Sommaire
N° 1 du 21 janvier 2002

Avis no 30 du Conseil national de l’alimentation en date du 20 septembre 2001 sur le principe de précaution et la responsabilité dans le domaine alimentaire

NOR :  ECOC0100464V

RAPPORT ET AVIS SUR LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION
ET LA RESPONSABILITÉ DANS LE DOMAINE ALIMENTAIRE
Groupe de travail présidé par Mme Marie-Odile Gailing,
M. François Collart-Dutilleul, en étant rapporteur
Version adoptée à l’unanimité le 20 septembre 2001
Résumé

    Le Conseil national de l’alimentation (CNA) a adopté à l’unanimité un rapport et un avis sur le principe de précaution et la responsabilité dans le domaine alimentaire lors de sa réunion plénière du 20 septembre.
    Sur la base d’une réflexion juridique approfondie, il a formulé treize recommandations dont les orientations principales sont les suivantes :
    Il convient de définir le principe de précaution. En effet, l’ensemble des membres ont estimé que les termes « principe de précaution » étaient utilisés indifféremment avec d’autres, sans que les utilisateurs aient clairement connaissance des limites et de la portée de ces termes.
    Il faut une définition spécifique au domaine alimentaire. Il ne suffit pas de reprendre la définition posée par la loi Barnier du 2 février 1995 qui se fonde principalement sur le caractère irréversible des atteintes à l’environnement.
    Le CNA est parvenu à un accord sur la rédaction à retenir. Ce consensus a été obtenu à l’issue d’une évolution sensible des positions initiales, notamment des organisations professionnelles.
    Dans sa réflexion, le Conseil a pris en compte la « proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité alimentaire européenne et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires ». Sa conclusion est que, même si cette proposition constitue en elle-même un pas important, la rédaction devrait être améliorée et précisée à l’occasion des négociations à venir.
    La mise en œuvre du principe de précaution relève avant tout de la compétence et de la responsabilité de l’Etat. Cependant, l’efficacité d’une politique fondée sur ce principe ne doit pas seulement reposer sur l’Etat. Celui-ci en effet ne peut pas avoir une connaissance exhaustive de la diversité des processus de production, de transformation, de transport des denrées alimentaires. Les entreprises ont donc un rôle à jouer.
    Certes, les entreprises ne doivent pas être confrontées à l’obligation de prendre seules des mesures au-delà de leurs obligations générales de sécurité résultant des textes en vigueur, car elles ne disposent souvent pas de l’expertise scientifique nécessaire.
    Il faut en revanche créer pour les entreprises un devoir d’alerte. Ceci suppose de leur ouvrir, par des moyens à déterminer, la possibilité de demander un avis à l’Afssa. Le CNA a préconisé que ce principe soit retenu. Il poursuivra sa réflexion pour préciser les modalités.
    En outre, le principe de précaution doit constituer pour les entreprises et à leur égard essentiellement un « principe-source » en ce sens qu’il peut fédérer des règles éparses existantes et à venir.
    Le CNA estime souhaitable que les organisations de consommateurs et toutes les autres organisations concernées aient la possibilité d’interroger les autorités compétentes pour ce qui concerne la sécurité des produits, les activités de surveillance et de contrôle, et d’avoir l’assurance que ces interrogations seront examinées et recevront une réponse systématique. Tel devrait par exemple être le cas après que l’Afssa a remis un avis à la suite d’une saisine des organisations de consommateurs. Le CNA souhaite que des procédures soient établies à cette fin.
    Il souligne l’intérêt d’élaborer dans les instances internationales et notamment dans le cadre du Codex alimentarius des lignes directrices susceptibles de réduire les marges d’interprétation d’un Etat à un autre.
    Compte tenu de la sensibilité de ces sujets pour les consommateurs et les entreprises, le CNA a estimé souhaitable que, sans attendre les modifications de textes, l’ensemble des acteurs concernés veuillent bien s’inspirer des principes qu’il a dégagés.

Préambule

    Lors de sa séance plénière du 8 juin 2000, le Conseil national de l’alimentation (CNA) a décidé de mener une réflexion sur le principe de précaution et la responsabilité dans le domaine alimentaire.
    Le CNA a confié la présidence de ce groupe de travail à Mme Marie-Odile GAILING, appartenant au collège du CNA de la transformation et de l’artisanat. M. François COLLART-DUTILLEUL, personnalité extérieure au Conseil en a été le rapporteur.
    Il a notamment été décidé :
      de réexaminer l’inscription en droits national et international du principe de précaution à la lumière de l’avis no 22 et de la notion de responsabilité de tous les acteurs ;
      d’examiner comment ces deux notions sont prises en compte par les acteurs tout au long de la chaîne alimentaire et d’étendre la réflexion aux instances en charge de l’analyse du risque (évaluation, gestion et communication sur le risque) ;
      de préciser comment il convient de considérer la responsabilité et le principe de précaution pour l’estimation du rapport bénéfices/risques de toute innovation ou de toute nouvelle substance comparée à celui des techniques ou substances existantes qui permettent d’atteindre le même objectif ;
      de vérifier si l’application du principe de précaution confère aux acteurs de la chaîne alimentaire, aux instances d’évaluation et aux services de contrôle des obligations et responsabilités différentes de celles dictées par la simple attitude de prudence et de proportionnalité ;
      d’étudier, compte tenu de la complexité de la chaîne agroalimentaire, de son organisation transnationale, les transferts de responsabilité entre les opérateurs tout au long de la vie des produits ainsi que les aspects économiques ;
      d’étudier les solutions de toute nature, notamment réglementaire, pour clarifier la responsabilité tout au long de la chaîne alimentaire, pour améliorer l’inscription en droit du principe de précaution et favoriser une prise en compte harmonieuse et équilibrée entre les différents domaines du risque, notamment avec le risque environnemental, lorsque des décisions doivent être prises.

1.  Etats des lieux

    Le principe de précaution (cf. note 1) a vocation à être appliqué dans tous les domaines touchant à la sécurité des personnes. Il l’est déjà, directement ou indirectement, tant dans le secteur alimentaire que dans ceux de l’environnement et de la santé. Chacun de ces secteurs connaît des particularités qui conduisent à concevoir la mise en œuvre du principe de manière spécifique, à partir de critères et de données communs aux différents secteurs dans lesquels il a vocation à être appliqué (cf. note 2) .
    Le principe de précaution se manifeste de manière explicite au regard de la protection de l’environnement, mais à des degrés divers quant au contenu et au caractère obligatoire des textes. C’est pourquoi les jurisprudences internationale, communautaire et nationale fondent d’ores et déjà, au moins implicitement, des décisions sur le principe de précaution (cf. note 3) .
    En droit international, plusieurs textes ont été adoptés qui, sans viser formellement un « principe », font référence à une « approche de précaution » (cf. note 4) ou encore, comme c’est le cas du principe 15 de la Déclaration de Rio de 1992 (cf. note 5) , à des « mesures de précaution » (cf. note 6) . Lorsque la précaution est visée comme objet d’un principe celui-ci est alors défini dans le champ de la « prévention » (cf. note 7) . C’est déjà dire la confusion qui règne dans le monde de la précaution (cf. note 8) .
    En droit communautaire également, plusieurs textes relatifs à la protection de l’environnement visent ou concernent le « principe de précaution ». Il en va ainsi des directives de 1990 relatives à l’utilisation confinée et à la dissémination des OGM (cf. note 9) . Mais la référence la plus appuyée résulte de l’article 130R du traité de Maastricht, devenu article 174 du traité d’Amsterdam :
    « La politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive... »
    
En droit interne, le texte phare est celui de l’article L. 200-1 du code rural, issu de la loi Barnier du 2 février 1995, selon lequel :
    « L’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable. »
    
On voit généralement dans ce texte une définition environnementale du principe de précaution.
    Ces textes tiennent compte des spécificités du champ de l’environnement et notamment de ce que :
      le principe de précaution concerne tous les décideurs publics et pas seulement l’Etat ;
      les risques s’apprécient généralement sur plusieurs générations (principe d’équité) ;
      les mesures de précaution sont le plus souvent destinées à perdurer.
    Ce sont d’autres spécificités qui gouvernent le secteur de la santé et qui justifient, là encore, des textes particuliers. Au premier chef, on peut voir une manifestation du principe de précaution dans les procédures d’autorisation de mise en circulation des médicaments (cf. note 10) .
    Ces spécificités se justifient notamment en raison de ce que, par leur nature même, les produits de santé sont susceptibles de se révéler dangereux dans leur effet principal et de générer des effets secondaires négatifs.
    S’agissant des médicaments, et à la différence des aliments, l’analyse porte non seulement sur les risques, mais aussi sur l’utilité objective du nouveau produit.
    Par ailleurs, le secteur de la santé se caractérise par une liberté de choix très réduite sinon inexistante pour le consommateur de médicaments.
    C’est là une autre différence avec le secteur alimentaire dans lequel nous verrons que se développe un corps particulier de règles qui renvoient plus ou moins directement au principe de précaution. Les spécificités de ce secteur tiennent notamment :
      à l’innocuité de principe des produits alimentaires ;
      à la longueur des filières et à la complexité des enchaînements de causalité ;
      à la singularité du mélange vivant/chimie ;
      au libre accès aux aliments et aux possibilités de choix pour le consommateur ;
      à la fréquence des recoupements avec des enjeux environnementaux ou de santé ;
      et à des mesures de précaution essentiellement temporaires, avant confirmation ou infirmation du risque scientifiquement établie.
    Il reste que, quel que soit le secteur considéré, ce que l’on dénomme « principe de précaution » a comme objectif premier la neutralisation de risques dont l’existence est suspectée sur des éléments scientifiques encore incertains. Il vise à faire de cette incertitude scientifique un fait juridiquement reconnu pour produire des effets de droit.
    Mais s’agit-il bien d’un principe (cf. note 11)  ?
    Il est permis de répondre par l’affirmative si l’on conçoit un principe comme une norme-guide, abstraite et de portée générale, qui, pour assurer le respect d’une « valeur » socialement admise, vise à orienter des décisions et des comportements ainsi qu’à les apprécier.
    Le principe ainsi entendu est destiné à être juridiquement mis en œuvre de manière indirecte (principe-source), lorsqu’il fédère des règles concrètes. Il en va ainsi du principe de bonne foi (existence de règles spécifiques en droit des contrats, en droit fiscal, etc.) ou du principe de respect de la vie humaine (dispositions des art. 16 et suivants du code civil, infractions spécifiques dans le code pénal, etc.). Mais il est aussi susceptible de fonder directement (principe-règle) des solutions dans des situations non régies par des textes spécifiques. Ce dernier rôle dépend essentiellement de la manière dont la jurisprudence s’approprie le principe pour en faire un fondement autonome de droits et d’obligations, à la manière de ce qu’elle a réalisé pour les troubles de voisinage, l’enrichissement sans cause ou l’abus de droit.
    Dans ce cadre, comment concevoir et mettre en œuvre le principe de précaution afin de garantir au mieux la sécurité alimentaire ?
    Le principe de précaution est au premier chef un principe-source en ce qu’il fédère un certain nombre de règles déjà existantes (1.1). Ces règles contribuent à délimiter les frontières conceptuelles de la précaution (1.2) qui est destinée à guider (1.3) et apprécier (1.4) les décisions et comportements des décideurs publics et privés.

1.1.  Le principe

    S’agissant de la sécurité alimentaire, le principe de précaution n’est pas encore posé comme tel dans les textes. Cela ne saurait tarder. Mais il n’en plane pas moins d’ores et déjà au-dessus de certains d’entre eux. Ces textes propres au secteur alimentaire, qui renvoient implicitement au principe de précaution, ont essentiellement des sources internationales et communautaires. Mais les uns et les autres ne relèvent pas de la même approche.

1.1.1.  Le droit international

    Dans le droit de l’OMC, l’accord du 15 avril 1994 sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires (cf. note 12) peut être considéré comme faisant implicitement référence au principe de précaution ou comme en en traduisant une application particulière (cf. note 13) .
    Ainsi cet accord dispose-t-il :
    « Dans les cas où les preuves scientifiques pertinentes seront insuffisantes, un Membre pourra provisoirement adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base des renseignements pertinents disponibles, y compris ceux qui émanent des organisations internationales compétentes ainsi que ceux qui découlent des mesures sanitaires ou phytosanitaires appliquées par d’autres Membres. Dans de telles circonstances, les Membres s’efforceront d’obtenir les renseignements additionnels nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque et examineront en conséquence la mesure sanitaire ou phytosanitaire dans un délai raisonnable (art. 5.7). »
    Cependant, l’Organe de règlement des différends de l’OMC a refusé de se prononcer sur la nature et la portée du principe de précaution, spécialement à partir des dispositions de l’accord SPS (cf. note 14)  :
    « Certains considèrent que le principe de précaution est devenu un principe général de droit international coutumier de l’environnement. La question de savoir s’il est largement admis par les Membres comme principe de droit international coutumier ou général est moins claire. Nous estimons toutefois qu’il est superflu, et probablement imprudent, que l’organe d’appel prenne position dans le présent appel au sujet de cette question importante mais abstraite. Nous retenons que le groupe spécial lui-même n’a pas établi de constatation définitive concernant le statut du principe de précaution dans le droit international et que le principe, du moins en dehors du droit international de l’environnement, n’a pas encore fait l’objet d’une formulation faisant autorité. »
    Quoi qu’il en soit, l’accord SPS laisse toute sa place à la mise en œuvre du principe de précaution par les Etats qui le souhaitent, en vertu du principe de libre détermination du niveau de protection sanitaire appropriée qui gouverne cet accord :
    « Les membres pourront introduire ou maintenir des mesures sanitaires ou phytosanitaires qui entraînent un niveau de protection sanitaire ou phytosanitaire plus élevé que celui qui serait obtenu avec des mesures fondées sur les normes, directives ou recommandations internationales pertinentes s’il y a une justification scientifique ou si cela est la conséquence du niveau de protection sanitaire ou phytosanitaire qu’un Membre juge approprié (art. 3.3). »
    Encore faut-il que la mise en œuvre de ce principe de libre détermination du niveau de protection sanitaire appropriée (et par conséquent du principe de précaution), par un Etat qui souhaite interdire l’importation d’un produit suspecté, apparaisse cohérente avec les décisions qu’il prend à l’égard des autres produits comparables :
    « En vue d’assurer la cohérence dans l’application du concept du niveau approprié de protection sanitaire ou phytosanitaire contre les risques pour la santé ou la vie des personnes, pour celle des animaux ou pour la préservation des végétaux, chaque Membre évitera de faire des distinctions arbitraires ou injustifiables dans les niveaux qu’il considère appropriés dans des situations différentes, si de telles distinctions entraînent une discrimination ou une restriction déguisée au commerce international (art. 5.5 de l’accord SPS). »

1.1.2.  Le droit communautaire

    Des textes existants font déjà une référence implicite au principe de précaution. Mais un règlement communautaire est attendu qui l’établit explicitement dans le secteur de l’alimentation.

1.1.2.1.  Les textes existants

    Dès 1988, la directive 89/107/CEE du Conseil relative aux additifs alimentaires (cf. note 15) reconnaissait aux Etats membres un pouvoir s’apparentant à ce qui allait devenir le principe de précaution. Ainsi, l’article 4 dispose-t-il :
    « Si, à la suite de nouvelles informations ou d’une réévaluation des informations existantes intervenues depuis l’adoption de la présente directive ou de la directive globale visée à l’article 3, un État membre a des raisons précises d’estimer que l’utilisation d’un additif dans les denrées alimentaires, bien que conforme à la présente directive ou à toute liste établie dans le cadre de l’article 3, présente des risques pour la santé humaine, cet Etat membre peut provisoirement suspendre ou restreindre sur son territoire l’application des dispositions en question. Il en informe immédiatement les autres Etats membres et la Commission, en indiquant les motifs justifiant sa décision (art. 4.1). »
    Le même article 4 organise alors une procédure permettant d’apprécier la réalité des raisons et l’opportunité des mesures ainsi unilatéralement prises par un Etat et d’en tirer les conséquences (cf. note 16) .
    Des dispositions analogues existent relativement aux solvants d’extraction utilisés dans la fabrication des denrées alimentaires et de leurs ingrédients (cf. note 17) .
    Par ailleurs, on discerne un peu plus que l’ombre du principe de précaution dans les dispositions du règlement no 258/97 du 27 janvier 1997 (cf. note 18) qui vise à s’assurer, par un mécanisme d’autorisation, « que les nouveaux aliments et les nouveaux ingrédients alimentaires font l’objet d’une évaluation d’innocuité unique suivant une procédure communautaire avant d’être mis sur le marché dans la Communauté... (2e considérant) (cf. note 19) . »
    La demande d’autorisation est faite par l’entreprise concernée, auprès de l’Etat dans lequel le produit doit être mis sur le marché pour la première fois (art. 4, § 1). Cet Etat procède à « une évaluation initiale » (art. 6, § 2). Celle-ci a pour but de vérifier notamment que le produit ne présente pas de danger pour le consommateur et qu’il n’est pas de nature à l’induire en erreur (présentation, étiquetage, etc.). Le rapport doit aussi préciser si le produit « doit ou non faire l’objet d’une évaluation complémentaire » (art. 6, § 3). Ce rapport est transmis à la Commission et aux autres Etats membres qui peuvent présenter des observations et des objections (art. 6, § 4).
    En l’absence d’évaluation complémentaire ou d’objections, la décision d’autorisation, le cas échéant assortie de modalités, est prise par l’Etat membre (art. 7).
    Dans le cas contraire, elle est prise par la Commission, assistée par le Comité permanent des denrées alimentaires, selon une procédure particulière (art. 13).
    Cette procédure particulière doit également être suivie lorsque, après que l’autorisation a été obtenue et sur la foi d’informations nouvelles, il s’avère que le produit mis sur le marché présente un risque pour la santé humaine ou pour l’environnement (art. 12). Dans un tel cas, un Etat membre peut « restreindre provisoirement ou suspendre la commercialisation et l’utilisation sur son territoire de l’aliment ou de l’ingrédient alimentaire en cause ». Ces mesures sont maintenues jusqu’à la décision de la Commission qui adopte et prend ses propres mesures avec le Comité permanent des denrées alimentaires.

1.1.2.2.  Le règlement communautaire à venir

    Dans le dernier trimestre de l’année 2000, la Commission a présenté une « proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité alimentaire européenne et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires » (cf. note 20) . Cette proposition a débouché sur une « position commune » arrêtée par le Conseil en septembre 2001 (cf. note 21) . C’est essentiellement à ce dernier texte (dénommé « projet de règlement ») qu’il sera fait référence dans les développements qui suivent.
    Ce projet, qui crée l’Autorité alimentaire européenne (AAE), énonce et définit les principes de la législation alimentaire : protection de la santé, principe de précaution, protection des intérêts des consommateurs, traçabilité et responsabilité.
    Dans l’article 7 (cf. note 22) , le principe de précaution est ainsi consacré comme un principe du droit de l’alimentation :
    « 1.  Dans les cas où une évaluation des informations disponibles permet d’identifier la possibilité d’effets nocifs sur la santé, mais où il subsiste une incertitude scientifique, des mesures provisoires de gestion du risque, nécessaires pour assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, peuvent être adoptées dans l’attente d’autres informations scientifiques en vue d’une évaluation plus complète du risque.
    « 2.  Les mesures adoptées sur la base du paragraphe 1 sont proportionnées et n’imposent pas plus de restrictions au commerce qu’il n’est nécessaire pour obtenir le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, en tenant compte des possibilités techniques et économiques et des autres facteurs jugés légitimes en fonction des circonstances en question. Ces mesures sont réexaminées dans un délai raisonnable, en fonction de la nature du risque identifié pour la vie ou la santé et du type d’informations scientifiques nécessaires pour lever l’incertitude scientifique et réaliser une évaluation plus complète du risque. »
    Au reste, il semble bien que l’Union européenne s’engage dans un processus de généralisation du principe de précaution si l’on en juge par certaines dispositions de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la sécurité générale des produits (cf. note 23) et notamment par l’article 8.1 selon lequel : « Pour atteindre les objectifs de la présente directive (...) les autorités compétentes des Etats membres disposent des pouvoirs nécessaires et engagent les actions nécessaires proportionnellement à la gravité du risque et dans le respect du traité, et notamment des articles 28 et 30, pour prendre des mesures appropriées visant (...) à interdire temporairement, pendant la période nécessaire aux différents contrôles, vérifications ou évaluations de la sécurité, de fournir, de proposer de fournir ou d’exposer certains produits lorsqu’il existe des indices précis et concordants concernant leur caractère potentiellement dangereux. »
    Par ailleurs, il faut avoir égard à l’article 19 du projet de règlement communautaire relatif au droit de l’alimentation qui, dans son troisième alinéa, établit en direction des entreprises des obligations qui paraissent bien se rattacher indifféremment au champ de la précaution comme à celui de la prévention :
    « Tout exploitant du secteur alimentaire informe immédiatement les autorités compétentes lorsqu’il considère ou soupçonne qu’une denrée alimentaire qu’il a mise sur le marché peut être dangereuse pour la santé humaine. Il informe les autorités compétentes des mesures qu’il prend pour prévenir les risques pour le consommateur final » (cf. note 24) .
    Cette « implication active » des entreprises dans une démarche de précaution comme de prévention devra être précisée (cf. infra, 1.3.2). Elle témoigne de ce que l’approche communautaire est plus approfondie que celle de l’OMC.

1.1.3.  Les différences d’approche

    En termes d’objectifs, on peut aborder le principe de précaution de deux manières différentes. D’un côté, le « principe » de précaution peut être conçu comme une « exception » apportée aux libertés du commerce et de la concurrence. D’un autre côté, il peut constituer l’un des principes fondateurs d’une politique de sécurité à laquelle le marché des denrées et produits alimentaires doit se soumettre. La première approche est plutôt celle de l’OMC, l’Union européenne se situant plutôt dans la seconde.
    Cela ne signifie évidemment pas que les deux approches sont radicalement distinctes et antinomiques. Ainsi, le droit international et le droit communautaire ont en commun l’objet même du principe de précaution. Celui-ci confère en effet à un Etat le pouvoir de prendre des mesures restrictives de la liberté du commerce en cas de suspicion d’un risque dont la réalité n’est pas encore scientifiquement établie. Ainsi un Etat membre a-t-il le pouvoir d’empêcher l’importation d’un produit suspect, tant en provenance d’un Etat tiers (droit international et droit communautaire) que d’un Etat membre de l’Union européenne (droit communautaire).
    Le droit international et le droit communautaire visent également à avoir en commun une démarche et des critères concrets qui permettent de mettre en œuvre à cet effet le principe de précaution. On observe bien la proximité de cette démarche et de ces critères en confrontant l’article 5.7 de l’accord SPS et l’article 7 de la proposition de règlement communautaire (cf. infra, 1.2).
    Mais il n’en demeure pas moins des différences de grande portée.
    La plus importante résulte du règlement 258/97 qui soumet à autorisation préalable la mise sur le marché des produits et ingrédients alimentaires nouveaux. Une telle autorisation, qui sous-entend une suspicion systématique de risques seulement liés à la nouveauté, place les denrées alimentaires au cœur d’une politique de sécurité sanitaire qui prévaut sur le libre commerce. La différence d’approche est d’ailleurs telle que, selon toute vraisemblance, ce règlement communautaire ne serait pas jugé compatible avec les règles de l’OMC, et notamment avec les termes de l’accord SPS.
    Cette même différence se retrouve dans la jurisprudence lorsqu’on confronte l’attitude des juridictions internationales et celle des juridictions communautaires et nationales (cf. note 25) .
    Dans les relations internationales, le principe de précaution est invoqué pour justifier une mesure restrictive de ces libertés et ne concerne que des décisions publiques. Le « manquement » au principe de précaution réside dans un excès de prudence (susceptible de masquer une mesure protectionniste). L’Etat qui l’invoque peut se voir reprocher de l’avoir appliqué et non, à la différence des droits communautaire et national (cf. infra, 1.4), d’avoir négligé de le faire. Il est sanctionné, avec un régime spécifique de preuve (cf. note 26) , par la mise en œuvre d’une forme autorisée de « loi du talion ». Ainsi, lorsque, aux yeux de l’Organe de règlement des différends, un Etat a appliqué le principe de précaution de manière excessive, il doit mettre en œuvre les recommandations contenues dans le rapport du groupe spécial ou dans celui de l’organe d’appel. A défaut, il est invité à se rapprocher de l’Etat plaignant afin de trouver une compensation mutuellement satisfaisante (par ex. des réductions de droits de douane). A défaut, l’Etat plaignant est en droit de se faire autoriser pour prendre des mesures de rétorsion proportionnées à l’encontre de produits venant de l’Etat fautif (cf. note 27) . La sanction affecte donc les entreprises exportatrices des produits « mises ainsi à l’index » par l’Etat plaignant, et non l’Etat lui-même dont ces entreprises relèvent. Finalement, le manquement par excès au principe de précaution est seulement pris comme une atteinte au libre commerce et il est alors sanctionné par une atteinte inverse en réponse.
    La différence d’approche n’exclut cependant pas la recherche d’une définition commune de la précaution.

1.2.  Précaution

    Le droit applicable au secteur agroalimentaire assure la sécurité du consommateur par de multiples voies, allant de l’anticipation des accidents sanitaires à la réparation du préjudice subi par les victimes. Peu à peu ces voies se sont exprimées en « principes » de précaution, de prévention, etc., dont il convient de préciser le contenu et l’autonomie. Ces principes peuvent être rassemblés dans la famille des principes de prudence. Rien ne serait pire que de confondre les membres de cette famille : c’est dans ce cadre que se précisent, en droit, la définition et la spécificité du principe de précaution.
    Cette spécificité se manifeste avant tout dans une échelle des risques que l’on peut exprimer ainsi :
      risques inconnaissables (risques du développement) : principe d’exonération ;
      risques suspectés : principe de précaution ;
      risques avérés : principe de prévention ;
      risques réalisés : principe de réparation.
    Il n’en demeure pas moins que l’inflation menace l’usage du terme de précaution et fait craindre sa banalisation. L’incertitude juridique, facteur d’insécurité pour tous les acteurs publics et privés de la chaîne agroalimentaire, peut en résulter, tant le langage courant et les discours médiatiques semblent avoir imposé l’obligation de précaution comme le remède à toutes les angoisses. Pour y remédier, l’analyse des textes juridiques internationaux, communautaires et, s’ils existent, nationaux doit guider la recherche du contenu du principe de précaution. Ces textes imposent de concrétiser la spécificité de ce principe au regard de chacun des volets de l’analyse des risques : l’évaluation des risques, d’une part (risk assessment), la gestion des risques, d’autre part (risk management).
    Le principe de précaution repose sur une approche spécifique des risques et impose des mesures spécifiques de gestion de ces risques (cf. note 28) . Dans le champ de l’évaluation, le principe de précaution s’impose dès qu’un risque est simplement suspecté, alors que dans le champ de la gestion, le principe de précaution impose des mesures provisoires ou temporaires.

1.2.1. Un risque suspect

    Il résulte des textes que la suspicion d’un risque est liée soit à la nouveauté d’un produit ou d’un composant alimentaire, soit à l’identification de ce risque.

1.2.1.1. La suspicion liée à la nouveauté d’un produit alimentaire

    Sans y consacrer de longues analyses, il faut remarquer que les textes communautaires ont appliqué le principe de précaution de façon implicite en exigeant une autorisation administrative préalable à la mise sur le marché de tout nouvel aliment (cf. note 29) . Par conséquent, tout aliment nouveau, au sens du règlement no 258/97 est jusqu’à preuve de son innocuité, suspecté ou présumé source de risque sanitaire. Toute la procédure d’autorisation est la mise en œuvre de la gestion de ce risque suspecté (cf. supra, 1.1.2.1).

1.2.1.2. La suspicion liée à l’identification d’un risque sanitaire

    En dehors de la situation particulière de la nouveauté du produit, le principe de précaution doit pouvoir être invoqué lorsqu’un risque est identifié comme suspect, ce qui suppose que les éléments qui composent ce risque soient eux-mêmes identifiés. C’est bien ce qui résulte de l’article 7 de la position commune du Conseil pour le règlement communautaire qui fait référence aux « cas où une évaluation des informations disponibles permet d’identifier la possibilité d’effets nocifs pour la santé ».

1.2.1.2.1. La nature sanitaire du risque

    Le projet de règlement communautaire ne fait référence qu’aux hypothèses pouvant présenter un risque sanitaire et faisant ainsi craindre des effets nocifs pour la santé.
    Mais, inévitablement, la question se posera de savoir si le principe de précaution peut aussi être évoqué à propos de préjudices économiques.
    Ainsi, au moment du naufrage de l’Erika, les autorités administratives se sont demandé si le principe de précaution commandait de laisser fermées les vannes commandant le flux d’eau de mer vers les marais salants de Guérande, produisant un sel de haute qualité. En faveur de cette fermeture était invoquée la menace sur l’image de marque de ce sel au cas où des nappes de pétrole entreraient dans les marais. Il s’agissait uniquement d’un préjudice économique et non pas sanitaire, car personne n’imaginait de récolter et a fortiori de commercialiser le sel souillé. S’appuyant sur la lettre de l’article L. 200-1 du code rural, le tribunal administratif de Nantes a considéré que le principe de précaution s’appliquait uniquement en cas de risques de dommages graves et irréversibles à l’environnement, et non pas en cas de menace d’un préjudice économique.
    La même question pourrait se poser en matière agroalimentaire, car l’information sur un risque alimentaire peut affecter l’ensemble d’une filière. Ainsi, des entreprises concurrentes ou des entreprises situées à un autre stade de la chaîne agroalimentaire pourraient invoquer le principe de précaution afin de paralyser la mise sur le marché d’un produit suspecté. Un débat doit être ouvert sur ce point : faut-il limiter le principe de précaution au domaine des risques sanitaires ou doit-il être généralisé afin d’englober tout risque frappant la filière agroalimentaire, y compris le risque économique ?
    Il faut se garder de répondre trop hâtivement à cette question, car le risque économique dont il est ici question est intimement lié à un risque sanitaire. Si une entreprise invoque le principe de précaution pour paralyser la mise sur le marché d’un produit qu’elle doit recevoir d’une autre entreprise, située en amont dans la filière concernée, elle poursuit à la fois un but économique et sanitaire. Si un grand distributeur retire publiquement de ses consoles de vente un produit qu’elle estime suspect, il peut être parfois malaisé de distinguer l’opération de marketing et la décision de santé publique. Allons au-delà. Si une entreprise invoque le principe de précaution à l’encontre du produit suspecté commercialisé par un concurrent, l’objectif immédiat est économique (reste à savoir s’il est « loyal »). Mais, du même coup, cette entreprise peut contribuer à écarter un risque sanitaire réel. La question mérite bien d’être débattue, tant au regard du droit alimentaire qu’à celui du droit de la concurrence. Nous verrons que le projet de règlement communautaire contribue à alimenter ce débat (cf. infra, 1.3.2.2).

1.2.1.2.2. Les composantes du risque

    L’identification porte sur les éléments qui composent la notion de risque, à savoir un danger et un aléa. Ces deux éléments sont bien mis en évidence par la définition que donne du risque la proposition de règlement communautaire : « une fonction de la probabilité et de la gravité d’un effet néfaste sur la santé, du fait de la présence d’un danger (art. 3, § 9) ».
    Le danger dont il est question n’est pas propre au risque suspecté ou suspectable. Tout risque, qu’il soit suspecté ou avéré, comporte un élément de danger. La particularité du risque déclenchant l’application du principe de précaution est seulement relative à l’élément d’aléa ou d’incertitude.

1.2.1.2.2.1. Le danger

    Le danger consiste, aussi bien dans le champ du principe de précaution que par exemple dans le champ du principe de prévention, en tout effet négatif possible sur la vie, le potentiel physique ou l’agrément des personnes et plus précisément les consommateurs de produits alimentaires. La notion de danger peut même être étendue aux lésions portées à la flore, à la faune et plus généralement aux milieux naturels. Cette définition est quelque peu différente celle que retient le projet de règlement communautaire qui entend par danger « un agent biologique, chimique ou physique présent dans les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux, ou un état de ces denrées alimentaires ou aliments pour animaux, pouvant avoir un effet néfaste sur la santé (art. 3, § 14) ». En réalité, on peut se demander si le projet de règlement ne confond pas la cause du danger (un défaut du produit, par ex. un agent biologique) et le danger lui-même tel qu’il se manifeste. Un produit alimentaire est dangereux lorsqu’il (manifestation) peut être néfaste pour la santé. Il est dangereux parce qu’il (cause) présente un défaut quelconque. Cette confusion n’est pas sans conséquences, spécialement pour la mise en œuvre de la responsabilité du fait des produits qui suppose la preuve de l’existence d’un « défaut » (cf. infra, 1.4.2.3).
    Quoi qu’il en soit, l’identification du risque suppose de pouvoir pointer un danger possible, c’est-à-dire la possibilité d’un effet néfaste pour la santé. Dans ce cadre, un produit alimentaire ne peut pas être considéré comme générant un risque sanitaire tant qu’on ne sait rien dire de la possibilité d’un effet néfaste pour la santé (cf. note 30) . A l’inverse, le danger est bien identifié s’agissant de certains produits d’origine bovine : il s’agit de la transmission à l’homme du prion à l’origine de la maladie de Creutzfeld-Jakob.

1.2.1.2.2.2. L’aléa

    A la différence du danger, qui est commun à tous les types de risques, l’aléa est spécifique au risque non (encore) avéré. L’aléa est donc ce qui permet de tracer les frontières de la précaution entre l’inconnu (risque du développement) et l’avéré (prévention).
    L’aléa se définit comme l’incertitude d’une relation de cause à effet entre un acte ou une abstention et un dommage, par exemple entre la consommation d’une denrée alimentaire et telle maladie.
    Lorsque cette incertitude peut être mesurée, elle entre alors dans l’ordre de la prévisibilité et de la probabilité. Tel est le cas de la survenance d’une cirrhose en cas de consommation prolongée d’alcool. Il y a bien une incertitude, mais celle-ci est sanitaire (toute personne qui surconsomme de l’alcool ne développe pas une cirrhose) et non scientifique (la surconsommation d’alcool est une cause avérée de la cirrhose). Il en va de même au regard de l’épizootie de fièvre aphteuse, l’abattage de troupeaux étant justifié par une incertitude sanitaire, mais non scientifique. Il en va encore de même de la surconsommation de sel qui est actuellement objet de débat. Si demeurent des incertitudes, celles-ci sont sanitaires et non scientifiques : il est bien avéré que la surconsommation de sel est un facteur d’hypertension, elle-même facteur de maladies cardio-vasculaires. Pour une large part et pour la même raison, la question de l’ESB (cf. note 31) a quitté le champ de la précaution. Toutes ces hypothèses relèvent du champ de la prévention.
    Lorsque l’incertitude porte sur l’existence même du lien scientifique de cause à effet, il y a un aléa qui échappe à toute prévision. Ainsi, par exemple, le lien entre l’utilisation d’un téléphone mobile et le cancer du cerveau relève (pour l’heure) de l’aléa. Cette hypothèse relève-t-elle pour autant du champ de la précaution ? Rien n’est moins sûr. En effet, tout aléa ne suffit pas à caractériser la précaution. Encore faut-il que la possibilité d’un lien de causalité soit fondée sur une hypothèse scientifique sérieuse, c’est-à-dire que ce lien soit suspecté.
    On mesure ici l’importance du vocabulaire utilisé dans la communication avec le public et la distance qui tend à s’accroître entre l’invocation quasi incantatoire, symbolique et très excessive du principe de précaution, notamment dans la presse, et la réalité beaucoup plus limitée de ce que recouvre ce principe entre l’inconnu et l’avéré.
    L’aléa, caractéristique d’un risque relevant du champ de la précaution est donc sorti de l’inconnu pour entrer dans l’ordre de la suspicion. C’est par conséquent à la définition de ce dernier terme qu’il convient de s’attacher.

1.2.1.2.3. Les critères de la suspicion

    Dans sa communication sur le principe de précaution (cf. note 32) , la Commission des Communautés européennes affirmait : « l’invocation ou non du principe de précaution est une décision prise lorsque les informations scientifiques sont incomplètes, peu concluantes ou incertaines et lorsque des indices donnent à penser que les effets possibles sur la santé humaine, animale ou végétale pourraient être dangereux et incompatibles avec le niveau de protection choisi ».
    Cette communication s’appuyait notamment sur le texte de l’article 5.7 de l’accord SPS, aux termes duquel « dans les cas où les preuves scientifiques pertinentes seront insuffisantes, un Membre pourra provisoirement adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base des renseignements pertinents disponibles (...). Dans de telles circonstances, les Membres s’efforceront d’obtenir les renseignements additionnels nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque (...) ». Elle annonçait les dispositions de l’article 7 de la proposition de règlement communautaire émanant de la Commission (cf. note 33)  : « Dans les circonstances particulières où une évaluation des informations pertinentes disponibles permet d’identifier un risque pour la santé, mais où une incertitude scientifique persiste, des mesures provisoires de gestion du risque, nécessaires pour assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, peuvent être adoptées dans l’attente d’autres informations scientifiques en vue d’une évaluation plus complète du risque. »
    Il y avait ainsi une cohérence entre le texte international (accord SPS) et le texte communautaire (proposition de la Commission).
    Pour une part, cette cohérence semble plus incertaine, au moins formellement, avec le texte issu de la position commune du Conseil qui a fait disparaître toute référence au caractère pertinent des informations susceptibles de déclencher la mise en œuvre du principe de précaution (v. supra, I-B-2). Mais la difficulté est seulement apparente dans la mesure où le nouvel article 7 subordonne toujours la mise en œuvre de mesures de précaution à « une évaluation des informations disponibles », c’est-à-dire, précisément, à une appréciation de la pertinence de ces informations par une autorité scientifique (cf. note 34) .
    On peut donc admettre que, directement ou indirectement, les textes de droit international et communautaire permettent ainsi de caractériser deux circonstances qui au moins devraient coexister pour que s’applique le principe de précaution : l’existence d’informations pertinentes, d’une part, et une incertitude scientifique, d’autre part. On peut donc définir le risque identifié comme celui susceptible de générer un danger dont l’aléa peut être apprécié par une hypothèse sérieuse, appuyée sur une information pertinente, quoique non vérifiée scientifiquement.

1.2.1.2.3.1. Notion d’information pertinente

    Les textes juridiques précités emploient des termes différents : « indices donnant à penser que les effets possibles sur la santé (...) pourraient être dangereux... », « renseignements pertinents disponibles », « informations disponibles », qui définissent un contour commun mais vague. A chaque fois, le sens d’indices, renseignements, information se comprend a contrario : il ne s’agit pas de preuve scientifique au sens admis en droit de l’agroalimentaire.
    Cette approche laisse planer beaucoup d’incertitudes, qu’une liste non exhaustive permet de décrire. Peut-on qualifier d’information disponible et, le cas échéant, pertinente :
      une position scientifique dissidente ?
      une position scientifique en cours de vérification ?
      une information relayée par des systèmes d’alerte (cf. note 35)  ?
      une information simplement médiatisée ?
      une hypothèse évoquée par la presse ?
      une rumeur ou une croyance populaire ?
    La Commission des Communautés européennes retient une conception restrictive dans sa communication sur le recours au principe de précaution. Son opinion, qui n’a évidemment aucune portée juridique directe, s’exprime à propos de ce qui, dans cette communication, est désigné sous l’intitulé suivant : « les facteurs déclenchant le recours au principe de précaution ». Or, les paragraphes regroupés sous cette rubrique établissent des procédures « d’évaluation scientifique se rapportant aux risques » sous réserve de l’identification préalable d’effets potentiellement négatifs découlant d’un phénomène (cf. note 36) . Cette position n’est pas satisfaisante, dans la mesure où elle n’aborde pas la vraie question de fond, qui sera un jour posée à l’occasion d’un procès en responsabilité d’une administration voire d’une entreprise agroalimentaire : A partir de quelle information un acteur du secteur agroalimentaire doit-il prendre des précautions ou plus juridiquement est-il débiteur d’obligations de précaution (cf. infra, 1.3.2) ? La réponse de la Commission européenne, comme celle du Conseil, oublient ce préalable nécessaire, pour fournir déjà des clefs de la mise en œuvre du principe de précaution. Or, le défaut d’encadrement juridique de cet élément préalable, source de la confusion actuelle régnant autour du principe de précaution, ouvre la voie à une conception plus qu’extensive, débordante dudit principe. Personne n’y a intérêt.
    Or, d’une part, ainsi qu’on vient de le voir, la position commune du Conseil (art. 7) a supprimé toute référence explicite au caractère pertinent de l’information qui permet le déclenchement du principe de précaution, modifiant en cela le texte (art. 7) qu’avait proposé la Commission. D’autre part, la réflexion sur la notion d’information pertinente non démontrée scientifiquement n’a pas été menée à l’occasion des principaux travaux sur le principe de précaution. Elle devrait pourtant donner lieu à un débat, dont seules quelques lignes essentielles peuvent être ici tracées.
    La pertinence d’une information tient d’abord à sa source (cf. note 37) , laquelle doit être fiable, si possible diverse et non anonyme. Ainsi, la mise en place d’agences nationales spécialisées, telle l’Afssa ou de réseaux d’alerte, tels que les prévoit l’article 50 du projet de règlement communautaire, répond à cette exigence. Il en va de même de la procédure « d’identification des risques émergents » qui constituera une source essentielle. Cette procédure est organisée dans l’article 34 de ce projet de règlement communautaire :
    « 1. L’Autorité établit des procédures de contrôle afin de rechercher, recueillir, rassembler et analyser systématiquement les informations et les données en vue de procéder à l’identification de risques émergents dans les domaines qui relèvent de sa mission.
    « 2. Lorsque l’Autorité dispose d’informations permettant de suspecter un risque grave émergeant, elle demande des informations complémentaires aux Etats membres, aux autres agences communautaires et à la Commission. Les Etats membres, les agences communautaires concernées et la Commission répondent dans les meilleurs délais en transmettant les données pertinentes en leur possession.
    « 3. L’Autorité utilise l’ensemble des informations qu’elle reçoit dans le cadre de l’accomplissement de sa mission pour identifier un risque émergent.

    « 4.  L’Autorité fournit l’évaluation et les informations sur les risques émergents qu’elle a rassemblées au Parlement européen, à la Commission et aux Etats membres. »
    Il en résulte finalement qu’une information ne devrait être considérée comme pertinente que lorsqu’elle est validée par une autorité scientifique compétente, telles l’Afssa ou les divers organismes officiels de la Communauté.
    La pertinence d’une information tient aussi à son contenu. Le principe de précaution ne peut être mis en œuvre dès la diffusion d’une information relative à la coïncidence d’un accident de santé et de la consommation d’une denrée alimentaire. Ainsi, il est probable que 100 % des malades du cancer ont mangé du pain dans les mois précédant la découverte de leur maladie, ce qui ne suffit évidemment pas pour suspecter cette consommation comme dangereuse. La pertinence de l’information se vérifie au contraire dans le fait qu’elle propose, sans démontrer d’une manière scientifique admise, une explication causale. Elle établit de manière non fantaisiste un lien de cause à effet entre un dommage sanitaire et la mise sur le marché d’une denrée alimentaire. Il en irait ainsi d’une démonstration scientifique encore embryonnaire, soit parce qu’elle requiert une confirmation, soit parce qu’elle n’est pas unanimement admise, sans pour autant être considérée comme fantaisiste ou farfelue. On peut encore citer : une information factuelle venant confirmer une simple hypothèse déjà émise par des scientifiques, une information purement factuelle provenant de sources diverses et indépendantes.
    On peut essayer de préciser la notion d’information pertinente disponible par référence à celle de risque du développement qui permet à un producteur d’être exonéré de sa responsabilité civile (cf. infra, 1.4.2.3). En effet, le risque suspecté se situe probablement (cf. note 38) entre le risque du développement, dont on connaît la notion puisqu’elle fait l’objet d’une définition légale, et le risque avéré ou scientifiquement établi.
    La notion de risque du développement est définie par l’article 1386-11 (4o) du Code civil (loi du 19 mai 1998) : « ... Que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut. »
    A cet égard, à l’occasion d’un litige opposant la Commission au Royaume-Uni, la Cour de justice des Communautés européennes a eu l’occasion d’apporter d’utiles précisions (cf. note 39) . Tout d’abord, la référence aux connaissances scientifiques et techniques « ne vise pas spécifiquement la pratique et les normes de sécurité en usage dans le secteur industriel dans lequel opère le producteur, mais, sans aucune restriction, l’état des connaissances scientifiques et techniques, en ce compris son niveau le plus avancé, tel qu’il existait au moment de la mise en circulation du produit en cause ». Ensuite, le risque du développement « ne prend pas en considération l’état des connaissances dont le producteur en cause était ou pouvait être concrètement ou subjectivement informé, mais l’état objectif des connaissances scientifiques et techniques dont le producteur est présumé être informé ». Enfin, pour que l’exonération ne soit pas retenue, il faut que « les connaissances scientifiques et techniques pertinentes aient été accessibles au moment de la mise en circulation du produit en cause ».
    Cette définition du risque de développement apparaît cependant insatisfaisante parce qu’elle ne tient pas compte de la source des informations, sinon pour préciser que l’information doit être « accessible » ce qui est bien le moins. Or, il semble nécessaire, pour la sécurité juridique des personnes chargées d’appliquer le principe de précaution, d’ajouter que l’information pertinente disponible émane d’une « source validée » (cf. infra, 1.3.2.2).

1.2.1.2.3.2.  Absence de confirmation scientifique

    Au prix d’une certaine redondance, il faut affirmer que le principe de précaution semble étranger aux cas où un risque a été évalué scientifiquement, c’est-à-dire lorsque le dommage est causé par des facteurs obéissant à une loi scientifique établie. L’établissement d’une telle loi scientifique fait basculer le devoir de l’acteur public ou privé du secteur agroalimentaire vers un devoir de prévention et non plus de précaution. Le risque n’est plus alors suspecté mais véritablement avéré.
    Au sein de la « famille des principes de prudence » les deux grands principes, de précaution, d’une part, de prévention, d’autre part, s’opposent donc en raison de la nature des risques qu’ils permettent d’écarter. Risque suspecté dans le cas du principe de précaution, risque avéré, démontré scientifiquement, dans le cas du principe de prévention. La nature, sinon le contenu, des mesures que ces principes imposent s’opposent de ce fait : les mesures de précaution sont provisoires, les mesures de prévention ont la permanence du risque qu’elles conjurent.

1.2.2.  Des mesures provisoires ou temporaires

    Le principe de précaution ne se distingue pas seulement par ses conditions d’application (le risque suspecté), mais encore par la nature des mesures qu’il impose. La « gestion » de la précaution impose des mesures provisoires, dont l’objet est double : gérer le risque suspecté, d’une part, lever l’incertitude scientifique, d’autre part.

1.2.2.1. Les mesures de gestion du risque suspecté

    Les mesures de précaution n’ont pas de contenu spécifique. Elles peuvent donc, en réponse à la suspicion, consister en un retrait de produit, en une mise en garde adressée à certaines catégories de consommateurs, etc. Elles peuvent être des mesures d’urgence ou des mesures ordinaires. Tenter de décrire ce contenu reviendrait à reprendre l’ensemble du droit de l’agroalimentaire applicable à la gestion du risque.
    Par ailleurs, les mesures de précaution doivent être proportionnées au risque, selon les dispositions communautaires (cf. note 40) et, dans les relations commerciales internationales, cohérentes avec celles qui sont appliquées pour d’autres produits comparables, conformément à l’accord SPS (art. 5.5).
    Quelle que soit la nature des mesures adoptées, la gestion du risque suspecté doit être menée dans la transparence. Cela résulte très clairement de la proposition de règlement : « ... lorsqu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’une denrée alimentaire ou un aliment pour animaux peut présenter un risque pour la santé humaine ou animale, les pouvoirs publics prennent, en fonction de la nature, de la gravité et de l’ampleur de ce risque, des mesures appropriées pour informer la population de la nature du risque pour la santé, en identifiant le plus complètement possible la denrée alimentaire ou l’aliment pour animaux ou le type de denrée alimentaire ou d’aliment pour animaux, le risque qu’il peut présenter et les mesures qui sont prises ou sur le point d’être prises pour prévenir, réduire ou éliminer ce risque (art. 20). » En particulier, cette transparence se concrétise dans ce que la proposition de règlement dénomme « l’étape de communication sur le risque » (cf. infra, 1.3.1.1.3).
    Demeure cependant la question de savoir si et à quelles conditions une information du public peut, à elle seule, tenir lieu de mesure de précaution, le cas échéant, sous la forme d’une « mise en garde ».
    Ainsi, par exemple, dans le domaine de la prévention, les risques avérés donnent lieu soit à des mesures de restriction (interdiction de certains produits, exigences spécifiques de composition, de conditionnement, de transport, etc.), soit à des obligations rigoureuses d’information (tabac, alcool). Le partage se fait sur des critères mal définis : utilité du produit, importance économique, production ou consommation traditionnelle, possibilité d’un choix personnel du consommateur, etc.
    Il en va de même pour les risques dont l’existence peut être crainte sans être établie. Faut-il interdire ou restreindre tel produit en raison de risques possibles (mesures de précaution) ou faut-il seulement informer le consommateur en préservant sa liberté de choix (mesures d’information ou mise en garde) ?
    Par exemple, si on commence à penser que l’usage du téléphone mobile puisse avoir un effet néfaste sur le cerveau, va-t-on pour autant l’interdire ou seulement mettre les utilisateurs en garde ? Dans le domaine alimentaire, les allergies susceptibles d’être provoquées par la consommation de certaines denrées doivent-elles conduire à des restrictions de commercialisation ou, encore une fois, à une information et une mise en garde ?
    L’enjeu de la question est d’importance. Lorsqu’un produit fait l’objet de mesures de restriction, le risque sanitaire est maîtrisé par les pouvoirs publics. Lorsqu’il ne donne lieu qu’à des mesures d’information, le risque sanitaire est maîtrisé par le consommateur lui-même qui choisit ou non de consommer en connaissance de cause.
    Il est donc utile de dégager les critères à partir desquels les risques suspectés relèveront du champ de la précaution au sens strict ou de celui de la simple information (ou mise en garde). On peut sans doute dégager deux critères principaux en matière alimentaire susceptibles de justifier une simple mesure d’information ou de mise en garde :
      risque non susceptible de provoquer un dommage grave ou irréversible ;
      existence d’une possibilité réelle de choix pour les consommateurs.
    Cela n’exclut pas le recours à d’autres critères, le cas échéant, secondaires ou complémentaires, tels que :
      facteurs de risques pour un nombre limité de consommateurs ou pour une catégorie (enfants, femmes enceintes...) ;
      consommation traditionnelle ou culturelle (à l’instar de l’alcool par exemple) ;
      disproportion du coût économique de mesures de précaution par rapport au bénéfice sanitaire attendu.
    Il reste que la mesure d’information ou de mise en garde pourra toujours être modifiée pour lui substituer éventuellement une mesure plus contraignante, le principe de précaution ne donnant lieu qu’à des mesures provisoires.

1.2.2.2.  La portée du caractère provisoire

    L’affirmation du caractère provisoire des mesures de précaution peut sembler réductrice. Elle s’appuie sur les textes juridiques aujourd’hui ou demain applicables au commerce international (accord SPS) ou à l’intérieur de l’Union européenne. L’article 5.7 de l’accord SPS prévoit que : « dans les cas où les preuves scientifiques pertinentes seront insuffisantes, un Membre pourra provisoirement adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base des renseignements pertinents disponibles (...). Dans de telles circonstances, les Membres s’efforceront d’obtenir les renseignements additionnels nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque (...) (cf. note 41)  ». De même, l’article 7 du projet de règlement communautaire (v. supra, I) dispose : « 1. Dans les cas où une évaluation des informations disponibles permet d’identifier la possibilité d’effets nocifs sur la santé, mais où il subsiste une incertitude scientifique, des mesures provisoires de gestion du risque, nécessaires pour assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, peuvent être adoptées dans l’attente d’autres informations scientifiques en vue d’une évaluation plus complète du risque. »
    Cette convergence semble indiquer que les rédacteurs du texte européen n’ont pas cherché à contrecarrer l’interprétation aujourd’hui définitive donnée par l’organe le plus élevé en charge du règlement des différends à l’OMC (cf. note 42) .
    Comment éviter que les mesures de précaution ne deviennent « du provisoire qui dure » ? La réponse est encore une fois fournie par les textes précités. L’Etat doit s’efforcer de transformer les « informations disponibles » (et pertinentes), au sens précédemment étudié, en « information scientifique en vue d’une évaluation complète du risque ». Cette citation de la proposition de règlement trouve un écho dans l’article 5.7 de l’accord SPS : « (...) Dans de telles circonstances, les Membres s’efforceront d’obtenir les renseignements additionnels nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque. »
    L’obligation de recherche scientifique joue un double rôle. D’une part, elle cantonne les mesures nationales d’interdiction d’importer, puisqu’un pays ne sera pas autorisé, soit dans le cadre de l’OMC, soit dans le cadre communautaire à bloquer indéfiniment ses frontières s’il ne développe pas les mesures d’évaluation des risques propres à confirmer ou à infirmer les « informations pertinentes » non corroborées scientifiquement, sur la base desquelles il a pris des mesures de précaution. D’autre part, elle trace les lignes d’une éventuelle responsabilité de l’acteur public ou privé tenu au devoir de précaution : son obligation de prendre des mesures de précaution s’étend jusqu’à l’infirmation, par des méthodes scientifiques éprouvées, des « informations » qui l’avaient contraint d’agir.
    Parce qu’elles sont provisoires, les mesures prises en application du principe de précaution doivent être révisables (cf. note 43) . Par nature, une mesure de précaution est destinée à être révisée si, à l’expérience, elle s’avère insuffisante ou inappropriée. Elle peut pareillement l’être à tout moment pour être adaptée au fur et à mesure de l’affinement des connaissances et de la levée progressive de l’incertitude scientifique. Elle est nécessairement révisée lorsque le doute est levé : elle devient une mesure de prévention (risque confirmé) ou disparaît (risque infirmé).

1.3.  Le principe de précaution, guide de la décision

    Il ne fait pas de doute que le principe de précaution est avant tout un guide de la décision publique dans le cadre de l’exercice par l’autorité publique de ses pouvoirs de police. C’est d’ailleurs dans cette fonction qu’il est actuellement le plus invoqué et sollicité.
    Mais il ne peut manquer d’avoir des prolongements sur la décision privée et sur les obligations des entreprises. A cet égard, il a avant tout la nature d’un « principe-source » dans la mesure où il fédère des textes épars qui s’en inspirent au moins pour partie.

1.3.1.  Un guide explicite de la décision publique

    C’est l’Etat qui est le premier bénéficiaire du principe de précaution, dans le cadre de l’exercice de ses pouvoirs de police, sous réserve des décisions relevant d’une compétence communautaire. Mais il faut s’interroger sur l’application éventuelle du principe aux autres décideurs publics.

1.3.1.1.  L’Etat

    Au regard de la décision publique d’Etat, le principe de précaution a une nature essentiellement processuelle. Il s’agit de définir selon quelles initiatives, quelles étapes et avec quels avis l’Etat peut utiliser la possibilité qui lui est laissée, par les règles internationales (accord SPS) et communautaires (projet de règlement) de décider des mesures de précaution.
    Selon le projet de règlement relative au droit de l’alimentation, cette décision s’articule en trois étapes (art. 3, § 11) : une première étape d’évaluation des risques, une deuxième de gestion de ces risques et une troisième de communication sur les risques. Ces trois étapes constituent ensemble ce qu’il convient d’appeler « l’analyse des risques ».

1.3.1.1.1.  L’étape d’évaluation des risques

    Selon le projet de règlement communautaire, l’évaluation des risques est essentiellement scientifique. Elle consiste en « un processus reposant sur des bases scientifiques et comprenant quatre étapes : l’identification des dangers, leur caractérisation, l’évaluation de l’exposition et la caractérisation des risques » (art. 3, § 11).
    Elle requiert à la fois une instance d’expertise et des conditions d’indépendance des experts.
    L’évaluation des risques relève en droit interne de la compétence de l’Afssa depuis la loi no 98-535 du 1er juillet 1998 et, en droit communautaire, de celles du comité scientifique de l’alimentation humaine (cf. note 44) comme, dans l’avenir, de l’Autorité alimentaire européenne.
    Le projet de règlement ne reprend donc pas l’idée émise par Mme Viney et M. Kourilsky d’une évaluation à la fois scientifique, économique et sociale « menée dans deux cercles interactifs » (cf. note 45) , le premier cercle procédant à une évaluation scientifique et le second à une évaluation économique et sociale du risque à partir de l’avis issu du premier cercle.
    La prise en compte de données économiques et sociales n’est cependant pas oubliée dans la proposition de règlement. Mais elle intervient distinctement et plus opportunément dans l’étape de gestion des risques.

1.3.1.1.2.  L’étape de gestion des risques

    La gestion des risques est essentiellement politique en droit interne puisqu’elle relève des pouvoirs de police de l’Etat. Elle l’est également au plan communautaire dans la mesure où le règlement no 258/97 du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments associe à cette fin le comité permanent des denrées alimentaires, la Commission et le Conseil (art. 13).
    Le projet de règlement communautaire la définit comme un « processus, distinct de l’évaluation des risques, consistant à mettre en balance les différentes politiques possibles, en consultation avec les parties intéressées, à prendre en compte l’évaluation des risques et d’autres facteurs légitimes, et, au besoin, à choisir les mesures de prévention et de contrôle appropriées » (art. 3, § 12). C’est sous cette référence « aux autres facteurs légitimes » (cf. note 46) , que l’on peut intégrer les données économiques et sociales dans le processus de gestion des risques. Il reste que la prise en compte de telles données est essentielle. Ce sont ces données qui vont permettre d’apprécier le coût économique de la décision et des mesures de précaution, pour l’Etat comme pour les entreprises, coût mis en balance avec les conséquences sanitaires et sociales d’une décision d’abstention. Il est donc nécessaire que cette prise en compte soit organisée, ce qui n’est pas le cas dans les textes existants et reste à prévoir. A cet égard, un rôle clé pourrait être joué notamment par le Conseil national de l’alimentation (CNA) (cf. note 47) .
    Le projet de règlement communautaire ne concerne pas seulement le champ de la précaution. Il vise tous les risques, qu’ils soient simplement suspectés, avérés ou même réalisés. Lorsqu’il s’agit de la gestion d’un risque suspecté, qui relève donc du champ d’application du principe de précaution, cette étape est précisée dans l’article 7 du projet de règlement :
    Tout d’abord, à titre principal, l’Etat peut prendre des mesures de gestion du risque (mise en garde des consommateurs, suspension de la commercialisation, rappel ou retrait de denrées, etc.) provisoires et proportionnées. Cela résulte, par ailleurs, dans les règles internationales de l’OMC, des termes de l’accord SPS (cf. note 48) .
    Ensuite, l’Etat doit poursuivre les recherches jusqu’à ce que l’incertitude scientifique soit levée. Une telle obligation résulte implicitement de l’article 7 du projet de règlement dès lors que des mesures ne peuvent être adoptées que « dans l’attente d’autres informations scientifiques en vue d’une évaluation plus complète du risque ». Si le risque suspecté est finalement confirmé et établi, on bascule alors du champ de la précaution dans celui de la prévention et les mesures qui étaient temporaires deviennent définitives. Dans le cas contraire, les mesures n’ont plus lieu d’être maintenues. Cette nécessité de mener des recherches complémentaires doit se faire en réseau, avec les différentes instances d’évaluation des Etats membres, sous la responsabilité de l’Autorité alimentaire européenne que vise à créer le nouveau projet de règlement communautaire (cf. note 49) .
    Reste la question de savoir si l’Etat peut, lorsque les circonstances et l’urgence le justifient, adopter des mesures de restriction, de rappel ou de retrait du marché avant même que l’instance d’évaluation du risque ait pu rendre un avis, comme cela a été fait en France pour la généralisation de l’interdiction d’utilisation des farines animales qui a été décidée sans attendre l’avis de l’Afssa. La réponse est affirmative. De telles mesures sont prévues et encadrées par les articles L. 221-2 et suivants du code de la consommation. En principe, elles ne peuvent être prises qu’après consultation de l’Afssa. Mais la loi dispense de cette consultation préalable « en cas d’urgence dûment motivée » (art. 365, C. rur. et art. L. 221-10, C. consom.).
    Cela n’est pas remis en cause par le projet de règlement relatif au droit de l’alimentation qui prévoit un « système d’alerte rapide » en cas de risque grave (art. 50). Ce système impose seulement de notifier à l’Autorité alimentaire européenne toute mesure que les Etats adoptent lorsqu’un risque grave exige une action rapide, sans distinguer entre les risques suspectés (précaution) et avérés (prévention) (cf. note 50) .

1.3.1.1.3.  L’étape de communication sur les risques

    Cette étape est précisément décrite dans le projet de règlement sur le droit de l’alimentation. Elle consiste en « l’échange interactif, tout au long du processus d’analyse des risques, d’informations et d’avis sur les dangers et les risques, les facteurs liés aux risques et les perceptions des risques, entre les responsables de l’évaluation des risques et de la gestion des risques, les consommateurs, les entreprises du secteur alimentaire et du secteur de l’alimentation animale, les milieux universitaires et les autres parties intéressées, et notamment l’explication des résultats de l’évaluation des risques et des fondements des décisions prises en matière de gestion des risques » (art. 3, § 13).
    Mais rien dans les textes existants ne permet encore de concevoir concrètement comment se déroule et s’opère cette étape de communication sur des risques qui ne sont encore que suspectés. Elle suppose la mise en place de relais adaptés aux différents types de destinataires : consommateurs, entreprises, maires, etc. La presse bien sûr, mais aussi les associations de consommateurs, les associations ou syndicats professionnels d’entreprises, les compagnies qui assurent la responsabilité civile de ces entreprises peuvent jouer un rôle éminent.

1.3.1.2.  Les autres décideurs publics

    Il n’est pas certain que l’Etat soit, parmi l’ensemble des décideurs publics, le seul à pouvoir se prévaloir du principe de précaution. A défaut, l’objectif de protection sanitaire peut-il être complètement atteint ? Au reste, l’article 7 du projet de règlement communautaire, qui institue le principe de précaution en matière alimentaire, ne précise pas les personnes susceptibles de l’invoquer.
    Il faut certainement admettre que les décideurs publics des services de l’Etat ont vocation à appliquer le principe, et par conséquent à adopter des mesures de précaution en cas de risque suspecté, dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions et compétences : services vétérinaires, DGCCRF, DDASS, etc. Mais ils y procèdent au nom et pour le compte de l’Etat. Autrement dit, c’est toujours l’Etat qui intervient par leur intermédiaire et qui a la responsabilité des mesures prises.
    Convient-il d’aller plus loin et d’étendre le principe de précaution aux décideurs publics qui disposent d’une compétence autonome ? Cela viserait au premier chef les maires (art. L. 2212-2 [5o], C. Gén. coll. territoriales).
    L’affaire dite de la « vache folle » a ainsi conduit certains d’entre eux à interdire la viande bovine dans les menus des restaurants scolaires placés sous leur responsabilité. Il s’agit bien d’une décision publique dont on ne peut pas contester, indépendamment de son opportunité, qu’elle a été dictée par l’actualité du principe de précaution.
    Si le principe de précaution devait s’étendre à tous ces décideurs publics, encore faudrait-il qu’ils bénéficient de moyens de même nature que ceux dont dispose l’Etat. Or ces décideurs ne disposent pas des mêmes accès que l’Etat aux instances d’évaluation des risques. L’Afssa ne pouvant être saisie que par elle-même, par le Gouvernement ou par les associations agréées de consommateurs (art. L. 794-2, C. santé pub.), elle ne peut pas l’être par les maires.
    Il en résulte qu’en leur état actuel, les textes sont contradictoires. D’un côté, l’article 7 du projet de règlement communautaire ne précise pas que son application se limite à l’Etat. D’un autre côté, les décideurs publics autres que l’Etat ne disposent pas des moyens juridiques d’application du principe de précaution, en particulier faute d’un accès aux instances d’évaluation scientifiques.
    Si la question mérite d’être débattue, il est permis de penser que les exigences liées à une politique uniforme, communautaire et nationale, de sécurité alimentaire justifient de concentrer l’outil du principe de précaution entre les mains de l’Etat.

1.3.2.  Un principe-source pour la décision privée

    Il s’agit là d’une des questions sensibles que pose le principe de précaution : celui-ci ne concerne-t-il que l’Etat (et éventuellement les autres décideurs publics) ou a-t-il des prolongements en direction des entreprises et, dans l’affirmative, selon quelles modalités ?

1.3.2.1. L’applicabilité du principe de précaution aux entreprises (cf. note 51)

    Selon l’avis du Comité économique et social (UE) sur « le recours au principe de précaution » seul l’Etat a vocation à appliquer ce principe, les entreprises n’ayant pas les moyens de « déterminer ce qu’est un risque de dommage grave et nuisible, une mesure effective et proportionnée, un coût effectivement acceptable (cf. note 52)  ».
    En revanche, selon l’opinion exprimée par M. Kourilsky et Mme Viney (cf. note 53)  : « Pour assurer pleinement sa fonction de modérateur des intérêts purement économiques par des considérations tirées de la protection de la santé, de la sécurité humaine et de l’environnement, le principe de précaution doit s’imposer à tous les décideurs, c’est-à-dire à toute personne qui a le pouvoir de déclencher ou d’arrêter une activité susceptible de présenter un risque pour autrui. Les décideurs privés, à savoir les entreprises, doivent donc y être soumis, comme les décideurs publics, etc. »
    
Il paraît inévitable que les entreprises aient des obligations accrues du seul fait que le principe de précaution étend en amont l’exigence de prudence des risques avérés vers les risques suspectés. D’ailleurs, si elles doivent respecter des normes et démarches de qualité ou d’analyse des risques (HACCP, etc.), c’est en vertu d’une logique prudentielle qui s’étend de la prévention vers la précaution dans la mesure où les décisions publiques de précaution seront à l’origine de nouvelles prescriptions auxquelles les entreprises devront évidemment se soumettre. Mais il s’agit là d’obligations dérivées de décisions publiques, et donc qui résultent, non directement du principe de précaution, mais seulement de l’effet obligatoire de ces décisions.
    Mais il faut aller au-delà. Les dispositions du projet de règlement communautaire prolongent bien la portée du principe de précaution en direction des entreprises. Cela se manifeste de deux manières complémentaires.
    En premier lieu, ce projet de règlement, en faisant du principe de précaution l’un des principes généraux du droit de l’alimentation (art. 7), entend bien couvrir largement tous les risques et pas seulement ceux qui sont scientifiquement avérés. C’est d’ailleurs pourquoi l’une des dispositions (art. 34) porte sur l’identification des risques émergents (cf. supra, II-A), cette identification constituant le seuil matériel du champ d’application du principe de précaution.
    En second lieu, les dispositions de l’article 14.3 du projet de règlement semblent bien s’inscrire dans le champ des risques suspectés (cf. note 54)  :
    « Tout exploitant du secteur alimentaire informe immédiatement les autorités compétentes lorsqu’il considère ou soupçonne qu’une denrée alimentaire qu’il a mise sur le marché peut être préjudiciable à la santé humaine. »
    
Le soupçon d’une possibilité de danger ne renvoie certainement pas à un risque avéré (cf. supra, 1.2.1.2.2). On le mesure d’ailleurs bien en comparant avec une autre disposition du même article (art. 14.1) qui, lui, fait référence au soupçon de non respect des prescriptions de sécurité :
    « Si un exploitant du secteur alimentaire considère ou soupçonne qu’une denrée alimentaire qu’il a importée, produite, transformée, fabriquée ou distribuée ne répond pas aux prescriptions relatives à la sécurité des denrées alimentaires, il engage immédiatement les procédures de retrait du marché de la denrée alimentaire en question et en informe les autorités compétentes. Lorsque le produit peut avoir atteint le consommateur, l’exploitant informe les consommateurs de façon effective et précise des raisons du retrait et, au besoin, rappelle les produits déjà fournis aux consommateurs lorsque les autres mesures sont insuffisantes pour atteindre un niveau élevé de protection de la santé. »
    Ainsi, parmi les obligations qui pèsent ou pèseront directement sur les entreprises, il en est qui se justifient au moins pour partie par le souci de maîtriser les risques entrant dans le champ du principe de précaution.
    Ces obligations, notamment prévues par le projet de règlement communautaire, devraient s’appliquer à toutes les entreprises du secteur alimentaire, quelle que soit leur taille (cf. note 55) .

1.3.2.2.  Les modalités spécifiques d’application
du principe de précaution

    Pour l’essentiel, le principe de précaution se manifeste par un devoir d’initiative à la charge des entreprises en cas de suspicion d’un risque. Ce devoir a principalement deux objets distincts : la vigilance à l’égard des risques et l’information des autorités compétentes. S’y ajoute la possibilité de prendre des mesures appropriées en cas de suspicion d’un risque.
    La vigilance à l’égard des risques vise à mettre les entreprises en mesure de suspecter les risques liés à l’utilisation de leurs produits. Une telle obligation ne résulte pas formellement des textes existants, même si on peut en voir des manifestations implicites dans l’obligation de suivi des produits (cf. infra,             ) et dans la procédure d’autorisation de mise sur le marché des nouveaux aliments et nouveaux ingrédients alimentaires (cf. note 56) . Elle n’est pas non plus prévue en tant que telle dans le projet de règlement communautaire. Une telle obligation n’en demeure pas moins réelle parce qu’elle est un préalable nécessaire à cette autre obligation qu’est le déclenchement d’une procédure d’alerte (cf. infra,             ).
    Il est cependant essentiel de préciser l’objet de cette vigilance. Ainsi que nous l’avons vu, l’application du principe de précaution s’appuie sur l’existence d’une « information disponible » au surplus pertinente, qui conduit à suspecter l’existence d’un risque (cf. supra, 1.2.1.2.3). A l’égard des entreprises, on peut concevoir, de manière raisonnable, trois sources possibles pour de telles informations. La première réside dans les avis et publications des agences officiellement chargées de l’évaluation des risques sanitaires : l’Afssa et l’Agence alimentaire européenne dont le projet de règlement communautaire prévoit la création. Il s’agit là de sources « validées ». La seconde réside tant dans les propres constatations ou investigations des entreprises que dans les « remontées d’informations » que celles-ci reçoivent de leurs clients lorsque ces derniers font part d’anomalies ou de préjudices. La troisième pourrait prendre la forme d’un droit d’initiative interne exercé par les salariés et/ou les structures spécialisées dans l’entreprise. Un tel droit d’initiative devrait être institué par un texte législatif ou réglementaire. Quoi qu’il en soit, il serait souhaitable que le règlement communautaire à venir précise le degré nécessaire de vigilance des entreprises, c’est-à-dire le seuil de déclenchement des obligations qu’elles supportent dans le prolongement du principe de précaution.
    L’obligation d’information des autorités, lorsqu’une entreprise en vient à suspecter l’un de ses produits, n’est pas encore établie par un texte. D’une part, le règlement no 258/97 du 27 janvier 1997 relatif aux aliments nouveaux ne prévoit pas de procédure particulière à la charge des entreprises lorsque celles-ci suspectent ou décèlent l’existence d’un risque pour un produit ayant été autorisé. Le règlement précise seulement à cet égard les mesures que l’Etat peut prendre et la procédure que lui-même doit suivre (art. 12). Mais rien n’est prévu quant à la saisine de l’Etat par l’entreprise concernée. D’autre part, la loi du 1er juillet 1998 ne prévoit pas la saisine de l’Afssa par les entreprises.
    Une telle procédure d’information et d’interrogation des autorités, à l’initiative des entreprises, est pourtant nécessaire. Elle seule peut permettre de garantir l’évaluation au moins scientifique de tous les risques pour la santé, suspectés par les entreprises elles-mêmes.
    Cette obligation d’information va cependant être instituée par le règlement à venir énonçant les principes du droit de l’alimentation. Cette obligation a un objet multiple qui va très loin. Il convient, pour s’en rendre compte, de considérer l’ensemble de l’article 14.2 :
    « Tout exploitant du secteur alimentaire informe immédiatement les autorités compétentes lorsqu’il considère ou soupçonne qu’une denrée alimentaire qu’il a mise sur le marché peut être préjudiciable à la santé humaine. Il informe les autorités compétentes des mesures qu’il prend pour prévenir les risques pour le consommateur final. »
    
Si l’on s’en tient à la lettre du texte, une entreprise a une double obligation d’information s’agissant des denrées qu’elle met elle-même sur le marché : information de ce qu’elle soupçonne que cette denrée peut être préjudiciable à la santé humaine (cf. note 57) , d’une part, et information des mesures qu’elle prend, d’autre part (cf. note 58) .
    Il faut en outre signaler que la proposition de la Commission allait plus loin que ne va le projet issu de la position commune du Conseil puisqu’elle semblait mettre à la charge de chaque entreprise une obligation de « dénoncer » une denrée mise sur le marché par une autre qu’elle, dès lors qu’elle soupçonne que cette denrée peut présenter un risque grave pour la santé humaine (cf. note 59) .
    Quel qu’en soit l’objet, la procédure d’information (d’alerte) des « autorités compétentes » devra être organisée, ce qui n’est pas actuellement le cas. Elle peut se concevoir de deux manières. La première consiste à informer le service compétent de l’Etat (DGCCRF, par ex.). La seconde, qui reste à créer, conduirait l’entreprise à saisir directement l’Afssa. Il est clair que, s’agissant de risques avérés, rentrant dans le champ de la prévention, les services de l’Etat, dont la DGCCRF, apparaissent les destinataires les plus appropriés. En revanche, compte tenu de l’urgence possible, l’Afssa pourrait être la plus rapidement efficace dans les cas où un risque est seulement suspecté, c’est-à-dire dans le champ de la précaution.
    La prise de mesures appropriées, en cas de suspicion d’un risque, est déjà une obligation existante pour les entreprises. Elle résulte en effet implicitement de l’obligation de suivi des produits : « Le producteur ne peut invoquer les causes d’exonération prévues aux 4o et 5o de l’article 1386-11 si, en présence d’un défaut qui s’est révélé dans un délai de dix ans après la mise en circulation du produit, il n’a pas pris les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables » (art. 1386-12, al. 2, C. civ.). Ces « dispositions propres à prévenir les conséquences dommageables » peuvent être très diverses : information du public, retrait ou rappel des produits en cause... Il reste que cette « obligation de suivi des produits » n’est pas sanctionnée en tant que telle. Elle ne l’est qu’indirectement et trop tard, une fois qu’un dommage a été subi, et seulement par la privation du bénéfice d’une cause d’exonération de responsabilité. Cette obligation devrait cependant être très sensiblement renforcée par l’adoption d’une proposition de directive relative à la sécurité générale des produits (cf. note 60) .
    Le projet de règlement communautaire reprend l’idée, mais en la traitant d’une manière très différente.
    En effet, l’article 19.3 se contente de contraindre les entreprises qui soupçonnent qu’une denrée peut être dangereuse à informer les autorités des mesures qu’elles prennent pour prévenir les risques pour le consommateur final. Mais il ne les contraint pas à en prendre, à la différence de ce qui résulte implicitement de l’obligation de suivi des produits. Une telle contrainte n’est instituée par le projet de règlement que si la denrée ne satisfait pas aux prescriptions de sécurité alimentaire (art. 19.1), ce qui ne peut viser que des risques avérés.
    Il en résulte que la prise de mesures par l’entreprise concernée, à défaut de faire l’objet d’un devoir, est considérée comme un pouvoir, de la même manière qu’elle l’est pour l’Etat en vertu de l’article 7 (cf. supra, 1.3.1.1).
    Les mesures que les entreprises peuvent ainsi prendre ne sont pas précisées. Il peut sans doute s’agir de mesures internes (modification d’un processus de fabrication, d’une recette, d’un composant, etc.) comme externes (information du consommateur, suspension de la commercialisation, rappel, etc.).
    Ces diverses obligations que supportent ainsi les entreprises dans la mise en œuvre du principe de précaution, comme celles qui sont à la charge de l’Etat, ne peuvent être effectives que si leur non-respect est susceptible de conséquences et de sanctions.

1.4. Les sanctions et remèdes

    Dans quelle mesure les manquements au principe de précaution, qu’ils soient le fait d’un décideur public ou d’un décideur privé, engagent-ils la responsabilité de celui-ci ? Dans quelle mesure peut-on remettre en cause une décision de l’Etat ou d’une entreprise afin d’éviter qu’une denrée alimentaire potentiellement dangereuse parvienne jusqu’à l’assiette du consommateur ?

1.4.1. La remise en cause des décisions publiques

    En faisant abstraction des relations commerciales internationales entre Etats (cf. supra, 1.1), on peut remettre en cause une décision publique en contestant la validité de la procédure suivie pour la prendre (légalité externe) ou en contestant le bien-fondé de cette décision (légalité interne) (cf. note 61) . Dans l’un et l’autre cas, c’est l’annulation de la décision qui est sollicitée. On peut encore demander la suspension de l’exécution ou le sursis à exécution d’une décision publique. S’agissant de décisions publiques, ces contestations sont très largement ouvertes aux personnes, aux associations ou aux entreprises. La contestation est élevée devant les juridictions administratives françaises ou devant les juridictions communautaires selon l’origine de la décision.
    Ainsi, le Royaume-uni a-t-il contesté devant la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) une décision d’embargo relative à la viande bovine en provenance de ce pays. La CJCE a rejeté la demande, estimant que la décision s’imposait en dépit des incertitudes scientifiques et en raison de la gravité du danger potentiel que constitue la maladie de Creutzfeld-Jakob (cf. note 62) .
    Ainsi, encore, un décret avait interdit l’emploi de tissus ou liquides corporels d’origine bovine (placentas) dans les composants alimentaires et dans les aliments pour bébés. Ce décret avait été attaqué par une entreprise concernée qui en demandait l’annulation. Le Conseil d’Etat a estimé que l’auteur du décret n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation et qu’il s’agissait d’une mesure de précaution qui pouvait s’imposer même si la transmission de l’agent de l’ESB par le placenta bovin n’était pas établie scientifiquement (cf. note 63) .
    Ce ne sont là que des exemples (cf. note 64) qui montrent que les procédures appropriées existent déjà et qu’elles sont aptes à accueillir des demandes visant des décisions publiques intéressant le principe de précaution.

1.4.2.  Les responsabilités

    Il s’agit de déterminer sur quels fondements, critères et conditions une personne (physique ou morale, publique ou privée) peut voir sa responsabilité engagée en tenant compte de l’admission du principe de précaution (cf. note 65) .

1.4.2.1. Responsabilité administrative

    Il faut dire d’emblée que le principe de précaution n’est pas posé comme un principe de responsabilité. Ainsi que nous l’avons vu, l’article 7 du projet de règlement communautaire vise principalement à reconnaître aux Etats membres le pouvoir de prendre des mesures de précaution (pouvoir d’action) en cas de risque suspecté (cf. supra, 1.3.1.1). Cela n’exclut pas pour autant la possibilité d’une responsabilité de l’Etat. D’une part, la mise en œuvre du principe de précaution suppose le respect d’une procédure de décision et génère ainsi des obligations. D’autre part, l’exercice d’un pouvoir juridique s’accompagne toujours d’une responsabilité elle-même juridique (cf. note 66) .
    Dès lors, un consommateur victime de la maladie de Creutzfeld-Jakob peut-il demander à être indemnisé par l’Etat ? Une entreprise qui fait l’objet d’un arrêté de retrait du marché de l’un de ses produits peut-elle pareillement obtenir une indemnisation afin de compenser la perte économique qu’elle subit ?
    Puisqu’il est tenu par le principe de précaution, l’Etat peut voir sa responsabilité engagée en cas de manquement. Ce manquement (faute) peut résulter d’une insuffisance comme d’un excès de précaution : l’Etat (en réalité un service de l’Etat) n’a pas pris une décision de précaution qui aurait dû l’être ; il a pris une décision inappropriée et inefficace ; il a pris une décision excessive de précaution qui pénalise une entreprise.
    En principe, la responsabilité de la puissance publique est une responsabilité pour faute prouvée (sauf cas particuliers de présomption de faute). Cela signifie qu’il appartient à la victime de rapporter la preuve de l’insuffisance ou de l’excès de précaution. Autrement dit, la victime doit prouver que l’Etat n’a pas bien apprécié un risque pourtant suspecté et identifié compte tenu des informations scientifiques disponibles (insuffisance de précaution) ou qu’il a suspecté à tort l’existence d’un risque (excès de précaution).
    A côté de la responsabilité pour faute, l’Etat peut encore voir sa responsabilité engagée pour rupture de l’égalité devant les charges publiques. Ce fondement particulier de responsabilité n’est vraiment utile qu’aux entreprises victimes.
    Concrètement, cela vise des entreprises qui ont par exemple à subir un arrêté imposant le retrait du marché d’un de leurs produits ou encore l’abattage d’un troupeau. Cette mesure peut fort bien être justifiée. Mais elle met une ou quelques entreprises dans une situation d’inégalité grave par rapport aux autres. Une telle responsabilité suppose en effet l’existence d’un dommage à la fois spécial (nombre très limité de victimes) et anormal (grave). Il n’en va différemment que si la décision à l’origine du dommage est constitutive d’une faute.
    Il peut s’agir d’une responsabilité du fait des règlements (décrets, arrêtés). Mais cela suppose que l’objet de ce règlement ne soit pas de protéger un intérêt tout à fait général. Ce peut être également une responsabilité du fait des lois et des conventions internationales. Ainsi en a-t-il été, par exemple, s’agissant de la loi du 9 juillet 1934 interdisant la fabrication de tous produits susceptibles de remplacer la crème naturelle et ne provenant pas exclusivement du lait. Une entreprise, pratiquement seule à tomber sous le coup de cette loi (dommage spécial) et subissant un préjudice grave (anormal) a pu utilement engager la responsabilité de l’Etat (cf. note 67) . Il pourrait en aller de même s’agissant d’une convention internationale (accord SPS, par ex.). Il reste que de telles responsabilités sont rarement admises et demeurent assez théoriques.
    En dehors de ces cas dans lesquels la responsabilité de l’Etat peut être engagée, il n’existe pas de principe d’indemnisation pour les entreprises qui ont à subir des mesures autoritaires de précaution (retrait, rappel, etc.). Une indemnisation peut cependant résulter d’une disposition légale ou réglementaire, interne ou communautaire, qui la prévoit ou l’organise. Il en va ainsi, notamment et par exemple, du règlement no 164/97 du 30 janvier 1997 (cf. note 68) relatif au versement d’une compensation financière pour tout animal abattu à la suite de la détection d’une contamination par l’agent de l’ESB. Cet exemple montre l’un des aspects du problème plus général posé par la prise en charge du coût des mesures de précaution (cf. note 69) .

1.4.2.2. Responsabilité pénale

    La responsabilité pénale peut toucher à la fois des décideurs publics (un ministre, un directeur, etc.), comme dans l’affaire du sang contaminé, et des décideurs privés (chefs d’entreprises, sociétés, etc.). Cette responsabilité soulève deux questions principales. D’une part, les infractions existantes sont-elles susceptibles d’accueillir des cas de non-respect du principe de précaution ? D’autre part, est-il opportun de créer des infractions et des sanctions pénales spécifiques ?
    Selon Mme Viney et M. Kourilsky, dans leur Rapport au Premier ministre, la première question appelle une réponse de principe affirmative, mais sans doute de portée limitée en pratique (cf. note 70) . En effet, les infractions existantes ne se qualifient pas par rapport à la définition du principe de précaution. Les manquements sanctionnés se définissent uniquement par rapport aux conditions légales d’une infraction. Or, les conditions des différentes infractions sont très strictes. Il faut cependant garder présent à l’esprit le débat toujours ouvert de l’incrimination d’empoisonnement dans l’affaire du sang contaminé.
    Il reste que certaines de ces infractions sont particulièrement ouvertes en cas de manquement à une obligation de sécurité.
    Ainsi, s’agissant des atteintes involontaires à la vie, l’article 221-6 du code pénal incrimine « le fait de causer, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements ».
    
Les conditions sont posées dans les mêmes termes s’agissant des atteintes involontaires à l’intégrité de la personne (art. 222-19 et 20, C. pén.).
    Or, d’une part, une telle obligation de sécurité est posée par le Code de la consommation : « Les produits et les services doivent, dans des conditions normales d’utilisation ou dans d’autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes » (art. L. 221-1, C. consom.). On observe qu’elle est définie en termes suffisamment généraux pour englober les produits présentant un risque suspecté.
    D’autre part, les obligations déjà existantes qui concernent la précaution (obligation de solliciter une autorisation pour les aliments nouveaux, obligation de suivi des produits) et les obligations qui résulteront du futur règlement communautaire (obligation d’alerter les autorités compétentes, etc.) constituent autant d’obligations de sécurité susceptibles de fonder l’une des infractions pénales.
    Par ailleurs, l’article 223-1 du code pénal incrimine la mise en danger d’autrui, c’est-à-dire « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ». Cette infraction, qui, à la différence des précédentes, n’exige pas la réalisation d’un dommage, est sans doute moins adaptée au contexte dans lequel est appelé à intervenir le principe de précaution. En effet, pour qu’elle soit constituée, il faut que l’exposition d’autrui à un risque grave soit « directe » que le risque de mort ou de blessures soit « immédiat » qu’il y ait eu violation d’une obligation « particulière » de sécurité et que le manquement à la sécurité soit « manifestement délibéré ». Ce sont là des conditions assez restrictives. Ainsi, par exemple dans l’affaire de l’ESB, le vendeur de farines animales n’expose pas « directement » le consommateur à un risque « immédiat » de mort. Il reste qu’en matière alimentaire, le règlement communautaire à venir introduit bien des obligations « particulières » de sécurité, au sens de cette infraction.
    Enfin, dans le domaine des fraudes et des falsifications, les articles L. 213-1 et suivants du code de la consommation pourraient également trouver l’occasion d’être appliqués, notamment l’article L. 213-1 (3o) qui vise une tromperie du consommateur sur « les risques inhérents à l’utilisation du produit ». Cet article ne distingue pas entre les risques avérés et suspectés.
    Il n’est pas aisé de répondre à la seconde question relative à l’opportunité de créer des infractions spécifiques. Les données de cette question complexe sont très justement analysées par M. Kourilsky et Mme Viney auxquelles on se contentera de renvoyer (cf. note 71) .
    Il convient cependant de faire deux observations.
    Tout d’abord, le futur règlement communautaire incite à la prévision d’infractions spécifiques : « Les Etats membres fixent également les règles relatives aux mesures et sanctions applicables en cas de violation de la législation relative aux denrées alimentaires et aux aliments pour animaux. Les mesures et sanctions prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives » (art. 17, §2, al. 3).
    Ensuite, la sécurité sanitaire suppose au moins que les entreprises qui suspectent un risque en informent les autorités compétentes (cf. supra, 1.3.2.2). C’est pourquoi il pourrait être envisageable de créer une infraction spécifique à cet égard.

1.4.2.3. Responsabilité civile

    Les entreprises peuvent encourir une responsabilité civile lorsqu’elles fabriquent ou commercialisent un produit qui occasionne un dommage. Que ce dommage soit issu d’un risque avéré (prévention) ou simplement suspecté (principe de précaution) ne doit pas modifier sensiblement les données de cette responsabilité (cf. note 72) . Cette responsabilité peut être soit subjective (en raison d’une faute commise) soit objective (sans qu’il soit besoin de prouver une faute).
    S’agissant de la responsabilité pour faute (not. art. 1382 et 1383, C. civ.), il ne fait pas de doute que son champ d’application va se trouver étendu du fait de l’admission du principe de précaution (cf. note 73) . En effet, le règlement communautaire à venir formalise diverses obligations à la charge des entreprises (cf. supra, 1.3.2.2). Toute inexécution de l’une d’entre elles sera ainsi constitutive d’une faute volontaire ou au moins d’imprudence ou de négligence.
    Dans les responsabilités objectives (sans faute), le comportement du responsable (et donc l’éventualité d’un manquement au principe de précaution) est très largement indifférent (cf. note 74) . Le responsable répond financièrement d’un dommage, sans avoir à être reconnu coupable de rien.
    L’une d’entre elles est la responsabilité du fait des produits défectueux. Après transposition d’une directive communautaire de 1985, la loi du 19 mai 1998 (art. 1386-1 et s., C. civ.), applicable aux produits alimentaires, concerne indirectement l’exigence de précaution en retenant la responsabilité des producteurs et vendeurs de produits présentant des risques au moment de leur mise sur le marché, dans la seule limite des risques inconnaissables. En effet, seuls ces derniers (risques du développement) permettent l’exonération du responsable. Doit-il en résulter que les risques suspectés sont en principe couverts ? La réponse affirmative semble devoir s’imposer dès lors que ce qui est suspecté s’appuie sur des informations scientifiques accessibles (cf. supra, 1.2.1.2.3) (cf. note 75) . Mais il appartiendra à la jurisprudence de le confirmer. Pour le reste, le consommateur, victime d’un quelconque produit alimentaire, doit prouver l’existence d’un défaut de ce produit, le dommage qu’il subit et le lien de causalité entre ce défaut et ce dommage.
    Mais la preuve de l’existence d’un risque qui pouvait être suspecté suffirait-elle à établir que le produit était bien « défectueux » ? La question est importante dès lors que la victime peut se trouver confrontée à une difficulté de preuve scientifique, sans les moyens pour y faire face. Là encore, il appartiendra à la jurisprudence de dire le droit.
    La responsabilité du fait des choses (art. 1384, C. civ.) constitue un autre fondement possible : sous la réserve des causes d’exonération du responsable, il suffit à la victime d’établir que le dommage est dû au fait d’un produit alimentaire. Peu importe, à cet égard, que ce produit ait présenté un risque avéré ou seulement suspecté.
    Enfin, en cas de dommage causé par un défaut caché d’un produit alimentaire vendu, l’acheteur victime peut obtenir une indemnisation, soit de son vendeur, soit d’un intermédiaire, soit du fabricant (art. 1641 et s., C. civ.). Le consommateur victime agissant toujours contre un professionnel, celui-ci est responsable même si le vice était indécelable et, par conséquent, même en cas de « risque du développement ».
    Il en résulte que, en vertu du droit existant et indépendamment du principe de précaution, le consommateur victime d’un produit alimentaire dispose d’actions en responsabilité lui permettant, en théorie du moins, d’obtenir une indemnisation. Dans leur mise en œuvre, ces actions comportent cependant des faiblesses qui contraignent à envisager des améliorations.

1.4.3. Les améliorations envisageables

    Des améliorations juridiques sont envisageables à trois égards qui requièrent une articulation entre les exigences nouvelles liées au principe de précaution et les règles, notamment de responsabilité, déjà existantes. Tout d’abord, les premières victimes de l’application du principe de précaution sont les entreprises dont les produits font l’objet de mesures étatiques de précaution. Or la situation de ces entreprises mérite d’être considérée. Ensuite, si les actions des consommateurs victimes de produits alimentaires existent bien, l’efficacité de leur mise en œuvre dépend de conditions qui ne sont pas suffisamment précisées ou ne pourront pas être toujours réunies. Enfin, la responsabilité civile permet, certes, de réparer les dommages réalisés. Mais il serait envisageable que notre droit permette aux associations ou aux victimes potentielles d’anticiper et de tenter de remédier préventivement aux causes des dommages.

1.4.3.1. La situation des entreprises victimes

    Les entreprises victimes sont, avant tout, celles qui ont à subir les conséquences économiques des mesures étatiques de précaution : l’éleveur dont le troupeau est abattu, le producteur qui doit retirer l’un de ses produits du marché, etc. Ainsi que nous l’avons vu, il n’existe pas de principe d’indemnisation, celle-ci ne pouvant guère résulter que d’un texte explicitement pris ou adopté à cet effet. Cette situation peut s’avérer lourde à supporter, en particulier pour les PME. En outre et, plus généralement, elle génère une insécurité dans la mesure où l’indemnisation est décidée au cas par cas, le cas échéant en fonction des pressions exercées.
    Au-delà des solutions envisageables, notamment par la prise en compte du coût économique des mesures pour les entreprises dans la phase de gestion des risques ou en outre en termes d’assurances, un tel principe d’indemnisation mérite cependant d’être débattu, au moins dans les cas où le risque suspecté, qui a donné lieu à des mesures de précaution, n’est pas ensuite confirmé.

1.4.3.2. La situation des consommateurs victimes

    Les victimes de la non-application du principe de précaution sont celles qui subissent un dommage issu d’un risque qui était suspecté et qui n’a pas été maîtrisé. Ce peut être le fait de l’Etat qui n’a pas pris une mesure de précaution nécessaire ou d’une entreprise qui a mis sur le marché un produit présentant un danger issu d’un risque qui était suspecté.
    L’indemnisation de ces victimes devrait en principe résulter de la mise en jeu d’une responsabilité, administrative ou civile.
    Les consommateurs sont théoriquement couverts, en cas de dommages liés à des risques seulement suspectés (champ du principe de précaution), par le recours aux fondements classiques de responsabilité (cf. supra, 1.4.2.3). Ils disposent également de l’action en responsabilité du fait des produits défectueux. Cette dernière, cependant, soulève deux difficultés qu’il faudra lever. La première a trait à la proximité notionnelle du risque de développement et du risque suspecté. Il serait souhaitable, dans l’intérêt des victimes, de veiller à cantonner le risque du développement à ce qui est véritablement inconnaissable. La seconde est relative à la preuve d’un défaut, notion qu’il conviendrait d’articuler avec celle de risque. On devrait admettre que l’existence d’un risque, fut-il seulement suspecté, constitue un défaut du produit.
    Par ailleurs, les consommateurs peuvent se trouver confrontés à des difficultés de preuve. Le régime de preuve n’est certes pas a priori défavorable aux victimes. Mais, s’agissant du champ de la précaution, il risque de le devenir puisqu’une victime pourra être amenée à établir la réalité de données scientifiques, ne serait-ce que pour prouver l’existence d’un risque suspecté, chaque fois que celui-ci sera un élément constitutif de la responsabilité. C’est évidemment le cas lorsque la responsabilité est fondée sur la faute commise par l’Etat ou par une entreprise qui auront négligé un risque qu’ils pouvaient suspecter. Ainsi qu’on vient de le voir, ce sera également le cas pour la responsabilité du fait des produits défectueux. C’est pourquoi il pourrait être opportun d’alléger la charge probatoire des victimes en exigeant seulement la preuve d’un dommage et d’un lien de causalité avec le produit, sans qu’il soit nécessaire d’établir l’existence d’un « défaut identifié ».
    Il faut garder à l’esprit le fait que, le plus souvent, les moyens, notamment scientifiques, dont disposent les victimes ne leur permettent pas de faire face aux exigences d’une preuve scientifique. C’est pourquoi, en pratique, les victimes sont plutôt incitées à porter plainte et/ou à se constituer parties civiles, bénéficiant ainsi des moyens d’investigation et de preuve dont disposent les juges d’instruction, aux fins de rechercher une juste indemnisation. Il en résulte un accroissement du recours au juge pénal, parfois dans un but seulement civil, au risque d’excès en termes de médiatisation et de « culpabilisation ».
    Ensuite et surtout, la spécificité des dommages liés aux aliments est telle que « l’imputabilité » risque de faire défaut en ce que les consommateurs seront parfois dans l’impossibilité absolue de désigner un responsable. En effet, s’agissant d’un produit alimentaire qui aura causé un dommage, le consommateur victime sera souvent en difficulté pour établir auprès de quel vendeur il s’est fourni et, par conséquent, d’où venait le produit (filière). La traçabilité des produits, pour essentielle qu’elle soit, n’y change rien. Qu’elle aille « de l’étable à la table » ou encore « de la fourche à la fourchette », elle s’arrête immanquablement dans l’assiette du consommateur. Le consommateur, par exemple contaminé par l’agent pathogène de l’ESB, ne pourra jamais établir quelle pièce de viande l’a contaminé il y a cinq ans ou même six mois, ni auprès de quel vendeur il s’était approvisionné. Il risque donc d’être dans l’impossibilité d’engager la responsabilité civile d’une quelconque entreprise. En matière alimentaire, une responsabilité n’est envisageable que si le dommage se réalise presque immédiatement après l’ingestion du produit (par ex. une intoxication alimentaire qui manifeste très rapidement ses effets et qui est donc aisément rattachable à un repas identifié).
    C’est pourquoi il serait opportun, compte tenu de ce que les dommages alimentaires sont grandement susceptibles de devenir des « dommages de masse », de mener une réflexion sur des modes alternatifs d’indemnisation : fonds de garantie ou d’indemnisation, responsabilités collectives de filières, assurance de type « catastrophes naturelles », assurance directe obligatoire, etc.

1.4.3.3.  La prévention des dommages

    On peut envisager d’aller plus loin et de permettre, notamment aux associations, d’agir préventivement à l’encontre d’entreprises qui ne respecteraient pas les prescriptions en matière alimentaire ou le principe de précaution. Cela permettrait d’éviter les dommages tant qu’il en est temps.
    Or, les quelques actions préventives admises ne sont pas adaptées au contexte de la précaution. Il s’agit pour l’essentiel des actions en référé (cf. note 76) qui permettent au juge de prononcer des mesures conservatoires ou de remise en état pour prévenir un dommage imminent. Or, s’agissant du champ de la précaution et donc de l’existence d’un doute scientifique, le dommage n’est pas certain et il peut ne pas être imminent ; il est potentiel et grave.
    Par ailleurs, les associations de consommateurs peuvent « exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs » (art. L. 421-1, C. consom.). Mais cela suppose que l’entreprise contre laquelle l’association s’élève ait commis une infraction pénale. Or, le fait qu’une entreprise méconnaisse un risque suspecté peut ne pas être délibéré et, s’il l’est, ne pas être constitutif d’une telle infraction, surtout dans l’hypothèse où aucun dommage n’est encore survenu.
    Il est donc utile d’explorer d’autres voies.
    Des propositions ont déjà été faites en ce sens. Ainsi Mme Catherine Thibierge a-t-elle, avec d’autres, proposé de créer une telle action préventive fondée sur la précaution (cf. note 77) . Dans le même sens, M. Kourilsky et Mme Viney ont suggéré « d’assouplir la notion de dommage » en concevant « que l’application du principe de précaution incite les juges à se contenter d’une simple menace de dommage, lorsque celle-ci concerne la santé, la sécurité humaine ou l’environnement et que le préjudice envisagé est grave ou irréversible » (cf. note 78) .
    Une telle proposition demeure difficile à mettre en œuvre si elle doit englober l’ensemble des dommages possibles. On ne peut traiter identiquement le dommage environnemental qui est le plus souvent collectivement subi (un même dommage, une pluralité de victimes) et le dommage alimentaire qui demeure par nature personnel, même lorsqu’il frappe un nombre important de victimes (autant de dommages distincts que de victimes). L’action en responsabilité civile est celle d’une victime, fût-elle potentielle s’agissant d’une action préventive. On risque de n’instaurer que le désordre jurisprudentiel en laissant chaque victime individuelle et potentielle agir à son gré.
    Avec le même objectif, mais hors du domaine de la responsabilité, on pourrait envisager de créer une action préventive spécifique, ouverte à des associations agréées en cas de dommage potentiel grave, à la manière de celle dont les associations de consommateurs disposent pour obtenir la suppression de clauses abusives des contrats types de consommation (art. L. 421-6, C. consom.), c’est-à-dire en dehors de la commission d’une infraction pénale. Une telle action pourrait être le pendant, pour les décisions privées, du « contrôle de légalité » (interne et externe) des décisions publiques exercé par les juridictions administratives. Lorsqu’une entreprise mettrait ou laisserait sur le marché une denrée alimentaire pouvant présenter un risque suspecté, une association pourrait ainsi demander en justice la réalisation d’une expertise ou le retrait du produit ou encore la diffusion d’une information de mise en garde en direction des consommateurs (cf. note 79) . Il s’agirait, en fait, de mobiliser d’autres acteurs que les services de l’Etat pour veiller au respect de la sécurité sanitaire des aliments. La création d’une telle action ne va cependant pas de soi, notamment parce que les associations de consommateurs disposent déjà de la saisine de l’Afssa et, par conséquent, du pouvoir de déclenchement d’une procédure d’évaluation d’un risque (cf. note 80) . Il reste qu’elle mérite d’être débattue eu égard à la gravité et à l’étendue des dommages qu’elle aurait pour but de prévenir.

1.5.  Conclusion

    Pour s’en tenir à l’essentiel, on peut aborder le principe de précaution de deux manières différentes. D’un côté, le « principe » de précaution peut être conçu comme une « exception » apportée aux libertés du commerce et de la concurrence. D’un autre côté, il peut constituer l’un des principes fondateurs d’une politique de sécurité à laquelle le marché des denrées et produits alimentaires doit se soumettre. La première approche est plutôt celle de l’OMC, l’Union européenne se situant plutôt dans la seconde.
    Le présent rapport s’inscrit dans l’approche communautaire qui constitue en outre le meilleur étage de réflexion pour une question qui, d’un côté, n’entre pas dans les préoccupations principales de l’OMC et, d’un autre côté, relève d’une politique sanitaire qui n’a d’efficacité qu’harmonisée. C’est pourquoi cette réflexion a été centrée sur le projet, issu de la position commune adoptée par le Conseil, « de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité alimentaire européenne et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires ».
    Dans ce cadre, trois orientations principales, qui cependant n’épuisent pas toutes les questions soulevées, tendent à se dégager :
    La mise en œuvre du principe de précaution, tel que défini par l’article 7 du projet de règlement communautaire, relève avant tout de la compétence et de la responsabilité de l’Etat ;
    Au regard des entreprises, le principe de précaution constitue essentiellement un « principe-source » en ce qu’il fédère des règles éparses existantes et à venir. Parmi les premières, les plus importantes sont les règles établissant la responsabilité civile et pénale des acteurs. Parmi les secondes, la disposition essentielle provient de l’article 19 du projet de règlement communautaire qui institue notamment une obligation d’alerte des autorités compétentes en cas de suspicion d’un risque par l’entreprise.
    La mise en œuvre du principe de précaution par l’Etat et de ses prolongements en direction des entreprises nécessite une articulation très précise avec les règles nationales et communautaires existantes. A cet égard, des ajustements s’imposent, en particulier avec les textes régissant les diverses actions en responsabilité ouvertes aux victimes.

2.  L’avis du Conseil national de l’alimentation

    Le Conseil national de l’alimentation appelle l’attention des pouvoirs publics sur les éléments d’analyse qui précèdent. Il formule en outre les recommandations suivantes :
    1.  Il apparaît opportun de définir spécifiquement le principe de précaution en matière alimentaire (alimentation humaine ou animale dans la mesure ou celle-ci pourrait avoir des conséquences sur la santé humaine). La définition suivante, inspirée du projet de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation communautaire, instituant l’Autorité alimentaire européenne et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, pourrait être retenue :
1.1.  « Le principe de précaution vise à orienter et apprécier les décisions des acteurs publics et les comportements des opérateurs du secteur alimentaire en cas de suspicion d’un risque pour la santé humaine, lié à l’utilisation ou à la consommation d’un composant ou d’une denrée alimentaire. Le risque est suspecté dès lors que peut exister un danger dont le degré d’incertitude peut être apprécié par une hypothèse sérieuse, appuyée sur des informations pertinentes, quoique non encore vérifiée scientifiquement.
1.2.  Tous acteurs publics et opérateurs du secteur alimentaire qui disposent d’informations pouvant conduire à suspecter l’existence d’un risque alimentaire pour la santé humaine doivent immédiatement en aviser les autorités compétentes qui soumettront ces informations à une évaluation scientifique.
1.3.  Lorsque des informations et avis pertinents permettent de suspecter l’existence d’un risque alimentaire de dommages graves ou irréversibles pour la santé humaine, l’Etat, dans l’attente d’informations complémentaires permettant la levée de l’incertitude scientifique, prend en tant que de besoin des mesures provisoires de gestion de ce risque. Ces mesures doivent être proportionnées. Elles ne doivent pas imposer plus de restrictions au commerce qu’il n’est nécessaire pour parvenir au niveau élevé de protection de la santé choisi [à compléter par les mots : “par la Communauté” quand il s’agira d’un texte communautaire], en tenant compte des possibilités techniques et économiques et des autres facteurs jugés légitimes. Ces mesures sont réexaminées dans un délai raisonnable, en fonction de la nature du risque sanitaire et du type d’informations nécessaires pour lever l’incertitude scientifique et réaliser une évaluation plus complète de ce risque. »
    2.  Le principe de précaution doit être mis en œuvre de manière cohérente avec les exigences liées à la prévention. A cet égard, il importe de veiller à ce que le coût et l’impact des mesures de précaution, prises en cas de risque simplement suspecté, n’entravent pas le développement nécessaire des mesures de prévention liées à des risques certains et avérés.
    3.  La définition du principe de précaution, les conditions dans lesquelles ce principe peut justifier des dispositions des Etats qui induisent des restrictions au commerce, la nature de ces dispositions et les conditions de leur levée, doivent être précisées dans les meilleurs délais au sein des instances internationales compétentes, et notamment dans le cadre du Codex alimentarius.
    S’agissant des instances internationales elles-mêmes, dont l’activité se rapporte à la gestion des risques alimentaires, outre le rôle qu’elles peuvent jouer pour atteindre, par la négociation, les objectifs énoncés ci-dessus, leur rôle doit principalement s’attacher à élaborer des lignes directrices susceptibles d’harmoniser les pratiques entre les Etats.
    4.  Il convient de bien séparer l’évaluation scientifique du risque et la prise en compte des données économiques, sociales et culturelles (cf. 1.3.1.1). Ces dernières doivent intervenir et être prises en considération au stade de la gestion du risque par la concertation et la consultation, par le décideur public, de personnes et organismes compétents. A cet égard, le CNA serait à même de jouer un rôle éminent.
    5.  La notion d’information pertinente est une notion clé du principe de précaution. C’est en présence d’une telle information qu’un risque peut être considéré comme suspecté (cf. 1.2.1.2.3), ce qui permet de justifier l’adoption de mesures de précaution par l’Etat. C’est également elle qui déclenche des devoirs de précaution dans les entreprises (cf. 1.3.2.2). C’est encore elle qui pourra servir de critère de définition du risque de développement en cas de mise en œuvre de la responsabilité du fait des produits défectueux (cf. recommandation 11). Il est ainsi nécessaire de donner de « l’information pertinente » une définition la plus objective possible. A cet égard, il semble souhaitable de retenir qu’une information, quel que soit son émetteur, ne devient « pertinente » que lorsqu’elle est considérée comme telle par une autorité scientifique reconnue et se prononçant de manière collégiale, indépendante et transparente.
    6.  En cas de suspicion d’un risque, à côté des étapes principales d’évaluation et de gestion des risques, celle de communication sur les risques mérite d’être précisée.
6.1.  D’une part (cf. 1.3.1.1.3), cette communication doit permettre d’informer en temps réel toutes les personnes concernées. Il importe donc d’utiliser tous les relais permettant d’atteindre utilement les décideurs publics (maires, par ex.), les entreprises et les consommateurs. A cet effet, il convient d’associer à cette étape de communication les organisations professionnelles concernées et leur relais ainsi que les associations de consommateurs.
6.2.  D’autre part (cf. 1.2.2.1), l’étape de communication est essentielle pour les consommateurs lorsque l’Etat décide de gérer le risque non par des mesures restrictives de précaution à proprement parler (retrait, rappel, suspension, etc.), mais par de simples mesures d’information du consommateur. Dans ce cas, en effet, la maîtrise du risque est « déléguée » à chaque consommateur. Il est ainsi nécessaire, au-delà de l’objet même de l’information, d’assurer une transparence complète sur les raisons qui conduisent à ne pas prendre des mesures restrictives de précaution.
6.3.  En outre, le CNA estime souhaitable que les organisations de consommateurs et toutes les autres organisations concernées aient la possibilité d’interroger les autorités compétentes pour ce qui concerne la sécurité des produits, les activités de surveillance et de contrôle, et d’avoir l’assurance que ces interrogations seront examinées et recevront une réponse systématique. Tel devrait par exemple être le cas après que l’Afssa a remis un avis à la suite d’une saisine des organisations de consommateurs. Le CNA souhaite que des procédures soient établies à cette fin.
    7.  Il est essentiel que les entreprises qui, dans le cadre de leur activité, en viennent à suspecter qu’une denrée alimentaire qu’elles mettent sur le marché peut présenter un risque grave pour la santé humaine, en avisent les autorités compétentes (cf. 1.3.2.2). A cet effet, il est souhaitable d’instituer et de formaliser une obligation nouvelle à la charge des entreprises, et d’en sanctionner le non-respect (cf. 1.4.2.2).
    8.  Compte tenu des devoirs que la mise en œuvre du principe de précaution crée pour les décideurs publics autres que l’Etat (cf. 1.3.1.2) et pour les entreprises (cf. 1.3.2 et cf. 7), il devient nécessaire de préciser les modalités de saisine directe de l’autorité scientifique compétente. Le cas échéant, il conviendra d’apprécier la nécessité d’une modification de la loi. Le CNA poursuivra l’examen de cette saisine directe, dont il estime dès maintenant nécessaire que le principe soit reconnu.
    9.  Dans le cadre de leur activité, les salariés, notamment ceux en charge de l’assurance de la qualité, font connaître à l’employeur ou à son représentant, toutes informations ou constatations qui constituent pour eux des éléments de suspicion d’un danger, même hypothétique, susceptibles de déclencher l’application du principe de précaution.
    10.  Les entreprises ont une « obligation de suivi de leurs produits » (cf. 1.3.2.2) qui résulte des textes relatifs à l’obligation générale de sécurité et à la responsabilité du fait des produits défectueux. Mais cette obligation n’est actuellement sanctionnable que par la privation du bénéfice de certaines causes d’exonération de leur responsabilité civile. Il conviendrait, en conformité avec la directive relative à la sécurité générale des produits, de l’instituer comme une obligation à part entière de sécurité en matière alimentaire qui, comme telle, pourrait être source d’une responsabilité civile ou pénale.
    11.  Il est nécessaire de bien articuler les données juridiques du principe de précaution avec le régime existant de responsabilité civile des entreprises du fait des produits défectueux.
    En particulier, il serait souhaitable de bien délimiter la frontière entre risque du développement, cause d’exonération de la responsabilité, et risque suspecté (cf. 1.2.1.2.3.1 et recommandation 5). Le risque du développement suppose que « l’état des connaissances scientifiques et techniques n’ait pas permis de déceler l’existence du défaut d’un produit » Il faudrait préciser ce que recouvre cet « état des connaissances » par rapport à la notion « d’information pertinente ».
    12.  Il est nécessaire et urgent d’apporter des réponses à la question de la prise en charge du coût des mesures de précaution imposées aux entreprises par l’Etat et en particulier à la question de l’indemnisation des entreprises (cf. 1.4.3.1). Cette question est avant tout importante lorsque le risque suspecté a été par la suite scientifiquement démenti. En revanche, lorsque des mesures de précaution ont été prises à juste raison, le risque ayant été confirmé, la question de l’indemnisation éventuelle des entreprises se pose dans les mêmes termes que pour les mesures de prévention.
    13.  Un consommateur qui subit un dommage causé par un produit alimentaire sera parfois sinon souvent dans l’impossibilité absolue de désigner un responsable, ne pouvant établir auprès de quel vendeur il s’est fourni et, par conséquent, d’où venait le produit (filière), ni qu’il a effectivement ingéré le produit qu’il a acheté. Il risque donc d’être dans l’impossibilité d’engager la responsabilité civile d’une quelconque entreprise. C’est pourquoi il serait opportun de mener une réflexion sur des modes alternatifs d’indemnisation : fonds de garantie ou d’indemnisation, responsabilités collectives de filières, assurance de type « catastrophes naturelles » assurance directe obligatoire, etc. (cf. 1.4.3.2).
    Le CNA souhaite que, sans attendre la modification des textes législatifs et réglementaires, l’ensemble des acteurs concernés tiennent compte des présentes recommandations.

A N N E X E

PARTICIPANTS AU GROUPE DE TRAVAIL DU CNA SUR LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION ET LA RESPONSABILITÉ DANS LE DOMAINE ALIMENTAIRE
    Président : Mme Gailing (ANIA) ;
    Rapporteur : M. Collart-Dutilleul (IQUABIAN ; professeur à la faculté de droit de Nantes) ;
    Secrétaire : M. Nairaud ; Mlle Suberville ;
    Collège consommateur : M. Garcia (ADEIC-FEN) ; M. Rabardel (ASSECO-CFDT) ;
    Collège production : Mme Briaumont (FNSEA) ;
    Collège restauration : Mme Drouelle (SNRLH) ; Mme Sacquet (SNERRS) ; M. Pouliquen (SNRC) ; M. Rault (SNRC) ; M. Vincent (CCC) ;
    Collège salarié : M. Bindel (FNAF-CGT) ; M. Lorin (FNAF-CGT) ; M. Meslier (FNAA-CFE-CGC) ;
    Collège scientifique : M. Gallouin ;
    Collège transformation : Mme Fillaud (CGAD) ; Mme Girod-Quillain (SNIAA) ; Mme Ribault (SYNPA) ; M. Coutrel (ANIA) ; M. Grande (ANIA) ; M. Kozlovsky (CFCA) ;
    Collège distribution : Mme Garnier (FCD) ; Mme Mouton (FCD) ; Mme Quentel (FCD) ; M. Rogge (FCD) ;
    Représentants des administrations : Mme Lecourt (DGCCRF) ; Mme Peyronnet (DGCCRF) ; M. Le Bail (Conseil général vétérinaire) ; M. Reverbori (DGAl) ;
    Personnalités invitées : Mme Coutrelis (avocat) ; Mme Frizon-Roche (université Paris-Dauphine) ; Mme Garcia (Conseil économique et social) ; M. Bezard (ancien Président de la chambre commerciale de la Cour de cassation) ; M. Delpoux (FFSA) ; M. Martin Laprade (Président de sous-section au Conseil d’Etat) ; M. Orenga (CIV) ; M. Radet (SNIA).
    Le CNA est une instance consultative indépendante.
    Le Conseil national de l’alimentation (CNA) est consulté par les ministres en charge de l’agriculture, de la santé et de la consommation, sur la définition de la « politique alimentaire » française. Il peut, en particulier, être interrogé sur « l’adaptation de la consommation aux besoins nutritionnels, la sécurité alimentaire des consommateurs, la qualité des denrées alimentaires, l’information des consommateurs ». Il peut s’autosaisir.
    Le CNA représente toute la chaîne alimentaire.
    Le CNA est composé de 47 membres représentant toutes les composantes de la « chaîne alimentaire » et de la société civile : associations de consommateurs et d’usagers (9 membres), producteurs agricoles (9 membres), transformation et artisanat (9 membres), distribution (3 membres), restauration (6 membres), syndicats des salariés de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la distribution (5 membres), personnalités scientifiques qualifiées (6 membres), représentants des ministères techniques concernés et de l’Afssa qui participent aux débats avec voix consultative.
    Le CNA émet des avis et recommandations.
    Dès qu’il est saisi d’une question par les pouvoirs publics ou par son président, le CNA, qui tient des réunions plénières environ tous les deux mois, constitue un groupe de travail présidé par l’un de ses membres. Le rapporteur est un membre du CNA ou une personnalité extérieure. Le groupe, qui doit être composé de personnes aux « sensibilités différentes » se réunit alors régulièrement pour préparer un rapport et un projet d’avis. Ce texte, si possible « longuement réfléchi » et « consensuel », est ensuite soumis à la formation plénière du CNA.

NOTE (S) :

(1) V.  Le principe de précaution, sous la dir. d’O. Godard, Paris, Ed. MSH et INRA, 1997 ; M. Boutonnet et A. Guégan, Historique du principe de précaution, in Le Principe de précaution (Ph. Kourilsky et G. Viney), éd. O. Jacob, 2000, Annexe 1, p. 253.

(2) En ce sens, V. Ph. Kourilsky et G. Viney, Le Principe de précaution (Rapport au Premier ministre), Ed. O. Jacob., 2000.

(3) V. Ph. Kourilsky et G. Viney, op. cit., p. 126 et s., p. 153 et s.

(4) V.  2e Conférence internationale sur la protection de la mer du Nord en 1987 : « Une approche de précaution s’impose afin de protéger la mer du Nord des effets dommageables éventuels des substances les plus dangereuses. Elle peut requérir l’adoption de mesures de contrôle des émissions de ces substances avant même qu’un lien de cause à effet soit formellement établi au plan scientifique. »
2    V.  aussi : Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la convention sur la diversité biologique (version française, 4 mai 2000, transmise à l’ONU pour texte final) :
2    Art. 1er : Objectif : « Conformément à l’approche de précaution consacrée par le principe 15 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, l’objectif du présent Protocole est de contribuer à assurer un degré adéquat de protection pour le transfert, la manipulation et l’utilisation sans danger des organismes vivants modifiés résultant de la biotechnologie moderne qui peuvent avoir des effets défavorables sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique, compte tenu également des risques pour la santé humaine, en mettant plus précisément l’accent sur les mouvements transfrontières. »

(5) « Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les Etats selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement. »

(6) V. aussi l’article 3 de la Convention de 1992 sur les changements climatiques.

(7) V.  la Convention de Paris de septembre 1992 pour la protection du milieu marin pour l’Atlantique du Nord-Est : « principe selon lequel les mesures de prévention doivent être prises lorsqu’il y a des motifs raisonnables de s’inquiéter du fait des substances ou de l’énergie introduites directement ou indirectement dans le milieu, qu’elles puissent entraîner des risques pour la santé de l’homme, nuire aux ressources biologiques ou aux écosystèmes, porter atteinte aux valeurs d’agrément ou entraver d’autres utilisations du milieu, même s’il n’y a pas de preuves concluantes d’un rapport de causalité entre les apports et les effets ».

(8) V.  S. Romero Melchor, Principio de precaución : principio de confusión ?, Gaceta Jurídica de la UE, 2000, no 207, p. 89.

(9) Dir. 90/219 et 90/220 du 21 avril 1990, transposées en droit interne par la loi du 13 juillet 1992.

(10) V. not. la loi no 98-535 du 1er juillet 1998 créant l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

(11) V. L. Boy (La nature juridique du principe de précaution, Nature Science Société, 1999, vol.7, no 3), pour qui il s’agit d’un standard juridique. Adde G.J. Martin (Apparition et définition du principe de précaution, Pet. Aff. 30 nov. 2000, no 239, p. 12), qui y voit un principe de procédure, de méthode et d’action.

(12) Accord SPS de l’Organisation mondiale du commerce : JO 26 nov. 1995, annexes, 40023-40028.

(13) V. not. Ch. Noiville, principe de précaution et Organisation mondiale du commerce. - Le cas du commerce alimentaire, Journal de Droit international, 2000, no 2 ; J.-P. Doussin, L’accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, état des lieux 5 ans après les accords de Marrakech « Colloque Des espaces aux produits, regards croisés du Mercosur et d’Europe », Nantes, nov. 1999 (à paraître, Rev. Dr. Rur.).

(14) V. le rapport de l’Organe d’appel du 16 janvier 1998 dans l’affaire du « bœuf aux hormones ».

(15) Directive 89/107/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 relative au rapprochement des législations des Etats membres concernant les additifs pouvant être employés dans les denrées destinées à l’alimentation humaine, JOCE no L 040 du 11/02/1989, p. 27.

(16) Art.  4 : « 2.  La Commission examine aussitôt que possible, au sein du comité permanent des denrées alimentaires, les motifs invoqués par l’Etat membre visé au paragraphe 1. Elle émet son avis sans tarder et prend les mesures appropriées.
2    « 3.  Si la Commission estime que des modifications à la présente directive ou à la directive globale visée à l’article 3 sont nécessaires pour résoudre les problèmes évoqués au paragraphe 1 et pour assurer la protection de la santé humaine, elle engage la procédure prévue à l’article 11 en vue d’arrêter ces modifications ; dans ce cas, l’Etat membre qui a arrêté des mesures de sauvegarde peut les maintenir jusqu’à l’adoption des modifications. »

(17) V. l’art. 5 de la directive 88/344 du Conseil du 13 juin 1988, JOCE no L 157 du 24 juin 1988, p. 28.

(18) JOCE no L 43-1 du 14 février 1997.

(19) Par ailleurs, le règlement de 1997 renforce les exigences d’étiquetage et d’information du consommateur (art. 8). Il soumet également à certaines spécificités les autorisations concernant des produits qui comportent des OGM (art. 9).

(20) JO C 96 E du 27 mars 2001, p. 247 ; réf. 500PC0716, in www.europa.eu.int (rubriques « Politiques » / « Protection du consommateur », chapitre 15.20.30. - Protection de la santé et sécurité). V. aussi l’avis du Comité économique et social (JO C 155 du 29 mai 2001, p. 32).

(21) A paraître sur www.europa.eu.int.

(22) Le point 1 du texte de l’article 7 issu de la proposition de la Commission était ainsi rédigé : « Dans les circonstances particulières où une évaluation des informations pertinentes disponibles permet d’identifier un risque pour la santé, mais où une incertitude scientifique persiste, des mesures provisoires (le reste sans changement). »

(23) V.  www.europa.eu.int doc. 500PC0139.

(24) Dans l’article correspondant de la proposition de la Commission (art. 14.2) figurait un alinéa supplémentaire : « Lorsqu’un exploitant du secteur alimentaire considère ou soupçonne qu’une denrée alimentaire peut présenter un risque grave pour la santé humaine, il le notifie à l’autorité compétente. »

(25) V. Ph. Kourilsky et G. Viney, op. cit., p. 126 et s.

(26) Les différends obéissent à un régime de « preuve partagée », même si, en principe, l’initiative probatoire incombe à l’Etat plaignant : « La partie plaignante présentera sa première communication avant celle de la partie défenderesse, à moins que le groupe spécial ne décide (...) que les parties devraient présenter leurs premières communications simultanément » (Mémorandum d’accord sur les règles de procédure régissant le règlement des différends, art. 12.6 ; JO, 26 nov. 1995, annexe, p. 40136 ; http ://www.wto.org).

(27) V. « Mémorandum d’accord sur les règles de procédure régissant le règlement des différends, JO, 26 nov. 1995, annexe, p. 40136, art. 19 et s.

(28) La Commission des Communautés européennes, dans sa communication sur le recours au principe de précaution (COM[2000]1), considère que le principe de précaution relève uniquement de la gestion des risques : V. p. 13, dernier §. L’évaluation des données scientifiques serait un préalable au recours au principe de précaution selon la même communication (5.1.1, p. 14). Cette analyse ne permet pas d’exprimer la spécificité du risque déclenchant les mesures de précaution.

(29) Reg. no 258/97 du 27 Janvier 1997 : JOCE no L 43/1 du 14 février 1997. V. supra, 1.

(30) Il en va différemment au regard non plus de l’alimentation, mais de l’environnement dès lors qu’on sait identifier la possibilité d’effets néfastes pour les milieux (faune et flore), liés à la culture d’une plante génétiquement modifiée.

(31) V. M.-A. Hermitte et D. Dormont, Propositions pour le principe de précaution à la lumière de l’affaire de la vache folle, , in Le principe de précaution (Ph. Kourilsky et G. Viney), éd. O. Jacob, 2000, annexe 3, p. 341.

(32) V. COM (2000)1, préc.

(33) V. supra, 1.

(34) Il faut cependant se méfier de telles variations formelles. Par exemple, le caractère pertinent des informations a été maintenu dans l’article 33 du texte du Conseil à l’identique de ce qu’il était dans le même article du texte émanant de la Commission. Autre exemple : le nouvel article 7 (Conseil) évoque l’évaluation des informations alors que l’article 3, § 11, du même texte définit « l’évaluation des risques ».

(35) V. art. 50 et suivants du projet de règlement communautaire.

(36) V. COM (2000)1, préc. note 1, p. 14, § 5.1.

(37) V. M.-A. Hermitte et V. David, Evaluation des risques et principe de précaution, Pet. Aff., 30 novembre 2000, no 239, p. 23.

(38) On doit cependant se demander si le risque seulement suspectable n’est pas susceptible d’être qualifié de risque du développement : v. infra, 4).

(39) CJCE, 29 mai 1997, aff. C 300/95, JCP 1997.I. 4070, obs. G. Viney, D. 1998. 488, note A. Penneau.

(40) V. l’art. 7 du projet de règlement communautaire.

(41) L’organe d’appel de l’OMC a, dans l’affaire du bœuf aux hormones, clairement affirmé que l’article 5 (7) de l’accord SPS « prend effectivement en compte le principe de précaution ». (§ 124).

(42) V. not. Ch. Noiville, principe de précaution et Organisation mondiale du commerce. - Le cas du commerce alimentaire, Journal de Droit international, 2000, no 2 ; J-P. Doussin, L’accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, état des lieux 5 ans après les accords de Marrakech, colloque « Des espaces aux produits, regards croisés du Mercosur et d’Europe », Nantes, nov. 1999, (à paraître, Rev. Dr. Rur.).

(43) V. Ph. Kourilsky et G. Viney, rapp. préc., p. 46, pour qui elles doivent être révisables et réversibles « si possible ». Adde : Ch. Noiville, Principe de précaution et gestion des risques en droit de l’environnement et en droit de la santé, Pet. Aff., 30 nov. 2000, no 239, p. 44.

(44) V. règlement no 258/97 du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments, spéc. art. 11 et 13.

(45) V. Ph. Kourilsky et G. Viney, Le principe de précaution, Rapport préc., p. 69.

(46) L’exposé des motifs de la proposition de règlement, émanant de la Commission, précisait que ces « autres facteurs légitimes » comprennent notamment « la faisabilité du contrôle d’un risque, les mesures de réduction du risque les plus efficaces en fonction du point de la chaîne alimentaire où survient le problème, les modalités pratiques requises, l’impact socio-économique et l’impact sur l’environnement ».

(47) V. not. le travail réalisé par le CNA sur « La nécessité du débat public et les aspects méthodologiques dans le domaine alimentaire » (D. Nairaud et S. Suberville).

(48) Qui impose en outre le respect d’un principe de cohérence : v. art. 5.5, supra, 1.1.

(49) V. les missions de l’AAE : art. 22 et s. du projet de règlement.

(50) Il est vrai que le projet de règlement confie à la Commission la gestion des situations d’urgence (art. 53) et, seulement en cas d’inaction de celle-ci, aux Etats (art. 54). Mais ces situations d’urgence supposent qu’il est « évident » que des denrées vont constituer un « risque sérieux » pour la santé humaine. Le caractère « évident » semble exclure les risques simplement suspectés.

(51) Le projet de règlement communautaire distingue les entreprises et les exploitants. Il définit l’entreprise du secteur alimentaire comme « toute entreprise publique ou privée assurant, dans un but lucratif ou non, des activités liées aux étapes de la production, de la transformation et de la distribution de denrées alimentaires » (art. 3, § 2). L’exploitant du secteur alimentaire est « la ou les personnes physiques ou morales chargées de garantir le respect des prescriptions de la législation alimentaire dans l’entreprise du secteur alimentaire qu’elles contrôlent » (art. 3, § 3). V. aussi les définitions données pour les entreprises et exploitants du secteur de l’alimentation animale : art. 3, § 5 et 6.

(52) Avis du 12 juillet 2000, JOCE C 268/6 du 19 septembre 2000, § 3.4 et 3.5. Dans le même sens, v. not. F. Ewald, Le Monde, 11 mars 2000.

(53) Rapport préc., p. 143. Dans le même sens, v. not. G.-J. Martin, Apparition et définition du principe de précaution, Pet. Aff. 30 nov. 2000, no 239, p. 10.

(54) Une disposition non identique est prévue pour les entreprises du secteur de l’alimentation animale : « Tout exploitant du secteur de l’alimentation animale informe immédiatement les autorités compétentes s’il considère ou soupçonne qu’un aliment qu’il a mis sur le marché ne répond pas aux prescriptions relatives à la sécurité des aliments pour animaux » (art. 20). Il ne s’agit plus ici d’un soupçon de danger, comme en matière alimentaire, mais d’un soupçon de non-respect des textes en vigueur.

(55) V. sur ce point, en annexe de la proposition de règlement émanant de la Commission, la « fiche d’impact de la proposition sur les entreprises et, en particulier, sur les PME ».

(56) V. art. 4-1, règlement no 258/97 du 27 janvier 1997 : « La personne responsable de la mise sur le marché dans la Communauté, ci-après dénommée “demandeur”, soumet une demande à l’Etat membre dans lequel le produit doit être mis sur le marché pour la première fois. » Il s’explique par une suspicion de principe liée à la nouveauté du produit (v. supra, 2.1.1)

(57) La proposition émanant de la Commission était plus restrictive puisqu’elle limitait l’obligation des entreprises aux denrées pouvant être « dangereuses » pour la santé humaine (art. 14.2).

(58) On retrouve une double obligation d’information comparable dans la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la sécurité générale des produits (doc. 500PC0139) : « Les producteurs et les distributeurs informent immédiatement les autorités compétentes des Etats membres s’ils arrivent à la conclusion qu’un produit qu’ils ont mis sur le marché est dangereux. En particulier, ils informent les autorités des actions engagées pour prévenir les risques pour les consommateurs » (art. 5.3).

(59) Sur les conséquences en termes de concurrence, v. supra, II-A-2 a.

(60) V. www.europa.eu.int doc. 500PC0139, art. 5.

(61) V. C. Cans, Le Principe de précaution, nouvel élément du contrôle de légalité, Rev. fr. dr. adm., 1999, p. 750.

(62) V. les différentes décisions rendues dans cette affaire : Ph. Kourilsky et G. Viney (Rapport préc., p. 130 et s.).

(63) Conseil d’Etat, 24 février 1999, Pro-Nat (no 192465).

(64) V. la jurisprudence en matière environnementale, présentée par Ph. Kourilsky et G. Viney (Rapport préc., p. 133 et s.).

(65) V. not. M. Rémond-Gouilloud, Le Risque de l’incertain : la responsabilité face aux avancées de la science, in La Vie des sciences, comptes-rendus, série générale, t. 10, 1993, no 4, p. 431 ; G.J. Martin, Précaution et évolution du droit, D. 1995, Chr. 299 ; la mise en œuvre du principe de précaution et la renaissance de la responsabilité pour faute, JCP E, 15 avr. 1999, p. 4. Adde : O. Godard (Repères, rev. Esprit, 1996, p. 189) qui conteste que le principe de précaution ait une influence sur la responsabilité juridique.

(66) On a vu ce qu’il en a été, s’agissant du pouvoir de l’Etat dans le domaine de la santé, à l’occasion de l’affaire du sang contaminé même si cette affaire interroge la frontière même qui sépare la prévention de la précaution : v. not. M. Setbon, Le cas du sang contaminé confronté au principe de précaution, , in Le principe de précaution (Ph. Kourilsky et G. Viney), éd. O. Jacob, 2000, Annexe 4, p. 387.

(67) CE Ass., 14 janv. 1938, Soc. des produits laitiers La Fleurette, Rec. Lebon, p. 25, D. 1938.3.41, concl. Roujou et note Rolland.

(68) JOCE L no 29, 31 janv. 1997, p. 1.

(69) Le débat sur la prise en charge du coût économique de l’interdiction des farines animales en fournit un autre exemple.

(70) V. not. sur l’infraction d’homicide ou de blessures involontaires, et sur celle de mise en danger d’autrui (Rapport préc., p. 168 et s.).

(71) V. Rapport préc., p. 172 et s.

(72) Contra : J.-P. Desideri (la précaution en droit privé, D. 2000, Chr. 238) pour qui la responsabilité civile ne s’adapte qu’artificiellement à l’incertitude et pour qui le droit des victimes à réparation devrait être affecté d’un seuil et restreint aux seuls dommages anormaux ou excessifs.

(73) V. P. Jourdain, Principe de précaution et responsabilité civile, Pet. Aff., 30 nov. 2000, no 239, p. 52.

(74) V. P. Jourdain, eod. loc.

(75) V. P. Jourdain (art. préc., p. 54) pour qui le principe de précaution doit en outre conduire à une appréciation plus rigoureuse de la force majeure en raison d’un recul de l’imprévisibilité.

(76) V.  art. 809, 849, 873, 894, code de procédure civile.

(77) Libres propos sur l’évolution du droit de la responsabilité, RTD civ., 1999, p. 571 et s., spéc. p. 583 et les réf. cit.

(78) Rapport préc., p. 180.

(79) Afin d’éviter les possibles divergences de jurisprudence, il faudrait peut-être déroger aux règles communes de compétence matérielle (juridictions administratives ou judiciaires ?).

(80) Par ailleurs, la proposition de directive du Parlement et du Conseil relative à la sécurité générale des produits (préc.), prévoit dans son article 9.3 : « Les Etats membres veillent à ce que les consommateurs et autres parties intéressées aient la possibilité de présenter des réclamations aux autorités compétentes pour ce qui concerne la sécurité des produits et les activités de surveillance et de contrôle et à ce que ces réclamations soient examinées et reçoivent un suivi approprié et une réponse. Ils informent activement les consommateurs et les autres parties intéressées des procédures établies à cette fin. »

© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie - DGCCRF - 23 janvier 2002