Avis no 2000-A-15 du Conseil de la concurrence en
date du 13 juin 2000 relatif à une demande davis de la chambre syndicale
des géomètres topographes portant sur la restriction dexercice de leur activité
professionnelle dans le domaine des études topographiques et des documents cadastraux
NOR : ECOC0000396V
Le Conseil de la concurrence (commission
permanente),
Vu la lettre enregistrée le 22 octobre 1999 sous le numéro
A 282 par laquelle la chambre syndicale des géomètres topographes a saisi le
Conseil de la concurrence, sur le fondement de larticle 5 de lordonnance
no 86-1243 du 1er décembre 1986, dune demande
davis portant sur la restriction à lexercice de leur activité
professionnelle pour la réalisation des études topographiques et des documents
cadastraux ;
Vu lordonnance no 86-1243 du 1er décembre
1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret no 86-1309
du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ;
Vu la loi no 46-942 du 7 mai 1946
instituant lordre des géomètres experts ;
Vu le décret no 96-478 du 31 mai 1996
portant règlement de la profession de géomètre expert et code des devoirs
professionnels ;
Vu larrêté du 11 décembre 1985 du secrétaire
dEtat au budget fixant les modalités dattribution des agréments pour
lexécution des travaux cadatraux ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du
Gouvernement, les représentants de la chambre syndicale des géomètres topographes, les
représentants du Conseil supérieur de lordre des géomètres experts, un
représentant du service du cadastre de la direction générale des impôts, entendus au
titre de larticle 25 de lordonnance susvisée, lors de la séance du
13 juin 2000 ;
Est davis de répondre à la demande présentée dans le
sens des observations qui suivent :
Le Conseil de la concurrence est saisi, en application de
larticle 5 de lordonnance du 1er décembre 1986, par la
chambre syndicale des géomètres topographes, dune demande davis portant sur
la restriction à lexercice de leur activité professionnelle qui leur serait
imposée, dune part, par lordre des géomètres experts à travers la
revendication dun monopole sur les travaux topographiques pouvant aboutir à des
opérations de délimitation foncière, dautre part, par le système
dagrément pour lexécution des travaux cadastraux qui réserve cet agrément
aux géomètres experts et aux retraités du cadastre.
Après une présentation des professions de géomètre expert et
de topographe et du marché des études topographiques et des travaux cadastraux, il sera
procédé à un examen, au regard des règles de la concurrence, des conséquences à
tirer du régime juridique applicable aux travaux topographiques et aux documents
cadastraux.
I. - LES PROFESSIONS DE TOPOGRAPHE ET DE GÉOMÈTRE EXPERT ET LE MARCHÉ DES TRAVAUX
TOPOGRAPHIQUES ET CADASTRAUX
A. - Les géomètres experts
1. Une profession réglementée soumise à un code des devoirs
professionnels
Le titre, les missions, les conditions
dexercice et lorganisation de la profession de géomètre expert sont régis
par la loi no 46-942 du 7 mai 1946, modifiée en 1985, 1987
et 1994. Elle définit lactivité de géomètre expert dans les termes suivants
(article 1er) : « Le géomètre expert est un technicien
exerçant une profession libérale qui, en son propre nom et sous sa responsabilité
personnelle : 1o Réalise les études et travaux topographiques
qui fixent les limites des biens fonciers et, à ce titre, lève et dresse, à toutes
échelles et sous quelque forme que ce soit, les plans et documents topographiques
concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière, tels que les
plans de division, de partage, de vente et déchange des biens fonciers, les plans
de bornage ou de délimitation de la propriété foncière ; 2o Réalise
les études, les documents topographiques, techniques et dinformation géographique
dans le cadre des missions publiques ou privées daménagement du territoire,
procède à toutes opérations techniques ou études sur lévaluation, la gestion ou
laménagement des biens fonciers ». En vertu de larticle 2 de
la loi, les prestations énumérées au 1o de son article 1er
ne peuvent être assurées que par des géomètres experts, par les services publics pour
lexécution des travaux qui leur incombent et, depuis la loi no 94-526
du 28 juin 1994, par les professionnels ressortissants dun Etat membre de
la Communauté européenne ou de lEspace économique européen sous le régime de la
libre prestation de services.
Les géomètres experts sont tenus au respect dobligations
professionnelles, parmi lesquelles lobligation de former les géomètres experts
stagiaires (article 5 de la loi), le respect du secret professionnel
(article 6), linterdiction doccuper une charge dofficier public
ministériel, un emploi rémunéré ou daccepter un mandat commercial
(article 8), une obligation dassurance (article 9-1), enfin le respect
dun code des devoirs professionnels édicté par décret en Conseil dEtat
(article 6). Lénoncé des devoirs professionnels des géomètres experts
comprend notamment linterdiction de favoriser lexercice illégal de la
profession (article 46), délit prévu et réprimé par les articles 433-14 et
433-17 du nouveau code pénal (un an demprisonnement et 100 000 francs
damende). Le géomètre expert a lobligation, pour lactivité exercée
en monopole, de se fonder sur des plans et des études topographiques établis sous sa
responsabilité personnelle (article 48 du décret) : « Le géomètre
expert fixe les limites des biens fonciers à partir détudes, de travaux
topographiques établis par lui-même ou par un même membre de lordre ou dressés
dans les conditions prévues à larticle 2-1 de la loi du 7 mai 1946
modifiée susvisée ainsi que de tout autre document ou information dont il pourrait avoir
connaissance après sêtre assuré de leur qualité et de leur validité. »
La sous-traitance, ou la cotraitance, pour ces activités exercées en monopole, est
interdite (article 50 du décret) : « Le géomètre expert ne peut
prendre ni donner en sous-traitance les travaux mentionnés au 1o de
larticle 1er de la loi du 7 mai 1946 modifiée susvisée.
La cotraitance nest admise pour ces travaux quentre membres de
lOrdre ».
2. Le contrôle de la profession par lOrdre des
géomètres experts
La loi du 7 mai 1946 crée un Ordre des
géomètres experts, administré par des conseils régionaux et un conseil supérieur. Le
conseil supérieur de lOrdre est chargé par la loi (article 17) dassurer
le respect des lois et règlements qui régissent lOrdre et lexercice de la
profession de géomètre expert et de veiller à la discipline. Le contrôle du respect,
par les membres de lOrdre, de leurs obligations déontologiques est assuré par les
conseils régionaux de lOrdre, au nombre de seize. Ils décident des inscriptions au
tableau de lOrdre, autorisent lexercice dactivités accessoires,
effectuent un contrôle périodique des cabinets et en vérifient la comptabilité, enfin
procèdent à des enquêtes. Les conseils régionaux ont un rôle juridictionnel
lorsquils prononcent des sanctions disciplinaires qui peuvent aller jusquà la
suspension pour une durée maximale dun an ou à la radiation définitive du
tableau. Le conseil supérieur de lOrdre statue en appel sur les sanctions
prononcées par les conseils régionaux.
Ainsi, lOrdre des géomètres experts, organisme privé,
détient des prérogatives de puissance publique pour lexercice de la mission de
service public que constitue le contrôle de la profession. Par ailleurs, la Fédération
nationale des géomètres experts fonciers est chargée de la représentation de la
profession.
3. Laccès à la profession
Linscription au tableau de lOrdre
est subordonnée à plusieurs conditions : de nationalité (française, dun
Etat membre de la Communauté européenne ou de lEspace économique européen), de
probité, dâge et de qualification. Les conditions daccès à la profession
comportent des exigences élevées en termes de formation initiale. La possession
dun diplôme de géomètre expert foncier diplômé par le Gouvernement (DPLG) ou
dun diplôme dingénieur géomètre, délivré par les établissements
denseignement reconnus par lEtat (Conservatoire national des arts et métiers,
Ecole supérieure des géomètres et topographes, Ecole spéciale des travaux publics et
du bâtiment, Ecole nationale supérieure des arts et industries de Strasbourg), est, en
effet, requise. Laccès à la profession est soumis à la condition supplémentaire
daccomplissement dun stage auprès dun membre de lOrdre pendant
une période réglementaire de trois ans.
Le décret no 97-242 du 17 mars 1997 et
un arrêté du même jour du ministre de léducation nationale, de
lenseignement supérieur et de la recherche ont, cependant, ouvert laccès au
diplôme de géomètre expert foncier DPLG aux personnes pouvant justifier dune
pratique professionnelle (de quinze ans dont cinq années dans des fonctions
dencadrement, ou de huit ans pour les titulaires de diplômes du premier cycle
de lenseignement supérieur, ou encore de six ans pour les titulaires du brevet
de technicien supérieur de géomètre topographe). Ces dispositions ont pour but de
permettre lintégration des topographes dans la profession de géomètre
expert ; cette intégration demeure néanmoins soumise à une condition de réussite
à des épreuves théoriques et pratiques et à laccomplissement dun stage
dune durée minimale de deux ans.
4. Structures et activités économiques
Les géomètres experts exercent une
profession libérale. La loi les autorise, cependant, à exercer leur activité en
société, société civile professionnelle, société dexercice libérale,
société anonyme ou société à responsabilité limitée. Le nombre de géomètres
experts qui se sont regroupés en société est croissant (35,2 % des cabinets au 1er janvier 2000).
Ces cabinets sont majoritairement de petite taille puisque 49 % dentre eux
emploient moins de trois salariés et que le nombre moyen de salariés est de 5,4
(en 1997).
Le chiffre daffaires a décru depuis un point haut
en 1993 (3 311 millions de francs) jusquen 1997
(3 000 millions de francs), mais un rebond important a été constaté
en 1998 (3 600 millions de francs, soit une croissance en un an de
20 %). La diminution du nombre de géomètres (2 163 géomètres experts
en 1990, 1881 en 1998) et de cabinets (1 848 en 1990, 1 542
en 1998) témoigne néanmoins des difficultés de la profession, laugmentation
observée en 1999 (1 929 géomètres experts et 1 578 cabinets)
étant due à la prise en compte des départements doutre-mer. Entre 60 et
100 géomètres experts cessent ainsi leur activité chaque année depuis 1990,
tandis que seulement 30 à 50 nouvelles inscriptions à lOrdre sont
enregistrées. Lâge moyen de la profession est de quarante-neuf ans. Le nombre
de salariés employés a également décru (10 500 en 1990, 8 500
en 1997).
Les activités exercées par les géomètres experts sont pourtant
très diversifiées : au-delà dun champ traditionnel (bornage, topographie,
travaux cadastraux, information géographique), ils ont développé de nouvelles
activités (ingénierie, aménagement foncier et urbain, maîtrise duvre en
matière de réseaux et de génie civil) et la loi du 28 juin 1994 les a
autorisés à exercer également des activités dentremise et de gestion
immobilières. Celles-ci continuent cependant à porter sur des opérations distinctes de
celles pour lesquelles le géomètre expert est appelé à intervenir de manière
exclusive pour la délimitation ou laménagement foncier, sans pouvoir représenter
plus de 25 % de leur rémunération. Elles doivent faire en outre lobjet
dune comptabilité distincte. Les activités de délimitation foncière, qui font
lobjet du monopole accordé par la loi, ne représentent que 28 % du chiffre
daffaires des géomètres experts ; les études topographiques en représentent
également 28 %, laménagement rural et urbain 24 %, et les autres
activités 20 %. Près des deux tiers de lactivité des géomètres experts se
fait en concurrence avec dautres professionnels de lurbanisme et de
laménagement que sont les topographes, les bureaux détudes, mais aussi les
administrations. Dans le même temps, la profession est confrontée à un renouvellement
des techniques avec la généralisation des appareils numériques et du GPS. Moins de la
moitié des cabinets de géomètres experts sont équipés avec des matériels GPS ou de
scannérisation.
Ainsi, lon peut constater que coexistent des contraintes
fortes posées à laccès et à lexercice de la profession, une étroitesse du
champ de compétence exclusive des géomètres experts et par ailleurs une absence
dobligation, pour les propriétaires ou vendeurs dun terrain, de procéder à
une délimitation de celui-ci, sauf dans le cas prévu à larticle 646 du code
civil : « Tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs
propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs. »
B. - Les topographes
Les géomètres topographes constituent,
en revanche, une profession non réglementée et peu organisée. La représentation de la
profession par une chambre syndicale est récente. Par ailleurs, il nexiste pas de
statistiques économiques propres à cette profession. Celle-ci est dailleurs
exercée de manière très diversifiée : certains topographes sont employés comme
salariés par des cabinets de géomètres experts, dautres exercent leur activité
dans leur propre cabinet : la Chambre syndicale des géomètres topographes estime
à 550 le nombre de cabinets de topographie, employant en moyenne six salariés.
Enfin, dautres professionnels effectuent également des travaux de topographie,
comme par exemple les bureaux détudes, au nombre de 2000.
Il nexiste pas de condition de qualification spécifique
pour lexercice dune activité de topographie. Mais un certain nombre de
topographes suivent un cursus universitaire identique à celui des géomètres
experts, et un diplôme spécialisé a été mis en place en 1990, le brevet de
technicien supérieur (BTS) géomètre topographe.
Les topographes rencontreraient depuis quelques années, selon
leur chambre syndicale, des difficultés économiques dues aux restrictions
dactivité qui font lobjet de la présente demande davis. Ainsi, des
marchés sur lesquels intervenaient autrefois les géomètres topographes, par exemple en
cotraitance ou en sous-traitance avec des géomètres experts, leur échapperaient
désormais depuis lintervention du décret du 31 mai 1996 qui interdit aux
géomètres experts de telles collaborations. Cette situation aurait entraîné des
baisses de chiffre daffaires significatives et la fermeture de certains cabinets.
C. - Le marché des études topographiques
et des études cadastrales
1. Les prestations
La topographie peut se définir comme la
description géométrique dune surface terrestre et sa représentation graphique à
une échelle déterminée. Les travaux topographiques comprennent des opérations de
levée de terrain et des opérations graphiques et informatiques pour la réalisation de
plans. La triangulation cadastrale qui consiste en la définition de points en
coordonnées sur le terrain est ainsi une opération de topographie.
La délimitation des biens fonciers comprend des opérations de
bornage, de division foncière, de détermination des servitudes et de publicité
foncière. Le bornage consiste à définir, matérialiser et conserver les limites entre
deux propriétés, soit à lamiable entre les propriétaires, soit sur désignation
du juge lors dun litige (bornage judiciaire). La division foncière consiste à
créer une limite future au sein dune propriété et nécessite généralement la
signature dun acte notarié auquel est annexé le plan repérant la division. Les
actes de délimitation sont alors inscrits au bureau des hypothèques, ce qui les rend
opposables aux tiers.
A la demande des propriétaires, le bornage peut être reporté
sur un extrait du plan cadastral par un document darpentage. Le plan cadastral
contient des informations concernant lidentité des propriétaires des terrains, les
contenances des parcelles et la nature des cultures, et des documents graphiques
représentant les parcelles dans chaque commune. Pour autant, le cadastre est un document
administratif, à vocation essentiellement fiscale, qui peut être incomplet (il
nest mis à jour que périodiquement) et approximatif quant aux limites des
parcelles.
2. Le marché
Il est difficile dévaluer le chiffre
daffaires qui résulte de lexécution détudes topographiques pour
lesquelles interviennent plusieurs types dacteurs qui exercent eux-mêmes une
pluralité dactivités. Pour les géomètres experts, cette activité
représenterait environ un milliard de francs (1 003 millions de francs en
1998). Les donneurs dordre sont très diversifiés : sur lensemble des
activités des géomètres experts, les particuliers représentent 24 % du chiffre
daffaires, les entreprises (entreprises de BTP, aménageurs et autres) 32 % et
les donneurs dordre publics (Etat, conseils généraux, communes, organismes
parapublics) 43 %.
Les travaux cadastraux sont, compte tenu dun système
dagréments accordés par ladministration fiscale, répartis entre plusieurs
professions, en application dun arrêté du 11 décembre 1985 du secrétaire
dEtat au budget. Ces agréments sont attribués par le directeur général des
impôts sur proposition dune commission dagrément composée de trois
représentants de ladministration, du commissaire du Gouvernement auprès de
lOrdre des géomètres experts et de deux représentants de lOrdre des
géomètres experts. Larticle 8 de larrêté autorise lagrément de
tout professionnel compétent pour la réalisation de travaux de triangulation cadastrale,
mais son article 9 réserve aux géomètres experts et aux retraités du cadastre la
réalisation des travaux de rénovation du cadastre et des documents darpentage.
Larticle 11 du même texte permet cependant lattribution dun
agrément provisoire et territorialement limité à dautres professionnels dans les
zones où la présence de géomètres experts est insuffisante. 2 330 agréments
ont ainsi été accordés en 1999, dont 7 à des entreprises de topographie, 34 à des
retraités du cadastre, 40 à des personnalités qualifiées, 70 à des « géomètres
attachés à certains organismes » et 2 136 à des géomètres
experts.
Le secteur des travaux cadastraux apparaît en partie en voie de
disparition. Depuis environ deux ans, les opérations de triangulation cadastrale sont,
sauf opérations particulières, entièrement exécutées par ladministration
elle-même grâce à lacquisition de matériels GPS. Les travaux de rénovation du
cadastre - il sagit de la seconde rénovation appelée « remaniement
cadastral » commencée en 1974 - représentent des opérations dun faible
montant et sont en forte diminution. Enfin, la réalisation des documents
darpentage, qui est effectuée à la demande des particuliers et des propriétaires
de terrain et à leurs frais, représente des prestations dun montant unitaire
variable mais généralement limité (3 à 5 000 francs).
II. - LES DIFFICULTÉS DAPPLICATION DES
TEXTES AU REGARD DES RÈGLES DE LA CONCURRENCE
La Chambre syndicale des géomètres topographes
souhaite être éclairée par le Conseil de la concurrence sur linterprétation des
dispositions de la loi du 7 mai 1946 et du décret du 31 mai 1996 en ce qui
concerne la détermination de létendue du monopole des géomètres experts. Elle
sinterroge également sur linstruction en date du 31 janvier 1986 de
ladministration fiscale fixant le régime dagrément pour lexécution
des travaux cadastraux.
A titre liminaire, il convient de rappeler quil
nappartient pas au Conseil de la concurrence de procéder à linterprétation
et à lappréciation de la légalité dactes administratifs. Par ailleurs, il
ne lui appartient pas non plus, lorsquil est saisi dune demande davis
sur le fondement de larticle 5 de lordonnance du 1er décembre
1986, de se prononcer sur la question de savoir si telle ou telle pratique dun
opérateur économique est contraire aux dispositions des articles 7 ou 8 de ladite
ordonnance. Seule une saisine contentieuse et la mise en uvre de la procédure
pleinement contradictoire prévue par le titre III de lordonnance sont de
nature à conduire à une appréciation de la licéité de la pratique considérée au
regard des dispositions prohibant les ententes ou les abus anticoncurrentiels de position
dominante ou de dépendance économique. Cependant, dans le cadre du présent avis, il y a
lieu pour le Conseil de la concurrence de se prononcer sur les conséquences, sur le plan
de la concurrence, du régime juridique applicable aux travaux topographiques et aux
documents cadastraux.
A. - Les difficultés
dinterprétation et dapplication des textes concernant les prestations de
topographie
La Chambre syndicale des géomètres
topographes fait valoir que, dans certaines régions, à la suite dinterventions des
organes de lOrdre des géomètres experts, des donneurs dordre ont introduit
des critères de qualification tirés de lappartenance à lOrdre des
géomètres experts dans des appels doffres relatifs à des marchés comprenant pour
partie des travaux de délimitation foncière et pour partie des travaux de topographie.
Selon la saisissante, de telles exigences entraînent une extension du champ du monopole
des géomètres experts au-delà de ce qui est prévu dans la loi et privent les
entreprises de topographie dun grand nombre de marchés.
Le Conseil rappelle, tout dabord, que les restrictions
apportées à la concurrence ne peuvent excéder ce qui est strictement nécessaire à
lapplication dune loi. Ainsi, aux termes de larticle 10 1o
de lordonnance du 1er décembre 1986, les pratiques qui résultent
de lapplication dun texte législatif ou dun texte réglementaire pris
pour son application et qui auraient un caractère restrictif de la concurrence ne peuvent
être exemptées de lapplication des articles 7 et 8 de lordonnance du 1er décembre
1986 que si elles sont la conséquence directe et nécessaire de ces textes.
Or, seuls les travaux visés au 1o de
larticle 1er de la loi du 7 mai 1946 sont réservés au
géomètre expert qui, selon cette disposition, «réalise les études et travaux
topographiques qui fixent les limites des biens fonciers et, à ce titre, lève et dresse,
à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, les plans et documents
topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière,
tels que les plans de division, de partage, de vente et déchange des biens
fonciers, les plans de bornage ou de délimitation de la propriété
foncière » ; la loi établit donc une liste, non exhaustive, de
prestations entrant dans le monopole et circonscrite aux actes participant directement à
la détermination des limites de propriété, généralement annexés dailleurs à
des actes de propriété.
Les dispositions du décret du 31 mai 1996 pris pour
lapplication de cette loi ne pourraient en aucun cas être interprétées comme
autorisant une extension des droits exclusifs accordés aux géomètres experts ou, a
fortiori, exempter des pratiques visant à empêcher dautres professionnels
daccéder à des marchés étrangers aux activités de délimitation des biens
fonciers des prohibitions prévues au titre III de lordonnance du 1er décembre
1986. Telle est dailleurs linterprétation gouvernementale de ce décret
(réponse ministérielle, Journal officiel, 28 octobre 1996,
p. 5604) : « Le décret du 31 mai 1996, portant règlement de la
profession de géomètre expert et code des devoirs professionnels, napporte pas de
modifications au régime juridique précédemment en vigueur [...] Lactualisation à
laquelle il a été procédé naffecte en rien la définition du champ
dactivité réservé aux géomètres experts [...] Le Conseil dEtat a
considéré que lavis du Conseil de la concurrence navait pas à être cité
dans le décret, puisquaussi bien ses dispositions nentraient pas dans le
champ de compétences du Conseil telles que décrites dans lordonnance du 1er décembre
1986 sur la liberté des prix et la libre concurrence. »
En particulier, les dispositions de larticle 48 du
décret du 31 mai 1996 ne sauraient être regardées comme prohibant toute
utilisation, dans le cadre dopérations, de délimitation foncière, détudes
ou travaux réalisés par des topographes, dès lors que le géomètre expert qui effectue
le bornage sassure lui-même de lexactitude de ces relevés, quil prend
alors à son compte, en procédant, le cas échéant, à des sondages. Il a,
dailleurs, été reconnu en séance quune telle situation se rencontrait
effectivement dans la pratique. De même, larticle 50 du décret ne saurait
être interprété comme imposant que, lors de lattribution dun marché dont
les lots comprennent à la fois des prestations de topographie et des prestations de
délimitation foncière, ces lots soient réservés exclusivement à un géomètre expert.
Il peut être envisagé, pour résoudre la difficulté, de procéder à la division des
marchés en lots, de faire en sorte que des lots homogènes de travaux de délimitation
foncière soient réservés à des professionnels membres de lOrdre des géomètres
experts. Si, cet allotissement apparaissait malaisé, par exemple, dans le cas dun
marché de petite taille ou à bons de commande, rien ninterdit à des géomètres
experts et à des topographes de sassocier pour une soumission à un marché
dun lot comprenant des travaux de délimitation et de topographie. Il reviendrait
alors au donneur dordre de sassurer, pendant lexécution du marché, que
les opérations de délimitation sont bien effectuées par le géomètre expert, ou ses
salariés, et le cas échéant, à lOrdre des géomètres experts, de sassurer
que ses membres nauront pas laissé effectué par dautres professionnels des
travaux entrant dans le cadre de leurs attributions exclusives.
Dès lors, une pratique reposant sur une interprétation tendant
à donner aux dispositions du décret un champ dapplication plus étendu que celui
de la loi et qui présenterait un caractère anticoncurrentiel ne pourrait bénéficier
des dispositions du 1o de larticle 10 de lordonnance du 1er décembre
1986.
Sagissant en second lieu du rôle que peut jouer
lOrdre des géomètres experts auprès des administrations, des donneurs
dordre et des professionnels de la topographie non membres de lOrdre, le
Conseil a rappelé à plusieurs reprises quun ordre professionnel ne peut, sous
couvert de sa mission de service publics, être à lorigine de pratiques ayant pour
effet de fausser le jeu de la concurrence. Au surplus, si lOrdre professionnel des
géomètres experts a été investi par les pouvoirs publics dune mission de
contrôle et dorganisation de la profession, cette mission sexerce
exclusivement à légard des membres de lOrdre et celui-ci ne peut se
substituer aux pouvoirs publics en ce qui concerne le respect par dautres personnes
de dispositions régissant lexercice de cette profession. Dès lors, si lOrdre
des géomètres experts se prévalait auprès des personnes extérieures à la profession
dune interprétation des textes le régissant dans des condition susceptibles de
fausser le jeu de la concurrence et donc dêtre qualifiées au regard du
titre III de lordonnance, il ne pourrait sabriter derrière ses missions
de service public pour sexonérer de sa responsabilité.
Le Conseil tient également à préciser que, si certains travaux
ne relèvent pas du monopole des géomètres experts, rien ninterdit aux donneurs
dordre, pour des raisons qui leur sont propres, de souhaiter les confier à des
géomètres experts.
B. - Les difficultés
dinterprétation et dapplication des textes concernant la réalisation des
documents cadastraux
La Chambre syndicale des géomètres
topographes considère que le système dagrément mis en place par larrêté
du 11 décembre 1985 introduit une restriction à lexercice de leur activité
professionnelle, car les travaux de rénovation cadastrale et les documents
darpentage nentreraient pas dans le champ du monopole des géomètres experts
tel que défini par la loi du 7 mai 1946. En raison de la faible densité des
géomètres experts dans certains départements, en zone rurale, il nexisterait pas
de concurrence effective entre géomètres experts pour la réalisation de ces documents,
ce qui aboutirait à des prix homogènes et élevés.
Il apparaît que les documents cadastraux ne peuvent être
analysés comme entrant dans le champ du monopole des géomètres experts défini par la
loi du 7 mai 1946. Dune part, les documents darpentage, qui sont
réalisés lorsquil y a modification des limites dun terrain, ne constituent
quun report des plans de délimitation réalisés par un géomètre expert sur
lextrait du plan cadastral. Or, le cadastre ne possède pas une valeur juridique
équivalente à celle des documents de délimitation ou de bornage annexés au titre de
propriété. Il ne constitue quun indice parmi dautres (par exemple, la
possession effective, les indices matériels, les « dires des sachants »,
laccord des parties) des limites de propriété, car il ne fait état que de la
limite « apparente ». Dautre part, le fait que larrêté du
11 décembre 1985 autorise les géomètres retraités du cadastre (qui ne sont pas
membres de lOrdre des géomètres experts) à réaliser les documents cadastraux
atteste de ce que ladministration ne considère pas ces documents comme entrant dans
le champ du monopole des géomètres experts. Dailleurs, un bulletin officiel des
impôts du 28 janvier 2000 précise que, si un agent retraité du cadastre peut
solliciter un agrément pour létablissement des documents darpentage, « il
lui est interdit dexécuter des opérations relevant de la profession de géomètre
expert, cest-à-dire, en particulier, deffectuer des travaux de délimitation,
de piquetage, darpentage ou de bornage et de produire des plans, même sommaires ou
de masse ».
Lattribution de droits exclusifs aux géomètres experts et
aux retraités du cadastre pour la réalisation des documents darpentage et des
travaux de rénovation cadastrale ne peut se justifier uniquement par une exigence de
qualification. Certes, la rénovation cadastrale nécessite des compétences, notamment
dordre juridique, dont tous les professionnels de la topographie ne disposent pas
nécessairement. Mais certains topographes ayant suivi un cursus universitaire identique
à celui des géomètres experts attestant de qualification professionnelles par la
possession du brevet de technicien supérieur de géomètre expert ou pouvant se
prévaloir de leur expérience professionnelle peuvent disposer de compétences
équivalentes. Le fait dexclure, par principe, les géomètres topographes de la
réalisation de documents cadastraux constitue donc une restriction qui ne résulte pas
des textes. De plus, ce sont les propriétaires qui supportent les frais de ces travaux
cadastraux et qui sont donc les demandeurs sur le marché. La nécessité de
lagrément et la limitation de cet agrément à une partie seulement des
professionnels susceptibles de rendre le service considéré aboutissent à une limitation
de loffre et, compte tenu du faible nombre de géomètres experts dans certaines
zones, à une diminution, sans doute sensible, de lintensité concurrentielle.
Ainsi, sans que le présent avis ait à se prononcer sur la légalité du dispositif
réglementaire en cause, on ne peut que constater quil restreint la concurrence sans
véritable justification technique.
En effet, des modalités pratiques dattribution des
agréments consistant, par exemple, en lattribution dagréments provisoires ou
sur dossier, pourraient permettre de vérifier la valeur des compétences professionnelles
ou les références des candidats géomètres topographes et de les comparer avec celles
dautres spécialistes. La mise en uvre dune telle procédure serait de
nature à augmenter loffre et, par conséquent, à développer lexercice de la
concurrence sur le marché des travaux cadastraux au bénéfice des collectivités
publiques et des particuliers.
Délibéré, sur le rapport de Mme Vérot, Par
Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, et
M. Cortesse, vice-président.
Le rapporteur général, Patrick Hubert |
La présidente, Marie-Dominique Hagelsteen |
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30 janvier 2001