Norvège : quel avenir pour le premier fonds souverain mondial ?

Depuis qu’elle a commencé à en produire, au début des années 1970, le pétrole a été une réelle manne financière pour la Norvège. Les revenus liés à la ressource énergétique ont représenté jusqu’à 30 % du budget national. Pour faire face à l’épuisement attendu des gisements, l’État doit aujourd’hui dynamiser la gestion de son fonds souverain.

Seul exemple en Europe – si l’on excepte la Russie – le Fonds de pension gouvernemental global (Statens pensjonsfond Utland) a été mis en place, dans sa forme initiale, en 1990. Il a fait l’objet d’une scission en 2006 avec la création d’un fonds spécifique pour soutenir l’économie du pays. Le Fonds « historique », créé pour financer à terme les retraites, est – avec un montant total d’actifs évalué mi-2015 à 837 milliards d’euros – le premier fonds souverain au niveau mondial.

La baisse des revenus du pétrole conjuguée à l’un des coûts de production les plus élevés au monde forcent aujourd’hui le gouvernement norvégien à anticiper pour préserver la pérennité de ce modèle économique, qui reste avant tout un outil de politique budgétaire. En effet, même si l’objectif du fonds est « d’épargner pour les générations futures et de faire bénéficier la population norvégienne du bénéfice sur les investissements réalisés lorsqu’il n’y aura plus de ressources pétrolières », aucune décision n’a, à ce jour, été prise quant à la possibilité de l’utiliser pour couvrir les dépenses liées aux retraites.

Préparer l’ère de l’« après-pétrole »

L’annonce a été faite en février dernier à Oslo, lors de la présentation publique du dernier rapport annuel du Fonds par Øystein Olsen, le gouverneur de la Banque centrale (qui en assure la gestion) : la Norvège pourrait devoir, en 2016, puiser pour la première fois dans ses réserves financières.

Alimenté par l’ensemble des profits liés aux hydrocarbures (impôts, droits d’exploitation et participations dans les sociétés privées du secteur), le fonds reste fondamentalement dépendant, tant du volume de production que du prix des ressources énergétiques sur le marché. Même si elle est encore aujourd’hui le 17e producteur mondial (et le premier au niveau européen) de pétrole, la Norvège produit aujourd’hui 70 % de moins qu’en 2001, année où, avec plus de 160 millions de tonnes annuels, elle se classait en 8e position. Dans ce contexte de diminution des recettes pétrolières, le pays doit tout mettre en œuvre pour que les investissements réalisés soient les plus performants possible, tout en respectant scrupuleusement les règles de gestion et d’éthique qu’il s’est fixées.

Une disposition, introduite en 2001, permet à l’État norvégien de prélever annuellement jusqu’à 4 % du fonds pour équilibrer son budget. Dans les faits, cette utilisation a toujours été proche des 3 % (elle a été de 2,9 % en 2014). Un rendement (hors inflation et coûts de gestion) inférieur à ce seuil pour les années à venir contraindrait donc le gouvernement à restreindre ses dépenses.

Bien que le rendement du fonds soit toujours en progression en raison d’une stratégie d’investissement maîtrisée qui porte ses fruits, les dividendes ne compensent pas la perte de recettes et le bénéfice net annuel diminue proportionnellement. Selon les dernières prévisions du ministère des Finances, il devrait être de 26,3 millions d’euros en 2015 (contre 40,4 en 2013) et, de fait, éroder l’excédent budgétaire du pays.

Gouvernance et responsabilité

Pour ce fonds qui entre dans la catégorie des fonds « matières premières » – épuisables par nature – et, compte tenu de l’objectif à long terme de création d’une épargne intergénérationnelle, la Norvège a opté pour un profil d’investissement défensif et diversifié. Chaque participation est limitée à 10 % (dans les faits, aucune ne dépasse les 5 %). Le portefeuille se répartit actuellement entre 62,5 % d’actions, 35,3 % d’obligations et 2,3 % de capital immobilier. Le fonds est actuellement investi dans plus de 9 000 sociétés (dont près de 180 en France), réparties dans 75 pays. L’Europe y constitue encore une part majoritaire (deux fois plus que sur les autres continents), mais on constate une nette évolution de l’investissement dans les pays émergents, à forte croissance notamment.

Depuis sa création, le fonds se caractérise également par sa politique en matière de transparence. Il est souvent cité comme étant la référence mondiale sur ce point. Il fait l’objet de rapports trimestriels à diffusion interne et d’un rapport annuel public. La Norvège a activement collaboré aux travaux menés par le FMI et qui ont donné lieu à l’adoption en octobre 2008 du premier code de bonnes pratiques des fonds souverains (dits « principes de Santiago »).

En 2004, le pays a franchi une nouvelle étape en se dotant d’un Conseil de l’éthique (nommé sur proposition du ministère des Finances), chargé d’examiner dans le détail l’activité des sociétés dans lesquelles le fonds investit. Cette mesure vise à exclure toutes celles impliquées dans :

  • la fabrication d’armes à sous-munitions, d’armement nucléaire et de mines antipersonnel ;
  • la production de tabac ;
  • des violations importantes ou systématiques des droits humains ;
  • des destructions environnementales.

Optimiser la performance de la gestion financière

Dans ce contexte de diminution du rendement annuel global (15,9 % en 2013, 7,6 % en 2014 et 4 à 5 % attendus en 2015), l’analyse des trois composantes du portefeuille d’investissements donne la tendance pour faire évoluer la répartition des actifs. En 2014, le meilleur rendement a été obtenu par l’immobilier avec 10,4 %, suivi des actions (7,9 %) et des obligations (6,9 %). Le comité directeur du fonds a ainsi décidé de doubler la proportion en actifs immobiliers et souhaite atteindre 5 %. C’est ainsi que de nouvelles acquisitions ont été réalisées dans onze pays d’Europe et aux États-Unis et vont l’être en Asie.

Faisant suite à un accord conclu, le 28 mai dernier, entre plusieurs partis norvégiens, le fonds va devoir se désengager de toutes les sociétés pour lesquelles l’exploitation du charbon représente plus de 30 % de l’activité. Même si la décision a été saluée par les défenseurs de l’environnement, Svein Flåtten, député du parti conservateur au pouvoir, estime que « Les investissements dans le charbon peuvent représenter un risque pour le climat mais aussi un risque financier futur avec la possible dévalorisation des énergies fossiles dans le cadre des efforts contre le réchauffement planétaire ».

Yngve Slyngstad, directeur du fonds, décrit volontiers ce dernier comme « un pétrolier : difficile à manœuvrer, mais résistant aux crises ». Défendant les performances acquises grâce à de faibles coûts de gestion et le rôle stabilisateur joué lors de la crise économique de 2008, il ajoute : « Nous sommes en effet des investisseurs purement financiers avec une vision à long terme. Les considérations d’intérêt stratégique ou national n’entrent jamais en ligne de compte. En outre, nous ne voulons pas imposer une vision norvégienne de ce qui doit être un investissement durable, nous nous basons sur des principes internationaux, dictés, notamment, par les Nations unies ».

Jean-François Adrian

Cette note réactive a été publié en juin 2015-la version originale avec les références est disponible en version PDF. Téléchargez la note en format PDF (pdf-192ko)