L’Administration italienne, qui compte 3,2 millions d’agents publics, souffre encore d’une mauvaise image : elle serait très bureaucratique et perméable à la corruption. En matière d’efficacité des organismes publics, elle n’est que 25e sur les 28 États membres de l’Union européenne (Banque mondiale, Worldwide Governance Indicators, 2013) et occupe la 22e place en matière d’octroi d’autorisations et de licences (Banque mondiale, Doing business, 2015) : liquider une entreprise prend en moyenne huit ans et huit mois sont nécessaires pour obtenir un permis de construire. C’est pourquoi les institutions européennes ont fortement incité le pays à moderniser son Administration.
Depuis le début des années 1990, l’Administration italienne a connu plusieurs vagues de réformes, toutes teintées de New Public Management : les lois Cassese en 1992-1993 marquées par la rationalisation de l’Administration, Bassanini à la fin des années 1990 axées sur la simplification, Brunetta en 2009 orientées performance et transparence et la Spending Review, mesures de réduction des dépenses publiques, lancée par M. Monti dès 2012.
L’aboutissement de 25 ans de réformes administratives, « une autre étape vers une Italie plus simple, plus proche de ses citoyens »
Les évolutions et réorganisations citées plus haut n’ont pas eu l’effet escompté. Au contraire, on constate parfois un alourdissement et un allongement des procédures administratives et les multiples dérogations ont annihilé les effets positifs de ces mesures. D’après Mauro Pisu, chef du bureau Italie à l’OCDE, de nombreuses réformes ne sont que partiellement mises en œuvre. Certains secteurs sont tellement réglementés que les textes, parfois illisibles, ne sont que peu respectés. Globalement, l’Administration italienne est jugée inefficace et le service public de mauvaise qualité.
La loi Madia fait partie d’un tout, celui du « paquet » de réformes voulues par le gouvernement Renzi, qui comprend le projet de révision constitutionnelle et la nouvelle loi électorale. Ainsi, « le gouvernement, soutenu par une forte majorité à la Chambre, pourra faire passer les textes nécessaires à la mise en œuvre de son programme électoral et, ensuite, en garantir l’application grâce à une Administration mieux organisée et des procédures simplifiées ».
Cet été, ont été adoptées les trois premières mesures de cette ambitieuse réforme de l’Administration. L’article 3 de la loi prévoit que le silence de l’Administration vaut acceptation. Ce principe ne s’appliquera qu’aux relations entre les administrations. Le délai est de 30 jours, et ne peut être interrompu qu’une fois pour demande d’informations complémentaires. Dans certains secteurs (culture, santé, environnement), les délais pour répondre seront plus longs (90 jours). Dans un but de sécurisation juridique, les modalités de retrait des actes administratifs (art. 6) sont, par ailleurs, revues : l’Administration dispose d’un délai de dix-huit mois pour annuler une de ses propres décisions, si elle la juge illégitime. Au-delà, la décision sera considérée comme définitive. Enfin, la possibilité d’embauche à titre gratuit de retraités de la fonction publique ou du secteur privé est réintroduite par cette loi (précédemment annulée par le décret-loi 95/2012).
Un train de dix-huit mesures en six étapes : « un État plus modeste et plus dynamique pour ne pas succomber à la bureaucratie »
La modernisation de l’Administration se poursuivra d’ici au printemps 2016, avec comme mesure emblématique le décret « guillotine » qui doit être adopté en novembre 2015 : tous les textes non appliqués depuis 2011 seront purement et simplement supprimés.
Les plus grands bouleversements interviendront durant l’été 2016. Le premier objectif auquel Marianna Madia se dit attachée est de simplifier la vie des citoyens. C’est pourquoi le numérique sera fortement développé : une « carte de citoyenneté numérique sera créée » pour communiquer avec toutes les administrations. De plus, la transparence sera renforcée par le libre accès aux documents et aux données de l'administration publique (Freedom of Information Act, FOIA). Enfin, pour améliorer l’accès du citoyen aux services publics, les services de l’État seront regroupés dans une seule unité territoriale, avec une logique de guichet unique.
Le deuxième axe majeur de la réforme vise à aider les investisseurs en simplifiant les systèmes d’autorisation. Tout d’abord, les conferenze di servizi per le opere pubbliche (conférences de services pour les opérations publiques), instruments de coordination entre plusieurs administrations appelées à intervenir dans une même procédure, seront rénovées : moins de membres, moins de réunions obligatoires, mise en place de visioconférences, et durée des réunions limitée. Par ailleurs, les délais seront réduits de moitié pour certaines démarches administratives dans les travaux publics, les activités commerciales et les sites de production importants.
Une rationalisation des services administratifs est prévue. De nombreuses réorganisations interviendront ainsi que des suppressions : réduction du nombre de préfectures, diminution du nombre de chambres de commerce (de 105 à 60), réorganisation des services de police, suppression de municipalités et toute autre structure « inutile ». Enfin, des mesures pour concilier travail et vie de famille doivent faire l’objet d’une instruction (direttiva) du président du Conseil.
Les entreprises contrôlées par l’État seront également réformées (réduction de leur nombre, 8 000 aujourd’hui) : seules les activités stratégiques seront maintenues, les administrateurs auront de nouvelles responsabilités, et les recrutements et les dépenses seront fortement contrôlés.
L’étape finale est attendue pour février 2017 avec la réforme du statut des agents publics et du processus de recrutement. La fonction publique sera plus flexible et plus dynamique grâce à la réduction du nombre d’employés publics, la limitation du renouvellement des contrats de travail et l’introduction de la rémunération à la performance.
Une véritable « révolution» ?
Des voix s’élèvent pour critiquer certaines dispositions de la loi, pour dénoncer, par exemple, le démantèlement de l’Office national de protection des forêts qui joue pourtant un rôle important pour la protection de l’environnement. La réforme ne serait pas à la hauteur des attentes des citoyens et observateurs économiques et se révélerait insuffisante. Les agents publics n’y croient pas vraiment : seuls 41 % d’entre eux pensent qu’elle va réellement changer leur travail au quotidien et apporter les changements tant attendus. Avant tout, cette loi reste une énumération de principes et, pour la quasi-totalité du texte, des décrets d’application (decreti legislativi, ordonnances) seront nécessaires (seuls cinq articles sont d’application immédiate). Ce qui limite la portée de ce texte, qui prendra plusieurs années à être mis en œuvre dans sa totalité. De plus, il est courant que de nombreuses lois ne soient pas suivies des décrets d’application nécessaires: au début de l’année 2015, 383 lois votées depuis 2011 n’auraient jamais fait l’objet d’une application car non approuvées par les ministres. Sont concernées la moitié des lois passées par l’ancien Premier ministre Enrico Letta (qui a quitté ses fonctions en février 2014) et le quart de celles de son prédécesseur Mario Monti (démissionnaire en 2012).
On constate aussi la réintroduction de dispositifs supprimés peu de temps auparavant : la taxe d’habitation locale des communes, abandonnée par le gouvernement Berlusconi, a été réintroduite et augmentée en 2012 par Monti. Par ailleurs, Vito Tanzi, économiste italien, souligne la grande disparité d’application, au plan régional, des différentes mesures adoptées au niveau national. Enfin, beaucoup de responsables éliminent d’office les projets trop ambitieux, voire freinent l’application des nouvelles mesures. Selon les mots de V. Tanzi, les réformes souvent « donnent l'impression de changement tout en changeant vraiment peu de choses ». Pourtant, d’après l’étude de l’Institut de l’entreprise, « le processus cumulatif de réformes mises en œuvre par les différents gouvernements qui se sont succédé depuis la crise devrait commencer à porter ses fruits ». De plus, l’adoption de la réforme du Sénat, le 13 octobre dernier, est de très bon augure car elle permettra d’accélérer les changements en réduisant les possibilités de blocage du Sénat.
Virginie Ma-Dupont
Cette note réactive a été publié en octobre 2015-la version originale avec les références est disponible en version PDF. Téléchargez la note en format PDF (pdf-211ko)