Décision no 2000-D-62 du Conseil de la concurrence en
date du 13 décembre 2000 relative à lincidence des usages du courtage
sur la situation de la concurrence dans le secteur des opérations de lassurance sur
la vie et de capitalisation
NOR : ECOC0000453S
Le Conseil de la concurrence (commission
permanente),
Vu la décision du 10 octobre 1995, enregistrée sous le
numéro F 805, par laquelle le Conseil de la concurrence sest saisi
doffice de la situation de la concurrence dans le secteur des opérations de
lassurance sur la vie et de capitalisation ;
Vu le titre IV du code de commerce et le décret no 86-1309
du 29 décembre 1986 modifié pris pour lapplication de lordonnance
no 86-1243 du 1er décembre 1986 ;
Vu les observations présentées par le commissaire du
Gouvernement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, le rapporteur général suppléant et le
commissaire du Gouvernement entendus au cours de la séance du 18 octobre 2000,
Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les
motifs (II) ci-après exposés :
Le Conseil de la concurrence sest saisi doffice de la
situation de la concurrence dans le secteur des opérations de lassurance sur la vie
et de capitalisation par une décision du 10 octobre 1995. A la suite de cette
décision, le président du Conseil de la concurrence a adressé une demande
denquête au directeur général de la concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes afin de définir les conditions dagrément et de
rémunération des courtiers ainsi que les incidences de lapplication des usages de
courtage sur la liberté commerciale de ces distributeurs. Le Conseil se prononce à la
suite de linstruction menée sur la base des éléments recueillis au cours de cette
enquête.
I. - CONSTATATIONS
A. - Le secteur
Entre 1987 et 1996, le chiffre
daffaires correspondant aux opérations dassurance vie et de capitalisation
réalisé en France a été multiplié par cinq, passant de 86 à 453 milliards de
francs. Selon les chiffres fournis par la Commission de contrôle des assurances,
133 entreprises étaient répertoriées comme exerçant dans le secteur de
lassurance vie et assurances mixtes. Sur cette dernière dénomination, la
commission précise quune « nouvelle catégorie de sociétés
dassurance est apparue en 1995 : les sociétés dassurances mixtes
qui pratiquent à la fois des opérations dassurance sur la vie et des opérations
dassurance non-vie, à savoir les assurances de personnes. Elles sont incluses dans
les totalisations des sociétés dassurance sur la vie ».
Le nombre dentreprises réalisant des opérations de
capitalisation et qui sont soumises au contrôle de la Commission de contrôle des
assurances, en tant quelles exercent une activité dassureur
(art. L. 310-1 du code des assurances) est de 89. Ces entreprises sont incluses
dans le total des 133 entreprises indiqué ci-dessus. Le chiffre daffaires
réalisé en 1995 par les assureurs en opérations de capitalisation a été
denviron 25 milliards de francs.
Les entreprises étrangères sont présentes sur le marché
français par lintermédiaire de filiales et de succursales. Les filiales de droit
français sont incluses dans la liste établie par la Commission de contrôle des
assurances. Selon la Fédération française des sociétés dassurance (FFSA), les
filiales et succursales des sociétés étrangères ont réalisé, en 1996, 9,5 % du
chiffre daffaires assurance vie et capitalisation. Enfin, en application de la
directive communautaire organisant la libre prestation de services dans le secteur des
assurances, 85 sociétés dassurance vie et 13 sociétés mixtes
vie-dommage étaient autorisées, fin 1996, à opérer en France.
Selon les informations fournies par la FFSA, le degré de
concentration des marchés de lassurance au sein de lUnion européenne établi
à partir de la part de marché des dix premières sociétés en vie, capitalisation et
mixtes était, en 1995, le suivant :
Allemagne |
42,6 % |
Autriche |
69,7 % |
Belgique |
80,9 % |
Danemark |
85 % |
Espagne |
48,8 % |
France |
67,7 % |
Italie |
57,6 % |
Pays-Bas |
86 % |
Royaume-Uni |
44,6 % |
Suisse |
84,3 % |
La distribution de lassurance sur la vie et des produits de
capitalisation a connu, en France, des changements importants entre 1990 et
1996, comme le montre le tableau suivant :
MODE DE DISTRIBUTION (%) |
1990 |
1995 |
1996 |
Guichets (1) |
39 |
56,1 |
58,8 |
Agents généraux |
18 |
11,9 |
11,2 |
Courtiers |
11 |
6,9 |
6,6 |
Salariés |
25 |
18,9 |
17,4 |
Vente directe ou autres modes (2) |
7 |
6,2 |
6 |
Total |
100 |
100 |
100 |
(1) Guichets détablissements financiers, de La Poste et du Trésor.
(2) Par téléphone, minitel ou mailing. |
Pendant cette période, un autre événement est
à noter : lapparition dans le secteur de lassurance de la grande
distribution et de la vente par correspondance.
B. - Les pratiques constatées
Les conditions dagrément des courtiers sont
définies par le code des assurances, en ses articles R. 511-2, R. 511-4 et
R. 514-1. Sur la base de ces articles, les courtiers, qui sont des commerçants,
doivent produire un certain nombre de justifications pour obtenir limmatriculation
au registre du commerce.
Les conditions dans lesquelles peuvent être rémunérés les
distributeurs de contrats dassurance pour leur service dintermédiation
commerciale sont définies par larticle R. 511-3 du code des assurances : « Les
commissions allouées en rémunération de lapport ou de la gestion dune
opération dassurance ou de capitalisation ne peuvent être rétrocédées en
totalité ou en partie à une personne physique ou morale que si celle-ci appartient à
lune des catégories habilitées à effectuer cette présentation conformément aux
articles R. 511-2 et R. 511-4. Cette disposition ne fait pas obstacle à une
rétribution des indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation lassuré
et lassureur ou à signaler lun à lautre ».
Les relations contractuelles entre les courtiers et les
compagnies dassurance sont régies par les usages du courtage. Ce document
contractuel, qui na pas de valeur réglementaire, a été annexé au code des
assurances sous le titre « Constatation des usages du courtage dassurances
terrestres ».
Les usages du courtage nont pas dincidence sur
lagrément des courtiers dont les conditions dobtention sont définies par des
textes réglementaires rappelés ci-dessus.
Les usages nos 1 et 2 sont destinés à
assurer un traitement dégalité entre les courtiers et aussi entre les courtiers et
les agents des assureurs.
Lusage no 3 détermine les conditions dans
lesquelles le droit à commission est transféré en cas de changement de courtier : « Le
courtier apporteur dune police a droit à la commission, non seulement sur la prime
initiale mais encore sur toutes les primes qui sont la conséquence des clauses de cette
police.
Le droit à la commission dure aussi longtemps que
lassurance elle-même, notamment lorsque la police se constitue par reconduction
tacite ou express ou lorsquelle est renouvelée ou remplacée directement par
lassuré auprès de la compagnie.
Lorsque le remplacement est accordé à un nouveau courtier
investi par lassuré dun ordre exclusif de remplacement accompagné de
dénonciation régulière de la police pour sa date dexpiration ou pour
léchéance à laquelle elle peut être résiliée, le courtier créateur de la
police a droit à la commission sur les primes apportées par lui jusquà
lépoque pour laquelle la police est dûment dénoncée.
Lorsque le remplacement est accordé à un nouveau courtier
porteur dun ordre de remplacement non accompagné dune dénonciation
régulière de la police à remplacer, le courtier créateur conserve son droit à la
commission sur toutes les primes du nouveau contrat à concurrence du chiffre de celles
quil a apportées.
Ces règles sappliquent aussi bien dans le cas où la police
apportée par le courtier a été placée dans le portefeuille dune de ses
agences ».
Cet usage continue de donner lieu à des interprétations
tenant au fait que le droit à commission est inhérent à la police dassurance et
que son éventuel transfert, en létat actuel de la jurisprudence, se trouve
conditionné par la conclusion dune nouvelle police à laquelle il serait lié. Or,
si la résiliation dune police dassurance dommages à durée déterminée et
brève pose peu de problème en pratique, il nen va pas de même pour les polices
dassurance vie à durée plus longue ou indéterminée qui sont assorties en outre
davantages fiscaux susceptibles dêtre perdus en cas de résiliation
anticipée.
Lenquête a été effectuée auprès des sociétés
suivantes :
filiales de banque : SOGECAP (Société générale), NATIO
VIE (BNP), AFV (Crédit lyonnais), PREDICA (Crédit agricole), ECUREUIL VIE (caisses
dépargne et CNP) ;
entreprises nationales : GAN CAPI, GAN VIE, CNP
Assurances ;
entreprises privées : ACF VIE, UAP, VIE, UAP Collectives,
AXA Courtage Vie, AXIVA, ALPHA Assurances ;
filiales françaises de sociétés étrangères : ALLIANZ
VIE, CGP (Compagnie générale de prévoyance) ;
sociétés mutuelles dassurances : MUTAVIE
(MACIF) ;
filiales financières de la grande distribution : Banque
ACCORD, Société S2P (Carrefour).
Les résultats des investigations décrits dans le rapport
administratifs font apparaître que, sur la totalité de léchantillon, seuls deux
assureurs ont maintenu la règle définie par lalinéa 4 de lusage no 3 :
AXIVA et Allianz Vie.
Sur la question du transfert du droit à la commission en cas de
changement de courtier, le représentant de la société AXIVA a précisé : « Le
droit à commission sur les primes est lié au versement de celles-ci. Quant au droit à
commission sur encours, il est acquis en principe à lapporteur dorigine tant
que dure le contrat. Si lassuré souhaite changer de courtier ou de conseiller en
patrimoine, en principe, les commissions futures restent acquises au premier apporteur
tant que dure le contrat. En pratique, sil y a accord entre le nouveau et
lancien apporteur, la compagnie se conforme à cet accord. Jusquà présent la
compagnie na été confrontée à aucun contentieux à ce sujet. AXIVA, dans la
plupart des cas, sur la base des accords intervenus entre les apporteurs, verse la
commission sur encours à lapporteur dorigine et la commission sur prime au
nouvel apporteur. AXIVA, pour tous ses produits, prévient ainsi la survenance de tout
conflit, sur ce point, avec ses apporteurs. Bien entendu, cette pratique est opérée dans
lintérêt de lassuré qui naura pas à résilier son contrat (pertes
des avantages fiscaux notamment) ».
Sur cette même question, le représentant de la compagnie Allianz
Vie a déclaré : « Lorsque lassuré souhaite changer de courtier et
donne mandat écrit à un nouveau courtier pour procéder au transfert du contrat dans les
comptes de la compagnie, cette dernière accepte à condition que le courtier apporteur en
soit daccord. Si le courtier apporteur naccepte pas le transfert, le nouveau
courtier ne pourra pas être rémunéré. La compagnie se conforme aux usages du courtage
et essais dans lintérêt de lassuré dapporter une solution légale à
sa demande de transfert. Elle na pas de contentieux en cours avec ses courtiers au
sujet de ces demandes de transfert ».
Dans les autres cas examinés, soit la question du transfert du
droit à la commission ne se pose pas, soit lusage a été aménagé pour tenir
compte de lintérêt des assurés.
Ainsi, dans le système mis en place par les filiales de banque,
de même que par les filiales de la grande distribution, la question du transfert du droit
à la commission en cas de changement de « courtier » par lassuré
(lorsquil veut changer dagence pour les banques, ou dhypermarché, pour
les produits de la grande distribution) ne se pose pas puisque la commission est
prélevée par la maison mère et que les produits distribués sont exclusifs.
Il en est de même pour les produits de la société Ecureuil Vie
qui sont distribués par les Caisses régionales dépargne, sociétés anonymes de
droit privé inscrites en tant que courtiers dassurances auprès du registre du
commerce. Le transfert dun contrat dune caisse à lautre entraîne le
transfert du droit à commission. Il intervient à la suite du changement dadresse
de lassuré et à la demande de ce dernier. Ce transfert est considéré comme un
transfert administratif interne à la société Ecureuil Vie.
La CNP distribue ses produits dassurance essentiellement par
trois réseaux non exclusifs : La Poste, la Comptabilité publique et les caisses
dépargne. Les contrats des assurés sont gérés directement par les services de la
CNP et sont distribués sous un nom différent pour chacun des réseaux partenaires.
Les assureurs, autres quAXIVA et Allianz Vie, qui
distribuent leurs produits par lintermédiaire des courtiers indépendants, ont
aménagé le quatrième alinéa de lusage no 3. Sur ordre
écrit de lassuré, ils exécutent linstruction du client et versent les
commissions au nouveau courtier, sans résilier la police pour ne pas faire perdre à
lassuré les avantages liés au contrat.
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI
PRÉCÈDENT, LE CONSEIL,
Considérant que les usages du courtage, qui
régissent les relations entre les compagnies dassurances et les courtiers,
constituent en tant que tels des conventions susceptibles daffecter la concurrence
sur le marché des opérations dassurance sur la vie et de capitalisation ;
Considérant que linstruction a démontré que la plupart
des assureurs distribuant leurs produits par lintermédiaire de courtiers
indépendants ont aménagé lusage no 3 qui détermine les
conditions dans lesquelles le droit à la commission est transféré en cas de changement
de courtier, en évitant de résilier les contrats dassurance de manière à ne pas
faire perdre aux assurés le bénéfice des avantages liés au contrat initial ; que,
dans les cas, peu nombreux, dans lesquels lusage no 3 est encore en
vigueur, linstruction na pas permis de relever que son application aurait
donné lieu à des pratiques anticoncurrentiels notamment en dissuadant les courtiers de
démarcher les assurés qui ont souscrit une police auprès dun autre
courtier ;
Considérant quil nest pas établi que les sociétés
AXIVA et Allianz Vie, qui ont maintenu lusage de courtage no 3,
aient mis en uvre des pratiques anticoncurrentielles ; quil convient, en
conséquence, de faire application de larticle L. 464-6 du code de
commerce,
Décide :
Article unique. - Il ny a pas
lieu de poursuivre la procédure.
Délibéré, sur le rapport de Mme Mathonnière, par
Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-président, M. Robin,
membre, en remplacement de M. Cortesse, vice-président, empêché.
La secrétaire de séance, Patricia Parrin |
La présidente, Marie-Dominique Hagelsteen |
© Ministère de l'économie, des Finances et de l'Industrie-
30 janvier 2001