Administrer le privilège : la Ferme générale dans l’espace français et européen 1664-1794

L'IGPDE et le Comité pour l’histoire économique et financière de la France (CHEFF), sous la direction scientifique de Marie-Laure Legay, organisent les 06 et 07 juin un colloque sur la Ferme générale dans l’espace français et européen, entre 1664 et 1794.

Ce colloque est organisé dans le cadre du projet ANR FermGé.

 Le projet FermeGé vise à étudier la Ferme générale, principale société chargée de la perception de l’impôt indirect aux XVIIe et XVIIIe siècles. Véritable « Etat dans l’Etat », la Ferme générale met en place une imposante administration et emploie jusqu’à 30 000 employés répartis dans les généralités et dans les bureaux centraux à Paris.

Institution rationnelle et efficace, elle est également discriminante et profondément ancrée dans la culture du privilège. De manière originale, l’étude de la Ferme générale semble ainsi révéler l’existence d’un binôme « inégalité/rationalité » qu’il est possible de questionner.

Biographies des intervenants

Jeudi 06 juin

10h : accueil

10h30 : Introduction par Marie-Laure Legay, Université de Lille, membre du CHEFF

Session 1 : La Ferme générale et la globalisation des échanges
Sous la présidence de Michael Kwass (Université Johns-Hopkins, Baltimore)

11h : « Les échanges transfrontaliers à Perpignan dans la seconde moitié du XVIIe siècle »
Aurian Meunier (docteur, Université de Perpignan)
11h30 : « Cádiz et Gibraltar. Un nœud gordien de la contrebande entre Atlantique et Méditerranée »
Miguel Ángel Melón Jiménez (professeur, Université Cáceres)
12h : « Le développement du commerce atlantique et ses effets sur la législation commerciale »
Paul Manœuvrier-Hervieu (docteur, Université de Milan)


12h30 : Cocktail déjeunatoire

Session 2 (partie I) : La Ferme générale et les enjeux de gestion et d’administration Sous la présidence de Joël Félix (Université de Reading)

13h30 : « Les barrières fiscales dans l’espace parisien au XVIIIe siècle »
Momcilo Markovic (IHMC, Université de Sorbonne-Paris I)
14h : « Dette publique, impôts de consommation, et systèmes de perception : les fermes et régies des droits réservés au XVIIIe siècle »
Joël Félix (professeur, Université de Reading, UK)
14h30 : « La Ferme générale et les cahiers de doléances »
François Moncassin (docteur, Université de Toulouse)


15h : pause

15h30 : « Le castor, la Ferme et la colonie. Les rapports de la Compagnie de la colonie du Canada
et de la Ferme générale 1700-1706 »
Eric Roulet (professeur, Université du Littoral)
16h : « La ferme du Domaine d’Occident aux Iles, au Canada et en métropole (1674-1790) »
Marie-Laure Legay (professeure, Université de Lille) :
16h30 : « Il s’agit de savoir si l’on doit continuer le commerce du castor dans une unique main » :
l’influence de la traite de Tadoussac sur l’espace économique canadien (1663-1759)
Benjamin Furst (ingénieur de recherche, Université de Haute-Alsace)
 

Vendredi 07 juin

Session 2 (partie II) : La Ferme générale et les enjeux de gestion et d’administration Sous la présidence de Jean-Claude Waquet (EPHE)

9h30 : « Les "modèles" de la Ferme générale, instruments de gestion bureaucratique »
Arnaud Le Godinec (docteur, CTHDIP, Université Toulouse 1 Capitole)
10h : « La formation du droit de la Ferme Générale : homogénéisation, Justice et pragmatisme fiscal »
Thomas Boullu (maître de conférences, Université de Strasbourg)
10h30 : « L'obligation au respect du droit, pour et par la Ferme générale. L'exemple du Bureau des finances de Lyon »
Karine Deharbe (maître de conférences, Université de Côte-d’Azur)


11h : pause

11h30 : « Apprendre de la Ferme générale : les agents fiscaux français au service de
Frédéric Le Grand de Prusse »
Florian Schui (professeur, Université de Saint-Galles)
12h : « La difficile mise en place de la commission de Caen »
Jérôme Pigeon (maître de conférences, Université de Caen)


12h30 : Cocktail déjeunatoire

Session 3 : La Ferme générale et le privilège

Sous la présidence d’Anne Montenach (Professeure, Université d’Aix-Marseille)


13h30 : « Cartographier le privilège : enjeux méthodologiques de la représentation spatiale de la Ferme générale »
Albane Rossi (ingénieure d’études, Université de Franche-Comté)
14h : « Du privilège à l’abus. Quelques considérations sur le recouvrement des droits indirects par la Ferme générale dans le Poitou d’Ancien Régime. »
Clément Chevereau (docteur, Université de Montpellier)
14h30 : « Activités fluviales et contrôle fiscal : le cas du Rhône »
Cécile Bournat-Querat (doctorante, Université de Aix-Marseille)


15h : pause

15h15 : « L’espace lorrain, espace à l’instar de l’étranger effectif (1664-1698) »
Quentin Muller (docteur, Université de Lorraine)
15h45 : « La douane des Fermes à l’épreuve du commerce portuaire breton : administrer le privilège dans une ʻprovince réputée étrangèreʼ (1779-1788) »
Matthieu Jeaumeau (doctorant, Université de Nantes)
16h15 : « La fiscalité sur le vin en Île-de-France au XVIIIe siècle »
Pierre-Benoît Roumagnou (docteur, Sorbonne Université)


16h45 : Conclusions

Résumés du 06 juin

Aurian MEUNIER : « Les échanges transfrontaliers à Perpignan dans la seconde moitié
du XVIIe siècle ».

L’historiographie perpignanaise a postulé jusqu’au début du XXIe siècle que les échanges transfrontaliers avec le sud de la Catalogne s’étaient rompus après l’annexion officielle du Roussillon par le royaume de France en 1659. S’ils ont pu être réduits à cause par exemple de la présence de militaires à la frontière politique, de l’augmentation du banditisme, ou encore par le renforcement des frontières douanières qui ceinture la province étrangère du Roussillon, les échanges transfrontaliers ne se sont pas interrompus après 1659. Pour s’en convaincre, une documentation constituée de registres tenus par un peseur au poids du Roi et fermier de la leude nous permet de voir au jour le jour l’arrivée de certaines marchandises imposées à Perpignan entre 1663 et 1681. Il s’agira de voir de quelle manière cette documentation nous permet de mesurer les effets de la conjoncture sur le commerce transfrontalier et ses réseaux à Perpignan dans seconde moitié du XVIIe siècle.

Miguel Ángel MELON JIMENEZ : « Cadix et Gibraltar au XVIIIe siècle : un nœud gordien de la contrebande entre Atlantique et Méditerranée ».

À partir de la conquête de Gibraltar par les Anglais en 1704, et du transfert du siège de la Casa de la Contratación des Indes depuis Séville à Cadix en 1717, il se produisit une restructuration sans précédent des circuits commerciaux qui mettaient en relation les routes maritimes transocéaniques avec les espaces du nord de l'Europe et les ports de Méditerranée. Marchands et banquiers des plus diverses origines s'établirent là pour organiser, depuis ces nouveaux centres, des réseaux de commerce de courte, moyenne et longue portée qui avaient pour origine o destination les espaces les plus divers et les plus éloignées du monde. A l'ombre de cette Babel linguistique et commerciale, un négoce de contrebande d'une ampleur sans précédent étendit ses tentacules le long des côtes andalouses, vers l'intérieur de la péninsule, et jusqu'aux ports du reste de l'Europe et de l'Afrique du Nord. Des individus appartenant aux couches les plus basses de la société voire à de groupes tout à fait marginaux s'immiscèrent dans l'organisation de ces affaires; mais tout aussi bien des responsables de l'administration et la surveillance des douanes, des marchands du sud de la péninsule, des ecclésiastiques, des membres de la noblesse et des oligarchies locales qui trouvaient dans le financement de ces entreprises lucratives le moyen de répondre à une demande de produit qui ne pouvait être satisfaite dans de telles proportions par des voies légales. Pour les combattre, les autorités espagnoles mobilisèrent tous les moyens de contrôle dont elles disposaient, fiscaux autant que policiers, sans jamais parvenir à endiguer le trafic de marchandises et les flux d'argent qui submergeaient les environs de Gibraltar et de Cadix. L'économie nationale pâtit de ces pratiques frauduleuses qui n'en contribuèrent pas moins à la réorganisation des marchés mondiaux tout au long du XVIIIe siècle.

Momcilo MARKOVIC : « Les barrières fiscales dans l’espace parisien au XVIIIe siècle »

Durant toute la période moderne, les produits et denrées transportés par des marchands ou des particuliers qui sont introduits dans les bourgs et les villes sont assujettis à des taxes sur la consommation, appelées droits d’entrée. Les marchandises pénètrent par des barrières qui sont des lieux de passage, de contrôle et de perception, gérées par une régie particulière ou par la Ferme générale. À Paris, ces taxes indirectes représentent environ 7% des recettes de l’État monarchique. La levée de ces contributions dans la capitale revêt donc une importance primordiale. Si Paris n’est plus cernée par des fortifications au XVIIIe siècle, devenant ainsi une ville ouverte, elle dispose cependant d’une ceinture fiscale, constituée d’une soixantaine de barrières, essentiellement situées aux extrémités des faubourgs. Les barrières forment, à intervalles irréguliers, une frontière discontinue, dissociant deux territoires distincts : d’un côté, la ville dans laquelle on paie des droits d’entrée pour les produits et, de l’autre côté, la campagne où les habitants sont soumis à la taille. Cette zone de démarcation demeure néanmoins floue et engendre des contestations. La perméabilité des barrières favorise une fraude assez considérable que la Ferme a du mal à enrayer. La construction, à partir de 1785, du Mur des Fermiers généraux répond à un objectif multiple : clôturer la ville afin de freiner la croissance urbaine et l’embellir avec de magnifiques portes d’entrée, tout en améliorant la perception des taxes. Les nouvelles barrières, intégrées au mur fiscal, témoignent d’une réalité physique inédite de la ville et structurent aujourd’hui encore l’espace parisien.

Joël FELIX : « Dette publique, impôts de consommation, et systèmes de perception : les fermes et régies des droits réservés au XVIIIe siècle ».

Cette communication se propose de revisiter les deux principaux modes de perception des droits du roi sous l’Ancien Régime, la ferme et la régie. Elle débutera par un aperçu du contexte historique ayant favorisé l’un des deux modes de perception, afin de mettre en évidence les dimensions financière, fiscale et administratives des fermes et régies. L’exposé se poursuivra par une analyse des attendus de la création de la régie des droits réunis par le contrôleur général Silhouette en 1759, et de ses résultats à l’aide des comptes de cette régie qui forment une série continue jusqu’en 1784. S’appuyant sur un rapport de Dupont de Nemours rédigé en 1788 et publié en 1804, au moment où l’Empire rétablissait les droits indirects, la contribution se terminera par une réflexion sur l’impôt et ses modes de perception.

François MONCASSIN : « La Ferme générale et les cahiers de doléances »

Durant la Révolution française, la disparition de la Ferme générale est entérinée par la loi des 20-27 mars 1791. Ce texte entre en vigueur le 1er avril suivant. Pour le mettre en œuvre, une loi des 21-22 juillet 1791 met en place une commission composée de fermiers généraux qui a pour objectif de parvenir à liquider cette institution. Si la suppression de la Ferme générale intéresse l’historiographie, il est patent qu’une source de compréhension est laissée de côté, à savoir les cahiers de doléances. L’objectif de la communication proposée serait alors de s’intéresser à la vision de la Ferme générale est des fermiers généraux telle qu’elle est contenue dans ces documents essentiels pour saisir le début de la Révolution. Certes, les cahiers de doléances ne sont aucunement le programme de la Révolution, mais ils permettent d’avoir des clefs de lecture des réformes successives. Il s’agira donc de s’intéresser aux sept premiers tomes de la collection des Archives parlementaires afin de retrouver les critiques – ou les promotions – du système de la Ferme générale. Cela amènera inévitablement à analyser l’administration de cette institution, son personnel et, certainement, les oppositions qu’elle suscite, notamment en ce qui concerne les privilèges dont elle bénéficie qui vont à l’encontre du nouveau principe d’égalité promu par les cahiers, tout particulièrement ceux du troisième ordre.

Eric ROULET : « Le castor, la Ferme et la colonie. Les rapports de la Compagnie de la colonie du Canada et de la Ferme générale 1700-1706 ».

L’expérience de la Compagnie des Indes occidentales qui avait permis de concentrer entre les mains d’un même opérateur tout le commerce atlantique s’achève en 1674. Les terres d’Amérique reviennent au roi qui les exploite via la Ferme du Domaine d’Occident qui lève les droits en son nom. Ce modèle se poursuit jusqu’en 1717 et le nouveau règlement sur les conditions d’entrée des produits coloniaux. Cependant, la Ferme du Domaine d’Occident perd en chemin quelques prérogatives en matière commerciale. Ainsi, en 1700, le commerce des pelleteries est confié à une nouvelle compagnie, la Compagnie de la colonie du Canada (1700-1706). Que nous dit cette décision des enjeux commerciaux, fiscaux et coloniaux de cette décision de la monarchie ? Comment s’articule alors la Compagnie, la Ferme d’Occident et la Ferme générale ?  

Marie-Laure LEGAY : « La ferme du Domaine d’Occident aux Iles, au Canada et en métropole (1674-1790) ».

Principal agent fiscal tant aux Iles qu’au Canada, le Domaine d’Occident implanta ses bureaux Outre-mer certes, mais aussi dans la métropole et draina l’essentiel des flux financiers générés par la fiscalité. La gestion de ses droits fut confiée à la Ferme générale. Son organisation prit plusieurs formes au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, mais son activité se déploya dès l’origine des deux côtés de l’Atlantique. Ce montage s’explique par la difficulté de fiscaliser le commerce colonial. Les aléas liés au trafic transocéanique, mais aussi l’insuffisance des infrastructures de contrôle sur place, rendaient l’organisation fiscale incertaine. L’affermage constitua donc un moyen approprié pour tirer les recettes fixes nécessaires à l’entretien de l’administration locale. Toutefois, ce montage servait aussi des objectifs de subordination fiscale des colonies. D’abord établie pour le compte de cautions indépendantes, puis intégrée à la Ferme générale à partir du bail Fauconnet (1685), cette organisation se dédoubla en 1732 en une régie confiée sur place à l’administration de la Marine, tandis que la Ferme du Domaine d’Occident continua la perception en métropole.

Benjamin FURST : « Il s’agist de scavoir si l’on doit continuer le commerce du castor dans une unique main » : l’influence de la traite de Tadoussac sur l’espace économique canadien (1663-1759) ».

Confiés jusqu’en 1674 à la Compagnie des Indes occidentales, les droits sur le commerce au Canada sont intégrés après cette date à la Ferme du domaine d’Occident. Le bail inclut notamment des droits conséquents sur le commerce des fourrures de castor (la traite), dont un monopole dans un vaste territoire en aval de Québec (la traite de Tadoussac, ou Domaine du roi). Comment ce choix par la monarchie de se réserver un monopole de la traite des fourrures influe-t-il sur l’organisation de l’espace de la traite à l’échelle de la colonie ? La communication montrera d’abord comment la traite de Tadoussac s’insère dans un système de valorisation économique du territoire par ailleurs largement dépendant de facteurs politiques, démographiques et militaires. Dans un deuxième temps, on évaluera la compatibilité du monopole du Domaine du roi avec les autres modalités d’appropriation et d’exploitation du territoire : comment le commerce du castor dans les limites du Domaine du roi entre-t-il en concurrence avec les droits seigneuriaux limitrophes ou les autres points de traite des fourrures ? Enfin, nous réfléchirons aux implications du contrôle engendré par la mise en place de ce monopole, et des jeux d’échelles qu’il génère, obligeant à une présence des agents du Domaine d’Occident dans toute la vallée laurentienne. En nous appuyant notamment sur une cartographie du Domaine d’occident et de la traite de Tadoussac, nous montrerons ainsi les ambiguïtés d’une politique de valorisation de la colonie canadienne oscillant tout au long de la période entre l’attrait du bénéficie immédiat, permis par la traite, et les objectifs de diversification des productions du territoire, susceptibles de contribuer au développement pérenne de la Nouvelle-France.

 

Résumés du 07 juin

Arnaud LE GONIDEC, « Les "modèles" de la Ferme générale, instruments de gestion bureaucratique ».

Les sous-séries G1 et G2 des Archives Nationales renferment de nombreux « modèles » que les services centraux de la Ferme générale expédiaient dans les bureaux des directions provinciales dans le but d’uniformiser les procédures administratives. Ces modèles obéissent à une rigueur formelle dont dépend l’efficacité du contrôle exercé par la Ferme non seulement sur les contribuables mais aussi sur ses agents. Reprenant la problématique de la « paperasserie » comme élément moteur du processus de centralisation (P. LEGENDRE), cette communication entend démontrer que, nonobstant la diversité presque infinie des prélèvements locaux, la Ferme générale a su mettre en place, dès les premières années du XVIIIe siècle, un système administratif rationnel, efficace et cohérent sur l’ensemble du territoire. Il s’agira dans un premier temps de dresser la typologie des principaux modèles : registres-journaux ; portatifs ; inventaires ; acquis divers (à caution, de descente…) ; procès-verbaux ; quittances ; actes de charges et de décharges ; feuilles de rebat… Les « circulaires » échangées entre les directeurs provinciaux et les fermiers des correspondances, conservées dans les archives personnelles des fermiers généraux Paulze et Lavoisier (AN 129AP), rendent possible d’apprécier l’empirisme avec lequel certains de ces modèles ont été pensées et, littéralement, dessinés. En outre, les procès-verbaux des tournées des fermiers généraux, conservés dans ces mêmes archives, permettent de préciser les modalités des contrôles internes qui, par un système de seings et de contreseings, s’exercent tout à la fois par les paires et par voie hiérarchique. Enfin, dans la mesure du possible et au-delà de l’exemple bien connu des procès-verbaux, il s’agira de sonder la validité juridique pour ainsi dire externe de ces pièces standardisées au regard des procédures contentieuses conservées dans certaines séries B et C des archives départementales.

Thomas BOULLU : « La formation du droit de la Ferme Générale : homogénéisation, Justice et pragmatisme fiscal ».

L’historiographie convient de l’importance de l’étude des grandes ordonnances édictées au cours du règne de Louis XIV. Toutefois, et de manière assez surprenante, les recherches excluent invariablement de leur champ d’analyse les codes de droit fiscal et douanier rédigés entre 1680 à 1687. Avec un total de 626 articles regroupés en 91 titres, cet ensemble est pourtant le plus prolixe de l’œuvre législative de Louis XIV. L’avènement de ce monument juridique fiscal coïncide avec la formation de la Ferme générale et la conclusion du bail Fauconnet de 1681. L’étude de ce droit renseigne ainsi sur la fonction, les modes d’actions ou encore les privilèges que la royauté concède à cette nouvelle administration qui n’en porte pas encore le nom. Les ordonnances mettent également en lumière le processus d’homogénéisation du droit fiscal et douanier qui, malgré la diversité des impositions et des modes de perception, prend forme à la fin du XVIIe siècle. Elles sont, d’une certaine manière, la traduction juridique de l’entreprise politique de la nouvelle compagnie chargée de collecter l’impôt. Progressivement, au cours du XVIIIe siècle, cet édifice normatif est réformé par l’adoption d’arrêts du Conseil du roi. L’étude de ces arrêts – et leur comparaison avec les ordonnances du XVIIe siècle – traduit une évolution. La nécessité de résorber la dette du Trésor paraît faire évoluer ce droit vers un aspect plus pragmatique, au service de la collecte efficace et rationnelle de l’impôt, et peut-être au détriment des contribuables.

Karine DEHARBE : « L'obligation au respect du droit, pour et par la Ferme générale. L'exemple du Bureau des finances de Lyon ».

La croyance dominante pendant longtemps a été que les Bureaux des finances, vite éliminés de toute activité touchant aux impôts indirects, n’avaient pas grand-chose à faire avec la Ferme générale. En réalité, ce n’est pas tout à fait vrai. Suite aux réflexions récentes sur la Ferme Générale, des pistes de recherche ont été soulevées au sujet des liens entre elle et les Bureaux, lesquels se sont avérés plus récurrents que ce que la communauté scientifique avait intégré. Si, en effet, suite à la volonté royale de rationaliser les procédures en diminuant les acteurs concernés par l’organisation et la perception de ses impôts indirects, comme en témoigne la concentration des fermes en une seule institution à partir de 1726, ou la domination croissante de l’intendant, les Bureaux se sont trouvés peu à peu exclus, les trésoriers de France restent cependant compétents sur un certain nombre de matières, dont l’objet participe du bon fonctionnement de l’institution et de la préservation de ses droits. Ces compétences, ancrées dans cette culture du privilège qui caractérise l’Ancien régime, s’attachent à la protection de la Ferme générale, tant contre ceux qui l’entourent, sujets ou non de ses activités, notamment dans la lutte contre l’usurpation des titres, que contre elle-même, en la contraignant à respecter les obligations qui sont les siennes du point de vue législatif. Culture du privilège dont elle bénéficie donc, mais en devant se soumettre à l’encadrement législatif imposé par la monarchie. L’exposé prendra racine au sujet d’un bureau des finances que l’auteur de la proposition connaît bien, le Bureau des finances de Lyon, ce qui permettra de démontrer également que la Ferme n’échappe pas non plus, par sa soumission aux juridictions, à l’un des maux du siècle, le conflit de compétences.

Florian SCHUI : « Apprendre de la Ferme générale : les agents fiscaux français au service de Frédéric Le Grand de Prusse »

Fiscal institutions are among the structures that played a crucial role in the emergence of the ‘hard edged’ nation states of the modern era. But despite this close association with the nation state their emergence was in many ways a transnational process. The paper examines the case of former officials of the Ferme Générale participating in a radical overhaul of the fiscal system in Prussia after the Seven Years War. The process of transnational learning and observation was mainly a negative one in this case and its importance went far beyond the shaping of fiscal history: Frederick’s intention was to hire the Frenchmen to replicate structures of the Ferme Générale but the officials advised strongly against this and the new tax administration was administered directly in the governments “regie” instead of being farmed out. The keen understanding of the French experts of the shortcomings of the Ferme Générale led Prussia to avoid some of the fiscal pitfalls that beset the Ancien Regime. This learning process therefore must take prominent place in any analysis of the question of why the Prussian monarchy avoided some of the social conflicts that ultimately led to revolution in France but not in Prussia. The lessons to be learned for today are equally important: the successful evolution of fiscal systems depends on successful transnational learning and cooperation.

Jérôme PIGEON : « La difficile mise en place de la commission de Caen ».

Afin d’assurer une répression prompte et efficace d’une contrebande toujours mieux organisée, le pouvoir royal met en place, à compter du premier tiers du XVIIIe siècle, plusieurs commissions souveraines disséminées sur le territoire. Au nombre de celles-ci figure la Commission de Caen, instituée en 1768. A partir essentiellement, de la sous-série 3B des archives départementales de Seine Maritime, de la série C des archives départementales du Calvados et de la sous-série Z 1A des archives nationales, l’objet de cette communication sera d’étudier les raisons qui amenèrent le pouvoir royal à établir une commission à Caen et d’évoquer le rôle éventuel de la Ferme générale lors de cette création. Il s’agira également d’évoquer les nombreuses difficultés faites à la mise en place de cette commission par les différentes juridictions de la province, en particulier les cours souveraines. L’accent sera mis sur les raisons d’une telle opposition (notamment les liens supposés ou non entre les membres de cette commission et la Ferme générale) et les moyens utilisés. Enfin, seront abordées les réactions du pouvoir royal face à ces résistances.

Albane ROSSI : « Cartographier le privilège : enjeux méthodologiques de la représentation spatiale de la Ferme générale ».

La Ferme Générale (1664-1794) a accompagné les évolutions territoriales et les transformations administratives du royaume. Afin d’optimiser le prélèvement, cette institution – discriminante mais rationnelle – a constamment adapté ses objectifs généraux de rentabilité en fonction de situations locales particulières : privilèges des populations, nature des impôts levés ou encore contraintes environnementales. Il en résulte des imbrications d’espaces dont les représentations graphiques sont autant de défis. C’est pourquoi cette communication entend présenter les enjeux et les difficultés à cartographier les différentes incarnations de la Ferme générale et de son action sur le territoire (administration, imposition, prohibition, contrôle).

Dans un premier temps, nous nous interrogerons sur la définition des espaces de la Ferme générale. En effet, les maillages de l’institution ne coïncident pas forcément avec les territoires administratifs et politiques du royaume, compliquant leur cartographie, d’autant que les sources entretiennent souvent une certaine confusion à ce sujet. Nous présenterons ensuite quelques-uns des enjeux méthodologiques de la cartographie des interfaces : comment représenter des limites et des zones frontières ? Des pratiques que l’on cherche justement à dissimuler, comme la contrebande ? Des flux ? Enfin, nous nous intéresserons à la dimension matérielle de la Ferme dans le territoire, qui dessine un réseau de bureaux, de postes, de brigades ou de greniers, dont l’emprise spatiale révèle la présence effective de l’institution même si des inconnues demeurent… La démarche cartographique se révèle alors une affaire de compromis et d’interprétations rendus nécessaires par l’effet de source, l’imprécision liée à leur nature ou encore la difficulté à cartographier le temps long. Les cartes qui en résultent, autant que les discussions suscitées par leur production contribuent toutefois efficacement à l’analyse du couple rationalité/privilège au cœur du projet « FermGé ».

Clément CHEVEREAU : « Du privilège à l’abus. Quelques considérations sur le recouvrement des droits indirects par la Ferme générale dans le Poitou d’Ancien Régime ».

Au XVIIe siècle, la collecte des droits indirects levés dans la province de Poitou est confiée à la Ferme générale. Afin d’accomplir la mission d’utilité publique qui lui est dévolue par le pouvoir royal, l’institution financière bénéficie de plusieurs privilèges dont l’étude – à travers des pièces d’archives – révèle un régime juridique exorbitant de droit commun. La Ferme est investie de ses fonctions par une loi particulière (lex privata) : le bail à ferme. Ce contrat conclu avec le roi, dont la nature juridique interroge, donne aux employés des fermes les moyens exorbitants d’assurer le bon recouvrement de la fiscalité indirecte dans toute la généralité. Les premiers sont matériels : ils s’observent dans le déploiement de structures locales chargées de collecter les droits dans la province. Les seconds sont juridiques : ils renvoient aux prérogatives de puissance publique que les employés n’hésitent pas à exercer contre les redevables poitevins récalcitrants. Cependant, ces pouvoirs de direction et de sanction dévolus aux fermiers se confrontent aux particularismes locaux du Poitou. De fait, la rencontre des privilèges de la Ferme et de ceux des provinciaux occasionne un contentieux particulièrement important. Partant, l’étude du privilège de la Ferme invite à explorer ses limites. Animés par des intérêts public et privé à la fois, les agents des fermes sont à l’origine de bon nombre d’abus. À la diversité de ces errements préjudiciables aux redevables (concussion, exaction, rétention, prévarication, etc.), le roi veut répondre par une sanction judiciaire, en s’appuyant essentiellement sur l’intendant du Poitou. Ce commissaire départi dans la province est chargé de condamner les pratiques illégales et les usages illicites que les fermiers font de leurs prérogatives de puissance publique. À cet égard, ce « traitement en finance » du contentieux, lequel tend à concilier l’intérêt fiscal du roi et l’intérêt privé des fermiers, semble résolument moderne pour l’époque.

Cécile BOURNAT-QUERAT : « Activités fluviales et contrôle fiscal : le cas du Rhône ».

Depuis Lyon jusqu’à la mer Méditerranée, le Rhône constitue un axe majeur de circulation à l’échelle européenne. De nombreuses marchandises transitent sur ce fleuve, en tête desquelles le sel, suivant un axe nord-sud ou est-ouest, d’une rive à l’autre. Le Rhône matérialise une frontière administrative et fiscale entre les provinces du sud-est du royaume qui n’ont pas adhéré à l’union douanière des Cinq Grosses Fermes. Les échanges commerciaux en vallée du Rhône sont alors soumis au paiement de différents droits, dont la plupart sont perçus au profit de la Ferme générale. Cette institution étend son emprise sur le couloir rhodanien en installant ses bureaux et brigades près des rives du fleuve pour contrôler le commerce, s’assurer du recouvrement des droits et lutter contre toute forme de trafic illicite.

Quentin MULLER : « L’espace lorrain, espace à l’instar de l’étranger effectif (1664-1698)».

L’espace lorrain est dominé par la France au XVIIe siècle, grâce à la reconnaissance de la souveraineté française sur les Trois Évêchés de Metz, Toul et Verdun (1648) et en raison des occupations des duchés de Lorraine et de Bar (1633 1661 et 1670 1698). Une multitude d’expérimentations et d’adaptations ont lieu concernant l’administration de cet espace pluriel et le domaine fisco-financier n’y fait pas exception. Duchés et évêchés font partie, comme l’Alsace, de la catégorie des provinces à l’instar de l’étranger effectif, commerçant librement avec l’étranger mais séparées du royaume de France par les barrières fiscales de la Ferme générale. Mais comment ce régime fiscal particulier – l’État considère ces provinces comme lui appartenant tout en leur conservant un lien privilégié avec l’étranger – fonctionne-t-il concrètement ? L’objectif de cette communication est d’apprécier les évolutions et adaptations du système fisco-financier dans des territoires frontaliers. Quels sont les rapports entre une province frontalière à l’instar de l’étranger effectif et le reste du royaume de France ? Où sont situés les bureaux de contrôle dans l’espace lorrain et comment sont-ils adaptés lors de l’agrégation de nouveaux territoires étrangers, comme le Luxembourg dans les années 1680 ? Il s’agira aussi d’aborder la question de la réalité des barrières douanières, entre l’espace lorrain et le royaume mais aussi avec les territoires étrangers avec lesquels le commerce est théoriquement libre mais en réalité bien plus variable, notamment lors des guerres de la fin du XVIIe siècle pendant lesquelles la législation est adaptée.

Matthieu JEAUMEAU : « La douane des Fermes à l’épreuve du commerce portuaire breton : administrer le privilège dans une province réputée étrangère (1779-1788) ».

Ce projet de communication revient sur le contentieux opposant les communautés commerçantes bretonnes à la Ferme et ses agents. Il constate l’évolution de la puissance de l’administration de la Ferme après son démembrement en 1781 et les moyens d'action qu'emploient les négociants bretons pour défendre leurs privilèges, en s'appuyant notamment sur les pouvoirs locaux, parlements et Etats provinciaux. Il explore les archives de la Loire-Atlantique qui permettent d’apprécier les techniques de prélèvement et de contrôle de l’administration fiscale dans un environnement portuaire, mais également les enjeux juridiques et politiques que soulève ce prélèvement dans une « province réputée étrangère » en pleine restructuration administrative.

Pierre-Benoît ROUMAGNOU : « La fiscalité sur le vin en Île-de-France au XVIIIe siècle».

Les objectifs poursuivis dans cette communication sont au nombre de quatre : en premier lieu, faire le point sur cette fiscalité sur le vin francilien et sur celui arrivé d’ailleurs; ce qui nécessite, deuxièmement, de suivre les commis de la Ferme générale au travail, en insistant sur la spatialisation de leur activité ; ce qui permettra dans un troisième temps de remettre à leur juste place les procès-verbaux de rébellion par rapport aux relations quotidiennes entre ces commis et les contribuables ; pour enfin battre en brèche l’idée de frontière fiscale sous forme d’une unique ligne, qui n’apparut, en partie seulement, qu’au moment du mur des Fermiers généraux. La thèse défendue est que les attaques contre ces barrières se comprennent mieux sitôt qu’on les replace au sein des structures économiques et sociales vinicoles franciliennes du XVIIIe siècle, de l’ordonnances sur les aides de 1680 au mur des années 1780. Cette étude reprend les éléments que nous connaissons sur la production de vin en Île-de-France, s’appuie sur des procès-verbaux inédits de fraude en Île-de-France mais, également, sur la documentation encore peu connue produite par l’administration fiscale.

 

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Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Salle CASC

139, rue de Bercy 75012 Paris
M° Bercy ou Gare de Lyon

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