommateur. Il est ainsi nécessaire, au-delà de lobjet même de linformation, dassurer une transparence complète sur les raisons qui conduisent à ne pas prendre des mesures restrictives de précaution.
6.3. En outre, le CNA estime souhaitable que les organisations de consommateurs et toutes les autres organisations concernées aient la possibilité dinterroger les autorités compétentes pour ce qui concerne la sécurité des produits, les activités de surveillance et de contrôle, et davoir lassurance que ces interrogations seront examinées et recevront une réponse systématique. Tel devrait par exemple être le cas après que lAfssa a remis un avis à la suite dune saisine des organisations de consommateurs. Le CNA souhaite que des procédures soient établies à cette fin.
7. Il est essentiel que les entreprises qui, dans le cadre de leur activité, en viennent à suspecter quune denrée alimentaire quelles mettent sur le marché peut présenter un risque grave pour la santé humaine, en avisent les autorités compétentes (cf. 1.3.2.2). A cet effet, il est souhaitable dinstituer et de formaliser une obligation nouvelle à la charge des entreprises, et den sanctionner le non-respect (cf. 1.4.2.2).
8. Compte tenu des devoirs que la mise en uvre du principe de précaution crée pour les décideurs publics autres que lEtat (cf. 1.3.1.2) et pour les entreprises (cf. 1.3.2 et cf. 7), il devient nécessaire de préciser les modalités de saisine directe de lautorité scientifique compétente. Le cas échéant, il conviendra dapprécier la nécessité dune modification de la loi. Le CNA poursuivra lexamen de cette saisine directe, dont il estime dès maintenant nécessaire que le principe soit reconnu.
9. Dans le cadre de leur activité, les salariés, notamment ceux en charge de lassurance de la qualité, font connaître à lemployeur ou à son représentant, toutes informations ou constatations qui constituent pour eux des éléments de suspicion dun danger, même hypothétique, susceptibles de déclencher lapplication du principe de précaution.
10. Les entreprises ont une « obligation de suivi de leurs produits » (cf. 1.3.2.2) qui résulte des textes relatifs à lobligation générale de sécurité et à la responsabilité du fait des produits défectueux. Mais cette obligation nest actuellement sanctionnable que par la privation du bénéfice de certaines causes dexonération de leur responsabilité civile. Il conviendrait, en conformité avec la directive relative à la sécurité générale des produits, de linstituer comme une obligation à part entière de sécurité en matière alimentaire qui, comme telle, pourrait être source dune responsabilité civile ou pénale.
11. Il est nécessaire de bien articuler les données juridiques du principe de précaution avec le régime existant de responsabilité civile des entreprises du fait des produits défectueux.
En particulier, il serait souhaitable de bien délimiter la frontière entre risque du développement, cause dexonération de la responsabilité, et risque suspecté (cf. 1.2.1.2.3.1 et recommandation 5). Le risque du développement suppose que « létat des connaissances scientifiques et techniques nait pas permis de déceler lexistence du défaut dun produit » Il faudrait préciser ce que recouvre cet « état des connaissances » par rapport à la notion « dinformation pertinente ».
12. Il est nécessaire et urgent dapporter des réponses à la question de la prise en charge du coût des mesures de précaution imposées aux entreprises par lEtat et en particulier à la question de lindemnisation des entreprises (cf. 1.4.3.1). Cette question est avant tout importante lorsque le risque suspecté a été par la suite scientifiquement démenti. En revanche, lorsque des mesures de précaution ont été prises à juste raison, le risque ayant été confirmé, la question de lindemnisation éventuelle des entreprises se pose dans les mêmes termes que pour les mesures de prévention.
13. Un consommateur qui subit un dommage causé par un produit alimentaire sera parfois sinon souvent dans limpossibilité absolue de désigner un responsable, ne pouvant établir auprès de quel vendeur il sest fourni et, par conséquent, doù venait le produit (filière), ni quil a effectivement ingéré le produit quil a acheté. Il risque donc dêtre dans limpossibilité dengager la responsabilité civile dune quelconque entreprise. Cest pourquoi il serait opportun de mener une réflexion sur des modes alternatifs dindemnisation : fonds de garantie ou dindemnisation, responsabilités collectives de filières, assurance de type « catastrophes naturelles » assurance directe obligatoire, etc. (cf. 1.4.3.2).
Le CNA souhaite que, sans attendre la modification des textes législatifs et réglementaires, lensemble des acteurs concernés tiennent compte des présentes recommandations.
A N N E X E
PARTICIPANTS AU GROUPE DE TRAVAIL DU CNA SUR LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION
ET LA RESPONSABILITÉ DANS LE DOMAINE ALIMENTAIRE
Président : Mme Gailing (ANIA) ;
Rapporteur : M. Collart-Dutilleul (IQUABIAN ;
professeur à la faculté de droit de Nantes) ;
Secrétaire : M. Nairaud ; Mlle Suberville ;
Collège consommateur : M. Garcia (ADEIC-FEN) ;
M. Rabardel (ASSECO-CFDT) ;
Collège production : Mme Briaumont
(FNSEA) ;
Collège restauration : Mme Drouelle
(SNRLH) ; Mme Sacquet (SNERRS) ; M. Pouliquen (SNRC) ;
M. Rault (SNRC) ; M. Vincent (CCC) ;
Collège salarié : M. Bindel
(FNAF-CGT) ; M. Lorin (FNAF-CGT) ; M. Meslier (FNAA-CFE-CGC) ;
Collège scientifique : M. Gallouin ;
Collège transformation : Mme Fillaud
(CGAD) ; Mme Girod-Quillain (SNIAA) ; Mme Ribault (SYNPA) ;
M. Coutrel (ANIA) ; M. Grande (ANIA) ; M. Kozlovsky
(CFCA) ;
Collège distribution : Mme Garnier
(FCD) ; Mme Mouton (FCD) ; Mme Quentel (FCD) ; M. Rogge
(FCD) ;
Représentants des administrations : Mme Lecourt
(DGCCRF) ; Mme Peyronnet (DGCCRF) ; M. Le Bail (Conseil
général vétérinaire) ; M. Reverbori (DGAl) ;
Personnalités invitées : Mme Coutrelis
(avocat) ; Mme Frizon-Roche (université Paris-Dauphine) ;
Mme Garcia (Conseil économique et social) ; M. Bezard
(ancien Président de la chambre commerciale de la Cour de cassation) ;
M. Delpoux (FFSA) ; M. Martin Laprade (Président de sous-section au
Conseil dEtat) ; M. Orenga (CIV) ; M. Radet (SNIA).
Le CNA est une instance consultative indépendante.
Le Conseil national de lalimentation (CNA) est
consulté par les ministres en charge de lagriculture, de la santé
et de la consommation, sur la définition de la « politique
alimentaire » française. Il peut, en particulier, être
interrogé sur « ladaptation de la consommation aux besoins
nutritionnels, la sécurité alimentaire des consommateurs, la qualité
des denrées alimentaires, linformation des consommateurs ».
Il peut sautosaisir.
Le CNA représente toute la chaîne alimentaire.
Le CNA est composé de 47 membres représentant
toutes les composantes de la « chaîne alimentaire »
et de la société civile : associations de consommateurs et
dusagers (9 membres), producteurs agricoles (9 membres), transformation
et artisanat (9 membres), distribution (3 membres), restauration (6 membres),
syndicats des salariés de lagriculture, de lagroalimentaire
et de la distribution (5 membres), personnalités scientifiques qualifiées
(6 membres), représentants des ministères techniques concernés
et de lAfssa qui participent aux débats avec voix consultative.
Le CNA émet des avis et recommandations.
Dès quil est saisi dune question
par les pouvoirs publics ou par son président, le CNA, qui tient des
réunions plénières environ tous les deux mois, constitue
un groupe de travail présidé par lun de ses membres.
Le rapporteur est un membre du CNA ou une personnalité extérieure.
Le groupe, qui doit être composé de personnes aux « sensibilités
différentes » se réunit alors régulièrement
pour préparer un rapport et un projet davis. Ce texte, si possible
« longuement réfléchi » et « consensuel »,
est ensuite soumis à la formation plénière du CNA.
NOTE (S) :
(1) V. Le principe de précaution, sous la dir. dO. Godard, Paris, Ed. MSH et INRA, 1997 ; M. Boutonnet et A. Guégan, Historique du principe de précaution, in Le Principe de précaution (Ph. Kourilsky et G. Viney), éd. O. Jacob, 2000, Annexe 1, p. 253.
(2) En ce sens, V. Ph. Kourilsky et G. Viney,
Le Principe de précaution (Rapport au Premier ministre), Ed.
O. Jacob., 2000.
(3) V. Ph. Kourilsky et G. Viney, op. cit., p. 126 et s., p. 153 et s.
(4) V. 2e Conférence internationale sur la protection de la mer du Nord en 1987 : « Une approche de précaution simpose afin de protéger la mer du Nord des effets dommageables éventuels des substances les plus dangereuses. Elle peut requérir ladoption de mesures de contrôle des émissions de ces substances avant même quun lien de cause à effet soit formellement établi au plan scientifique. »
2 V. aussi : Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la convention sur la diversité biologique (version française, 4 mai 2000, transmise à lONU pour texte final) :
2 Art. 1er : Objectif : « Conformément à lapproche de précaution consacrée par le principe 15 de la Déclaration de Rio sur lenvironnement et le développement, lobjectif du présent Protocole est de contribuer à assurer un degré adéquat de protection pour le transfert, la manipulation et lutilisation sans danger des organismes vivants modifiés résultant de la biotechnologie moderne qui peuvent avoir des effets défavorables sur la conservation et lutilisation durable de la diversité biologique, compte tenu également des risques pour la santé humaine, en mettant plus précisément laccent sur les mouvements transfrontières. »
(5) « Pour protéger lenvironnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les Etats selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, labsence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard ladoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de lenvironnement. »
(6) V. aussi larticle 3 de la Convention de 1992 sur les changements climatiques.
(7) V. la Convention de Paris de septembre 1992 pour la protection du milieu marin pour lAtlantique du Nord-Est : « principe selon lequel les mesures de prévention doivent être prises lorsquil y a des motifs raisonnables de sinquiéter du fait des substances ou de lénergie introduites directement ou indirectement dans le milieu, quelles puissent entraîner des risques pour la santé de lhomme, nuire aux ressources biologiques ou aux écosystèmes, porter atteinte aux valeurs dagrément ou entraver dautres utilisations du milieu, même sil ny a pas de preuves concluantes dun rapport de causalité entre les apports et les effets ».
(8) V. S. Romero Melchor, Principio de precaución : principio de confusión ?, Gaceta Jurídica de la UE, 2000, no 207, p. 89.
(9) Dir. 90/219 et 90/220 du 21 avril 1990, transposées en droit interne par la loi du 13 juillet 1992.
(10) V. not. la loi no 98-535 du 1er juillet 1998 créant lAgence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
(11) V. L. Boy (La nature juridique du principe de précaution, Nature Science Société, 1999, vol.7, no 3), pour qui il sagit dun standard juridique. Adde G.J. Martin (Apparition et définition du principe de précaution, Pet. Aff. 30 nov. 2000, no 239, p. 12), qui y voit un principe de procédure, de méthode et daction.
(12) Accord SPS de lOrganisation mondiale du commerce : JO 26 nov. 1995, annexes, 40023-40028.
(13) V. not. Ch. Noiville, principe de précaution et Organisation mondiale du commerce. - Le cas du commerce alimentaire, Journal de Droit international, 2000, no 2 ; J.-P. Doussin, Laccord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, état des lieux 5 ans après les accords de Marrakech « Colloque Des espaces aux produits, regards croisés du Mercosur et dEurope », Nantes, nov. 1999 (à paraître, Rev. Dr. Rur.).
(14) V. le rapport de lOrgane dappel du 16 janvier 1998 dans laffaire du « buf aux hormones ».
(15) Directive 89/107/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 relative au rapprochement des législations des Etats membres concernant les additifs pouvant être employés dans les denrées destinées à lalimentation humaine, JOCE no L 040 du 11/02/1989, p. 27.
(16) Art. 4 : « 2. La Commission examine aussitôt que possible, au sein du comité permanent des denrées alimentaires, les motifs invoqués par lEtat membre visé au paragraphe 1. Elle émet son avis sans tarder et prend les mesures appropriées.
2 « 3. Si la Commission estime que des modifications à la présente directive ou à la directive globale visée à larticle 3 sont nécessaires pour résoudre les problèmes évoqués au paragraphe 1 et pour assurer la protection de la santé humaine, elle engage la procédure prévue à larticle 11 en vue darrêter ces modifications ; dans ce cas, lEtat membre qui a arrêté des mesures de sauvegarde peut les maintenir jusquà ladoption des modifications. »
(17) V. lart. 5 de la directive 88/344 du Conseil du 13 juin 1988, JOCE no L 157 du 24 juin 1988, p. 28.
(18) JOCE no L 43-1 du 14 février 1997.
(19) Par ailleurs, le règlement de 1997 renforce les exigences détiquetage et dinformation du consommateur (art. 8). Il soumet également à certaines spécificités les autorisations concernant des produits qui comportent des OGM (art. 9).
(20) JO C 96 E du 27 mars 2001, p. 247 ; réf. 500PC0716, in www.europa.eu.int (rubriques « Politiques » / « Protection du consommateur », chapitre 15.20.30. - Protection de la santé et sécurité). V. aussi lavis du Comité économique et social (JO C 155 du 29 mai 2001, p. 32).
(21) A paraître sur www.europa.eu.int.
(22) Le point 1 du texte de larticle 7 issu de la proposition de la Commission était ainsi rédigé : « Dans les circonstances particulières où une évaluation des informations pertinentes disponibles permet didentifier un risque pour la santé, mais où une incertitude scientifique persiste, des mesures provisoires (le reste sans changement). »
(23) V. www.europa.eu.int doc. 500PC0139.
(24) Dans larticle correspondant de la proposition de la Commission (art. 14.2) figurait un alinéa supplémentaire : « Lorsquun exploitant du secteur alimentaire considère ou soupçonne quune denrée alimentaire peut présenter un risque grave pour la santé humaine, il le notifie à lautorité compétente. »
(25) V. Ph. Kourilsky et G. Viney, op. cit., p. 126
et s.
(26) Les différends obéissent à un régime
de « preuve partagée », même si, en principe,
linitiative probatoire incombe à lEtat plaignant : « La
partie plaignante présentera sa première communication avant celle
de la partie défenderesse, à moins que le groupe spécial
ne décide (...) que les parties devraient présenter leurs premières
communications simultanément » (Mémorandum daccord
sur les règles de procédure régissant le règlement
des différends, art. 12.6 ; JO, 26 nov. 1995, annexe,
p. 40136 ; http ://www.wto.org).
(27) V. « Mémorandum daccord sur les
règles de procédure régissant le règlement des différends,
JO, 26 nov. 1995, annexe, p. 40136, art. 19 et s.
(28) La Commission des Communautés européennes,
dans sa communication sur le recours au principe de précaution (COM[2000]1),
considère que le principe de précaution relève uniquement
de la gestion des risques : V. p. 13, dernier §. Lévaluation
des données scientifiques serait un préalable au recours au principe
de précaution selon la même communication (5.1.1, p. 14).
Cette analyse ne permet pas dexprimer la spécificité du
risque déclenchant les mesures de précaution.
(29) Reg. no 258/97 du 27 Janvier 1997 :
JOCE no L 43/1 du 14 février 1997.
V. supra, 1.
(30) Il en va différemment au regard non plus de lalimentation,
mais de lenvironnement dès lors quon sait identifier la possibilité
deffets néfastes pour les milieux (faune et flore), liés
à la culture dune plante génétiquement modifiée.
(31) V. M.-A. Hermitte et D. Dormont, Propositions
pour le principe de précaution à la lumière de laffaire
de la vache folle, , in Le principe de précaution (Ph. Kourilsky
et G. Viney), éd. O. Jacob, 2000, annexe 3, p. 341.
(32) V. COM (2000)1, préc.
(33) V. supra, 1.
(34) Il faut cependant se méfier de telles variations
formelles. Par exemple, le caractère pertinent des informations a été
maintenu dans larticle 33 du texte du Conseil à lidentique
de ce quil était dans le même article du texte émanant
de la Commission. Autre exemple : le nouvel article 7 (Conseil) évoque
lévaluation des informations alors que larticle 3, § 11,
du même texte définit « lévaluation des
risques ».
(35) V. art. 50 et suivants du projet de règlement
communautaire.
(36) V. COM (2000)1, préc. note 1, p. 14,
§ 5.1.
(37) V. M.-A. Hermitte et V. David, Evaluation des
risques et principe de précaution, Pet. Aff., 30 novembre 2000,
no 239, p. 23.
(38) On doit cependant se demander si le risque seulement suspectable
nest pas susceptible dêtre qualifié de risque du développement :
v. infra, 4).
(39) CJCE, 29 mai 1997, aff. C 300/95, JCP 1997.I.
4070, obs. G. Viney, D. 1998. 488, note A. Penneau.
(40) V. lart. 7 du projet de règlement communautaire.
(41) Lorgane dappel de lOMC a, dans laffaire
du buf aux hormones, clairement affirmé que larticle 5 (7)
de laccord SPS « prend effectivement en compte le principe
de précaution ». (§ 124).
(42) V. not. Ch. Noiville, principe de précaution
et Organisation mondiale du commerce. - Le cas du commerce alimentaire,
Journal de Droit international, 2000, no 2 ; J-P. Doussin,
Laccord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, état des
lieux 5 ans après les accords de Marrakech, colloque « Des
espaces aux produits, regards croisés du Mercosur et dEurope »,
Nantes, nov. 1999, (à paraître, Rev. Dr. Rur.).
(43) V. Ph. Kourilsky et G. Viney, rapp. préc.,
p. 46, pour qui elles doivent être révisables et réversibles
« si possible ». Adde : Ch. Noiville, Principe
de précaution et gestion des risques en droit de lenvironnement
et en droit de la santé, Pet. Aff., 30 nov. 2000, no 239,
p. 44.
(44) V. règlement no 258/97 du 27 janvier 1997
relatif aux nouveaux aliments, spéc. art. 11 et 13.
(45) V. Ph. Kourilsky et G. Viney, Le principe
de précaution, Rapport préc., p. 69.
(46) Lexposé des motifs de la proposition de règlement,
émanant de la Commission, précisait que ces « autres
facteurs légitimes » comprennent notamment « la
faisabilité du contrôle dun risque, les mesures de réduction
du risque les plus efficaces en fonction du point de la chaîne alimentaire
où survient le problème, les modalités pratiques requises,
limpact socio-économique et limpact sur lenvironnement ».
(47) V. not. le travail réalisé par le CNA sur
« La nécessité du débat public et les aspects
méthodologiques dans le domaine alimentaire » (D. Nairaud
et S. Suberville).
(48) Qui impose en outre le respect dun principe de cohérence :
v. art. 5.5, supra, 1.1.
(49) V. les missions de lAAE : art. 22 et s. du projet
de règlement.
(50) Il est vrai que le projet de règlement confie à
la Commission la gestion des situations durgence (art. 53) et, seulement
en cas dinaction de celle-ci, aux Etats (art. 54). Mais ces situations
durgence supposent quil est « évident »
que des denrées vont constituer un « risque sérieux »
pour la santé humaine. Le caractère « évident »
semble exclure les risques simplement suspectés.
(51) Le projet de règlement communautaire distingue les
entreprises et les exploitants. Il définit lentreprise du secteur
alimentaire comme « toute entreprise publique ou privée
assurant, dans un but lucratif ou non, des activités liées aux
étapes de la production, de la transformation et de la distribution de
denrées alimentaires » (art. 3, § 2).
Lexploitant du secteur alimentaire est « la ou les personnes
physiques ou morales chargées de garantir le respect des prescriptions
de la législation alimentaire dans lentreprise du secteur alimentaire
quelles contrôlent » (art. 3, § 3).
V. aussi les définitions données pour les entreprises et exploitants
du secteur de lalimentation animale : art. 3, § 5
et 6.
(52) Avis du 12 juillet 2000, JOCE C 268/6
du 19 septembre 2000, § 3.4 et 3.5. Dans le même sens,
v. not. F. Ewald, Le Monde, 11 mars 2000.
(53) Rapport préc., p. 143. Dans le même sens,
v. not. G.-J. Martin, Apparition et définition du principe de
précaution, Pet. Aff. 30 nov. 2000, no 239, p. 10.
(54) Une disposition non identique est prévue pour les
entreprises du secteur de lalimentation animale : « Tout
exploitant du secteur de lalimentation animale informe immédiatement
les autorités compétentes sil considère ou soupçonne
quun aliment quil a mis sur le marché ne répond pas
aux prescriptions relatives à la sécurité des aliments
pour animaux » (art. 20). Il ne sagit plus ici dun
soupçon de danger, comme en matière alimentaire, mais dun
soupçon de non-respect des textes en vigueur.
(55) V. sur ce point, en annexe de la proposition de règlement
émanant de la Commission, la « fiche dimpact de
la proposition sur les entreprises et, en particulier, sur les PME ».
(56) V. art. 4-1, règlement no 258/97
du 27 janvier 1997 : « La personne responsable
de la mise sur le marché dans la Communauté, ci-après dénommée
demandeur, soumet une demande à lEtat membre dans lequel
le produit doit être mis sur le marché pour la première
fois. » Il sexplique par une suspicion de principe liée
à la nouveauté du produit (v. supra, 2.1.1)
(57) La proposition émanant de la Commission était
plus restrictive puisquelle limitait lobligation des entreprises
aux denrées pouvant être « dangereuses »
pour la santé humaine (art. 14.2).
(58) On retrouve une double obligation dinformation comparable
dans la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil
relative à la sécurité générale des produits
(doc. 500PC0139) : « Les producteurs et les distributeurs
informent immédiatement les autorités compétentes des Etats
membres sils arrivent à la conclusion quun produit quils
ont mis sur le marché est dangereux. En particulier, ils informent les
autorités des actions engagées pour prévenir les risques
pour les consommateurs » (art. 5.3).
(59) Sur les conséquences en termes de concurrence, v.
supra, II-A-2 a.
(60) V. www.europa.eu.int doc. 500PC0139, art. 5.
(61) V. C. Cans, Le Principe de précaution, nouvel
élément du contrôle de légalité, Rev.
fr. dr. adm., 1999, p. 750.
(62) V. les différentes décisions rendues dans
cette affaire : Ph. Kourilsky et G. Viney (Rapport préc., p. 130
et s.).
(63) Conseil dEtat, 24 février 1999,
Pro-Nat (no 192465).
(64) V. la jurisprudence en matière environnementale,
présentée par Ph. Kourilsky et G. Viney (Rapport préc.,
p. 133 et s.).
(65) V. not. M. Rémond-Gouilloud, Le Risque de lincertain :
la responsabilité face aux avancées de la science, in
La Vie des sciences, comptes-rendus, série générale,
t. 10, 1993, no 4, p. 431 ; G.J. Martin, Précaution
et évolution du droit, D. 1995, Chr. 299 ; la mise en uvre
du principe de précaution et la renaissance de la responsabilité
pour faute, JCP E, 15 avr. 1999, p. 4. Adde : O. Godard (Repères,
rev. Esprit, 1996, p. 189) qui conteste que le principe de précaution
ait une influence sur la responsabilité juridique.
(66) On a vu ce quil en a été, sagissant
du pouvoir de lEtat dans le domaine de la santé, à loccasion
de laffaire du sang contaminé même si cette affaire interroge
la frontière même qui sépare la prévention de la
précaution : v. not. M. Setbon, Le cas du sang contaminé
confronté au principe de précaution, , in Le principe de précaution
(Ph. Kourilsky et G. Viney), éd. O. Jacob, 2000, Annexe 4, p. 387.
(67) CE Ass., 14 janv. 1938, Soc. des produits laitiers La Fleurette,
Rec. Lebon, p. 25, D. 1938.3.41, concl. Roujou et note Rolland.
(68) JOCE L no 29, 31 janv. 1997, p. 1.
(69) Le débat sur la prise en charge du coût économique
de linterdiction des farines animales en fournit un autre exemple.
(70) V. not. sur linfraction dhomicide ou de blessures
involontaires, et sur celle de mise en danger dautrui (Rapport préc.,
p. 168 et s.).
(71) V. Rapport préc., p. 172 et s.
(72) Contra : J.-P. Desideri (la précaution
en droit privé, D. 2000, Chr. 238) pour qui la responsabilité
civile ne sadapte quartificiellement à lincertitude
et pour qui le droit des victimes à réparation devrait être
affecté dun seuil et restreint aux seuls dommages anormaux ou excessifs.
(73) V. P. Jourdain, Principe de précaution et responsabilité
civile, Pet. Aff., 30 nov. 2000, no 239, p. 52.
(74) V. P. Jourdain, eod. loc.
(75) V. P. Jourdain (art. préc., p. 54) pour qui
le principe de précaution doit en outre conduire à une appréciation
plus rigoureuse de la force majeure en raison dun recul de limprévisibilité.
(76) V. art. 809, 849, 873, 894, code de procédure
civile.
(77) Libres propos sur lévolution du droit de la
responsabilité, RTD civ., 1999, p. 571 et s., spéc. p. 583
et les réf. cit.
(78) Rapport préc., p. 180.
(79) Afin déviter les possibles divergences de
jurisprudence, il faudrait peut-être déroger aux règles
communes de compétence matérielle (juridictions administratives
ou judiciaires ?).
(80) Par ailleurs, la proposition de directive du Parlement
et du Conseil relative à la sécurité générale
des produits (préc.), prévoit dans son article 9.3 :
« Les Etats membres veillent à ce que les consommateurs
et autres parties intéressées aient la possibilité de présenter
des réclamations aux autorités compétentes pour ce qui
concerne la sécurité des produits et les activités de surveillance
et de contrôle et à ce que ces réclamations soient examinées
et reçoivent un suivi approprié et une réponse. Ils informent
activement les consommateurs et les autres parties intéressées
des procédures établies à cette fin. »
©
Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie - DGCCRF - 23
janvier 2002
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