Suède : Le Social Impact Bond (SBI), financer l’action sociale par les marchés financiers

Par Paul Coudournac

Fin 2017, l’Association suédoise des autorités locales et des régions, la SALAR1, a engagé, avec l’appui de la Banque européenne d’investissement, un projet visant à identifier un nouveau mode de financement et de mise en œuvre de projets relevant de l’action sociale. Ce projet concerne le domaine de la santé au travail2 et est expérimenté dans les communes de Botkyrka et d’Örnsköldsvik depuis octobre 2018, et cela jusqu’en novembre 20213. Pour ce faire, elle a eu recours pour la première fois à un instrument financier spécifique : le Social Impact Bond (SIB).

Cet instrument correspond à un portefeuille d’obligations financières émises par le secteur public auprès d’investisseurs privés afin de financer des projets sociaux. La rémunération des obligations pour les prêteurs est alors dépendante du rendement du projet social. Autrement dit, la rentabilité des titres émis est indexée sur la réussite économique et sociale des projets financés. Le plus souvent, ce type de financement fait intervenir un acteur intermédiaire, généralement une ou plusieurs banques, chargé de piloter les circuits de financement. Après avoir rassemblé les fonds levés, elle accompagne les acteurs publics dans la définition des attendus sociaux d’un projet pour qu’il puisse rémunérer les investisseurs selon le niveau de performance qu’ils espèrent.

Un mode de financement alternatif pour répondre aux défis du développement durable

Les Nations unies ont défini, en septembre 2015, un programme de 17 objectifs de développement durable pour l’horizon 2030. La Suède s’est particulièrement engagée dans le respect de cet agenda, à tel point qu’elle se classe aujourd’hui en tête avec le Danemark en la matière4. Pour y parvenir, le gouvernement suédois s’est notamment appuyé sur le secteur financier pour financer des programmes, notamment sociaux, visant à répondre aux recommandations de l’ONU. Le recours au système financier est alors envisagé comme une manière de se financer sans alourdir théoriquement les institutions traditionnelles des pressions budgétaires induites par le coût de son système social. La mobilisation du marché obligataire représentait également l’opportunité d’impliquer le secteur de la finance dans le respect de ces objectifs, notamment par la prise en compte de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans la gestion des portefeuilles5.

Le gouvernement suédois va alors s’inspirer d’une expérience en cours pour adapter le calibrage des circuits financiers mobilisés. En effet, dès 2015, la municipalité de Norrkoping6 a investi les SIB et s’est appuyée sur des contrats de performance négociés avec des investisseurs financiers pour soutenir sa politique publique de placement d’enfants en situation de handicap mental. Les indicateurs utilisés portaient notamment sur l’amélioration des résultats scolaires des enfants. Toutefois, quelques difficultés de gestion ont entaché le succès de cette première itération, ce que le nouveau système mis en œuvre va alors chercher à résoudre.

Perfectionner l’organisation des émissions des SIB

Le mécanisme expérimenté à Norkoping a en effet mis en évidence deux difficultés :

  • le succès d’un SIB est conditionné par la qualité des relations entre l’intermédiaire et les parties prenantes, notamment celles publiques qui se présentent dans la majorité des cas à la fois comme entité adjudicatrice et prestataire de services ;
  • dans le cadre d’un SIB, le risque est considéré comme trop important par les investisseurs, ce qui les incite à contracter sur de petits volumes et empêche le secteur public d’accéder aisément aux marchés financiers, l’émission minimum autorisée étant de 100 millions d’euros.

L’objectif du modèle financier réfléchi à compter de 2018 sous l’impulsion du gouvernement suédois est alors de surmonter ces écueils, en identifiant deux solutions :

  • l’émission d’un montant critique de 100 millions d’euros d’obligations sociales, ce qui permet d’atteindre un niveau de risque acceptable pour des investisseurs institutionnels. Pour garantir la crédibilité de l’opération, Kommuninvest, l’agence de financement des collectivités locales suédoises, acteur dont la réputation est robuste au sein de la communauté financière, est engagée pour émettre les obligations sur le marché. Parallèlement, le gouvernement suédois essaie de mobiliser sept collectivités pour en faire des terrains d’expérimentation de ce nouveau mode de financement ;
  • la création d’une organisation intermédiaire codirigée de manière partenariale entre l’Association suédoise des autorités locales et des régions et le Research Institute of Sweden7. Cette entité est créée pour développer une expertise et un réseau pour appuyer de façon effective les collectivités locales dans le financement de leurs projets et dans les démarches à suivre pour bénéficier du financement SIB. L’intérêt d’associer l’institut de recherche réside dans son niveau d’expertise à la fois des marchés financiers et des enjeux de politique publique suédoise, expertise primordiale dans l’identification d’indicateurs d’évaluation pertinents au sein des contrats de performance qui sont proposés aux investisseurs.

    Plus généralement, un dialogue en amont du projet entre les municipalités intéressées et les investisseurs a été mis en place afin de dresser un état des lieux sur la santé et les conditions de travail des employés de chaque commune. Sur cette base, les contrats de performance ont été définis et ont été conclus entre les investisseurs, l’organisation intermédiaire et les collectivités locales, selon une logique de mutualisation des expertises de chacun.

    Parallèlement, les services RH des communes suédoises ont identifié, toujours de concert avec les futurs investisseurs, des mesures complémentaires. En l’espèce, leurs services RH se sont engagés à travailler sur la réduction du coût et des recours aux congés-maladie, tout en améliorant les conditions de travail des salariés. En réduisant le risque de non-réalisation des contrats de performance, ces engagements ont contribué à rendre le SIB davantage attractif pour les investisseurs. Cela a également amené le secteur public à amorcer une réflexion sur les axes de transformation et de conduite du changement à mener au sein de ses services.

    Finalement, le nouveau modèle est été expérimenté en octobre 2018 dans deux municipalités (Botkyrka et Örnsköldsv), au lieu de sept initialement, pour un programme d’investissement de 44 millions de couronnes suédoises sur trois ans8.

    Le processus d’investissement semble avoir conduit à une réflexion d’envergure de l’action sociale dans les communes concernées, avec l’introduction de nouveaux services de gestion proactive des congés-maladie, ainsi qu’une réduction de leur taux de recours et de leur coût9. Cependant, les premiers retours d’expérience montrent un intérêt limité de la part des collectivités locales pour cet outil, preuve qu’elles préfèrent encore supporter elles-mêmes le risque de l’investissement plutôt que de collaborer avec des acteurs financiers, dont les attentes vis-à-vis des projets peuvent différer10. Alors que sept municipalités devaient prendre part au projet, seules deux ont en effet finalement poursuivi l’expérience. L’expérimentation encore en cours pose donc la question de l’adéquation de logiques propres aux marchés financiers, dont notamment la rentabilité, avec la poursuite des objectifs sociaux des collectivités locales.

Par Paul Coudournac
Étudiant en Master 2 dans le master Droit & Gestion publique de l'université Paris-Dauphine  (Promotion 2020/2021) dans le cadre duquel cette Note réactive a été rédigée

1SALAR: Swedish association of local authorities and regions
2https://eiah.eib.org/stories/story/sweden-occupational-health-problem
3 https://www.ri.se/sites/default/files/2019-02/190129%20RISE%20-%20SOC%2…
4https://s3.amazonaws.com/sustainabledevelopment.report/2019/2019_sustai…
5https://www.climatebonds.net/resources/reports/green-bond-market-nordics
6https://www.norrkoping.se/organisation/ekonomi/norrkopings-sociala-inve…- utfallskontrakt.html

7 Le Research Institute of Sweden est un organisme détenu par l’État suédois qui collabore avec des universités, les acteurs privés et les acteurs publics pour accompagner des projets liés au développement durable et à la croissance, notamment en vue d’améliorer la compétitivité internationale de l’économie suédoise.
8https://www.ri.se/en/our-stories/how-social-impact-bonds-can-stimulate-…
9 https://www.ri.se/sites/default/files/2019-02/190129%20RISE%20-%20SOC%2…
10https://www.norrkoping.se/organisation/ekonomi/norrkopings-sociala-inve…- utfallskontrakt.html