Par John Diamond et Catherine Farrell
Du krach financier de l’automne 2008 à l’urgence climatique en passant par la pandémie de COVID-19, les crises les plus récentes ont profondément perturbé les services publics. Elles ont également montré la nécessité pour la classe politique, tout comme pour les dirigeants publics, les cadres, les gestionnaires et les agents publics en première ligne, d’être en mesure de s’adapter rapidement à de nouvelles réalités tout en assurant la continuité des services au quotidien. Pour faire face à cet impératif d’adaptation, il est reconnu dans le monde entier que les administrations publiques locales et nationales doivent pouvoir s’appuyer sur des programmes de formation initiale et continue bien conçus et mis en œuvre à tous les niveaux.
- Principales caractéristiques des politiques publiques et pratiques actuelles
- La formation initiale et continue des agents publics au Royaume-Uni jusqu’au début des années 1980 : éléments de contexte
- Impact des politiques publiques à partir des années 1980
- Évaluation des défis actuels et tendances de la formation initiale et continue
- Anticiper l’apprentissage et la formation, aujourd’hui et à moyen terme : un panorama des pistes de réflexion
Dans quelle mesure les institutions, organismes et agents publics étaient préparés pour affronter les graves difficultés provoquées par les crises récentes et leurs chocs profonds sur les systèmes économiques, sociaux, politiques et internationaux ?
Si cette question reste ouverte, il est communément admis que sans infrastructure de soutien, il est difficile de se préparer au changement, d’anticiper les besoins et de surmonter une période de perturbations.
Afin de contribuer à cette discussion, nous tirons dans cet article quelques enseignements de la mise en place d’actions de soutien à la formation professionnelle des agents publics au Royaume-Uni, du passé le plus récent jusqu’à aujourd’hui. Notre contribution s’articule autour de trois thèmes : 1. le contexte de la formation initiale et continue des agents publics jusqu’au début des années 1980, 2. les conséquences des politiques publiques du Royaume-Uni sur la formation dans le secteur public des années 1980 jusqu’à nos jours, 3. une évaluation des défis actuels et des tendances de la formation initiale et continue pour les agents publics. Nous concluons en évaluant les besoins actuels en matière de formation initiale et continue des agents publics au Royaume-Uni et en nous livrant à un exercice de prospective sur les besoins en la matière durant les 5 à 10 prochaines années.
Principales caractéristiques des politiques publiques et pratiques actuelles
Les politiques publiques et les pratiques actuelles en matière de formation continue dans le secteur public sont le fruit d’une série de mesures prises par les pouvoirs publics depuis la fin des années 1970.
Aujourd’hui, il n’existe pas d’institution ni d’organisme central financé par le gouvernement britannique ou chargé de piloter l’enseignement et la formation des agents publics, que ce soit au niveau national (dans l’administration centrale), au niveau ministériel (à Londres), au niveau des nations constitutives du pays (en régions) ou au niveau local (dans les administrations municipales).
La constance et l’uniformité de cette approche dans le temps, et le fait qu’elle ait été adoptée indifféremment par les deux principaux partis politiques du Royaume-Uni, montre le peu d’importance que ces derniers ont porté au développement des compétences des hauts fonctionnaires ou des agents publics par la formation professionnelle continue. Il a certes existé des initiatives au bénéfice des responsables et des gestionnaires dans les domaines de l’enseignement, de la santé ou de la protection sociale, mais elles ont généralement été lancées en réaction à des crises, ou sont restées ponctuelles, sans faire partie d’une stratégie d’investissement dans une formation continue de qualité et s’inscrivant dans la durée.
Cette approche commune aux deux principaux partis est révélatrice de deux points de vue différents mais non moins complémentaires sur les agents publics et l’encadrement de l’administration publique : premièrement, les responsables politiques éprouvent une certaine méfiance à l’égard des hauts fonctionnaires et de la fonction publique ; deuxièmement, il existe une croyance selon laquelle les agents publics n’ont pas besoin de formations adaptées à leurs besoins. Plutôt que d’élaborer un parcours de formation initiale et continue sur mesure, qui commencerait avant l’embauche pour aller jusqu’aux formations adaptées aux postes occupés par les agents, on part du postulat qu’une formation générale des cadres fera généralement l’affaire. Les critiques adressées à la fonction publique britannique et l’effet des réformes des années 1980 ont été exposés par Chapman (1992,1999) dans des analyses très instructives.
La formation initiale et continue des agents publics au Royaume-Uni jusqu’au début des années 1980 : éléments de contexte
On peut distinguer plusieurs phases dans la gestion et la perception de la formation initiale et continue des agents publics au Royaume-Uni entre la fin des années 1940 et le début des années 1980. Ces phases peuvent être résumées comme suit :
- Phase 1 : Continuité et statu quo des années 1940 au début des années 1960
- Phase 2 : Changements et bouleversements jusqu’à la fin des années 1970
- Phase 3 : Nouvel arrangement et consensus des années 1980 jusqu’à 2015
Si cette chronologie semble révéler une certaine forme de cohérence ou de stabilité, il faut bien avoir conscience qu’elle est sujette à interprétation. Tout au long de cet article, notre thèse est que les points d’inflexion ou de bouleversement sont souvent des moments de confirmation du changement plutôt que des points de départ ou d’arrivée.
D’une certaine façon, le cas du Royaume-Uni montre comment les politiques publiques peuvent être menées en réaction à des mutations sociales, culturelles, économiques et politiques plus vastes, au lieu de les précéder. C’est particulièrement visible pour ce qui est de l’infrastructure bureaucratique britannique qui s’est développée au fil du temps pour organiser, superviser et gérer des systèmes, des processus et des organisations mis en place pour fournir les services que l’État devait ou souhaitait créer.
Phase 1 : Continuité et statu quo des années 1940 au début des années 1960
Après 1945, on observe au Royaume Uni la création d’un certain nombre d’organismes et d’institutions chargés de piloter la mise en place d’un État providence renforcé, notamment avec l’établissement d’un service national de santé (National Health Service). A cette époque, et jusqu’à la fin des années 1950, le logement et l’urbanisme étaient également devenus des priorités majeures. Diverses mesures d’action et d’assistance sociales au niveau national ont donné naissance à des responsabilités et des rôles nouveaux au sein des organismes qui avaient été créés pour fournir ces nouveaux services.
L’établissement d’organismes chargés de coordonner la conception, la planification et la création de villes nouvelles et de services destinés à répondre aux besoins des populations relogées dans ces villes allait ouvrir la voie aux changements et à la croissance. Le défi de la reconstruction après 1945 n’a pas seulement été une priorité politique des gouvernements travaillistes (1945-1951) puisqu’un certain nombre de leurs initiatives ont été reprises à leur compte par les gouvernements conservateurs qui leur ont succédé (1951-1964).
Cette période peut être considérée comme marquée par l’unité d’approche et de statu quo en ce qui concerne la formation initiale et continue des agents publics. On s’attendait alors à ce que l’élargissement du périmètre de l’action publique, tant au niveau local qu’au niveau national, puisse être assuré en faisant appel au modèle existant de recrutement et de formation de la fonction publique.
Il est intéressant de noter qu’à l’époque, tout comme aujourd’hui, une distinction était faite entre les responsables des services au niveau national et ceux qui travaillaient au niveau local (dans les collectivités locales). Ces distinctions ont perduré pendant toute cette période et reflétaient, semble-t-il, une vision étroite des rôles et fonctions des agents publics de l’époque.
Cette période marque une évolution idéologique importante quant au périmètre et aux missions de l’État. À partir de 1945, quelle que soit l’appartenance politique, il est généralement admis que le rôle de l’État est d’être plus interventionniste pour le bien de tous. L’accord sur l’introduction d’un service de santé, sur la mise en place d’une réforme du système scolaire public et sur le lancement d’un programme de construction de logements a imposé des changements à l’infrastructure locale et nationale pour réaliser ces mesures. Ces dernières ont été supervisées par des responsables politiques et administratifs qui avaient été influencés sur les plans personnel, politique et professionnel par les expériences qu’ils avaient vécues tout au long des années 1930 et entre 1939 et 1945. On peut imaginer que ce groupe a fait le trait d’union entre la période précédant l’État providence et le nouvel État providence, sans nécessairement posséder les compétences pour gérer et diriger les nouvelles structures ou organismes en cours de création.
Ce hiatus qui pouvait exister entre d’une part les compétences, les connaissances, les savoir-faire et les attentes de ces responsables administratifs, et d’autre part les problèmes soulevés par la création du service de santé publique et des villes nouvelles, ainsi que les besoins en termes d’organisation et d’infrastructures qui allaient de pair, a été renforcé par le sentiment que le soutien en faveur de la formation des agents publics était insuffisant.
La réaction a cependant été lente à arriver et la formation des agents de l’État a continué d’être assurée à l’université durant cette époque. On peut cependant se demander dans quelle mesure elle tenait compte des nouveaux besoins d’une génération de fonctionnaires transformée et en évolution. Il existait en outre, dans une certaine mesure, un consensus entre les responsables de la formation des agents publics et ceux qui la mettaient en œuvre. Sans nier la capacité de certains à réagir aux changements et à les anticiper, il n’en reste pas moins que l’écart entre la coordination et la mobilisation au niveau national et au niveau des prestataires des formations s’est creusé.
Phase 2 : Changements et bouleversements jusqu’à la fin des années 1970
On peut considérer que la création de l’État providence au Royaume-Uni après 1945 a joué dans la formation initiale et continue des agents publics un rôle de catalyseur dont les effets sont encore perceptibles près de soixante-dix années plus tard. Elle a eu pour conséquence involontaire de bouleverser les responsabilités et les rôles traditionnels des fonctionnaires et des organismes locaux de services publics. À ce titre, on peut dire que la période postérieure à 1945 est caractérisée par des changements et une forte instabilité.
Durant cette période, les changements ont revêtu trois aspects qui ont sans doute accéléré le déclin ou l’effondrement des modèles existants de formation des agents de l’administration.
Premièrement, dès le début des années 1960, il est admis que l’introduction de l’État providence n’a pas réussi à faire reculer la pauvreté et les inégalités. À partir de 1964, le gouvernement travailliste étudie alors une panoplie d’interventions possibles et en 1969, il crée le Programme urbain (Urban Programme) destiné à affecter des ressources aux zones confrontées à de multiples difficultés. Ce projet, fortement influencé par le programme de « guerre contre la pauvreté » lancé aux États-Unis, donne ainsi lieu à de nouvelles modalités de formation dans le domaine de la gestion et de l’administration publique que l’on ne trouvait pas nécessairement dans les départements traditionnels d’administration publique des universités. De nouvelles compétences sont identifiées comme étant nécessaires, notamment : l’action au niveau local, la capacité à associer les résidents et l’enracinement des actions dans les communautés confrontées à des difficultés d’ordre social, économique et racial. D’une certaine manière, ces nouvelles formes de savoir venaient en réaction aux mutations politiques et culturelles qui survenaient dans le monde dans les années 1960. Elles étaient également l’illustration des carences de la formation des agents de l’administration à l’époque.
Deuxièmement, on observe l’émergence de nouveaux services et de nouveaux effectifs dans la fonction publique dans le domaine de l’action sociale et auprès des jeunes. Si aucun des deux phénomènes n’était radicalement nouveau à l’époque, la création de services au niveau local des mairies dans le cadre de stratégies nationales élaborées au niveau de l’administration centrale ou au Parlement est révélateur de leur importance. Cela a également donné lieu à la mise en place et au développement dans les universités de départements chargés d’assurer un enseignement et une formation dans les domaines de l’action sociale et de la jeunesse. De plus, l’essor de ces services et les actions de formation qui les ont accompagnés se sont traduits par une professionnalisation de l’action sociale et auprès des jeunes. Une dimension connexe fondamentale de cette évolution, particulièrement pertinente pour notre analyse, est la façon dont leurs besoins en matière de formation ont été cernés, priorisés, homologués, et par conséquent légitimés.
Troisièmement, il semblerait que l’impact de ces phénomènes sur la place et le statut de la formation des agents publics ait été essentiellement négatif. Il apparaît que la croissance, au fil du temps, de l’influence et de l’ampleur de l’enseignement de l’action sociale a diminué celles de l’administration publique, tant comme discipline d’étude distincte dans les universités du Royaume-Uni que comme un élément reconnu par les pouvoirs publics comme nécessaire à leurs priorités en matière d’enseignement, de compétences et de formation. L’une des tendances clairement observables à l’époque (mais qui n’a pas perduré pendant les vingt années suivantes) a été l’amélioration du statut des professionnels du logement. Tout comme pour les travailleurs sociaux, l’émergence d’un parcours professionnel dans le logement social, accompagné d’un agrément professionnel et de l’infrastructure connexe (experts, systèmes d’assurance qualité, formation professionnelle continue ainsi que la création dans les universités de départements spécialisés dans le logement) ont contribué à améliorer l’image et le statut des professionnels du logement. Dans ces conditions, il a donc été difficile pour les agents de l’administration et la discipline de l’administration publique d’avoir une influence ou une présence identique ou analogue.
À ce stade, le consensus politique qui avait soutenu l’État providence et l’investissement dans le secteur public est de plus en plus fragilisé. Dès le milieu des années 1970, ce consensus se brise et le gouvernement travailliste, qui subissait de graves tensions financières, commence à réduire la taille du secteur public.
L’élection du gouvernement conservateur (1979-1997) marque une étape décisive de ce processus de retrait du secteur public. La période qui a suivi a fini par être associée à l’idée de « nouvelle gestion publique » et elle peut être caractérisée par un déclin des créations de structures publiques chargées de soutenir l’action gouvernementale (au niveau national et local). On assiste alors à une démarche d’externalisation de services publics au profit du secteur privé, d’organismes publics quasi indépendants ou d’ONG. Ce transfert de la responsabilité des services publics depuis des organismes financés par l’État et responsables devant lui vers des prestataires semi-privés n’ayant pas à rendre de comptes a eu une incidence majeure sur le secteur public pendant près de quarante ans.
Phase 3 : Nouvel arrangement et consensus des années 1980 jusqu’à 2015
Les changements décrits plus haut se sont poursuivis au cours des années 1980, lesquelles ont par ailleurs été marquées par des bouleversements sociaux, économiques et industriels profonds, accompagnés de troubles urbains à grande échelle. La réaction des gouvernements conservateurs, jusqu’en 1997, fut de lancer à titre d’essai différentes initiatives axées sur les usagers (dans des domaines allant de la santé à l’éducation, en passant par le sport, l’économie et le logement). Ces initiatives, abusivement qualifiées de projets de « régénération », nécessitèrent de nouvelles formes de gestion, d’encadrement opérationnel et d’encadrement au niveau local ou des quartiers. La démarche d’externalisation des services publics poursuivit son cours mais dès le milieu des années 1990, elle apparut comme moins impérative et les administrations locales au niveau des mairies furent tenues, pour obtenir des investissements, de justifier de partenariats locaux avec le secteur public, associatif et privé. Ces initiatives impulsées par les villes ont créé de plus en plus de nouvelles formes de coordination et d’encadrement au niveau local. Faute d’un programme centralisé de formation initiale et continue des agents publics, d’autres solutions sont apparues.
De la fin des années 1970 à la fin des années 1980, en partie en réaction aux mesures du gouvernement conservateur, et en partie devant le sentiment d’échec associé au gouvernement travailliste, qui avait perdu le pouvoir en 1979, des conseils locaux ont commencé à élaborer des politiques et des stratégies de substitution. Ces solutions locales ont souvent pris la forme de stratégies économiques locales, de politiques de participation publique, de décentralisation et d’intégration de services locaux, de politiques d’égalité et de diversité dans le recrutement et la conception des services et de mesures visant à accroître l’engagement citoyen et la responsabilité démocratique.
Ces initiatives, qualifiées au Royaume-Uni d’actions locales (‘going local’), reposaient dès le départ sur la relative autonomie des autorités locales par rapport à l’administration centrale. Mais bien que l’activité ait été très intense durant cette période, l’administration centrale augmenta progressivement son contrôle des finances locales et l’expérience finit par tourner court. Cette période riche en innovations fut cependant importante et le demeure encore aujourd’hui grâce aux retours d’expériences qui ont accompagné la mise en œuvre de ces mesures, en particulier au niveau de leur mode de gestion, de coordination et de pilotage. Plusieurs universités britanniques sont en parallèle devenues des centres de bonnes pratiques et de soutien en matière de gestion publique. Ainsi, alors que l’administration centrale réduisait les possibilités d’innovation, au niveau local, les personnalités locales, les agents publics et les militants locaux pouvaient trouver, dans certaines universités, une aide pour développer leurs compétences et leurs connaissances.
Impact des politiques publiques à partir des années 1980
Le nouveau consensus autour du démembrement du rôle des institutions publiques locales a persisté durant cette période jusqu’aux élections de 1997 qui ont porté le parti travailliste au pouvoir (1997-2010).
Cette arrivée du gouvernement travailliste s’accompagna d’une reprise des actions au niveau local avec de nouvelles initiatives destinées à améliorer les services, mais la formation initiale et continue des agents publics ne fit pas l’objet d’autant d’attention. Des programmes de renforcement des capacités dans le secteur associatif furent lancés, notamment un projet de recherche majeur analysant l’effet de cette évolution sur le secteur public. Des initiatives pour favoriser l’apprentissage du leadership public, notamment une École nationale de leadership (National School for Leaders), furent mises en place dans les secteurs de l’éducation et de la santé, mais aucune destinée à l’administration publique plus largement.
Le gouvernement travailliste développa diverses expérimentations autour de nouveaux modes de travail. Son attention sur l’éducation et les enfants en particulier mit en lumière des savoirs déjà reconnus dans ce domaine de pratique, mais qui n’étaient pas pour autant généralisés auprès des agents publics. De toute évidence, la décision de déléguer des pouvoirs depuis l’administration centrale du Royaume-Uni vers l’Écosse, le Pays de Galles, l’Irlande du Nord et plusieurs grandes villes d’Angleterre a également eu un effet sur la formation et le perfectionnement des agents de ces services, qui relevaient dès lors de ces administrations dévolues (ou décentralisées). La dévolution a été l’occasion pour ces administrations de redéfinir les domaines prioritaires de la formation initiale de leurs agents et de lancer la réalisation de programmes d’enseignement ou de projets particuliers. La formation des agents publics travaillant dans des services non dévolus a de son côté continué de relever de l’administration centrale britannique.
Le lancement en 1998 du projet Sure Start destiné à aider les parents des jeunes enfants a quant à lui donné lieu à des programmes spécifiques de formation à l’intention des travailleurs de ce secteur. Cette mesure, ainsi que d’autres initiatives dans le domaine de l’éducation et dans divers services liés aux enfants et à la jeunesse, ont eu pour effet de créer de nouvelles catégories de spécialistes : des personnes devant avoir des compétences en matière de négociation, de travail en coopération, de contrôle et de restitution, qui soient politiquement sensibles aux relations locales. Les travaux sur Sure Start ont également donné lieu à la mise en place de départements consacrés aux services en faveur de l’enfance. Après le décès tragique d’un jeune enfant et la publication d’un rapport sur l’incapacité de multiples services publics à le protéger, de nouvelles institutions ont été mises en place au niveau local, avec le soutien d’initiatives spécifiques de la part d’universités. C’est fondamentalement devenu un projet de renforcement des capacités, à ceci près qu’au lieu de miser sur un investissement à long terme dans la formation initiale et continue des personnels en contact avec le public et des cadres supérieurs parallèlement à une réforme plus vaste de la formation initiale et continue des agents publics, ces programmes de renforcement des capacités ont été de courte durée.
Entre 2010 et 2015, le gouvernement de coalition nouvellement élu a engagé une série de réductions des financements publics et adopté un programme d’austérité dans l’ensemble du Royaume-Uni. Un certain nombre de ces mesures ont eu pour effet immédiat de réduire la capacité, au niveau local, à répondre aux besoins des résidents et des services. La baisse des financements en faveur des services assurés par les collectivités locales et par d’autres services décentralisés a également eu des répercussions profondes sur la fourniture de services de formation initiale et continue au bénéfice des agents de l’administration. Ce qui n’était déjà pas un domaine d’action particulièrement prioritaire pour les gouvernements depuis la fin des années 1960 est devenu encore moins prioritaire.
Le gouvernement conservateur élu en 2015 puis réélu en 2019 s’était fixé un grand objectif national et international : sortir de l’Union européenne. Il est intéressant de relever que durant cette période, l’augmentation des capacités au sein de l’administration publique afin de mener à bien la stratégie de sortie a fait l’objet d’une attention particulière. Des questions beaucoup plus vastes et importantes se sont alors posées : existait-il une approche stratégique de la formation initiale et continue des agents publics ? Comment remédier au manque de capacités aux niveaux local et national ? S’il était décidé d’amplifier l’apprentissage et le perfectionnement professionnels continus tout en préparant l’accroissement des effectifs, qui allait fournir les formateurs, les enseignants et les animateurs, ainsi que l’infrastructure d’appui nécessaire ?
Évaluation des défis actuels et tendances de la formation initiale et continue
La section qui suit se nourrit d’une synthèse documentaire de Teaching Public Administration ainsi que des conclusions de recherches actuelles de l’ESRC (2014) et de l’OCDE (2020). Un certain nombre de thèmes communs et récurrents dans notre analyse donnent à penser que certaines questions sont mondiales, et non pas seulement nationales, mais que toutes sont locales.
Aux défis communs ou transversaux auxquels sont confrontés les agents publics, qu’ils travaillent au Royaume-Uni ou en France, s’ajoutent une série de questions définies plus haut : qui finance et assure la formation initiale et continue ? qui, le cas échéant, homologue les formations ? qui pilote l’évolution de carrière des agents publics ? qui approuve le contenu des actions de formation ? qui participe à la conception de ces actions (professionnels, militants locaux, éducation supérieure, administration centrale et/ou locale) ?
Les conclusions d’un rapport récent de l’OCDE (2020) sur l’avenir de l’emploi dans les services publics (Future of Work in Public Services) mettent en lumière une approche future plus ciblée dans laquelle les compétences techniques et l’adaptabilité, ainsi que la flexibilité du temps et du lieu de travail, sont considérées comme essentielles non seulement pour la formation des agents, mais aussi pour la qualité de l’expérience des usagers des services. Ces conclusions sont à mettre en parallèle avec le rapport de Needham et Mangan (2014) sur les fonctionnaires du XXIe siècle intitulé 21st Century Public Servant dont les recommandations proposent un programme global et détaillé de réformes pour les agents publics.
21st Century Public Servant
Un programme de réforme de la formation des agents publics
Le rapport 21st Century Public Servant défend la nécessité d’une transformation majeure dans la préparation, la formation, ainsi que l’apprentissage et le perfectionnement professionnels continus des agents publics.
En résumé, il plaide pour :
- Un rôle accru pour des équipes pluridisciplinaires et généralistes
- Le développement des qualités interpersonnelles • Une formation intersectorielle
- La lutte contre l’esprit de silo
- Des modes de travail plus réflexifs
- Le recours aux technologies nouvelles et à l’intelligence artificielle
- Le développement de la déontologie
- L’apprentissage par l’observation
- Les congés sabbatiques
- Le recours aux évaluations, au mentorat et au soutien par les pairs
- L’amélioration de l’aptitude à diriger
- La résistance aux préjugés culturels contre le secteur privé/public/associatif
Une caractéristique fondamentale des conclusions de ces rapports et des analyses connexes sur les moyens de préparer les agents publics au travail dans un environnement complexe, incertain et instable est la tension entre d’une part le besoin de compétences spécialisées et de connaissances techniques particulières et d’autre part la nécessité d’un socle de base reposant sur des compétences et des capacités d’ordre général.
Les études de Carey, Landvogt et Barraket (2016) et O’Flynn, Blackman et Halligan (2014) montrent qu’il est essentiel d’établir des relations collaboratives qui se renforcent mutuellement dans les politiques publiques. L’ouvrage coordonné par Massey (2019) expose un programme de recherche possible pour l’administration publique et la gestion du secteur public. Un thème récurrent est celui de la nécessité d’apprendre de l’extérieur. L’un des points faibles de la plupart des projets menés par le Royaume-Uni dans l’administration publique est qu’ils n’ont pas tiré les enseignements des exemples internationaux. La capacité qu’ont les grands défis des vingt dernières années (urgence climatique, pandémie, krach financier mondial et instabilités politiques) à bouleverser les politiques nationales doit inciter à redoubler d’efforts pour tirer les leçons des pratiques internationales.
Anticiper l’apprentissage et la formation, aujourd’hui et à moyen terme : un panorama des pistes de réflexion
Nous considérons qu’il faut poursuivre les travaux dans plusieurs domaines, et que ces questions peuvent intéresser aussi bien ceux qui participent à la formation initiale et continue des agents publics que ceux qui les font réaliser :
- L’ouvrage sur l’administration publique et la défense de l’espace démocratique ou du domaine public (Diamond et Schultz, 2018) met l’accent sur la nécessité de valoriser le rôle que jouent les agents publics. Ils travaillent en effet dans une sphère publique qui devient moins tolérante des différences, ce qui aboutit à un manque de confiance dans les responsables politiques ;
- Dans leur ouvrage sur le perfectionnement des fonctionnaires pour construire l’avenir, Farrell et Hicks (2020) mettent en exergue un exemple de pratique novatrice dans un programme post-licence du Pays de Galles, qui prépare les futurs dirigeants à travailler dans une perspective polyvalente, à développer et perfectionner leurs capacités à constituer des réseaux et à réagir face à la complexité ;
- Créer des espaces d’apprentissage novateurs – rendre les frontières plus flexibles entre les universités et les organismes partenaires. Majgaard (2015) fait valoir que l’apprentissage par l’innovation et la mise en place de relations d’apprentissage avec les partenaires doivent être rigoureusement planifiés et conçus, et notamment en étant moins réticents aux partenariats qui peuvent être créés ;
- Réaffirmer le concept d’administration publique comme « bien public » et faire de même pour la formation initiale et continue qui y contribue (Shand et Howell 2015). Cet article défend la thèse que le concept de bien public peut être un moyen de créer des relations de confiance, et qu’il doit être présent dans tout enseignement et toute formation ;
- Accroître les capacités des agents de l’administration de façon à ce qu’ils soient des chercheurs et/ou des praticiens érudits (Goodwin et Meek 2016). Selon ces auteurs, renforcer les capacités revient aussi à donner confiance dans les compétences et les connaissances, tout en améliorant les compétences interpersonnelles et de négociation ;
- Dans leur ouvrage sur le thème « programmes de perfectionnement des cadres à l’intention des responsables du secteur public – quels besoins pour l’avenir » (Ysa, Hammerschmid et Albareda, 2017), les auteurs réfléchissent sur les moyens d’aider les responsables à réagir aux crises actuelles afin de se préparer aux suivantes ;
- Préparer les futurs agents publics à collaborer (Henson, 2019). La collaboration et les différentes dimensions qu’elle revêt, de la coopération à la coexistence, doivent être comprises de façon beaucoup plus nuancée par les autres organismes, en tenant compte de la résistance à la collaboration du fait de l’esprit de silo ;
- Selon Harper (2018) dans son ouvrage sur la pratique réflexive pour les fonctionnaires, le développement, le renforcement et le perfectionnement des compétences et capacités de réflexion et les moyens de les encourager dans la pratique sont autant d’éléments à inclure dans la formation et le perfectionnement des agents publics.
Les thèmes des articles les plus récents sur la pédagogie publiés dans Teaching Public Administration analysent et anticipent plusieurs changements. Leurs préoccupations rejoignent celles exprimées dans les rapports cités plus haut : les mutations profondes et perturbatrices qui ont eu lieu sont appelées à se poursuivre. Nous travaillons dans une époque de changements permanents. Il est alors tentant de se replier dans un foyer organisationnel qui semble apporter une certaine sécurité. Travailler dans l’imprévisibilité et l’incertitude signifie que la formation initiale et continue dispensée aux agents publics doit faire l’objet d’un examen attentif et être adaptable. Au Royaume-Uni, l’absence d’une telle approche prospective et plus souple nourrie par des professionnels de qualité et des analyses universitaires a affaibli l’infrastructure de l’administration publique et sa capacité à réagir ou innover. L’enjeu pour ceux d’entre nous qui sommes engagés dans la formation initiale et continue des agents publics est de faire évoluer la politique actuelle et de revoir les priorités pour les 10 prochaines années au moins.
John Diamond et Catherine Farrell
John Diamond est professeur émérite à la Edge Hill University (Royaume Uni). Catherine Farrell est Senior Lecturer en management public à la Cardiff University (Royaume Uni). John Diamond et Catherine Farrell sont également les rédacteurs en chef de la revue Teaching Public Administration.
Teaching Public Administration est une revue qui diffuse et soutient des recherches et des travaux pédagogiques en matière de formation des agents publics. Fondée dans les années 1970 par l’UK Learned Society for Public Administration, elle était initialement publiée par des universitaires britanniques travaillant dans des départements universitaires spécialisés dans l’administration publique ou sociale. En 2010, la maison d’édition internationale Sage en est devenue copropriétaire et gérante. Sous la direction des auteurs, cette revue s’est réorientée : alors qu’elle était essentiellement centrée sur le Royaume-Uni, elle s’est transformée en une revue internationale dotée d’un comité de lecture. Les articles qu’elle publie représentent une communauté professionnelle internationale d’universitaires et de chercheurs en pédagogie qui participent activement au développement de la formation et du perfectionnement des agents de l’administration.
Carey, G., Landvogt, K., Barraket, J. ( eds) ( 2016). Creating and Implementing Public Policy. Routledge Abingdon.
Chapman, R. (1992). The end of the Civil Service?. Teaching Public Administration 12 (2) 1-5.
Chapman, R. (1999). The importance of ‘modernising Government’. Teaching Public Administration 15 (1) 1-18.
Diamond, J. et Schultz, D. (2018). Democracy and the teaching of public administration. Teaching Public Administration 36 (3) 203-206.
Farrell, C. et Hicks, J. (2020). Developing public servants for the future. Public Money and Management 40 (8) 589-596.
Goodwin , M.L., et Meek, J.W. (2016). The scholarly practitioner: Connections of research and practice in the classroom. Teaching Public Administration 34 (1) 54-69.
Harper, R.A (2018). The meaning of doing: Reflective Practice in Public Administration Education. Teaching Public Administration 36 (2) 143-162.
Henson, C.R. (2019). Public value co-creation: A pedagogical approach to preparing future public administrators for collaboration. Teaching Public Administration 37 (3) 327-340.
Majgaard, K. (2015). Laboratories of agency: Renegotiating the boundary between academia and host organisations in commissioned management programmes. Teaching Public Administration 33 (3) 255-272.
Massey, A. (Ed) (2019). A research agenda for Public Administration. Edward Elgar Cheltenham.
Needham, C., Mangan, C. (2014). The 21st Century Public Servant. University of Birmingham.
OECD (2020). The Future of Work in the Public Services. A Draft for Discussion. Working Party on Public Employment and Management.
O’Flynn, J., Blackman, D. et Halligan, J. (Eds) (2014). Crossing Boundaries in Public Management and Policy. Routledge Abingdon.
Ysa, T., Hammerschmid, G., Albareda, A. (2017). Executive Programmes for the Public Sector: Taking Stock and Future Perspectives. Teaching Public Administration 35 (1) 3-7.
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