Alors qu’à la suite des crises financières de 2008 et 2011, le taux de chômage progresse et atteint 9,5%, le gouvernement finlandais entreprend en 2016 une réforme d’envergure de sa politique de l’emploi : l’expérimentation d’un revenu de base.
Conduite par Kela, l’organisme de sécurité sociale finlandais, à compter de décembre 2016, l’expérimentation aboutit à tirer au sort 2 000 demandeurs d’emplois âgés de 25 à 58 ans et à leur accorder, entre le 1er janvier 2017 et le 21 décembre 2018, un revenu mensuel de 560 euros par mois. Ce montant, fusion des diverses indemnisations chômage existantes, attribué sans autre condition qu’être en situation de chômage au moment du tirage au sort, continuait d’être versé y compris si les demandeurs d’emploi étaient embauchés durant la période 2017-2018.
Cette expérimentation répondait à trois principaux objectifs : la prise en compte des nouvelles formes de travail, une incitation plus forte des demandeurs d’emploi à travailler, et la simplification du système de sécurité sociale jugé complexe. Cependant, cette expérimentation a pris fin en 2018 sans être reconduite. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cet abandon.
Le revenu de base : une évaluation ambivalente
Une étude publiée par le ministère des Affaires Sociales et de la Santé finlandais, en février 2019, dresse un premier bilan de l’expérimentation en se concentrant sur deux axes : l’effet sur l’emploi du revenu de base et celui sur le bien-être général des récipiendaires.
Concernant les effets sur l’emploi, la situation des 2 000 récipiendaires du revenu est alors comparée à celle d’un groupe témoin. Durant la première année d’expérimentation, les bénéficiaires du revenu de base ont travaillé en moyenne 49,64 jours dans l’année contre 49,25 jours pour le groupe témoin. Le rapport aboutit donc à une absence de lien entre versement du revenu de base et retour à l’emploi. Les experts mettent néanmoins en cause l’étendue insuffisante de l’expérimentation, limitée à 2000 bénéficiaires alors qu’elle devait être davantage généralisée, jugeant que les résultats ne permettaient pas de conclure clairement sur les effets concrets de la réforme.
Si, dans le domaine de l’emploi, aucune différence significative n’est observée entre bénéficiaires et groupe témoin, un écart en faveur des bénéficiaires est, lui, présent à l’analyse de leur bien-être. 23,4% des bénéficiaires déclarent par exemple être très confiants concernant leurs perspectives futures contre seulement 16,2% du groupe témoin. De même, 40,6% des bénéficiaires affirment être en bonne santé contre 35,8% du groupe témoin. Enfin, les bénéficiaires sont 14,7% à affirmer être en excellente capacité à se concentrer contre 9,5% pour le groupe témoin. De manière générale, le bien-être des bénéficiaires semble donc supérieur à celui du groupe témoin, diminuant d’autant d’éventuels facteurs de risques psychosociaux liés au chômage.
Un net écart est également observable en ce qui concerne la perception de la bureaucratie. L’un des objectifs de l’expérimentation étant de simplifier le système de sécurité sociale, il est possible de noter que les bénéficiaires sont moins nombreux que le groupe témoin (58,9% contre 67,8%) à affirmer que la bureaucratie a un poids trop important lorsqu’ils effectuent leurs démarches de perception d’aides sociales. Le revenu de base a ainsi constitué un instrument de simplification car les bénéficiaires l’ont perçu sans avoir à engager de nombreuses démarches afin de s’enregistrer comme demandeur d’emploi durant les deux années de l’expérimentation.
L’abandon du revenu de base faute de résultats et d’ambition
Malgré une évaluation encourageante sur plusieurs domaines, le gouvernement finlandais décide, avant la publication du rapport d’analyse, en milieu d’année 2018, d’abandonner la mesure.
Cet abandon peut s’expliquer, tout d’abord, par le fait que l’expérimentation n’a pas permis d’atteindre certains des objectifs qui lui étaient assignés tels que la baisse du nombre de demandeurs d’emploi. Or, selon le professeur Olli Kangas, directeur scientifique du programme et rédacteur du rapport d’analyse, ce résultat n’est pas étonnant car il « correspond à ce qui a pu être observé dans de précédentes expérimentations menées aux États-Unis et au Canada, dans les années 1970. » Le professeur fait, ici, référence à l’expérience du « Mincome » menée dans les années 1970 dans deux villes du Canada qui consistait à verser un revenu minimum aux citoyens les plus pauvres. L’État d’Alaska aux États-Unis a, quant à lui, mis en place, depuis 1982, un revenu universel versé par un fonds souverain à l’ensemble des citoyens d’un montant de 2072 $ par an en 2015.
Il est, néanmoins, possible d’avancer une autre explication à la non-atteinte de l’objectif de baisse du chômage. Comme le note le rapport, l’expérimentation a, en effet, consisté à fournir un revenu de base à un échantillon de demandeurs d’emploi de taille modeste dont le montant correspond, en réalité, à la fusion des diverses indemnisations chômage existantes. Il ne s’agit donc pas d’un revenu universel, défini par Guillaume Allègre, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) comme un revenu « d’un montant égal pour tous, sans contrôle des ressources ou des besoins, sur une base individuelle, de façon inconditionnelle, sans exigence de contrepartie » . Si l’expérimentation du revenu de base dans les conditions finlandaises n’a pas permis de diminuer le chômage, il semble hasardeux de conclure de manière définitive sur la validité du test à une échelle plus importante.
L’expérimentation finlandaise relève d’une pratique de gestion publique à caractère innovant. En effet, bien que la baisse du nombre de chômeurs n’ait pas eu lieu, ce revenu de base a permis d’améliorer le bien-être des récipiendaires et de modifier favorablement leur perception de la bureaucratie lorsqu’ils sont amenés à demander des prestations sociales. Ce revenu de base correspond, en effet, à une fusion de diverses allocations et s’il n’atteint pas l’objectif de retour à l’emploi qui était recherché, il a pour effet induit une baisse de la complexité administrative ressentie par les bénéficiaires. C’est ainsi dans le champ des politiques de simplification et de lutte contre le non-recours au droit que les résultats de l’expérimentation finlandaise révèlent l’intérêt de ce type d’innovation.
Roxane Melloul
Cette note réactive a été publié en mai 2020-la version originale avec les références est disponible en version PDF. Téléchargez la note en format PDF (pdf-929ko)