Deuxième économie du monde, la Chine souhaite dorénavant occuper le premier rang dans les secteurs incontournables de l’économie numérique et de l’innovation technologique. Elle ambitionne ainsi de devenir le leader mondial en matière d’intelligence artificielle (IA). Premier investisseur mondial dans le domaine en 2017, elle se distingue aussi par une forte production scientifique sur le sujet. Le pays dispose d’un potentiel énorme : une population de 1,38 milliard d’habitants dont 800 millions d’utilisateurs de smartphones, des investissements considérables et des entreprises ultradynamiques.
Le développement de l’IA : une priorité de l’État chinois et des atouts considérables
D’après le Premier ministre Li Keqiang, qui s’est exprimé lors du Congrès national populaire en mars 2018, le développement de l’IA est une priorité de l’État chinois. En juillet 2017, le conseil des affaires de l’État a adopté un plan de développement de la nouvelle génération d’IA (géré par le ministère de la Science et de la Technologie - MST et 15 autres agences), dont les objectifs sont les suivants :
- créer une industrie d’une valeur de 150 milliards de yuans d’ici 2020,
- réaliser des avancées technologiques majeures d’ici 2025,
- devenir le principal centre d’innovation pour l’IA d’ici 2030.
Diverses mesures sont prévues dans le cadre de ce plan : incitations fiscales ou réduction des coûts de recherche et de développement pour les petites et moyennes entreprises et les start-up. Des parcs industriels seront créés partout dans le pays afin de favoriser l’écosystème des start-up, ainsi que des zones pilote pour soutenir des projets d’expérimentation.
En novembre 2017, le MST a également annoncé la création du comité consultatif stratégique sur les IA de nouvelle génération, présidé par Pan Yunhe, académicien à l'Académie chinoise d'ingénierie (CAE). En octobre 2017, la Commission de réforme et développement national a annoncé la création de l’Alliance chinoise pour le développement de l’industrie de l’IA, regroupant les dirigeants de cette commission, du MST et d’instituts subordonnés tels que l’Académie chinoise des technologies de l’information et de la communication (CAICT).
Les initiatives foisonnent et les collectivités locales se sont elles aussi lancées dans l’aventure, onze gouvernements locaux ont publié leurs objectifs qui se chiffrent à près de 400 milliards de yuans d’ici 2020, soit plus que les objectifs nationaux. Les plus avancés d’entre eux sont Pékin, Shanghai et Shenzhen. Pékin prévoit d’investir 2 milliards de dollars dans un parc de développement d’IA qui hébergera 400 entreprises et un laboratoire national. Des investissements à hauteur de 150 milliards de yuans (19,15 milliards d’euros) sont prévus jusqu’en 2020 à destination des universités, incubateurs et start-up.
La Chine dispose d’atouts considérables pour que l’IA se développe très rapidement. Tout d’abord, une très forte maturité numérique. Les consommateurs chinois sont habitués à utiliser leur smartphone pour payer des biens et services en ligne, ils utilisent des logiciels de reconnaissance vocale ou des assistants virtuels. On constate un accès facile aux données et un volume de données considérable : la plateforme WeChat de Tencent possède près d’un milliard d’utilisateurs actifs par mois. De plus, les Chinois semblent peu soucieux du respect de leur vie privée. La plupart estime que l’IA aura un impact bénéfique sur leur vie. D’ailleurs, près d’un adulte sur trois travaille pour une entreprise qui a déjà développé des outils d’IA, 31% des personnes interrogées disent avoir déjà utilisé des outils et applications utilisant l’IA.
Le soutien gouvernemental et les fonds investis constituent une force considérable. Enfin, l’expertise dans le domaine de l’IA est de plus en plus importante : La Chine a d’ores et déjà dépassé les États-Unis en matière de publication d‘articles de recherche dans le domaine de l’IA.
Des applications pratiques dans les secteurs de la santé, de la sécurité publique ou les transports
M. Wan Gang, ministre des Sciences et de la Technologie, affirme que la Chine va développer l’utilisation de l’IA dans les domaines de la sécurité, de la santé, de l’environnement, des transports publics, et de la justice. Les entreprises appelées BAT, les trois grand chinois, que sont Baidu (moteur de recherche le plus consulté en Chine), Alibaba (leader chinois du e-commerce), et Tencent (services internet et mobiles) doivent investir massivement dans les domaines de la santé publique ou du transport autonome. Baidu a d’ailleurs déjà lancé un chatbot pour aider les médecins à réaliser des diagnostics. Le robot conversationnel, appelé Melody, est chargé de collecter avant le rendez-vous médical le plus d’informations pertinentes possibles afin que le médecin puisse faire son diagnostic.
Dans les domaines de la sécurité publique et de la justice criminelle, plusieurs applications ont déjà vu le jour. Par exemple, des analyses prédictives sont menées afin de suivre l’activité criminelle et évaluer la possibilité de récidive. Dans la ville de Shenzhen, dans la province du Guangdong, l’utilisation d’une minuscule puce dans les caméras de surveillance publique a permis à la police de résoudre des cas de disparition. Dans la ville de Nantong, dans la province du Jiangsu, un robot sera utilisé cette année pour organiser et analyser des documents et du matériel juridiques, ainsi que pour effectuer de petits travaux afin d’alléger la charge de travail des juges. Le système devrait accélérer de 30 % le traitement des affaires judiciaires.
Dans le domaine de l’environnement, une application concrète et utile concerne l’évaluation du niveau de pollution à Pékin. Les données des capteurs de CO2 installés dans toute la ville et les informations du service météorologique sont analysées par des algorithmes développés par le laboratoire Almaden d’IBM, de la Silicon Valley. Ceci permet de prévoir les niveaux de pollution et les autorités peuvent sélectionner les usines à fermer.
Les applications d’achat en ligne WeChat Pay et Alipay, détenues par Tencent et Alibaba, deviennent des guichets uniques pour de nombreuses démarches administratives. Elles offrent désormais des services tels que les demandes de visas, de rendez-vous pour les formalités de mariage ou de divorce, le paiement des contraventions ou l’obtention de licences d’exploitations. La ville de Guangzhou utilise l’application WeChat afin de tester l’utilisation de cartes d’identité numériques.
La société Sense Time a développé un logiciel de reconnaissance faciale, capable d'identifier les visages, d’évaluer l’âge des personnes et même les habitudes d'achat potentielles. Diverses applications sont possibles notamment en matière de la surveillance du trafic. Le manque de compétences dans le domaine de l’IA (manque de programmes universitaires dédiés à l’IA, absence de facultés qualifiées, nombre totale d’entreprises d’IA trop limité) pourrait constituer un frein au développement de l’IA. C’est pourquoi, le ministère de l’Éducation a lancé en février un programme de formation de talents en IA pour les professeurs et les étudiants des universités chinoises. Il sera financé par ce même ministère, l’entreprise Sinovation et l’université de Pékin.
Virginie MA-DUPONT
Cette note réactive a été publié en octobre 2018-La version originale avec les références est disponible en version PDF. Téléchargez la note en format PDF (pdf-196ko)