Deux gérantes d’un centre dentaire de Trappes (Yvelines) ont comparu devant le tribunal de Versailles pour une fraude d'ampleur à l'assurance maladie. Jugement le 26 juin 2023.
La fraude est inédite et massive. Elle s’élève à 1 324 700 €. Deux sœurs, gérantes du centre médical et dentaire situé avenue Paul-Vaillant-Couturier, à Trappes (Yvelines), ont comparu lundi 12 juin 2023 devant le tribunal judiciaire de Versailles pour des faits d’escroquerie à l’assurance maladie.
Le ministère public a requis 30 mois de prison, dont 18 mois avec sursis, contre les deux mises en cause, deux sœurs. Le jugement sera rendu le 26 juin 2023.
Comme nous le relations fin janvier, les prévenues sont placées depuis cette date sous contrôle judiciaire après une enquête de huit mois menée par le Comité opérationnel départemental anti-fraude des Yvelines soulevant de nombreuses fausses facturations et actes médicaux fictifs.
Des escroqueries qui coûtent des milliards
Les faits ne sont pas rares. A l’échelle nationale, l’association Attac évalue les pertes financières dues à ces fraudes entre 6 et 8 milliards d’€ par an, dont 80 % incriminent des professionnels de santé.
Lundi 29 mai 2023, le ministre délégué chargé des Comptes publics, Gabriel Attal, dévoilait à ce titre un plan pour lutter contre la fraude sociale. C’est dans ce contexte que s’est déroulée l’audience des deux sœurs.
Aucune volonté d’enrichissement personnel assurent les prévenues
Bombers vert kaki sur le dos, masques chirurgicaux en bas du menton, Dounia et Sarah H. se sont avancées à la barre. Elles reconnaissent « avoir merdé ». Pour elles, en revanche, aucune volonté d’enrichissement personnel leur est imputable : « À peine le centre ouvert, on a dû contracter des emprunts. On a fait ça pour maintenir le centre de santé à flot ».
Des fausses facturations exorbitantes
« Pourtant, on retrouve plus d’1,6 millions d’€ sur le compte en banque du centre même pas un an après son ouverture », s’étonne la juge.
Dès les premiers jours d’activité, en septembre 2021, des fausses facturations sont relevées. Les chiffres ont de quoi surprendre. Pas moins de5 000 € pour un simple vaccin contre la covid-19 maquillé en cinq couronnes dentaires posées. Autre exemple, parmi des dizaines : 15 000 € pour le traitement d’une carie déguisé en poses de vingt-trois couronnes dentaires.
« Vous avez même facturé 13 000 € pour recoller un appareil dentaire, c’est beaucoup non ? Apparemment, la santé dentaire des gens de Trappes est dramatique. » Présidente de la 5e chambre du tribunal de Versailles.
Patients, dentistes et salariés témoignent de dérives
Au total, sur 94 patients entendus lors de l’enquête, 80 % d’entre eux relèvent une différence entre les actes pratiqués lors de leur rendez-vous et les actes déclarés. Toutes ces personnes ont d’ailleurs un point commun, celui d’être bénéficiaire de la Complémentaire santé solidaire (ex-CMU). Dounia et Sarah réfutent pourtant avoir voulu profiter de personnes précaires en espérant que ces dernières ne vérifient pas leur compte Ameli.
Quid des dentistes, assistants dentaires et secrétaires salariés du centre ? Ils témoignent eux aussi de dérives. Le profil d’un dentiste employé durant quatre mois continuera à être utilisé pour déclarer 75 000 € d’actes fictifs après son départ.
Des assistantes dentaires se verront obligées, elles, d’assurer des actes pour lesquels elles n’ont pas les qualifications. Une secrétaire se trouvera contrainte de facturer 30 000 € de faux soins par jour pour garder son travail.
Un mode d’action répandu en France
« C’est une pratique nationale », minimise Sarah pour sa défense. Comme le souligne la procureure de la République lors de ses réquisitions, les centres dentaires fleurissent un peu partout en France depuis 2018. À l’instar des deux sœurs, il suffit à ces entrepreneurs de créer une association loi 1901, autorisée par la loi à dispenser des soins dentaires.
Outre l’exonération fiscale de ces activités, ce statut juridique permet également d’adjoindre à l’association une SAS pour gérer les frais de fonctionnement mais aussi de camoufler les bénéfices. Un montage basique d’optimisation fiscale dont auraient usé les prévenues grâce aux conseils précieux d’un expert-comptable peu scrupuleux.
Interpellées peu avant de s’exiler à Dubaï
D’après le ministère public, Dounia et Sarah envisageaient de partir vivre à Dubaï pour échapper à la justice grâce à l’achat d’un appartement dans l’émirat. Valises bouclées et billets d’avion achetés, elles s’apprêtaient même à partir au moment de leur interpellation par la police, le 25 janvier 2023, confirme un proche du dossier.
« C’est un costume disproportionné que l’on tente de leur faire porter. Il ne faut pas faire ici le procès de la fraude sociale. » Avocate de la défense
Les juges ont décidé de prendre le temps avant de rendre leur délibération.